Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, ces dernières années, nous avons pu observer une véritable évolution dans la prise de conscience écologique, à l’échelon tant national qu’international.
En septembre dernier, ce sont des centaines de milliers de Français qui manifestaient pour lutter contre le changement climatique.
Le 8 octobre 2018, nous prenions connaissance du dernier rapport du GIEC, qui nous plaçait face à un diagnostic effrayant : notre planète connaît une hausse des températures de 1 degré depuis l’ère préindustrielle, et le réchauffement climatique progresse désormais de 0, 2 degré par décennie. À ce rythme, la hausse de 1, 5 degré pourrait être atteinte entre 2030 et 2052, avec des conséquences dramatiques pour les systèmes naturels et humains : dérèglements climatiques et multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes ; fonte des glaces et, en conséquence, montée du niveau de la mer ; raréfaction des denrées alimentaires et de l’eau potable ; risques pour la santé ; développement de la pauvreté ; disparition d’écosystèmes entiers.
D’une certaine manière, nous sommes, en outre-mer, à l’avant-garde : nous constatons ces phénomènes en premier.
Cette prise de conscience de l’urgence climatique et environnementale face à laquelle nous nous trouvons est également la conséquence directe des scandales environnementaux qui ont fait l’actualité planétaire.
Les auteurs de cette proposition de loi, auxquels je tiens à rendre hommage, nous révèlent que la criminalité environnementale a tellement augmenté qu’elle est désormais classée au quatrième rang mondial des commerces illicites, après les stupéfiants, la contrefaçon et le trafic des êtres humains.
Face à cette hausse des infractions d’atteinte à l’environnement, le présent texte propose la création d’une nouvelle incrimination pénale : le crime d’écocide. Constituerait un écocide « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».
Imprescriptible, ce crime serait puni de vingt ans de réclusion et de 7, 5 millions d’euros d’amende.
La provocation au crime, ainsi que la participation à un groupement ou à une entente en vue de préparer un écocide ou sa provocation, seraient punies des mêmes peines, sauf si la provocation n’était pas suivie d’effet. Dans ce dernier cas, le quantum de peine serait plus faible : sept ans de prison et 100 000 euros d’amende.
Mes chers collègues, j’éprouve moi aussi, sans doute comme chacune et chacun d’entre nous, la préoccupation exprimée par les auteurs de cette proposition de loi : lutter plus efficacement contre les atteintes à l’environnement. Mais la rédaction retenue me semble soulever des difficultés juridiques majeures et présenter un risque important d’ineffectivité.
Madame la rapporteure, madame la secrétaire d’État, vous l’avez justement souligné : les termes de cette proposition de loi manquent de précision. Or l’impératif de clarté de la loi pénale est une exigence de valeur constitutionnelle, particulièrement lorsque la peine encourue est si élevée.
D’après ce texte, le crime d’écocide serait constitué dès lors qu’une action concertée « tendrait » à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème. S’agit-il d’une action qui a pour objectif de détruire un écosystème ou, au contraire, d’une action dont la conséquence en serait la destruction ? À ce titre, le caractère intentionnel est déterminant.
De la même manière, la notion d’écosystème n’est pas suffisamment définie. Peut-être aurait-il fallu renvoyer à des notions existant dans le code de l’environnement.
Il est également fait référence aux conséquences de cette infraction, à savoir l’atteinte grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population. Mais le caractère durable de cette atteinte s’entend-il par son irréversibilité ? De même, que vise-t-on par l’expression « conditions d’existence d’une population » ? S’agit-il de l’atteinte à la vie ou à l’intégrité de personnes, ou bien d’un risque ? Enfin, combien de personnes doivent-elles être atteintes pour que l’infraction soit constituée ?
Vous le voyez, un grand nombre d’interrogations essentielles se posent.