Je vous propose donc de maintenir cette taxe nationale, que je prends l’engagement de retirer dès qu’un consensus aura été trouvé à l’OCDE.
Votre deuxième élément d’inquiétude concernait la supposée fragilité juridique de ce dispositif. C’est un argument parfaitement recevable, car toutes les questions fiscales sont complexes. Je veux toutefois vous rassurer quant aux précautions que nous avons prises en ce qui concerne la solidité juridique de cette taxation.
Au niveau national, le Conseil d’État a validé ce projet de loi ; au niveau européen, j’ai décidé de retenir les modalités européennes de taxation du numérique, même si celles-ci sont critiquables, par souci, précisément, de solidité juridique. J’ai ainsi écarté toute autre base fiscale que le chiffre d’affaires. Ce n’est pas idéal, je l’ai dit, mais c’est la solution la plus robuste et la moins contestable juridiquement.
C’est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à cette méthode, en écartant l’idée d’un barème progressif qui était, certes, séduisante : nous aurions pu ainsi établir un taux à 1 %, un autre à 3 %, un autre, encore, à 5 % en fonction du niveau de chiffre d’affaires des entreprises, par souci de justice et d’équité. Il se trouve que, juridiquement, cette proposition affaiblissait la taxation du numérique, je ne l’ai donc pas retenue.
Nous avons également exclu certains services financiers inclus, à l’origine, dans le champ de la taxe et sur lesquels le Conseil d’État nourrissait des doutes. Il est vrai que proposer des services financiers sur internet ne crée pas nécessairement de la valeur par effet de réseau et donc n’entre pas dans le champ de la taxe.
Pour ces raisons, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la solidité juridique de cette mesure ni au niveau national ni au niveau européen. Par ailleurs, nous ne la notifierons pas à la Commission européenne, car cela retarderait de plusieurs mois l’entrée en vigueur de cette taxe et affaiblirait les négociations à l’OCDE, qui vont reprendre dès cette semaine. J’y serai demain pour discuter de ces sujets et j’ai bon espoir que nous parvenions à un accord d’ici à la fin de l’année.
Vous le voyez, tout est question de levier dans la négociation. Faudra-t-il, à un moment donné, préparer un rapport afin d’être plus transparent ? Je suis ouvert à toutes les propositions, pourvu que cela ne ralentisse pas l’entrée en vigueur de la taxe.
Troisième élément d’inquiétude : la taxe nationale serait dangereuse pour la compétitivité de nos entreprises. Je tiens simplement à indiquer que nous avons défini le champ le plus responsable possible et, surtout, que nous avons ciblé les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique, et seulement numérique, est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et à 25 millions d’euros en France, c’est-à-dire celles qui sont les plus créatrices de valeur dans ce domaine.
Il ne me semble donc pas souhaitable d’élargir le champ de cette taxe ni de revenir sur ses modalités, calquées, je vous le rappelle, sur la proposition européenne.
Enfin, un débat s’est fait jour sur l’élargissement de cette taxe à la vente directe sur internet. Cette question est très différente, mais je suis prêt à en débattre le moment venu. Ce que nous taxons ici, c’est la valeur provenant de l’effet de réseau créé par l’accumulation de données grâce auquel on sait quel type de cravate ou de costume vous portez, quel type d’hôtel ou de restaurant vous appréciez, de manière à cibler la publicité sur vos habitudes de consommation. De la valeur est ainsi créée, qui n’est pas taxée. Par souci de justice, nous allons le faire.
Le cas des commerçants qui décident de vendre par internet des produits qu’ils réalisent eux-mêmes est très différent. Il peut y en avoir dans vos territoires : ils pratiquent la vente directe en ligne, qui n’est pas de la création de valeur par accumulation de données.
Faut-il taxer cette activité au même niveau que les autres commerces ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis prêt à en débattre à un autre moment. Vous voyez bien, toutefois, que c’est un sujet très différent. Cela ouvrirait fortement le champ de la taxation pour beaucoup de commerçants indépendants qui créent des produits, parfois agricoles, et les vendent en ligne, mais qui ne s’en sortiraient pas avec une boutique physique, au risque de remettre en cause l’équilibre économique de beaucoup de petites entreprises en France. Je suis prêt à en discuter, mais ce n’est pas comparable à la taxation des géants du numérique qui nous occupe aujourd’hui.