Intervention de Marie Mercier

Réunion du 2 mai 2019 à 21h45
Reconnaissance du crime d'écocide — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir organisé, en 2015, la COP21, qui a abouti à la conclusion des accords de Paris, notre pays accueille cette semaine, au siège de l’Unesco, des scientifiques et des diplomates issus de plus de cent trente pays chargés d’évaluer l’état de la biodiversité.

Qu’il s’agisse du climat ou de la préservation de nos écosystèmes, le même constat alarmant peut être formulé : les activités humaines entraînent une telle dégradation de notre environnement naturel que c’est non seulement notre bien-être à moyen et à long terme qui est menacé, mais notre survie même.

À ces enjeux globaux s’ajoutent des pollutions plus localisées : nous nous souvenons tous de la marée noire de l’Erika, en 1999, qui avait souillé les côtes bretonnes ; nous connaissons le problème du déversement de boues rouges en Méditerranée ; nous avons entendu parler, tout récemment, de rejets de béton dans la Seine par un grand groupe de bâtiment et travaux publics.

Face à ces multiples atteintes à l’environnement, la France s’est progressivement dotée d’un arsenal législatif étoffé : dès les années 1970, nous avons adopté des dispositions relatives aux installations classées et avons introduit dans notre législation le principe « éviter-réduire-compenser », dit ERC, qui implique d’éviter, dans toute la mesure du possible, les atteintes à la biodiversité et, à défaut, d’en réduire la portée, afin de compenser les atteintes qui n’ont pu être empêchées.

Plus près de nous, en 2016, la réparation des atteintes à l’environnement a franchi une étape importante, comme l’a rappelé M. Jérôme Durain, avec l’inscription de la notion de préjudice écologique dans le code de l’environnement, sous l’impulsion de Bruno Retailleau. Nous travaillons bien sûr dans le cadre défini par la Charte de l’environnement, qui affirme, dans son article 1er, le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé.

Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent aujourd’hui d’aller plus loin en inscrivant dans notre code pénal un nouveau crime d’écocide, dont la définition s’inspirerait de celle du génocide.

Selon les termes de la proposition de loi, le crime d’écocide serait constitué en cas d’action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et ayant pour effet de porter atteinte, de façon grave et durable, à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.

Ce crime serait puni d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 7, 5 millions d’euros, éventuellement assorties de peines complémentaires. Le montant de l’amende serait multiplié par cinq lorsque l’infraction est commise par une personne morale.

Le texte prévoit également de sanctionner la provocation à l’écocide – il s’agit de punir les instigateurs, et pas seulement les exécutants – ainsi que le fait pour un groupe d’individus de préparer un écocide.

En outre, par analogie avec le génocide, le crime d’écocide serait déclaré imprescriptible.

La commission des lois comprend les intentions des auteurs de la proposition de loi et elle partage leur volonté de sanctionner fermement les atteintes à l’environnement.

S’agissant d’un texte de droit pénal, nous devons néanmoins être attentifs au respect de certaines conditions tenant à la précision et à la clarté de la loi pénale, qui sont des exigences de nature constitutionnelle.

Or les travaux que j’ai menés au nom de la commission ont montré que la rédaction de ce texte souffrait de trop d’imprécisions pour que l’on puisse déterminer en toute rigueur à quelles situations il trouverait à s’appliquer.

D’une manière générale, le texte n’opère pas de distinction entre activités légales et illégales : il donne l’impression qu’une entreprise dont l’activité dégraderait l’environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur.

Tel qu’il est rédigé, le texte n’indique pas clairement si la dégradation de l’environnement doit être le but recherché par les auteurs de l’infraction ou s’il peut s’agir d’une conséquence de leur activité, ce qui couvrirait un champ beaucoup plus large.

La proposition de loi fait en outre référence à des notions qui paraissent bien floues : comment apprécier les limites d’un écosystème ? Qu’entend-on par « atteinte grave et durable à l’environnement » ? Que vise la référence aux conditions d’existence d’une population et comment déterminer les contours de cette population ?

Outre cette critique interne, il convient de s’interroger sur l’apport de ce texte au regard des dispositions de droit pénal de l’environnement déjà en vigueur.

Il ne nous semble pas qu’il existe aujourd’hui de lacune dans notre droit positif qui rende indispensable la création de ce crime d’écocide : nos services de contrôle et nos tribunaux disposent de tous les outils juridiques pour sanctionner les atteintes à l’environnement commises sur notre territoire.

Le code de l’environnement comporte déjà de nombreuses incriminations pénales qui permettent de sanctionner, par exemple, les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces, la pollution des eaux, le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes ou la mauvaise gestion des déchets.

Par ailleurs, des incriminations pénales plus générales peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque des individus en sont victimes, par exemple le délit d’atteinte involontaire ayant entraîné la mort ou celui de mise en danger de la vie d’autrui.

Je souligne également que les pouvoirs publics ont à leur disposition une palette de sanctions administratives qu’ils peuvent utiliser pour mettre un terme à des infractions environnementales : un exploitant peut être mis en demeure de se conformer à ses obligations, sous peine de sanctions financières, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge pénal.

Dans ce contexte, notre commission est arrivée à la conclusion que l’introduction dans notre droit d’une nouvelle incrimination de portée générale, aux contours assez flous, ne s’imposait nullement. Il nous paraît préférable de mobiliser d’autres outils pour renforcer la protection de l’environnement, à l’échelle internationale et dans le cadre national.

À l’échelle internationale, la France pourrait par exemple œuvrer en faveur de la conclusion d’un traité définissant un socle de sanctions, lesquelles seraient ensuite déclinées dans le droit interne de chaque État partie, afin d’encourager ceux dont la législation environnementale est la moins développée à se rapprocher des meilleurs standards. Une telle approche serait cohérente avec les réflexions développées au sujet de l’écocide par certains universitaires, qui appellent de leurs vœux une évolution du droit international.

Dans notre pays, nous pouvons certainement renforcer les moyens de contrôle afin que nos règles environnementales soient mieux respectées. Sur ce point, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, adopté par le Sénat le 11 avril dernier, contient des mesures techniques intéressantes, avec notamment le rapprochement de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l’environnement.

Je signale également qu’une mission conjointe du ministère de la justice et du ministère de la transition écologique a été lancée en 2018 pour améliorer l’application du droit de l’environnement, notamment en renforçant la formation des magistrats et en mettant à l’étude une meilleure spécialisation des juridictions dans la protection de l’environnement et de la biodiversité. C’est aussi grâce à des mesures pragmatiques de ce type que l’on peut faire avancer les choses.

Il nous appartient de mobiliser une palette d’outils pour avancer ensemble sur le chemin de la transition écologique : fixer des normes plus exigeantes en matière de protection de l’environnement, utiliser le levier fiscal pour orienter les comportements, financer des programmes de recherche pour développer des technologies vertes, etc.

Voilà quelques pistes qui montrent que l’on peut être réservé concernant la reconnaissance d’un crime d’écocide sans être partisan de l’immobilisme en matière environnementale.

Au total – vous l’avez compris, mes chers collègues –, la commission des lois vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi. Si nous sommes conscients de l’urgence qu’il y a à agir sur le terrain de la protection de l’environnement, nous ne sommes pas certains que la solution proposée par les auteurs de ce texte soit techniquement aboutie, ni même que l’aggravation de la répression pénale soit l’orientation à privilégier dans ce domaine.

Nous nous réjouissons néanmoins de l’opportunité que nous donne l’examen de ce texte de débattre dans l’hémicycle de cet enjeu crucial qu’est la protection de l’environnement. Je suis convaincue que de nos échanges émergeront des propositions qui viendront enrichir la réflexion du Gouvernement au moment où s’annonce une mobilisation nationale pour l’emploi et les transitions.

Pour finir, je ferai miens les mots de Marshall McLuhan, inventeur du concept de village planétaire : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. »

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