Séance en hémicycle du 21 mai 2019 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à quinze heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu intégral de la séance du vendredi 17 mai 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une école de la confiance (projet n° 323, texte de la commission n° 474, rapport n° 473).

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Avant de passer au scrutin, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.

Je rappelle que chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.

La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école en France ne se porte pas très bien, ce n’est pas un scoop : près de 100 000 élèves sortent chaque année du système éducatif sans formation ni diplôme ; le chômage des jeunes s’élève à 20 % ; notre pays occupe une place médiocre dans les classements internationaux et, malgré les réformes successives, cette place continue de se dégrader. Les dépenses pour l’éducation étant plus élevées que la moyenne des pays comparables, c’est non la question d’un manque de moyens qui se pose, mais plutôt celle de leur utilisation.

Nous battons tous les records de reproduction des inégalités sociales et territoriales en matière éducative. Ainsi, 48 % des décrocheurs sont des enfants d’ouvriers, faute de bouclier de sécurité. Nous savons aussi que la grande majorité des élèves des filières professionnelles sont issus d’un milieu défavorisé.

L’éducation nationale continue d’affecter et de rémunérer les enseignants en fonction plus de l’ancienneté que des besoins. Les directeurs d’école primaire ne disposent pas du statut et parfois des moyens nécessaires à leur mission.

L’accroissement des charges administratives et les fréquents conflits entre enseignants et familles entravent les inspecteurs dans leur tâche et les empêchent de mener à bien leur mission pédagogique.

Nous pourrions tous poursuivre cette liste encore longtemps, mais à quoi bon ? Je le répète et c’est de notoriété publique : notre école ne se porte pas très bien.

C’est d’autant plus préoccupant que, dans de nombreux territoires en difficulté, les enseignants font aujourd’hui partie des rares relais entre les citoyens et leurs institutions.

À notre époque en proie au doute, à la défiance, au repli identitaire, où l’intelligence et la connaissance cèdent trop souvent le pas au délire et à l’ignorance, où la violence n’est jamais loin, à l’école, dans la rue ou sur les réseaux antisociaux – ce n’est pas un lapsus –, restaurer un lien de confiance au sein de nos écoles est un objectif majeur, que notre groupe ne peut que soutenir.

Bien sûr, personne ne peut croire que, pour atteindre cet objectif, un seul projet de loi puisse proposer le remède miracle ! Au moins celui-ci a-t-il permis, au gré des discussions à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, que de nombreuses questions soient soulevées : transmission des valeurs de la République à l’école, inégalités sociales et territoriales, évaluation de l’école, maillage territorial, mixité, laïcité, santé, inclusion ou encore lutte contre le harcèlement. Si notre système éducatif concentre autant de problématiques différentes, c’est qu’il touche à ce que la République a de plus précieux : son avenir.

C’est aussi la raison pour laquelle ce projet de loi a soulevé un certain nombre d’inquiétudes. Je voudrais saluer d’abord l’excellent travail de notre rapporteur, Max Brisson, qui a permis d’en dissiper plusieurs, ensuite votre attitude ouverte, monsieur le ministre, qui a permis un débat courtois et dépassionné, enfin l’implication de l’ensemble de nos collègues, qui ont siégé nuit et jour pour améliorer le texte et défendre leurs idées.

Sans surprise, le Sénat a approuvé l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, tout en offrant davantage de souplesse à son application. Nous espérons que cette mesure, associée à l’obligation de formation de 16 à 18 ans, sera un réel levier d’action contre le décrochage scolaire et le chômage des jeunes.

Des mesures importantes ont été adoptées en matière d’engagement de la communauté éducative, du renforcement de l’école inclusive, de l’innovation pédagogique, de la formation des enseignants, de l’évaluation, de la gestion des ressources humaines.

D’autres mesures importantes visent à renforcer la transmission et le respect des valeurs de la République en milieu scolaire. Pour prévenir les dérives, le Sénat a également adopté une disposition du Gouvernement visant à renforcer les sanctions contre les écoles privées hors contrat dont les activités ou le fonctionnement risqueraient de troubler l’ordre public. L’école est de plus en plus souvent victime des dérives communautaristes. Nous devons apporter une réponse claire et ferme à toute tentative d’endoctrinement. Il n’y a pas de place en France pour les écoles pratiquant l’éducation à la haine dans le plus grand mépris des valeurs de la République.

Après un débat de haute tenue, bien éloigné des polémiques qui l’ont précédé, la Haute Assemblée a supprimé la possibilité de fusionner écoles et collèges au sein d’un établissement public local. Cette mesure suscitait de l’inquiétude parmi les élus locaux, en particulier les maires ruraux, et la communauté éducative concernée. Nous avons fait le constat qu’une telle réforme de l’organisation de l’école ne pouvait se faire par voie d’amendement, sans étude d’impact et sans concertation préalable avec l’ensemble des acteurs concernés. Nous ne pouvons qu’espérer que les débats qui se sont tenus sur ce sujet, notamment sur l’initiative de notre collègue Jacques Grosperrin, ne resteront pas lettre morte.

Je citerai, pour conclure, Hannah Arendt : « C’est […] avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer à la tâche de renouveler un monde commun. »

Le projet de loi que nous avons examiné n’est pas la panacée à tous les maux qui touchent, dès l’aurore, notre société. Nous n’avons par exemple abordé ni la question de la modernisation des méthodes pédagogiques, ni la valorisation du métier d’enseignant, ni la crise d’autorité qui touche autant l’école que l’État. Il me semble pourtant que ce texte va dans le bon sens et que la contribution du Sénat l’a substantiellement enrichi.

Notre groupe votera donc ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que retiendra-t-on de ce projet de loi, censé, selon les termes du Gouvernement, porter une « politique éducative ambitieuse » ?

L’affirmation de divers principes, des mesures juxtaposées ou ajoutées en cours de lecture forment un ensemble qui ne traitera malheureusement pas les travers de notre système éducatif, dénoncé régulièrement par les études comme inégalitaire et peu performant.

Lors des débats, monsieur le ministre, vous avez dit qu’aux deux extrémités de notre système le projet de loi apportait « deux acquis fondamentaux » : l’obligation d’instruction abaissée à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans. Cependant, ces deux mesures ont surtout valeur de symbole, tout comme l’intitulé de ce projet de loi « pour une école de la confiance ».

Je ne ferai pas preuve d’originalité en rappelant que la quasi-totalité des enfants sont déjà scolarisés à l’âge de 3 ans. À l’autre extrémité du système, assurer que les jeunes de 16 à 18 ans devront être en formation et tenter d’identifier ceux qui ne le sont pas ne règle malheureusement pas le problème de la déscolarisation.

L’école dès 3 ans, la formation obligatoire de 16 à 18 ans, la transformation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les Espé, en instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation, les Inspé, l’exemplarité des enseignants sont autant d’actes de communication censés séduire les Français. Pourtant, au lieu de rassembler, ce projet de loi a failli désunir. Ces derniers mois, loin de la confiance souhaitée, il a soulevé l’inquiétude, voire l’opposition de la communauté éducative, des parents et des élus locaux.

Le Sénat s’est donc employé à retrouver l’apaisement. Contrainte par la procédure accélérée, notre assemblée a accompli un travail considérable : 141 amendements ont été adoptés en commission, 60 autres en séance.

Je tiens tout particulièrement à féliciter notre collègue rapporteur, Max Brisson, pour son investissement, la qualité de ses travaux et la pédagogie dont il a su faire preuve.

Bravo ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Le Sénat est intervenu tout d’abord pour combler les lacunes du texte.

Je pense notamment à la mise en œuvre de la scolarisation à 3 ans : les besoins de compensation des communes n’avaient pas été entièrement pris en compte, la situation des jardins d’enfants non plus. La fatigue de l’enfant devait être prise en considération au moyen d’assouplissements. La mesure phare du projet de loi nécessitait finalement divers ajustements.

Je pense également au chapitre entier introduit par l’Assemblée nationale sur l’école inclusive, qui appelait de nombreuses précisions.

Le Sénat est également venu apporter des garde-fous à certaines dispositions controversées.

Ainsi, concernant la création d’un conseil d’évaluation de l’école, qui remplace l’actuel Cnesco, le Conseil national d’évaluation du système scolaire, nous avons pu apaiser les craintes d’une éventuelle mainmise du ministère, en apportant des garanties d’indépendance à ce nouvel organisme.

Sur le plan des symboles, le Sénat a tenu à réaffirmer l’autorité des enseignants et des directeurs et le respect qui leur est dû, à un moment où les agressions, verbales et physiques, n’ont jamais été aussi nombreuses. Le choix des symboles, dans un texte sur l’école, est important et nous tenions à ce que chacun se sente soutenu.

Nous avons également maintenu la présence de symboles républicains dans les classes, comme l’avaient souhaité les députés, et nous avons réaffirmé l’importance du principe de laïcité.

Notre rapporteur a introduit des sujets importants qui ne figuraient pas dans le projet de loi, mais sur lesquels nous appelions à légiférer de longue date : le statut du directeur d’école ou la formation continue des enseignants, qui sont des éléments clés pour améliorer la qualité de l’enseignement en France.

Enfin, le Sénat a entendu la demande des élus locaux, de la communauté éducative et des parents en supprimant l’article 6 quater, qui a fait grand bruit en étant introduit sans concertation préalable à l’Assemblée nationale.

Les fameux établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, regroupant écoles et collèges, sont apparus en cours de procédure sans qu’il y ait eu ni débat préalable, ni étude d’impact, ni avis du Conseil d’État. Or la concertation et l’analyse sont des préalables indispensables pour introduire des mesures nouvelles.

La polémique qui a eu lieu et qui n’est pas de votre fait, monsieur le ministre, est regrettable. Sur certains territoires, l’idée répond à un réel besoin, comme le montrent les témoignages d’élus expérimentant actuellement ces regroupements.

Le dispositif proposé était perfectible, ce que j’ai pu démontrer, ainsi que plusieurs de mes collègues, en proposant une réécriture donnant toute l’initiative aux élus, associant la communauté éducative et en les assurant par la loi du maintien des écoles dans chaque village ainsi que des fonctions de directeur.

Cependant, il nous a semblé que la priorité était de sortir du cercle de défiance que l’article avait suscité. Une telle mesure ne pouvait se décréter sans dialogue de fond, alors que de fortes inquiétudes s’étaient exprimées. Vous avez vous-même conclu en séance, monsieur le ministre – je vous en remercie –, à la nécessité d’ouvrir maintenant une concertation sur le sujet. Nous espérons que tel sera le cas et que les députés se joindront à nous sur ce point.

Nous appelons également de nos vœux un accord en commission mixte paritaire concernant les nombreux ajouts, précisions et modifications que nous avons introduits.

La rédaction issue du Sénat est équilibrée, aboutie et repose sur le dialogue. Je conclurai mon propos par un extrait du discours d’investiture au Sénat du président Jules Ferry, le 27 février 1893 – rappelons qu’il a disparu prématurément et n’a occupé les fonctions de président du Sénat que vingt et un jours : « La vie parlementaire serait odieuse si l’on n’y apprenait pas à se respecter et à s’estimer les uns et les autres. N’est-ce pas précisément l’état d’esprit de cette grande Assemblée, ce qui donne à vos débats tant de noblesse, ce qui assure ici aux relations personnelles tant de charme et de dignité ? »

Nos débats, je l’espère, auront été à la hauteur de l’attente des Français. Nous voterons en faveur de ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe La République En Marche.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Karam

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette séance conclut une semaine intense de discussions, qui aura permis à chaque groupe de défendre ses propositions sur l’école, de confronter ses points de vue, d’argumenter – parfois avec passion, mais toujours dans un climat digne et serein qui fait honneur à la Haute Assemblée.

La bonne tenue de ce débat a été rendue possible par votre souci permanent, monsieur le ministre, d’expliquer et de clarifier chacun de vos choix. En effet, c’est toujours dans l’écoute et le dialogue que vous avez discuté avec les sénateurs et ceux-ci ont, je pense, apprécié la qualité et la franchise de vos réponses.

Soulignons également le travail important du rapporteur, Max Brisson, qui a contribué à la qualité de nos discussions. Je tiens tout particulièrement à le remercier, ainsi que la présidente et les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de l’attention constante dont ils ont fait montre pour les enjeux propres aux territoires ultramarins.

Nous l’avons dit, ce projet de loi n’a pas vocation à répondre seul aux défis de l’école : d’abord parce que tout ne relève pas de la loi en cette matière si spécifique qu’est l’éducation nationale, ensuite parce que ce texte s’inscrit dans une politique plus ambitieuse en faveur de l’élévation du niveau général des élèves et d’une plus grande justice sociale.

Ce projet de loi, parfois jugé hétéroclite et secondaire, aura permis des débats nourris sur des enjeux fondamentaux, loin d’être symboliques. École inclusive, décrochage scolaire, mixité sociale, langues régionales, statut des directeurs d’école ou encore formation des enseignants : personne ne me contredira si je dis ici que nos échanges ont été denses et souvent teintés de la passion des anciens maires et des enseignants qui composent cette maison.

Au cours de la discussion, le projet de loi a donné lieu à de nombreux points d’accord ainsi qu’à certaines clarifications attendues. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement en tiendra compte pour la suite du débat, dans le respect du bicamérisme.

Je pense d’abord à l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, votée à l’unanimité par notre Assemblée. Loin d’être accessoire, cette mesure consolide le cadre de l’école républicaine. J’ai rappelé l’immense défi que cela provoquerait dans certains territoires, notamment à Mayotte et en Guyane. Le Sénat y a été très sensible et a adopté une expérimentation consistant à faciliter les constructions scolaires.

Dans le même esprit, je pense aussi aux mesures profondément sociales que constituent l’obligation de formation de 16 à 18 ans, le renforcement de l’école inclusive ou encore le prérecrutement.

Je pense également à l’article 1er, qui, loin d’être un instrument pour museler les enseignants, rappelle ce qui fonde la relation entre le maître et l’élève.

Je pense enfin aux établissements publics d’enseignement des savoirs fondamentaux pour lesquels, avec votre assentiment, monsieur le ministre, le Sénat a adopté, sans s’opposer radicalement au principe, une position de sagesse afin de privilégier un dialogue concerté avec l’ensemble de parties prenantes.

Des divergences demeurent nécessairement dans pareil exercice et nous regrettons de ne pas avoir convaincu notre assemblée sur d’autres points.

C’est le cas de l’accompagnement financier prévu en faveur des communes lié à l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Le Sénat a adopté un mécanisme de régulation au profit des communes ayant déjà fait le choix de participer à la prise en charge des dépenses relatives aux classes maternelles privées. S’il nous semble indispensable que l’État s’engage sur les nouvelles dépenses, il ne saurait compenser dans une forme de rétroactivité celles qui étaient déjà engagées par le passé au titre de la libre administration des collectivités territoriales.

Le constat est identique concernant la dérogation accordée aux jardins d’enfants. Il est assez surprenant d’observer qu’avant l’examen au Sénat le Gouvernement a été injustement accusé de sonner le glas de l’école maternelle au profit des jardins d’enfants pour se voir finalement reprocher l’exact opposé dans cet hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Karam

À l’arrivée, le Sénat a choisi de pérenniser la dérogation accordée à ces structures. Nous respectons ce choix, comme nous respectons le travail qui a été réalisé. Toutefois, l’esprit de cette loi étant de renforcer l’école maternelle comme socle de l’école républicaine, nous restons convaincus qu’il eût été préférable de limiter cette dérogation dans le temps pour accompagner les jardins d’enfants vers une évolution.

Nous regrettons enfin de ne pas avoir convaincu le Sénat sur le statut des directeurs d’école. En souhaitant envoyer un signal, certes positif dans l’élaboration d’un véritable statut, la majorité sénatoriale risque d’entraver le dialogue social en créant de la défiance parmi le corps enseignant. En effet, la question du lien hiérarchique, notamment de l’évaluation, est loin de faire l’unanimité parmi les directeurs eux-mêmes. À cet égard, notre groupe réitère son souhait de voir le statut du directeur d’école faire l’objet d’une concertation avec les syndicats.

Cela étant, notre vote sera déterminé par des choix nettement plus regrettables, auxquels nous ne saurions souscrire.

Je pense d’abord à l’interdiction du voile pour les sorties scolaires, qui, en pratique, mettra les enseignants et les directeurs d’école dans des situations difficiles, voire inextricables.

Je pense surtout à ce que je considère comme un retour en arrière assez incompréhensible, à savoir la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme. Appliquée de 2010 à 2013, cette mesure a déjà démontré son caractère particulièrement injuste et inefficace.

Là encore, dans un texte appelant à la confiance entre la communauté éducative, les parents et les élèves, ces mesures jettent l’anathème sur une partie des familles, au risque de creuser plus encore les inégalités.

En définitive, le Sénat a largement adopté les principales dispositions de ce projet de loi, parce que celles-ci vont dans le bon sens. Cependant, malgré d’évidentes clarifications, nous devons nous prononcer sur un texte qui comporte également des mesures qui contreviennent, selon nous, à son ambition sociale.

C’est ce qui conduit le groupe La République En Marche à s’abstenir, …

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Karam

M. Antoine Karam. … même s’il garde l’espoir qu’un compromis sera trouvé en commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs semaines que nous débattons, ici, au Sénat, du devenir de notre système éducatif, alors que dans le pays résonnent inquiétudes et colère. C’est une très bonne chose que les parents d’élèves, les élus locaux, évidemment les enseignants, et, finalement, toute la société se soient ainsi mêlés du débat.

L’école concentre toutes les exigences d’égalité, de justice sociale et même d’ascenseur social, qui continuent de mobiliser le peuple français malgré les offensives libérales nous sommant d’abandonner cette promesse républicaine.

Cette mobilisation n’est pas étrangère à l’abandon des « établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux » regroupant écoles et collèges. Nous nous en félicitons, mais nous resterons vigilants face à toutes les tentatives de prendre appui sur d’éventuels intérêts pédagogiques pour accélérer la désertification scolaire dans nos territoires, car la proximité et l’égalité d’accès sont pour nous des principes fondateurs de notre système éducatif.

Là s’arrêtent malheureusement nos motifs de satisfaction.

Beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, aviez pris l’engagement que nos débats soient à la hauteur de l’enjeu, l’école de la République méritant mieux que des postures. Cet objectif a parfois été manqué, et de beaucoup : considérer, par exemple, que la suspension des allocations familiales réglera l’absentéisme, c’est être bien loin de la responsabilité qui est la nôtre ! Cette mesure, et chacun le sait ici car elle a été expérimentée, est aussi injuste que contre-productive.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Mme Céline Brulin. Il est regrettable, et pour tout dire assez honteux, que de tels errements idéologiques aient eu leur place dans notre assemblée. Qui peut vraiment croire qu’appauvrir les familles, tout particulièrement celles qui rencontrent des difficultés sociales et éducatives, serait la solution aux problèmes de l’école ?

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Ce n’est malheureusement pas la seule mesure, introduite par votre majorité sénatoriale, que nous ayons à regretter.

Je pense à l’annualisation du temps de service des enseignants ou à leur formation continue « en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement ». Dans le droit-fil de votre choix, en décembre dernier, de porter de un à trois le nombre de jours de carence dans la fonction publique en cas de maladie.

J’ai encore en mémoire ces enseignants victimes de violences, auditionnés en commission, qui avaient clairement mis en accusation cette décision, la jugeant précisément violente. « Vous avez décidé de nous retirer 250 euros de salaire parce que, enseignant à plusieurs dizaines d’élèves chaque semaine, il y a peu de chances que nous échappions à l’épidémie de gastro-entérite cet hiver », nous avaient-ils dit en substance.

Là encore, qui peut croire que nous répondrons ainsi à la crise de recrutement que nous connaissons dans l’enseignement ?

Au-delà, c’est le cœur du texte qui demeure le principal problème : notre système scolaire à deux vitesses ne répond aucunement au véritable enjeu, qui est d’en finir avec la reproduction des inégalités ; au contraire, il risque de les aggraver. Après avoir réalisé la massification de l’enseignement, c’est à sa démocratisation que la France devrait s’attaquer. Voilà qui serait de nature à restaurer la confiance.

Les établissements publics locaux d’enseignement international, qui n’ont d’ailleurs de public que le nom puisqu’ils pourront être financés par des dons privés, continuent par exemple, malgré les correctifs cosmétiques qui leur ont été apportés, d’entériner une logique profondément inégalitaire.

Le remplacement du Cnesco par un conseil d’évaluation de l’école, qui généralisera la mise en concurrence des établissements, par l’évaluation, vise les mêmes objectifs.

Nos craintes concernant le recours aux assistants d’éducation, notamment pour les remplacements de courtes durées, dans les zones les plus déficitaires, souvent les quartiers populaires ou les zones rurales, ne sont pas non plus dissipées.

Si nous avons unanimement soutenu la scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans, nous regrettons que l’élargissement des compensations financières décidé par notre assemblée ne soit pas allé jusqu’à couvrir toutes les communes, notamment celles qui financent déjà sur leurs fonds propres les dépenses liées aux maternelles publiques. Du coup, cette mesure symbolique, en particulier en métropole, n’est pas le véritable progrès social qu’elle devrait être. Le grand gagnant sera l’enseignement privé.

Le sort réservé à l’école inclusive tourne encore plus explicitement le dos aux valeurs de l’école publique. La mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL, signe un renversement de logique dans l’accompagnement des enfants en situation de handicap. Dans un contexte de restrictions budgétaires, les besoins de l’institution scolaire sont rendus prioritaires par rapport à ceux des enfants.

Nous n’avons malheureusement pas pu approfondir la question de la situation des accompagnants de ces enfants, la plupart de nos amendements ayant malheureusement été déclarés irrecevables. Tout concourt pourtant à concevoir un nouveau métier de l’éducation, dans le cadre de la fonction publique, car il n’est pas acceptable que les AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, qui font un travail indispensable, continuent de vivre avec des salaires si faibles, sans formation, sans statut, ni reconnaissance.

On le voit dans les académies qui mettent déjà en place la mutualisation, les AESH n’atteignent quasiment jamais un temps complet. La mutualisation sert de justificatif au fait qu’il « y aura moins de besoins ».

J’évoquerai maintenant l’article 1er du texte, qui demeure toujours aussi dangereux pour l’exercice de la citoyenneté des professeurs. Fonctionnaires, bien évidemment soumis à des devoirs, ceux-ci n’en sont pas moins des citoyens, qui ont d’ailleurs pour mission de former d’autres citoyens, de futurs citoyens. Les procédures disciplinaires qui se multiplient actuellement ne sont évidemment pas faites pour nous rassurer sur ce point non plus.

Nous resterons vigilants pour empêcher que des dispositions rejetées ou supprimées soient réintroduites par voie réglementaire, comme il est bien trop souvent possible de le faire en matière d’éducation.

Notre groupe votera contre ce texte, qui suscite toujours, avec raison, la défiance parmi les parents d’élèves, les enseignants, les élus locaux et tous ceux qui sont attachés à l’idéal de l’école républicaine. Nous avons la conviction que leur mobilisation n’est pas dernière nous, au contraire. Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour aller chercher, un à un, les postes qui permettront de concrétiser la promesse présidentielle de réduire à 24 le nombre d’élèves par classe, de la grande section au CE1.

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste et républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Ma chère collègue, vous m’avez fait l’aveu que c’était aujourd’hui une première pour vous dans cet exercice : je vous souhaite bonne chance !

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Monier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel marathon législatif avons-nous vécu la semaine dernière ! Les débats ont été riches, intenses, parfois passionnés, mais l’objet et les enjeux de ce texte de loi le valaient bien. Ils ont démontré, une fois de plus, l’importance du bicamérisme : l’apport du Sénat est crucial pour alimenter le travail parlementaire, l’enrichir et permettre une forme de maturation nécessaire à l’ouvrage législatif, dans le respect de toutes les sensibilités.

Je tiens à saluer mes collègues chefs de file Maryvonne Blondin, Claudine Lepage et Maurice Antiste, qui ont porté notre parole avec compétence et conviction pour l’école républicaine.

Monsieur le ministre, nous n’avons pas la même vision de l’école de la République. Au fil de l’examen de ce texte, si vous avez semblé être à l’écoute, vous ne nous avez pas entendus sur plusieurs points, et nous le regrettons.

Sur de nombreuses mesures, le temps d’étude préalable a été trop réduit. La concertation a manqué. Le projet de loi est examiné en procédure accélérée afin de pouvoir être appliqué à la rentrée par voie de décrets et d’ordonnances. Cet empressement n’est pas compatible avec le temps long nécessaire à toute réforme de l’éducation.

Je veux toutefois souligner un réel point positif : l’abandon des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux. Ces EPLESF risquaient d’entraîner des bouleversements profonds dans la structure du système scolaire et auraient eu lourdes conséquences pour les élèves, leurs familles, les personnels et les territoires, notamment ruraux. Cette suppression est une victoire pour tous les acteurs de la communauté éducative et les élus, qui s’étaient fortement mobilisés contre ces établissements.

Je me réjouis que nos collègues sénatrices et sénateurs soient intervenus pour sauvegarder nos écoles et, avec elles, nos territoires. Sur cette question, le Sénat a été à la hauteur de l’enjeu. Espérons que la commission mixte paritaire fera preuve de la même sagesse et qu’elle maintiendra cette suppression.

Nous sommes aussi satisfaits que le Gouvernement, conformément à l’engagement pris le 8 février à Rennes, ait apporté son soutien à l’article 6 ter A, qui traduit les conclusions de la conférence territoriale de l’action publique de Bretagne s’agissant des langues régionales.

Sur l’article 4, nous nous réjouissons que la commission ait ouvert la compensation à toutes les communes, même s’il est dommage que les amendements que nous avons portés, lesquels visaient à apporter davantage de garanties sur leurs dépenses nouvelles, aient été rejetés.

Au-delà de ces quelques points, l’esprit général du texte n’a pas changé. Nos inquiétudes concernant l’article 8, sur l’annualisation des heures et l’orientation des élèves, n’ont pas été entendues. Les expérimentations peuvent parfois permettre de belles avancées, mais elles ne doivent pas se faire au détriment des élèves.

L’article 6 ter confie une autorité hiérarchique aux directeurs d’école. Nous l’avons dit, ce n’est pas en divisant l’équipe éducative que l’on renforcera sa cohésion ou l’autorité de ses membres.

Aux demandes de revalorisation salariale et d’élévation du niveau de qualification des enseignants, vous opposez des suppressions de postes et la création, via l’article 14, d’un statut incertain pour des étudiants non encore diplômés et sans formation pédagogique. Nous espérons qu’il ne s’agit pas là de compenser la pénurie d’enseignants dans certains territoires ou certaines matières ni de créer une sous-catégorie de professionnels.

Ce projet de loi aurait dû améliorer les conditions de travail des personnels, mais ce n’est, hélas ! pas le cas. La majorité sénatoriale a aggravé encore leur situation en allant plus loin que le Gouvernement. Elle a ainsi prévu l’obligation de formation continue « en priorité en dehors des obligations de service d’enseignement » et rejeté les garde-fous que nous avions proposés.

Je ne peux passer à côté de l’article 1er, dont la rédaction continue de faire planer la suspicion sur l’ensemble des membres de la communauté éducative. Comme beaucoup ici, je ne doute pas de l’exemplarité de nos professeurs. C’est pourquoi il n’est selon moi pas utile de rappeler dans le texte leur devoir en la matière, la loi de 1983 étant par ailleurs toujours en vigueur.

Nous ne comprenons pas non plus l’obstination à vouloir supprimer le Cnesco, car cette instance fonctionne bien. En mettant en avant les travaux de la recherche scientifique sur les politiques éducatives, elle permet de sortir de débats souvent stériles. Les quelques modifications apportées, pour augmenter la part des parlementaires dans la composition de votre nouveau conseil, monsieur le ministre, ne changent pas grand-chose sur le fond.

Finalement, l’examen de ce texte au Sénat a surtout mis en évidence, si certains doutaient encore de son existence, le clivage gauche-droite. Le texte qui ressort de nos travaux s’éloigne davantage de nos valeurs d’égalité et de justice sociale et de ce que nous pouvions attendre d’un texte sur l’école républicaine face aux enjeux du XXIe siècle. Les vieux serpents de mer de la droite ont ponctué les débats, comme l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour les accompagnateurs ou accompagnatrices lors des sorties scolaires, ou encore la suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves absentéistes. Cette mesure, que nous avions supprimée en 2013, pénalisera particulièrement les femmes élevant seules leurs enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Monier

Nous espérons que la commission mixte paritaire supprimera cette mesure inefficace et rétrograde.

Pourtant, ce texte aurait pu sortir du Sénat avec une vision plus progressiste et plus sociale. Nous avons tout fait pour, en déposant de nombreux amendements. Certains, retoqués au titre des articles 40 et 45 de la Constitution, portaient sur l’université. À ce sujet, je souhaite évoquer les récents dysfonctionnements de Parcoursup, qui nous alertent sur les failles de cette plateforme et qui plongent des milliers de lycéens dans l’angoisse et l’incertitude.

Pour en revenir à nos amendements, très peu ont été adoptés en séance : un visait à faire de la mixité sociale un caractère contraignant pour toute modification de la carte scolaire, un autre tendait à assurer aux enfants des départements et régions d’outre-mer un enseignement de l’histoire de leur territoire. La majorité sénatoriale a choisi de rejeter la quasi-totalité de nos amendements.

Vous avez ainsi choisi de rejeter la suppression des PIAL, qui constituent un simple outil de gestion comptable et de mutualisation des AESH, et non un dispositif permettant de cibler les besoins des enfants et d’accroître la qualité de leur accompagnement.

Vous avez également choisi de rejeter la sensibilisation des élèves aux violences faites aux femmes et la lutte contre les violences sexistes, dans le primaire et le secondaire.

Vous avez de même choisi de rejeter nos amendements visant à décharger les missions locales de nouvelles obligations, alors que leur situation financière reste délicate.

Vous avez enfin choisi de rejeter notre amendement tendant à demander au Gouvernement de faire part de ses intentions en matière de politique de santé scolaire.

Au final, malgré l’abaissement à 3 ans de l’âge de l’instruction obligatoire, la création du rectorat de Mayotte et la belle victoire que constitue la disparition des EPLESF, ce projet de loi n’est pas plus acceptable en sortant du Sénat que lorsqu’il y est arrivé.

En conclusion, ce sont deux droites qui se rejoignent autour d’une même vision de l’éducation, plus libérale. Pour le groupe socialiste, ce texte comprend bien trop de mesures déstructurant le cadre national de l’éducation. Nous voterons contre ce texte, car nous sommes de celles et ceux qui croient en une école émancipatrice, en une école où l’on devient d’abord un citoyen ou une citoyenne accompli, soucieux de l’intérêt collectif pour se préparer à un emploi, en une école qui permette de se construire, peu importe d’où l’on vient : une école de la République !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE vous ont fait part de leurs inquiétudes dès le début de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance. Le manque de concertation, dénoncé par la communauté éducative, a été doublé d’une forme de précipitation, le tout aboutissant à un texte aux dispositions trop diverses. Ce projet de loi aurait gagné en force, et je l’ai déjà dit, à rester centré sur son objectif de départ : rendre obligatoire la scolarisation des enfants dès l’âge de 3 ans.

Je vous l’accorde, notre système éducatif a besoin de confiance, celle des Français envers les enseignants, celle du monde éducatif en sa propre capacité à relever les défis, et enfin celle des collectivités territoriales.

Or les sénateurs du groupe du RDSE sont inquiets concernant l’égal accès des élèves à l’instruction sur l’ensemble du territoire. Ce doute n’a malheureusement pas été levé avec la suppression en séance de la disposition prévue par l’amendement de notre collègue Jean-Yves Roux adopté en commission sur l’obligation d’accueil dès l’âge de l’instruction obligatoire dans une école au plus près de son domicile.

Le vote d’un amendement à l’article 1er, visant à inscrire dans la loi le rôle de l’école dans la transmission des valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité, était nécessaire, bien qu’insuffisant face aux défis auxquels elle est confrontée sur le terrain social, territorial, mais aussi technologique.

Construire l’école de la confiance, c’est d’abord s’appuyer sur des enseignants compétents et fiers de leur métier, comme Max Brisson et moi l’avions souligné en 2018 dans notre rapport d’information sur le métier d’enseignant, dans lequel nous appelions à rénover le cadre statutaire pour renouer avec l’attractivité.

Les apports du Sénat à ce texte s’agissant des ressources humaines de l’éducation nationale sont indéniables. Je salue l’adoption de la formation continuée et de la formation continue pour tous les professeurs du premier comme du second degré, mesures permettant de rendre le métier d’enseignant plus adapté et qu’il faudra pouvoir conserver en commission mixte paritaire.

La sensibilisation des futurs professeurs aux enjeux de l’environnement et du respect de la biodiversité, apport auquel le groupe du RDSE a contribué, était urgente afin qu’ils intègrent à leur tour ces sujets, encore trop rarement dispensés, dans leurs enseignements.

Si j’approuve l’évolution de la maquette de formation des Inspé – eh oui ! – vers l’usage des outils et ressources numériques en classe, je regrette que mon amendement visant à donner la priorité à l’utilisation de logiciels libres dans le service public de l’enseignement n’ait pas pu être discuté, alors que le lien m’apparaît pourtant limpide avec le texte en discussion.

Nous avons entendu, monsieur le ministre, vos engagements sur la réforme du prérecrutement des futurs enseignants, qui va dans le bon sens en assurant leur formation sur le terrain. Nous serons attentifs à ce que ce dispositif ne soit pas dévoyé. Le statut d’assistant d’éducation, ouvert aux étudiants de L2, ne saurait être un moyen de remplacer des titulaires.

Permettez-moi d’évoquer d’autres points de la discussion qui nous ont semblé significatifs et sur lesquels nous serons vigilants.

Nous sommes opposés aux établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux proposés à l’article 6 quater. La suppression de cet article avait été adoptée unanimement en commission, l’amendement de notre collègue Grosperrin nous ayant permis d’engager une discussion de fond dans l’hémicycle, avant son retrait. J’espère, monsieur le ministre, que vous veillerez à ce que cet article ne revienne pas.

Concernant l’école inclusive, je me félicite de ce que le Sénat ait inscrit la formation continue des AESH dans le texte, reconnaissant ainsi leur rôle à part entière dans l’équipe éducative et le besoin de renforcement de leur professionnalisation. Toutefois, j’estime que le texte n’est pas encore satisfaisant sur les PIAL. Ces pôles peuvent être utiles, à la condition que leur création résulte d’une concertation organisée entre l’éducation nationale, le champ médico-social et les collectivités territoriales, afin de s’insérer dans un espace géographique pertinent et en nombre adapté dans le département. Il faut laisser plus de place à la concertation entre les acteurs.

Notre groupe approuve l’obligation de formation professionnelle de 16 à 18 ans, à condition de s’appuyer sur le réseau du service public de l’orientation tout au long de la vie. Tel est le sens de l’un de nos amendements qui a été adopté.

Concernant le statut des directeurs d’école, le résultat est en deçà de nos espérances, car une simple participation aux évaluations ne suffira pas à rendre la fonction plus attractive ou plus légitime au sein de l’établissement.

Quant aux établissements privés hors contrat, des dispositions bienvenues ont été adoptées pour compléter la loi Gatel. Il s’agit de l’obligation de déclarer le changement de projet d’établissement ou d’objet d’enseignement et la création d’une nouvelle sanction, en cas d’atteinte à l’ordre public ou de non-respect des mises en demeure.

Je regrette la création du conseil d’évaluation de l’école, en lieu et place du Cnesco, qui permettait une évaluation indépendante, avec un volet recherche scientifique très important. L’un aurait pu être complémentaire de l’autre.

Il est fort dommage ce projet de loi n’ait pas été l’occasion d’aborder la question de la visite médicale du personnel enseignant. Nous nous mobiliserons de nouveau sur cette problématique lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.

En ce qui concerne la santé des élèves, le dispositif prévu est encore un peu décevant. Mais nous avons pu faire voter le maintien de l’autonomie des infirmiers scolaires. Nous approuvons par ailleurs l’autorisation donnée au médecin scolaire de prescrire certains actes et produits de santé.

Nous sommes fortement opposés au contrat de responsabilisation transposant les dispositions Ciotti sur la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme de l’élève, car nous considérons que c’est une double peine qui fragilise les plus vulnérables et renforce le rejet de l’école.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Nous avons débattu de l’interdiction du port de signes, ou tenues, par lesquels se manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, étendue aux sorties scolaires et aux personnes concourant au service public de l’éducation. Une majorité de notre groupe a voté en faveur de cette mesure, qui ne survivra peut-être pas en commission mixte paritaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

En conclusion, je tiens à souligner les apports majeurs du Sénat sur le métier d’enseignant, qui manquaient cruellement à ce texte pour renouer avec la confiance en l’école.

Malgré tout, nombre de mes collègues du groupe du RDSE jugent le texte déséquilibré, les enjeux liés à l’école dans les territoires étant pris en compte de manière bien trop parcellaire. L’école est parfois le dernier service public. Nos élus attendent une politique de l’école dans les territoires qui, au vu de ce texte, reste encore à inventer. Telles sont les raisons pour lesquelles une large part de notre groupe s’abstiendra.

Monsieur le ministre, je voterai aujourd’hui ce texte, qui constitue une étape d’un travail constructif, mais mon vote ne sera définitif et solennel que lors de l’adoption du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, après un long travail préparatoire et près d’une semaine de discussions, parfois passionnées, dans cet hémicycle. Le vote de ce texte marque l’aboutissement d’un important travail, en commission comme sur le terrain, dans un climat qui n’a pas toujours été des plus sereins, en tout cas à l’extérieur de la Haute Assemblée.

À l’issue de ces quatre jours de séance, nous sommes convaincus que ce texte a évolué grâce aux apports du Sénat. Il était grand temps de dépassionner le débat en prenant en compte, dans nos propositions, le point de vue des acteurs locaux, des élus, des personnels de l’éducation et des parents. C’est en procédant de la sorte que le changement est possible en matière éducative, mais cela nécessite du temps, de l’expérimentation et l’association étroite des différents acteurs.

Monsieur le ministre, je tiens à saluer l’écoute dont vous avez fait preuve pendant nos débats et la qualité de nos échanges tout au long de nos travaux. Si nous n’avons pas toujours été d’accord sur tout, nous espérons néanmoins que vous saurez reconnaître les apports du Sénat à ce texte important. Je souhaite également remercier de nouveau le rapporteur, Max Brisson, et la présidente de la commission, Catherine Morin-Desailly, pour leur implication dans la conduite de nos débats.

C’est le vif attachement que nous portons, toutes et tous, à l’école de la République qui a conduit nos réflexions et, nous l’espérons, permis d’améliorer ce projet de loi de manière constructive et approfondie. Sans bien entendu mettre de côté nos problématiques locales ni les sujets qui nous tiennent personnellement à cœur, nous pouvons dire que nous avons ici travaillé en ayant à l’esprit l’intérêt des générations futures. Faire que chaque enfant, quelle que soit sa situation, puisse trouver sa place à l’école : voilà ce qui a guidé nos travaux.

Il a pu être reproché au projet de loi tel que nous l’avons reçu de l’Assemblée nationale de manquer d’un certain souffle, de ne pas contenir de dispositions véritablement à même d’apporter des réponses aux enjeux auxquels fait face notre système scolaire, ou encore d’être finalement un texte un peu fourre-tout. C’est heureux que le groupe que je représente ait pu vous convaincre d’enrichir le texte qui nous était soumis sur plusieurs points importants.

À titre d’exemples, pour n’en donner que quelques-uns, l’éducation au développement durable et à la protection de l’environnement a notamment été consacrée dans notre droit, sur l’initiative de notre collègue le président Hervé Maurey. De même, l’autonomie des infirmiers scolaires a été défendue grâce à notre collègue Jocelyne Guidez. Grâce à la présidente Catherine Morin-Desailly, la formation des professeurs sera structurée par la maîtrise des outils et des ressources numériques.

Je tiens également à citer nos avancées en faveur d’une meilleure implication des territoires et des élus locaux, avec une prise en compte réelle de la dimension territoriale des inégalités dans la répartition des moyens du service public de l’éducation ou encore avec une meilleure association des communes dans l’élaboration des conventions de formation continue des professionnels intervenant auprès des enfants de moins de 6 ans.

D’autres dispositions, que nous avons soutenues, doivent également être mises en lumière. Je pense aux compromis trouvés sur l’annualisation du temps de travail, sur les jardins d’enfants ou sur les visites médicales, à la lutte contre le prosélytisme, à la lutte contre l’absentéisme par la possibilité de retenues sur les allocations familiales versées aux parents d’élèves de moins de 16 ans, à l’ensemble des mesures en faveur de l’école inclusive, aux contractualisations rendues possibles avec les établissements privés sous contrat afin d’encourager la mixité sociale, ou encore aux solutions pour répondre aux problèmes de recrutement, notamment dans les zones d’éducation prioritaire, avec l’ouverture des postes à profil.

Vous aurez constaté, monsieur le ministre, notre profond attachement à ce que, à l’avenir, davantage d’initiatives soient laissées aux acteurs locaux, aux élus, aux personnels de l’éducation, aux parents, pour trouver les solutions et les moyens de répondre aux besoins des territoires en matière d’éducation.

Mon groupe et moi-même souhaitons vivement que ces améliorations sensibles sauront convaincre nos collègues de l’Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire.

Je reviendrai un instant sur la disposition qui a été, de loin, la plus débattue, au sein de notre assemblée comme au dehors : l’instauration des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux, énoncée à l’article 6 quater, supprimée à l’unanimité de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Si les discussions ont été aussi animées que les semaines de mobilisation le laissaient prévoir, nous avons, il me semble, réussi à sortir par le haut de cette situation.

Nous comptons désormais sur votre sagesse, monsieur le ministre, pour que l’école du socle fasse l’objet d’un véritable travail approfondi, dans un climat apaisé et à même de satisfaire les différentes parties prenantes de notre système scolaire, toujours dans l’intérêt des élèves. Le groupe Union Centriste prendra toute sa part à ce travail, comme aux réflexions plus larges sur l’avenir de notre école.

La restitution prochaine des travaux de la mission d’information sur les nouveaux territoires de l’éducation sera ainsi l’occasion d’enrichir le débat de nouvelles propositions, comme les résultats de la mission Mathiot-Azéma, que nous analyserons avec attention, bien entendu.

Pour conclure, épargnons-nous ici les descriptions apocalyptiques sur la situation de notre système scolaire, les « condoléances aux futurs illettrés », les rapports savants sur l’échec scolaire, ou encore la dénonciation des « usines à cancres ». Non pas que la critique soit toujours inutile, mais ce qui aura compté tout au long de nos travaux, c’est moins le diagnostic que les remèdes.

Le groupe Union Centriste votera ce texte ainsi amendé par notre assemblée. Mes collègues et moi-même resterons bien sûr attentifs à sa mise en œuvre ; nous veillerons à toujours défendre notre école républicaine, celle qui sait intégrer, celle qui fait du mérite – et non de l’argent ou des relations – le véritable facteur de la promotion sociale.

Jules Ferry s’était fait un serment : l’éducation du peuple. Cette ambition a inspiré l’école du brassage social et de la promotion individuelle. Cet idéal reste d’actualité, même si les moyens de l’atteindre ont changé. L’école doit avoir plus que jamais l’ambition de donner à chacun sa chance.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi pour une école de la confiance.

Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des conférences.

Je remercie nos collègues Daniel Dubois, Dominique de Legge et Patricia Schillinger, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je déclare le scrutin ouvert pour une durée maximale de trente minutes et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures trente, heure à laquelle je proclamerai le résultat.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :

Nombre de votants346Nombre de suffrages exprimés308Pour l’adoption213Contre 95Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi pour une école de la confiance.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je remercie Mme la présidente de la commission, M. le rapporteur ainsi que les trois secrétaires du Sénat qui ont tenu les bureaux de vote.

La parole est à M. le ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par deux mots trop peu utilisés dans notre société : hommage et gratitude.

Je veux tout d’abord rendre hommage au Sénat et souligner à quel point les travaux de la semaine dernière étaient riches et dignes. Je me suis d’ailleurs souvent pris à souhaiter que nos concitoyens puissent nombreux voir, écouter ou lire ce type de débats, afin de comprendre tout l’intérêt de la démocratie parlementaire.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

J’ai toujours été un fervent partisan de la chambre haute et du bicamérisme.

Exclamations approbatrices et applaudissements nourris sur les mêmes travées.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Je ne dis pas cela pour vous faire plaisir, mesdames, messieurs les sénateurs. Si je pensais le contraire, je vous dirais le contraire. Mais cette conviction profonde m’anime depuis toujours. N’oubliez pas que j’ai été professeur de droit constitutionnel.

Il m’est même arrivé de défendre cette idée sur certains ronds-points, parfois en compagnie de certains d’entre vous, et je la défendrai plus vigoureusement encore après la semaine que je viens de vivre !

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Hommage, d’une part ; gratitude, d’autre part. Je pense que nous devons tous avoir de la gratitude envers notre pays. Parce que nous sommes une République, nous pouvons avoir ces débats, qui souvent nous opposent, mais qui sont indispensables pour faire vivre la démocratie.

In fine, l’école nécessite un minimum d’unité de la part de la société et de la classe politique. Cet idéal d’unité n’est que très imparfaitement atteint aujourd’hui, mais il important de savoir se rassembler sur certains sujets, et le Sénat a su le faire en votant à l’unanimité la disposition la plus importante de cette loi, prévue à l’article 2, c’est-à-dire l’instruction obligatoire à 3 ans.

Je compte donc dire clairement en dehors de cet hémicycle que les débats, dans cet hémicycle, ont permis d’enrichir le projet de loi, même si je conserve un certain nombre de réserves à l’égard du texte qui vient d’être adopté.

Je les exposerai en temps et en heure. À titre de conclusion provisoire, je voudrais surtout rappeler le caractère profondément social de cette loi.

L’instruction obligatoire à 3 ans va permettre de conduire sur le chemin de l’école maternelle 25 000 enfants qui ne sont pas scolarisés aujourd’hui. Pour ces enfants issus des milieux les plus défavorisés, c’est évidemment une grande loi sociale.

Je le rappelle, lorsque Jules Ferry, dans les années 1880, a fait voter les lois sur l’école, 93 % des enfants étaient déjà scolarisés.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Pourtant, nous considérons aujourd’hui cette loi comme absolument fondamentale, d’abord pour les 7 % d’enfants qui n’étaient pas scolarisés, bien sûr, mais aussi, et surtout, pour le cadre qu’elle a fixé pour toujours. Nous nous situons dans cette lignée et nous devons être fidèles à cet état d’esprit qui consiste à fixer un cadre politique, moral et républicain à l’école.

C’est ce que nous avons fait, c’est ce que vous avez fait en votant à l’unanimité en faveur de cet article 2.

C’est aussi une loi sociale par d’autres mesures, qui ont malheureusement été insuffisamment mises en valeur et, parfois, caricaturées.

Je pense aux dispositions pour l’école inclusive. Sans entrer dans les détails, elles impulsent une véritable transformation de notre système scolaire et je donne rendez-vous à ceux qui affirment le contraire dans quelques mois et quelques années, lorsque les progrès seront visibles. Dès la rentrée prochaine, il y aura plus d’AESH, recrutés plus en amont et mieux considérés. Les élèves seront ainsi mieux accompagnés, selon un parcours personnalisé.

Je pourrais citer encore la formation obligatoire de 16 à 18 ans ou la visite médicale à 3 ans du fait de l’instruction obligatoire.

C’est donc une loi profondément sociale et j’ai été quelque peu attristé, dans les débats qui ont agité la société au cours des dernières semaines, que cette dimension ait été totalement occultée, parfois même pour dire l’exact contraire de ce qui figurait dans ce texte.

À cet égard, les débats au Sénat ont permis des clarifications et des évolutions. La suite du processus législatif permettra d’améliorer encore le projet de loi et de revenir aussi, soyons clairs, sur certains points votés par la Haute Assemblée avec lesquels je suis en désaccord. Mais je suis certain que la dialectique existant entre les deux assemblées va nous permettre d’avancer.

Cette loi n’est pas seulement sociale, elle est aussi profondément républicaine et laïque.

Elle s’inscrit dans la tradition républicaine, et plusieurs de ses mesures auront un impact sur la laïcité, notamment celles qui sont relatives à l’instruction obligatoire, qui assureront un meilleur contrôle de l’instruction en famille. Quant aux compléments apportés à la loi Gatel, ils permettront de mieux contrôler les ouvertures d’écoles hors contrat, et de pouvoir les fermer si besoin.

Je rappellerai en conclusion un épisode qui me paraît illustrer à la fois la qualité des débats au Sénat et la variété de nos approches.

Grâce au sénateur Ouzoulias, la question du bien et du mal s’est posée dans l’hémicycle. Il souhaitait supprimer le mot « morale » de l’expression « instruction morale et civique », une proposition avec laquelle je suis en désaccord. Tout un chacun peut désormais se référer au débat des sénateurs sur la notion du bien et du mal !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

C’est précisément ce qui a uni la classe politique et la société française autour de son école dans son histoire républicaine, et c’est encore ce qui devrait l’unir aujourd’hui.

Les objectifs républicains de la loi peuvent faire débat, mais n’oublions jamais le cadre fixé par Jean Zay : les querelles des hommes doivent s’arrêter aux portes de l’école. Nous n’avons pas eu de querelles, nous avons eu des débats, mais il faut désormais que l’école soit unie et que la société le soit également derrière elle.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. Merci, monsieur le ministre, de nous aider à faire « l’autopsie du mal », pour reprendre une formule célèbre de Descreux.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Monsieur le Premier ministre m’a prié de bien vouloir excuser son absence.

Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

J’invite chacun à respecter ses collègues et son temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Plusieurs milliers de candidats qui avaient reçu une réponse favorable de Parcoursup le soir se sont réveillés avec un avis négatif le matin…

Madame la ministre, vous expliquez ce dysfonctionnement, qui toucherait 7 % des candidats, par un problème informatique.

Pourtant, dans un premier temps, vos services ont incité et autorisé par écrit les établissements à pratiquer un taux de surréservation. Celui-ci pouvait aller jusqu’à 50 %, puis vous les avez même autorisés à dépasser ce taux.

Dès lors, pourquoi cette panique ? Surtout, pourquoi faire porter aux établissements la responsabilité d’un revirement qui est la conséquence de décisions politiques que vous n’assumez pas ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

En janvier, le Défenseur des droits vous avait demandé de rendre publics les critères de sélection des établissements et de réformer Parcoursup pour mettre fin aux discriminations subies par les lycéens des filières technologiques et professionnelles.

Nous attendons toujours vos réponses à ces questions essentielles, madame la ministre !

Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Sophie Joissains et M. Loïc Hervé applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Debut de section - Permalien
Frédérique Vidal

Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Ouzoulias. Elle va me permettre d’apporter des précisions utiles.

Je n’ai jamais parlé d’un problème informatique, j’ai simplement indiqué que 2 % des formations s’étaient trompées en saisissant manuellement le nombre de candidats sur la liste d’appel. C’est donc une erreur humaine, factuelle. Elle est extrêmement regrettable, évidemment, et j’ai demandé à l’inspection générale de déterminer les raisons précises de ces erreurs, afin qu’elles ne puissent pas se reproduire.

Vous faites en outre référence à un sujet totalement différent, monsieur le sénateur. L’été dernier, plusieurs d’entre vous, sur ces travées comme à l’Assemblée nationale, relevaient la crainte de certains établissements, notamment des classes préparatoires, de ne pas remplir leur formation à cause de Parcoursup. C’est pourquoi, avec leur accord, nous avons proposé à ces établissements d’avoir un taux d’appel légèrement supérieur.

Mais le problème que vous évoquez concerne une formation qui a appelé 600 candidats alors qu’elle disposait de 30 places seulement. Il est donc d’une tout autre nature.

Le service qui permet de surveiller le fonctionnement de la plateforme a immédiatement relevé ces anomalies et les établissements eux-mêmes ont appelé le ministère pour signaler les erreurs et obtenir une aide pour les corriger.

Ma responsabilité était de faire en sorte que ces erreurs n’impactent pas l’ensemble des 900 000 candidats. La procédure a pu suivre son cours normalement, avec quelques heures de retard, ce qui permet aujourd’hui à 72 % des lycéens d’avoir d’ores et déjà une proposition d’affectation pour la prochaine rentrée universitaire.

M. François Patriat applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Madame la ministre, je doute sincèrement que les candidats et les parents soient rassurés par la clarté de vos explications.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

M. Pierre Ouzoulias. En ce qui nous concerne, nous continuerons à dénoncer la violence de ce dispositif

Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Ouzoulias

Le bug de Parcoursup n’est pas informatique ; il est social !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Sophie Joissains et M. Alain Houpert applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le ministre de l’agriculture, le 11 avril dernier, la justice reconnaissait Monsanto responsable du dommage causé à l’agriculteur Paul François, victime du Lasso, un puissant herbicide. Voilà quelques jours, aux États-Unis, Monsanto était de nouveau condamné à indemniser les victimes du Roundup.

Depuis près de deux ans, le groupe socialiste du Sénat demande avec insistance la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytosanitaires et, depuis près de deux ans, le Gouvernement refuse cette création.

En effet, le 1er février 2018, nous votions ici même, à l’unanimité, la création de ce fonds d’indemnisation. Monsieur le ministre, vous siégiez alors sur nos travées et vous l’aviez également approuvée.

Nous formulions de nouveau cette demande dans le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit Égalim, mais votre prédécesseur la rejeta.

En décembre dernier, ce fut à votre tour, en tant que ministre, de la rejeter, cette fois dans la loi de finances pour 2019. Nous sommes en mai 2019 et, dix-huit mois après l’adoption de la proposition de loi sénatoriale, rien n’a avancé. Même votre promesse de remise d’un rapport au 30 avril 2019 n’a pas été honorée.

Vous connaissez pourtant l’inutilité d’un tel rapport, monsieur le ministre, celui-ci étant nécessairement redondant avec les travaux menés par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’Inserm, en 2013, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses, en 2016 et trois inspections générales en 2018. À cela, il faut ajouter le récent rapport de l’ONU sur l’état de la biodiversité ou encore le scandale Monsanto et la découverte de pratiques de lobbying insupportables.

Monsieur le ministre, pour toutes ces raisons, il est temps de sortir du déni politique et industriel, en faisant en sorte que les grandes firmes prennent et assument toutes leurs responsabilités. C’est comme cela aussi que nous changerons durablement les pratiques.

Parce que les malades attendent, souffrent et sont livrés à eux-mêmes, pouvez-vous nous dire précisément quand ce fonds d’indemnisation verra le jour ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, je voudrais commencer par saluer le travail des parlementaires engagés sur ce sujet, députés comme sénateurs.

Plusieurs mesures, vous le savez, ont déjà permis de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. Avec François de Rugy, Frédérique Vidal et Didier Guillaume, j’ai installé officiellement le 10 avril dernier le comité d’orientation stratégique et de suivi du plan national de réduction des produits phytosanitaires.

S’agissant de la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, il convient d’être justes et attentifs à la souffrance des victimes. Il convient aussi d’être responsables en mettant en place un dispositif d’indemnisation cohérent avec les connaissances scientifiques actuelles – nous attendons en effet les rapports – et les voies d’indemnisation préexistantes, en particulier dans le cadre des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Lors de l’examen de la proposition de loi à l’Assemblée nationale en janvier dernier, j’ai proposé que la discussion reprenne lors des débats sur les lois de finances ou lors de la poursuite de l’examen de la proposition de loi. J’ai pris l’engagement qu’y figurent des articles tendant à créer ce fonds, sur la base des discussions ayant eu lieu lors de l’examen de votre proposition de loi.

En attendant, un rapport sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation doit vous être rendu d’ici à la fin du mois de juin. J’ai souhaité que ce délai de quelques mois soit mis à profit pour travailler avec le ministère de l’agriculture sur le financement du fonds. J’invite tous les parlementaires à rester mobilisés ; nous aurons l’occasion de débattre de nouveau de ce sujet cette année.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Je vous remercie, madame la ministre, de rappeler le travail important qui a déjà été réalisé sur cette question, en particulier au Sénat. Nous attendons avec impatience le rapport qui sera remis à la fin du mois de juin.

Vous évoquez le futur projet de loi de financement de la sécurité sociale pour la création du fonds. Nous serons particulièrement vigilants sur sa création, mais aussi sur son périmètre et ses modalités de mise en œuvre. Nous regrettons cependant d’avoir perdu deux ans !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le secrétaire d’État, voilà quelques mois, un rappeur en mal de notoriété a commis un clip intitulé : « Pendez les blancs ». Quelques phrases de ce chef-d’œuvre : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs. Attrapez-les vite et pendez leurs parents. Écartelez-les pour passer le temps… »

Sur plainte du ministre de l’intérieur, ce grand artiste a été condamné… à une amende avec sursis !

Marques d ’ indignation sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Dans ces conditions, pourquoi se priver ? Nick Conrad, c’est son nom, a donc récidivé ces jours-ci avec un nouvel opus d’aussi haut niveau : « Je baise la France jusqu’à l’agonie. Je brûle la France. J’vais poser une bombe sous son Panthéon. » À la fin du clip, il étrangle en gros plan une femme blanche.

Le ministre de l’intérieur a porté plainte immédiatement. Il a eu raison. Mais avec la loi actuelle, l’auteur sera condamné dans deux ans à une peine légère. Entre-temps, le clip aura été vu quelques millions de fois. Le racisme n’est qu’une des plaies béantes des réseaux dits « sociaux », et le racisme anti-blanc n’est pas plus tolérable qu’un autre. Les autres plaies s’appellent sexisme, intimidation, usurpation d’identité, harcèlement, injures et menaces de mort.

Les Gafa font le service minimum pour conserver leur business juteux. Mais Mark Zuckerberg a dû convenir lui-même qu’il n’avait pas les moyens de réguler efficacement ses plateformes et n’a rien trouvé de mieux que d’appeler les gouvernements à légiférer.

Il est urgent de le prendre au mot. Les Allemands n’ont pas hésité à faire une loi ordonnant le retrait de contenus haineux sous vingt-quatre heures. Qu’attendons-nous pour les imiter ?

Une proposition de loi est en préparation à l’Assemblée nationale, nous dit-on. Je voudrais être sûr, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement ne l’accueillera pas d’une main tremblante. Il ne s’agit pas de liberté d’opinion ni de censure, mais de lutte contre des délits graves, le plus souvent commis anonymement.

Il me semble même que le sujet est tellement grave qu’il justifierait un débat national et une unité européenne aujourd’hui balbutiante. La haine ou le racisme n’ont pas leur place chez nous. Nous ne sommes pas au Far West et, même dans la jungle, il y a une loi. Il est urgent de faire respecter les nôtres !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Monsieur le président Malhuret, je vous remercie de m’interroger sur un sujet qui, je le crois, appelle une obligation de résultat de la part de l’État.

Vous avez cité un cas particulier, mais, plus largement, on peut tous les jours impunément injurier, menacer et même aller plus loin sur internet. Cela appelle une mobilisation générale, vous avez raison.

C’est ce qu’ont commencé à faire la semaine dernière le Président de la République et la Première ministre néo-zélandaise, en mettant autour de la table tous les réseaux sociaux pour prendre les premières mesures d’urgence. C’est ce que fait également la députée Laetitia Avia en déposant la proposition de loi destinée à réguler les messages de haine, de racisme, d’antisémitisme et d’homophobie sur internet. Le Gouvernement a beaucoup travaillé avec elle, monsieur le député

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Plus globalement, je crois, monsieur le député… §Décidément ! Je prie la Haute Assemblée d’accepter mes excuses.

Je crois, monsieur le sénateur, que le sujet est profondément européen. Pour imposer notre loi et nos valeurs aux réseaux sociaux, 400 millions d’Européens et un marché ne seront pas de trop pour protéger nos citoyens.

C’est ce que nous avons déjà fait sur la vie privée, avec le règlement général sur la protection des données. C’est aussi ce que nous avons fait sur le terrorisme, puisque, dorénavant, les plateformes doivent retirer en moins d’une heure les contenus à caractère terroriste.

Néanmoins, vous avez raison, nous devons aller encore plus loin en allant chercher ces contenus absolument inacceptables, qu’ils soient haineux, à caractère terroriste ou pédopornographique. Pour ce faire, nous devons coordonner nos actions avec celles de nos partenaires européens, car, sur ce sujet, il n’y aura pas de protection efficace des Français et des Européens sans union.

Donner de la force à cette protection, monsieur le sénateur, c’est aussi l’enjeu des choix politiques du week-end prochain.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Fournier

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais évoquer avec vous la situation de Vincent Lambert et le débat, comme l’émoi, qu’elle suscite dans le pays.

Je voudrais le faire sans céder à la tentation qui, dans cette affaire, peut tous nous guetter, quelles que soient nos convictions intimes, celle des postures établies d’avance, des certitudes toutes faites. Devant une telle situation, ayons l’humanité de compatir et l’humilité de reconnaître.

Compatir, parce qu’au-delà des positions des uns ou des autres il y a un drame ; il y a le silence d’un homme ; il y a la douleur déchirante d’une famille déchirée, exposée sur la place publique ; il y a aussi la détresse d’une épouse et l’espérance d’une mère.

Reconnaître, car reconnaissons que ni le droit ni la médecine ne nous offrent des réponses indiscutables. L’institution médicale est divisée. Quant à l’institution judiciaire, l’arrêt rendu hier soir par la cour d’appel de Paris démontre que, sur le plan du droit également, des interrogations demeurent.

Alors, qui croire ? Que croire ? Il n’y a pas, mes chers collègues, de certitudes. Qui sait ici, dans cet hémicycle, ce que veut Vincent Lambert ? Qui pourrait affirmer savoir ce que les médecins eux-mêmes ne savent pas ? Ayons la force d’esprit et de cœur d’admettre que nous ne savons pas.

Peut-être devrions-nous nous interroger avec humilité sur deux questions fondamentales que je vous pose, madame la ministre ?

D’abord, jusqu’où pouvons-nous considérer qu’une vie ne vaut plus la peine d’être vécue ?

Par ailleurs, l’incertitude, le doute et les décisions parfois contradictoires dans cette terrible affaire font craindre à beaucoup de Français le risque d’une dérive préjudiciable aux plus fragiles, une sorte d’insécurité éthique. Ne faut-il pas, madame la ministre, tirer dès à présent les enseignements de ce drame ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Bernard Fournier, je crois pouvoir le dire, comme beaucoup de Français, nous sommes nombreux ici à être bouleversés par cette situation, par ce drame familial, qui touche à l’intime de chacun d’entre nous.

Vous le savez, l’État français a toujours été soucieux de s’assurer que l’application de la procédure d’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable respectait le cadre de la loi Claeys-Leonetti, votée en 2016.

Hier soir, la cour d’appel de Paris a accepté la requête des parents de Vincent Lambert et a ordonné la reprise des traitements, afin de respecter les recommandations du Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU. L’équipe médicale en charge de Vincent Lambert appliquera ces mesures provisoires. Je n’en dirai pas davantage sur ce cas particulier.

Aujourd’hui, encore plus que jamais, nous devons respecter l’intimité et la douleur de la famille et des proches de Vincent Lambert.

La seule leçon que nous pouvons retenir de cette situation, c’est que chacun remplisse ses directives anticipées. Chaque personne majeure peut, depuis la loi Claeys-Leonetti de 2016, rédiger par avance une déclaration pour préciser ses volontés en fin de vie. Chacun peut inscrire son refus ou sa volonté de poursuivre, de limiter ou d’arrêter les traitements ou les actes médicaux. Les consignes données dans les directives anticipées permettent aux équipes médicales de prendre en charge les patients en respectant leur propre volonté. On peut les remplir sur internet ; elles sont également accessibles dans le dossier médical partagé. J’engage chaque Français, aujourd’hui, à les renseigner.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Loïc Hervé applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Président de la République a rencontré Mark Zuckerberg et a annoncé des mesures sur la régulation des réseaux sociaux.

Celles-ci font suite à une mission effectuée auprès de Facebook. Le rapport publié ce mois-ci a été salué par l’entreprise comme « un modèle pour la régulation des contenus en Europe ».

Ces mesures prônent une simple corégulation de ces plateformes. Surprenant, très surprenant, au moment où des voix s’élèvent des deux côtés de l’Atlantique pour dire l’impossibilité d’une autorégulation ou d’une corégulation de cette société. C’est le cas de la sénatrice Elizabeth Warren ou encore de Chris Hughes, un des cofondateurs de Facebook, qui va lui-même jusqu’à réclamer son démantèlement.

Ce rapport évite soigneusement d’aborder la question du modèle économique de cette société.

C’est à moitié étonnant, puisqu’il a, pour partie, été élaboré par un certain Benoît Loutrel, ancien directeur de l’Arcep, un temps parti vendre ses services à Google, et qui est depuis revenu au cœur de l’appareil d’État.

C’est en revanche très regrettable, si l’on considère les graves dérives éthiques, économiques et politiques dont s’est rendu coupable Facebook avec l’affaire Cambridge Analytica, affaire à laquelle a été lié un certain Steve Bannon. Il est illusoire de penser que la société peut remettre elle-même en cause son propre modèle basé sur toujours plus de données collectées, et donc toujours plus de gains.

Mes questions sont simples.

Compte tenu des enjeux pour la souveraineté de la France, quelles mesures comptez-vous prendre pour mettre un terme à ces pratiques régulières de pantouflage, puis de rétropantouflage de notre haute administration, notamment avec les Gafam ?

N’est-il pas temps de sortir de la complaisance pour prendre des mesures de régulation réellement contraignantes sur le cœur même de l’activité de ces sociétés, comme annoncent vouloir le faire, d’ailleurs, nos voisins allemands, depuis toujours beaucoup plus lucides et exigeants que nous sur le sujet ?

Applaudissements sur les travées du groupe de l ’ Union Centriste, du groupe communiste, républicain citoyen et écologiste, ainsi que du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du numérique.

Debut de section - Permalien
Cédric O

M. Cédric O, secrétaire d ’ État auprès du ministre de l ’ économie et des finances et du ministre de l ’ action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs

Exclamations amusées sur plusieurs travées.

Debut de section - Permalien
Cédric O

Inédits, car la taille des acteurs est inédite : Facebook, c’est 2, 3 milliards d’utilisateurs ! Inédits, car le numérique ne connaît pas, par nature, de frontières. Inédits, car la complexité technologique des outils de ces acteurs est sans cesse croissante.

Pour autant, et vous l’avez rappelé, les questions posées par ces acteurs sont très concrètes et ont impact sur nos concitoyens dans leur quotidien.

Je suis persuadé d’une chose, madame la présidente, c’est que l’émergence de ces acteurs impose une obligation de résultat aux démocraties pour une raison simple : si les seuls États qui savent efficacement réguler les grands acteurs de l’internet – réseaux sociaux et plateformes – sont les pouvoirs autoritaires, alors, nos citoyens se tourneront vers des solutions autoritaires. Encore faut-il que nos solutions soient utiles.

C’est pourquoi nous sommes allés auditer au cœur du réseau social Facebook pour voir ce qu’il faisait. Sachez que nous n’avons jamais abandonné nos prérogatives d’État. Le réseau social devra appliquer ce qui figure dans la proposition de loi de la députée Laetitia Avia en mettant à niveau son système de régulation interne. Je le répète, nous n’abandonnons aucune des prérogatives de l’État.

Nous devons donc en appeler à la responsabilité individuelle. Il n’est pas possible aujourd’hui que l’on puisse impunément insulter, injurier sur internet, sans que la justice vienne vous demander des comptes. Cela nécessite de poser des règles claires, et l’État le fera, comme nous l’avons déjà fait en défendant les idéaux français et européens, notamment sur la directive sur le droit d’auteur que vous défendez également.

Nous continuerons, madame la députée…

Exclamations amusées.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme la sénatrice Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Vous ne m’avez absolument pas convaincue, monsieur le secrétaire d’État. Vous êtes dans le statu quo industriel, alors que les meilleurs experts du numérique, les ingénieurs de la Silicon Valley, sont en train de nous alerter, notamment via la célèbre gazette Wired ou encore l’influent site d’actualité économique Business Insider.

En tout état de cause, fallait-il absolument dérouler le tapis rouge à Mark Zuckerberg, qui s’est, je le rappelle, parjuré devant le Congrès américain – c’est le New York Times qui l’a révélé –, et que le parlement britannique n’hésite pas à qualifier de gangster, à la suite du rapport de mon homologue Damian Collins ? Nous ne le pensons pas !

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, ainsi que des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche.

Allô ! sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Ma question s’adresse à M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

En Autriche, le vice-chancelier a dû démissionner à la suite d’une collusion avec un État étranger qui tente régulièrement de déstabiliser nos démocraties, notamment via internet, ce qui n’est pas sans lien avec la question précédente.

Il est reproché au vice-chancelier autrichien non seulement de s’être aventuré à des promesses, mais aussi de mettre en péril la confidentialité des informations dont ses services ont pu avoir connaissance. D’ores et déjà, l’Autriche est écartée de certaines réunions et de certaines informations, qui sont communiquées, notamment, par le gouvernement allemand.

Cette affaire est donc profonde et grave. Elle touche à la souveraineté et à l’indépendance de l’Europe. Les nationalistes se font les ennemis de l’intérêt national, qu’ils liquident au profit de leurs intérêts personnels et au profit de puissances étrangères.

Ma question est double, monsieur le secrétaire d’État.

À court terme, quelle est la position de notre pays face à la crise de la coalition autrichienne, notamment au regard du fonctionnement des institutions européennes, en particulier le Conseil ?

Par ailleurs, l’influence d’États étrangers dans le déroulement régulier d’élections, et plus largement dans la vie politique, pose question. Le Parlement sera-t-il informé d’éventuelles attaques contre le bon déroulement des élections européennes, comme d’autres élections à venir ?

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Vous vous mettez à couvert, parce que vous avez peur de perdre !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Julien Bargeton, les citoyens européens sont libres et souverains, et ils entendent bien le rester. Les États européens sont libres et souverains, et ils entendent bien le rester. Cela paraît une évidence, ici dans cet hémicycle, mais les événements de ce week-end, effectivement, sont préoccupants.

Préoccupants, parce que l’on voit les ingérences se dessiner. Le Gouvernement, agissant soit dans le cadre national, soit au niveau des instances européennes, a souhaité se prémunir et protéger cette démocratie européenne que nous chérissons.

Un certain nombre de mesures ont été prises : dispositions législatives visant à prohiber le financement par des établissements bancaires en dehors de l’Union européenne ; mise en place d’un réseau d’alerte européen pour s’informer des attaques détectées. Il est temps d’aller plus loin au niveau de l’Union. Le Président de la République a ainsi souhaité la création d’une véritable agence de protection de la démocratie européenne pour parer les attaques de toute nature. Nous le devons à ces hommes et ces femmes, qui, voilà trente ans – je pense notamment à Lech Walesa, à Vaclav Havel –, sont venus, avec une petite bougie, à bout de totalitarismes, faisant tomber ce mur de 165 kilomètres avec un mirador tous les cent mètres. Ils ont permis la réunification du continent européen, des peuples européens, alors, n’en déplaise à Marine Le Pen, une Europe européenne ne fait pas de génuflexions devant M. Bannon ; une Europe européenne ne se compromet pas, comme ses alliés autrichiens au Parlement européen ; une Europe européenne est unie, démocratique et libre !

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Julien Bargeton, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

M. Julien Bargeton. Cette affaire illustre l’écart entre la vigueur des discours et le froid cynisme des actes. Au-delà se pose une question de sécurité. Ne soyons pas naïfs ; ne baissons pas la garde, ni pour nos nations ni pour l’Europe.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Monsieur le ministre, mes chers collègues, jusqu’à quand la France sera-t-elle « indemne » de tuberculose bovine ?

Avec 115 cas environ par an, notre pays était considéré jusque-là comme relativement stable, mais le nombre de cas augmente. La Nouvelle-Aquitaine est la région de France la plus touchée par ce phénomène. Après la Charente et la Dordogne, le département de la Gironde découvre quelques cas.

Fabienne est maire de son village, mais elle est aussi éleveuse dans le Libournais. Elle est à la tête d’une petite exploitation et elle vit dans l’angoisse. Elle a dû faire face à l’abattage d’une vache. Une vache, me direz-vous, ce n’est rien, mais pour Fabienne, c’est tout !

D’autant que sa vache a été sacrifiée pour rien, parce qu’en fait elle n’était pas tuberculeuse. Elle était une « fausse positive ». Eh oui, la technique de nos tests date d’une cinquantaine d’années, et elle n’est pas totalement fiable.

Monsieur le ministre, il nous faut investir très vite la question de l’actualisation des moyens de dépistage de la tuberculose bovine et de leur fiabilité.

D’autant plus que le gibier est porteur de la maladie, et ce n’est pas forcément celui auquel nous pourrions penser de prime abord. Il s’agit d’animaux familiers et classés non nuisibles, comme le blaireau. L’Anses recommande d’ailleurs d’effectuer des prélèvements sur un échantillonnage représentatif de cet animal autour des zones d’abattage. Nous attendons avec impatience les décisions sur le terrain en la matière.

J’en profite pour féliciter la fédération de chasse de la Gironde

Marques d ’ approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Monsieur le ministre, alors que la filière est confrontée à une baisse de 12 % de la consommation de viande sur ces dix dernières années et qu’elle doit faire face aux dérives sans précédent de l’intolérance animaliste, quels moyens allez-vous affecter à la recherche ? Comptez-vous assouplir la réglementation pour endiguer la tuberculose bovine ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme Nathalie Delattre. L’enjeu est économique, sanitaire, culturel aussi, mais il est surtout humain, pour Fabienne et pour tous ses collègues, pour nos éleveurs français.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, madame la sénatrice Delattre, je veux réaffirmer devant le Sénat cet après-midi que la France est toujours indemne de tuberculose bovine. Elle l’est depuis 2001, et il n’y a aucune raison qu’elle ne le reste pas. En tout cas, tous les services travaillent entre eux – services publics et services privés, ainsi que fédérations de chasse, comme vous venez de le rappeler –, et ce travail est efficace.

Toutefois, vous l’avez dit, le nombre de foyers a augmenté. Devant ce constat, et afin de renforcer le pilotage de la lutte contre la tuberculose bovine, un plan national a été mis en place en 2017 par mon prédécesseur. Ce plan continue à se déployer, avec l’ensemble des acteurs, aux niveaux national et local.

En 2018, ce sont 123 foyers – 123 de trop ! – qui ont été mis en évidence sur le territoire national, soit une augmentation de près de 30 % par rapport à l’année précédente, et 80 % des foyers sont en Nouvelle-Aquitaine. C’est la raison pour laquelle vous m’interrogez, je suppose, d’autant que 6 foyers ont été détectés dans votre département de la Gironde en 2018 et 2019.

Le constat de cette augmentation résulte notamment d’une meilleure surveillance des zones et d’une amélioration de la qualité des dépistages. Aujourd’hui, les tests qui sont faits permettent d’avoir des dépistages plus nombreux et des retours plus fins. Néanmoins, Fabienne, votre amie, dont une vache a été abattue, n’en a que faire. Elle veut juste savoir quand tout cela va s’arrêter.

Si les tests sont plus performants, il reste ce que l’on appelle des « faux positifs ». C’est le cas, vous le disiez, de la vache de votre amie éleveuse. Je sais combien une telle situation est dramatique pour les éleveurs.

La mise en évidence de ces nouveaux foyers nous concerne. Vous avez évoqué les gibiers, notamment les blaireaux. Les services du ministère restent attentifs et font tout pour que la France reste indemne. Nous avons d’ores et déjà mobilisé 20 millions d’euros pour l’indemnisation des agriculteurs concernés par ces foyers.

Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Je souhaiterais à mon tour interpeller Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Madame la ministre, en fin de semaine dernière, près de 50 000 lycéens ont fait les frais d’un bug de Parcoursup. À la mise en place de ce nouveau dispositif, nombreuses étaient les personnes à s’émouvoir de l’impact psychologique de l’attente des réponses et de la vérification des classements. Mais qui aurait pu prévoir un tel ascenseur émotionnel pour ces jeunes gens à un mois du début des épreuves du baccalauréat ? Comment en est-on arrivé là, moins de deux ans après le fiasco d’Admission post-bac, APB ?

Les témoignages de lycéens déçus et de familles inquiètes affluent. En filigrane se dessine de nouveau la grande interrogation à propos des algorithmes et du manque de transparence de la plateforme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Vous nous expliquez que 400 formations auraient fait des erreurs humaines, mais comment est-ce possible ? N’y a-t-il pas eu des instructions des services, ou, à tout le moins, les directives données n’ont-elles pas péché par manque de clarté ? Dans les deux cas, madame la ministre, il y va de votre responsabilité.

Nous sommes nombreux à nous demander si les formations n’ont pas été sciemment encouragées à gonfler excessivement leur taux de surréservation pour raccourcir les délais d’attente pour les candidats et accélérer la fameuse convergence.

Le sujet est grave. La représentation nationale souhaite que vous vous adressiez aux 900 000 candidats inscrits sur Parcoursup et à leurs familles, qui attendent des réponses claires et précises.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

Debut de section - Permalien
Frédérique Vidal

Monsieur le sénateur Jacques Grosperrin, vous avez raison de rappeler que les erreurs commises par les formations sont inacceptables. Elles ont suscité beaucoup de faux espoirs chez de nombreux candidats.

Au-delà de ce constat, il faut savoir que, pour les 2 % de formations qui ont commis ces erreurs, le service central gérant Parcoursup, qui a vu apparaître ces erreurs, comme les responsables de ces formations ont réagi immédiatement de façon à ce que l’ensemble des 900 000 candidats puissent, avec quelques heures de retard, obtenir des propositions dans un cadre corrigé pendant la nuit. Un accompagnement humain a également été mis en place par les rectorats, les responsables de formation, les professeurs principaux et les proviseurs des lycées qui accueillent ces jeunes. Je voudrais les saluer aujourd’hui.

Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer auparavant, ce à quoi vous faites référence n’a rien à voir avec les erreurs qui se sont produites. Il est normal que, lorsqu’une formation a 30 places, elle puisse appeler une quarantaine de candidats, car, nous le savons, tous ces candidats ne se présenteront pas à la rentrée, ces places étant alors perdues pour les autres candidats. C’est ce que l’on appelle un taux d’appel supérieur de 30 % à la norme.

Les erreurs constatées par le service chargé de Parcoursup étaient d’une tout autre ampleur. Il s’est agi de BTS à 12 places qui ont appelé plus de 300 candidats ou de classes préparatoires à 30 places qui ont appelé plus de 600 candidats, à cause d’une interversion du chiffre d’appel et du chiffre de la liste d’attente. C’est ce que j’ai demandé à l’inspection générale de vérifier, de sorte que nous puissions mettre en place des contrôles pour éviter que ces erreurs humaines ne se reproduisent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Que 50 000 candidats sur quelque 900 000 inscrits aient été affectés par le bug, c’est trop ; que 400 formations se soient trompées, contre aucune l’année passée, cela nous interpelle. Est-ce que les procédures n’étaient pas assez claires ? Les responsables étaient-ils mal accompagnés ? S’il y a eu erreur, j’entends bien votre empathie et vos excuses, mais je crois qu’il aurait été bien que les lycéens les entendent aussi.

Enfin, madame la ministre, tous nos collègues doivent savoir que les boursiers ont actuellement une réponse positive, alors que des lycéens très brillants au sein des mêmes classes n’ont toujours aucun résultat, ce qui suscite des interrogations. Au moment où nous venons de voter l’école de la confiance que votre collègue Jean-Michel Blanquer appelle de ses vœux, nous devons retrouver de la transparence dans Parcoursup.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour le groupe La République En Marche.

Allô ! sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Noëlle Rauscent

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé plusieurs mesures concernant le tourisme, et notamment un assouplissement des mesures de détaxe pour les touristes étrangers hors Union européenne. Nous ne pouvons que saluer cette initiative, qui devrait soutenir notre balance des paiements et la consommation.

En effet, la France demeure la première destination touristique au monde en nombre de touristes, mais pas en recettes, où nous sommes derrière l’Espagne, un concurrent direct. Tout l’enjeu est ici de rétrécir l’avantage concurrentiel de nos voisins sur les conditions de détaxe. Aussi l’optimisation du mécanisme de la détaxe va-t-elle permettre une augmentation des sommes dépensées par les touristes. En 2018, près de 56, 2 milliards d’euros ont été dépensés en France par les touristes étrangers.

Monsieur le secrétaire d’État, quels sont les objectifs pour les prochaines années en matière de dépenses des touristes étrangers en France ?

Par ailleurs, plus de 100 000 emplois ne sont pas pourvus dans le secteur touristique, et notamment dans l’hôtellerie-restauration.

Vous avez annoncé plusieurs mesures, telles que la création d’un comité de filière pour le tourisme, la mise en place d’une plateforme numérique, ou l’instauration d’un contrat liant une douzaine de branches relevant du secteur du tourisme. Pouvez-vous nous préciser le calendrier de ces mesures et les objectifs du Gouvernement en matière d’emploi ?

Comme vous l’avez précisé à plusieurs reprises, les problèmes de recrutement du secteur touristique sont essentiellement dus aux conditions de travail et de rémunération des emplois offerts. Des avancées significatives sont-elles attendues concernant l’attractivité de ces emplois ?

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d ’ État auprès du ministre de l ’ Europe et des affaires étrangères. Madame Noëlle Rauscent, je sais que vous vous employez pour faire rayonner le territoire du Vézelien et de l’Yonne

Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Lemoyne

Le comité interministériel du tourisme, réuni sous l’autorité du Premier ministre vendredi dernier, a pris un certain nombre de mesures afin d’atteindre des objectifs ambitieux, notamment le chiffre de 100 millions de touristes internationaux à l’échéance de 2020 et, vous y avez insisté, le montant de 60 milliards d’euros de recettes apportées par ces touristes internationaux à cette même date. À cette fin, des mesures très concrètes ont été prises, pour favoriser l’achat. Il faut avoir en tête que les touristes dépensent seulement 20 % de leur budget en achats en France, contrairement à Londres, où le taux est de 40 %. D’où la mesure visant à étendre la durée sur laquelle la détaxe peut se faire ; d’où la mesure visant à augmenter le plafond en numéraire remboursé à ces touristes pour qu’ils le dépensent avant de quitter le sol national.

Cette ambition touristique se décline également en matière de ressources humaines. Vous avez raison, nous ne pouvons pas nous résoudre à voir 100 000 emplois non pourvus dans ce secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Les professionnels du tourisme se sont emparés du sujet avec énergie, dans le sillage de la mission menée par la députée Frédérique Lardet. Ils se sont engagés à employer les outils mis à disposition par la loi Pacte, comme l’intéressement, la participation, l’épargne salariale. Ils prévoient de mettre en lien l’offre et la demande sur une plateforme numérique.

Nous avons une dernière piste avec la mise en valeur de notre patrimoine, grâce au lancement d’une chaîne de paradors soutenue par la Banque des territoires. C’est en partenariat avec les territoires que nous obtiendrons des résultats et que nous créerons des richesses dans l’ensemble de nos départements et de nos communes.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.

Monsieur le ministre, en mars dernier, le rappeur Nick Conrad était condamné pour provocation au crime à cause de son clip intitulé « Pendez les blancs ». Manifestement, ni la honte d’une condamnation pénale ni la peine prononcée ne l’auront amené à réfléchir.

En effet, le rappeur, homme libre, comme il aime à se présenter lui-même, vient de réitérer son propos dans son nouveau clip aux paroles sans ambiguïté : « Je baise la France ; je brûle la France jusqu’à l’agonie ». Tel est le refrain lancinant de ce qu’il présente comme une œuvre de l’esprit.

Au-delà des propos tenus, les images laissent peu de place à l’interprétation. Dans ce clip, à large diffusion, on voit l’auteur, après sa déambulation en berline, clamer sa haine de la France, et procéder avec méthode à la strangulation d’une jeune femme à terre, le tout suivi d’un ralenti complaisant laissant apparaître son rictus de satisfaction devant son crime.

Amené à s’expliquer sur ces propos et ces images, l’auteur invoque tour à tour la faute des médias et de la mentalité française, qui, selon lui, refuserait « d’ouvrir le sujet épineux de l’esclavagisme de la France ».

Monsieur le secrétaire d’État, on ne saurait en pareil cas s’abriter derrière la liberté de création ou la liberté d’expression pour tout justifier. Les limites ont, me semble-t-il, été largement été outrepassées. Vous avez indiqué dimanche avoir procédé à un signalement sur la plateforme Pharos et saisi le procureur de la République. C’est bien. Nous vous soutenons, mais nous ne pouvons pas nous contenter de nous défausser sur la justice. Nous attendons une réponse politique ferme, une affirmation claire de nos principes.

Au-delà de la condamnation de principe, comment comptez-vous faire pour que ce type de propos n’ait plus droit de cité dans notre pays ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.

Debut de section - Permalien
Laurent Nunez

Monsieur le sénateur Bonhomme, vous rappelez le contenu du vidéoclip de ce rappeur, Nick Conrad, qui tient, une nouvelle fois, des propos particulièrement injurieux, haineux et s’en prend directement à la France. Si je dis « une nouvelle fois », c’est parce que, vous avez raison de le souligner, il avait déjà appelé à « pendre des blancs » dans un précédent clip.

Le Gouvernement partage bien évidemment votre émotion et votre indignation devant ces propos injurieux qui sont inacceptables et qui ne doivent effectivement pas être acceptés.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, Nick Conrad doit comprendre que de tels propos ne peuvent s’abriter derrière la liberté d’expression ou derrière une quelconque liberté artistique.

L’insulte et la haine ne sont pas de l’art. L’insulte et la haine ne vont pas dans le sens du « vivre ensemble » auquel nous appelons tous dans notre démocratie française. Mais surtout, l’insulte et la haine tombent sous le coup de la loi pénale. C’est en ce sens que Christophe Castaner a, dès dimanche, dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale, saisi le procureur de la République de Paris, qui a immédiatement ouvert une enquête préliminaire au titre d’une infraction extrêmement grave, l’apologie de crime d’atteinte volontaire à la vie aggravée. Les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance contre les personnes de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris sont à l’œuvre. Des auditions auront lieu très prochainement, mais là, je ne peux en dire plus, car elles se déroulent bien évidemment sous l’autorité du parquet.

Dans le même temps, Christophe Castaner a souhaité saisir la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, dite Pharos, qui travaille à obtenir le retrait de ce contenu manifestement illicite.

Cette affaire doit nous inciter à persévérer et à poursuivre dans la voie qui est la nôtre : l’adoption d’un texte de loi. Une proposition de loi sera bientôt présentée à l’Assemblée nationale. Ce sujet, il nous faut aussi le porter auprès du Parlement européen et des institutions de l’Union pour obtenir, à l’instar de ce qui se pratique déjà pour les contenus terroristes, le retrait, dans les plus brefs délais, des contenus haineux. La nécessité s’en est malheureusement fait sentir une nouvelle fois avec ce clip de Nick Conrad.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le secrétaire d’État, j’observe quand même que la diffusion du clip persiste, malgré le signalement sur Pharos.

De plus, j’aurais voulu une condamnation générale. En effet, j’ai observé le silence gêné et assourdissant de Mme Schiappa, qui est en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Elle est pourtant toujours prompte à fanfaronner et à théâtraliser ses sorties, toujours prompte…

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

M. François Bonhomme. … à manier Twitter, notamment le hashtag #NeRienLaisserPasser. Cela aurait surtout donné beaucoup plus de force à vos propos !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda, pour le groupe socialiste et républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

J’associe ma collègue Sophie Taillé-Polian à ma question, qui s’adresse à M. le ministre de l’économie et des finances.

Monsieur le ministre, à la fin de novembre 2018, vous vous étiez engagé à ce que le prix réglementé de l’électricité n’augmente pas pendant l’hiver. Vous reportiez alors l’application des recommandations de la Commission de régulation de l’énergie, la CRE, à savoir l’augmentation des tarifs.

En juin prochain, vous allez valider les nouveaux tarifs, soit une augmentation considérable de 5, 9 %, majorée de 1 % supplémentaire en août. Cela signifie une augmentation de 85 euros par an pour un ménage qui se chauffe à l’électricité, une hausse que la récente augmentation du chèque énergie, d’un montant de 50 euros, ne permettra pas de compenser.

Ces hausses de tarif sont très largement contestées. Elles le sont directement par le Médiateur national de l’énergie et par les associations de défense des consommateurs, qui alertent sur la baisse du pouvoir d’achat subséquente. Elles le sont indirectement par l’Autorité de la concurrence, qui s’est élevée contre les changements de méthode et d’analyse de marché adoptés par la Commission de régulation de l’énergie et responsables de cette forte hausse des tarifs.

Ces augmentations sont le fruit d’un mécanisme imposé pour favoriser la concurrence, au détriment, bien sûr, des consommateurs. Or la précarité énergétique est une triste réalité. Elle touche 3, 3 millions de ménages en France, soit 6, 7 millions de personnes qui restreignent leur utilisation de chauffage, ont froid dans leur logement, vivent dans une seule pièce l’hiver et s’endettent pour payer leurs factures.

En réponse à la crise des « gilets jaunes », vous promettiez aux ménages français un gain de pouvoir d’achat.

Ma question est simple : allez-vous vraiment, en pleine conscience des répercussions sur le pouvoir d’achat des Français, appliquer la hausse préconisée ?

Par ailleurs, vous avez parlé de modifier le mode de calcul des tarifs de l’électricité sans rien préciser de vos intentions. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

M. Bruno Le Maire, ministre de l ’ économie et des finances. Madame la sénatrice, la proposition de tarif appliquée et retenue par le ministre d’État est issue d’une décision de la Commission de régulation de l’énergie dont nous ne faisons que suivre les recommandations.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Il n’empêche, je le rappelle, que la France garde aujourd’hui, grâce à son mix énergétique, l’un des tarifs des plus bas de l’électricité pour les particuliers.

Vous nous parlez aussi du pouvoir d’achat en réponse à la crise des « gilets jaunes ». Le pouvoir d’achat, c’est le travail. La philosophie de ce gouvernement et de cette majorité, c’est de passer par le travail et par l’emploi pour redonner du pouvoir d’achat aux Français. Et vous devriez vous réjouir que, pour la première fois depuis dix ans, le niveau de chômage commence enfin à baisser tandis que le taux d’emploi atteint son niveau le plus élevé toujours depuis dix ans.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous devriez vous réjouir que nous ayons pris toutes les décisions nécessaires pour que le travail paie en France. §Nous avons supprimé les cotisations pour l’assurance maladie et l’assurance chômage. Nous avons augmenté la prime d’activité. Nous avons supprimé la taxe à 20 % sur l’intéressement pour faire en sorte d’associer tous ceux qui travaillent aux résultats des entreprises. Le Président de la République vient également d’annoncer une baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour tous ceux qui travaillent.

Vous le voyez, au-delà du sujet de l’énergie, la question clé pour nos compatriotes, pour tous ceux qui vont travailler, qui ont un emploi, qui sont salariés, c’est de pouvoir vivre dignement de leur travail. Eh bien, c’est l’honneur de cette majorité que de permettre à tous ceux qui travaillent de vivre dignement de leur emploi ! C’est notre philosophie, c’est notre politique et ce sont nos résultats !

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Alors que le Sénat s’apprête à discuter du projet de loi Santé, je souhaite vous interroger sur les pratiques du site Doctolib et des plateformes en ligne de rendez-vous médicaux. Cette situation amène quatre sujets dangereux pour notre vision régalienne et protectrice de la santé.

Primo, la plateforme permet la prise rapide de rendez-vous de consultation à toute heure du jour ou de la nuit. Cela plaît, mais est-ce souhaitable ? En effet, une réponse immédiate à un besoin de santé oublie la prévention, la prise en compte des habitudes de vie, l’histoire du patient, l’éducation thérapeutique.

Deuzio, pour y parvenir, elle contractualise avec des cabinets et des médecins. Si le médecin traitant de la personne n’a pas passé de contrat avec Doctolib, le site indique que ce rendez-vous est impossible. Qu’à cela ne tienne, il propose une liste d’autres médecins à proximité, disponibles, et qui, eux, sont adhérents au site ! Cette pratique est totalement contradictoire avec les notions de médecin référent et de parcours de soins.

Tertio, la plateforme contractualise avec des cliniques, établissements de santé, hôpitaux publics, dont les établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, l’AP-HP. Quand un patient se rend sur le site de l’AP-HP, par exemple, pour prendre rendez-vous, il doit créer un compte Doctolib. Ainsi, les patients de l’AP-HP doivent s’inscrire sur un site privé, alors que l’hôpital public, faut-il le rappeler, est financé par l’argent public ? Il y a là, me semble-t-il, un problème éthique grave.

Enfin, cette alliance entre cliniques, hôpitaux, professionnels de santé et Doctolib crée un risque majeur pour la protection des données de santé.

En effet, la plateforme collecte les données personnelles des patients, le nom de leur médecin, le motif de consultation ou d’examen complémentaire, mais aussi les comptes rendus des téléconsultations.

En France, ces données sont très encadrées par le règlement général européen sur la protection des données, le RGPD. Si un jour la start-up, devenue licorne, venait à passer sous giron américain, par exemple, il y aurait conflit avec le Cloud Act, beaucoup plus laxiste.

Madame la ministre, il y a urgence ! Avant qu’il ne soit trop tard, quelles mesures comptez-vous prendre pour sécuriser les patients et les pratiques médicales face à cette évolution et au risque d’ubérisation de la santé ?

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn

Madame la sénatrice Sonia de la Provôté, j’entends bien sûr votre inquiétude sur l’utilisation des données de santé.

Vous prenez l’exemple de la plateforme de rendez-vous en ligne. En France, vous le savez, les données de santé sont très encadrées grâce au règlement général européen sur la protection des données, le RGPD.

Les données de santé sont encore davantage encadrées, puisque chaque société qui en récolte est chargée de les chiffrer et de les stocker chez un hébergeur agréé. Les données personnelles de santé des utilisateurs sont ainsi validées par des prestataires ayant reçu un agrément certifié « hébergeur de données de santé » et leur exploitation est très surveillée.

Les plateformes auxquelles vous faites référence respectent l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires françaises et européennes relatives à la protection des données personnelles.

Madame la sénatrice, je suis également très attachée à la protection des données. Je voudrais prendre pour exemple ce que nous avons fait dans le projet de loi Santé que vous serez amenés à examiner dans une semaine. L’article 11 de ce texte, qui est dédié au Health Data Hub, vise justement à parvenir à un équilibre entre les usages innovants et efficaces des données de santé, en vue d’améliorer nos connaissances et la protection de la vie privée.

Cet équilibre a d’ailleurs été salué par le Conseil d’État. Il a considéré que le projet de loi ne méconnaît aucune exigence de valeur constitutionnelle ou conventionnelle, dès lors que le système national des données de santé apporte des garanties suffisantes pour l’utilisation des données auxquelles il donne accès.

Comme vous aurez tout le loisir de le vérifier lors des discussions parlementaires, nous serons extrêmement vigilants à ce qu’aucun Français ne soit inquiété quant à l’utilisation de ses données de santé. C’est ce que nous devons à nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Sonia de la Provôté, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Mme Sonia de la Provôté. Madame la ministre, je vous ai bien entendue ! À l’heure du dossier médical partagé, on répète aux patients qu’ils sont propriétaires de leurs données. Nous devons être très attentifs à ce sujet, car il s’agit de richesses extrêmement convoitées. Il faut aussi espérer que ces plateformes et ces entreprises innovantes restent françaises ou européennes. En effet, si elles passent sous le contrôle de pays bien plus laxistes que le nôtre, je ne donne pas cher de l’avenir de nos données de santé !

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 28 mai, à seize heures quarante-cinq.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. François Grosdidier, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Madame la présidente, je tenais à rectifier mon vote tel qu’il est paru sur l’amendement n° 100 rectifié quater, après l’article 1er bis G du projet de loi pour une école de la confiance. Je vote contre et non pour cet amendement, que je trouve contre-productif dans la lutte contre le communautarisme.

La surenchère affaiblit parfois les justes combats. On finit par confondre l’islam et l’islamisme, le voile avec la burqa, la tyrannie subie par certaines femmes avec la liberté dont disposent d’autres femmes, les agents du service public avec les maires bénévoles – sans aucune arrière-pensée… Et on finira par confondre Mme Ibn Ziaten avec des salafistes et lui empêcher l’accès aux établissements…

Protestations.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Cher collègue, je vous ai donné la parole pour une mise au point au sujet d’un vote !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

J’ai toujours été opposé à cette proposition !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Cher collègue, une mise au point n’est pas une explication de vote !

Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

La parole est à Mme Colette Mélot, pour une mise au point au sujet d’un vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Madame la présidente, ma mise au point porte sur scrutin n° 113 relatif à l’article 9 du projet de loi pour une école de la confiance. Il a été indiqué que mon collègue Franck Menonville et moi-même, pour le groupe Les Indépendants, n’avions pas pris part au vote. Or nous souhaitions voter pour cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés (projet n° 452, texte de la commission n° 497, rapport n° 496).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui en séance publique le projet de loi sur la taxation des géants du numérique et sur la modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros.

Pour avoir suivi attentivement vos débats en commission, j’ai vu émerger deux grandes inquiétudes auxquelles je voudrais répondre, car je n’aime pas voir des sénateurs inquiets !

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Première inquiétude, nous aurions abandonné notre politique de l’offre. Je tiens à vous rassurer : tant que je serai ministre de l’économie et des finances, …

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

… nous maintiendrons une politique de l’offre. C’est le choix qui a été fait par le Président de la République, et c’est l’engagement qu’il a pris au cours de sa campagne présidentielle.

Cet engagement sera tenu non par obstination, mais tout simplement parce qu’il donne des résultats. La seule manière de consolider notre économie et la compétitivité de nos entreprises tout en garantissant prospérité et emploi à nos compatriotes, c’est de maintenir une politique de l’offre, de redresser la compétitivité des entreprises françaises, d’améliorer la qualité des produits qu’elles fabriquent, de soutenir l’innovation, l’investissement, la recherche et de permettre à notre économie d’être l’une des plus performantes au XXIe siècle.

De ce point de vue, je veux vous confirmer que nous atteindrons bien le taux de 25 % pour l’impôt sur les sociétés applicable à toutes les entreprises d’ici à 2022. Soucieux de transparence, je rappelle qu’un débat a eu lieu. On nous conseillait, pour réaliser de promptes économies, de reporter au-delà de 2022 cette baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % pour certaines entreprises.

La décision a été prise par le Président de la République : le taux de l’impôt sur les sociétés sera de 25 % pour toutes les entreprises françaises, sans exception, en 2022. C’est l’un des enjeux majeurs de compétitivité pour notre économie et c’est l’une des conditions du rétablissement de notre attractivité.

Si nous entrons enfin pour la première fois dans le top 5 des nations les plus attractives de la planète, c’est précisément parce que nous avons une politique fiscale attractive et que nous tenons nos engagements : un impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 pour toutes les entreprises, même les plus grandes d’entre elles.

Certains nous ont reproché, en décalant la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, de viser un rendement afin de nous aider à financer des mesures. On ne peut pas nous reprocher à la fois de ne pas dévoiler nos batteries sur le financement des mesures et d’en préciser les modalités quand nous le faisons.

Je rappelle que le décalage de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés rapportera 1, 7 milliard d’euros en 2019 et participera au financement d’un certain nombre de mesures annoncées.

Je tiens à le redire avec fermeté, nous maintenons cette politique de l’offre. Regardez les choix qui ont été confirmés par le Président de la République lors de sa conférence de presse : nous maintenons la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en allégement de charges et nous faisons l’intégralité de la bascule du CICE en allégement de charges en 2019. Cela demande du courage !

Beaucoup nous incitaient à ne faire qu’une seule partie de la bascule du CICE en allégement de charges, ce qui nous aurait permis de récupérer quelques milliards d’euros d’économies. Si nous n’avons pas fait ce choix, c’est précisément pour avoir un coût du travail compétitif par rapport à nos grands concurrents européens. C’est bien l’intégralité du CICE qui sera transformée en allégement de charges, ce qui évitera les décalages de trésorerie pour les entreprises et nous permettra d’avoir un coût du travail aussi compétitif que celui de nos voisins allemands.

Le choix de la suppression de l’impôt sur la fortune, l’ISF, a été maintenu et Dieu sait qu’il a pu être contesté ! La création d’un prélèvement forfaitaire unique pour les revenus du capital à 30 % a été maintenue. Tous les éléments fondamentaux de la politique de l’offre – l’impôt sur les sociétés au taux de 25 % pour toutes les entreprises, l’allégement de la fiscalité sur le capital, la transformation du CICE en allégement de charges – ont donc été maintenus par le Président de la République, confirmant le cap d’une politique de l’offre pour la nation française.

Je le dis avec d’autant plus de fermeté que ces choix produisent des résultats : nous sommes désormais une des nations les plus attractives en matière d’investissements étrangers, lesquels, je le rappelle, créent des emplois directs pour nos compatriotes : 34 000 emplois en découlent. Ce résultat positif est nécessaire à notre économie, comme vous le voyez vous-même sur vos territoires.

Je me suis ainsi rendu récemment à Arras, dans une usine du glacier Häagen-Dazs, qui y a investi près de 200 millions d’euros. Ce sont des emplois directs, des emplois qualifiés, dont nous avons besoin !

Notre taux de chômage est au plus bas depuis 2009 ; nous ouvrons plus d’usines que nous n’en fermons ; pour la première fois depuis dix ans, nous créons de nouveau des emplois industriels. Nous tenons le bon bout et les résultats commencent à se faire sentir, il serait incohérent de changer de politique. Nous poursuivons donc cette politique de l’offre à laquelle je suis attaché.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Votre seconde inquiétude concernait la taxation même des géants du numérique, qui est au cœur de nos discussions aujourd’hui. Vous avez mentionné plusieurs éléments de préoccupation auxquels je voudrais répondre.

Le premier était que cette taxe ne soit pas temporaire, mais permanente ; vous considérez qu’il vaudrait mieux en limiter la durée à trois ans. Je ne partage pas ce constat ni cette stratégie.

Revenons sur l’histoire de cette mesure, qui découle d’une proposition faite par la France en juin 2017 dans le cadre européen, à partir d’un constat simple que je ne cesserai de marteler, pour m’opposer aux contre-vérités que j’entends parfois à l’extérieur de cet hémicycle : les géants du numérique, qu’ils soient américains, européens ou chinois, paient quatorze points d’impôt en moins que nos grandes entreprises, nos PME, nos TPE ou nos commerces.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

C’est inacceptable et je ne m’y résignerai jamais.

Il est indispensable de rétablir de la justice fiscale et de faire en sorte que ceux qui utilisent les données de nos compatriotes et de nos entreprises contribuent à l’impôt au même niveau que les entreprises françaises. Il n’y a aucune raison qu’ils paient quatorze points d’impôt sur les sociétés de moins !

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Nous avons donc fait cette proposition, avec, ensuite, nos amis et partenaires allemands.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

En septembre 2017, nous avons été rejoints par d’autres États : l’Italie, le Royaume-Uni et l’Espagne. Nous étions donc cinq à proposer cette taxation des géants du numérique, un nombre insuffisant pour mobiliser la Commission européenne et obtenir le dépôt d’une directive.

Au Conseil européen informel de Tallinn, en octobre 2017, nous avons réussi à rassembler sur notre position dix-neuf États européens pour affirmer qu’il fallait taxer les géants du numérique parce que nous ne pouvions pas nous satisfaire de cette situation d’injustice fiscale, ce qui a conduit la Commission européenne à déposer, en janvier 2018, une proposition de taxation des géants du numérique.

Celle-ci reposait sur le chiffre d’affaires, parce qu’il est trop compliqué de distinguer comment les bénéfices sont réalisés à partir des données. Cette solution n’est pas idéale, mais elle est robuste.

Dans les mois qui ont suivi, nous avons essayé d’entraîner l’intégralité de nos partenaires européens, puisque les décisions fiscales se prennent à l’unanimité, mais nous avons échoué à convaincre le Danemark, la Suède, la Finlande et l’Irlande de rejoindre le mouvement. J’avais pourtant accepté, par souci de consensus et de compromis, de limiter la portée de cette taxe en ne la faisant plus peser que sur un seul aspect du numérique et pas sur les trois, comme la Commission européenne l’avait initialement envisagé.

Voyant que nous n’arrivions pas à un accord au niveau européen, faute de consensus, j’ai proposé au Président de la République et au Premier ministre que, comme l’Autriche, le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Espagne, nous prenions une disposition nationale, qui vous est soumise aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

J’ai toujours été très clair sur ce point : le jour où une solution internationale existera, nous abandonnerons cette taxation nationale. Dans nos discussions à l’échelle internationale, avec nos partenaires américains ou dans le cadre de l’OCDE, la France sera plus forte en faisant valoir ce levier d’une taxation nationale. Si nous introduisions une clause d’extinction dans notre propre texte de loi, nous pratiquerions une forme de désarmement unilatéral !

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour un pays attaché, comme l’est la France, à la dissuasion, c’est une solution que je ne recommande pas.

MM. Richard Yung, Yvon Collin, Philippe Bonnecarrère, Roger Karoutchi et Bruno Sido applaudissent.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Je vous propose donc de maintenir cette taxe nationale, que je prends l’engagement de retirer dès qu’un consensus aura été trouvé à l’OCDE.

Votre deuxième élément d’inquiétude concernait la supposée fragilité juridique de ce dispositif. C’est un argument parfaitement recevable, car toutes les questions fiscales sont complexes. Je veux toutefois vous rassurer quant aux précautions que nous avons prises en ce qui concerne la solidité juridique de cette taxation.

Au niveau national, le Conseil d’État a validé ce projet de loi ; au niveau européen, j’ai décidé de retenir les modalités européennes de taxation du numérique, même si celles-ci sont critiquables, par souci, précisément, de solidité juridique. J’ai ainsi écarté toute autre base fiscale que le chiffre d’affaires. Ce n’est pas idéal, je l’ai dit, mais c’est la solution la plus robuste et la moins contestable juridiquement.

C’est la raison pour laquelle nous nous en sommes tenus à cette méthode, en écartant l’idée d’un barème progressif qui était, certes, séduisante : nous aurions pu ainsi établir un taux à 1 %, un autre à 3 %, un autre, encore, à 5 % en fonction du niveau de chiffre d’affaires des entreprises, par souci de justice et d’équité. Il se trouve que, juridiquement, cette proposition affaiblissait la taxation du numérique, je ne l’ai donc pas retenue.

Nous avons également exclu certains services financiers inclus, à l’origine, dans le champ de la taxe et sur lesquels le Conseil d’État nourrissait des doutes. Il est vrai que proposer des services financiers sur internet ne crée pas nécessairement de la valeur par effet de réseau et donc n’entre pas dans le champ de la taxe.

Pour ces raisons, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter de la solidité juridique de cette mesure ni au niveau national ni au niveau européen. Par ailleurs, nous ne la notifierons pas à la Commission européenne, car cela retarderait de plusieurs mois l’entrée en vigueur de cette taxe et affaiblirait les négociations à l’OCDE, qui vont reprendre dès cette semaine. J’y serai demain pour discuter de ces sujets et j’ai bon espoir que nous parvenions à un accord d’ici à la fin de l’année.

Vous le voyez, tout est question de levier dans la négociation. Faudra-t-il, à un moment donné, préparer un rapport afin d’être plus transparent ? Je suis ouvert à toutes les propositions, pourvu que cela ne ralentisse pas l’entrée en vigueur de la taxe.

Troisième élément d’inquiétude : la taxe nationale serait dangereuse pour la compétitivité de nos entreprises. Je tiens simplement à indiquer que nous avons défini le champ le plus responsable possible et, surtout, que nous avons ciblé les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique, et seulement numérique, est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et à 25 millions d’euros en France, c’est-à-dire celles qui sont les plus créatrices de valeur dans ce domaine.

Il ne me semble donc pas souhaitable d’élargir le champ de cette taxe ni de revenir sur ses modalités, calquées, je vous le rappelle, sur la proposition européenne.

Enfin, un débat s’est fait jour sur l’élargissement de cette taxe à la vente directe sur internet. Cette question est très différente, mais je suis prêt à en débattre le moment venu. Ce que nous taxons ici, c’est la valeur provenant de l’effet de réseau créé par l’accumulation de données grâce auquel on sait quel type de cravate ou de costume vous portez, quel type d’hôtel ou de restaurant vous appréciez, de manière à cibler la publicité sur vos habitudes de consommation. De la valeur est ainsi créée, qui n’est pas taxée. Par souci de justice, nous allons le faire.

Le cas des commerçants qui décident de vendre par internet des produits qu’ils réalisent eux-mêmes est très différent. Il peut y en avoir dans vos territoires : ils pratiquent la vente directe en ligne, qui n’est pas de la création de valeur par accumulation de données.

Faut-il taxer cette activité au même niveau que les autres commerces ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis prêt à en débattre à un autre moment. Vous voyez bien, toutefois, que c’est un sujet très différent. Cela ouvrirait fortement le champ de la taxation pour beaucoup de commerçants indépendants qui créent des produits, parfois agricoles, et les vendent en ligne, mais qui ne s’en sortiraient pas avec une boutique physique, au risque de remettre en cause l’équilibre économique de beaucoup de petites entreprises en France. Je suis prêt à en discuter, mais ce n’est pas comparable à la taxation des géants du numérique qui nous occupe aujourd’hui.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Tels sont les éléments que je souhaitais vous apporter. Je ne vous cache pas que la majorité, le Gouvernement et le Président de la République ont l’ambition de bâtir, au XXIe siècle, une fiscalité plus juste et plus efficace. Cette taxation du numérique est la première brique de la construction d’une taxation internationale conforme à cet objectif : il n’est pas acceptable que des géants du numérique utilisent les données des Français et ne paient pas au Trésor public français leur juste part d’impôts.

Cette mesure doit toutefois être complétée par d’autres dispositions, sur lesquelles nous allons nous battre également.

Tout d’abord, il faudra définir un taux d’impôt minimal sur les sociétés. De la même manière que je ne peux pas accepter que des géants du numérique paient moins d’impôts qu’une TPE française, je ne peux pas non plus admettre que de grandes multinationales récoltent des données et fassent des profits à partir du consommateur français, pour ensuite délocaliser ces bénéfices dans un paradis fiscal où ils ne paieront pas le montant d’impôt sur les sociétés dont ils devraient s’acquitter. Nous allons donc nous battre dans le cadre du G7 des ministres des finances pour un juste assujettissement minimal à l’impôt sur les sociétés.

Ensuite nous devons tirer les leçons de ce qui s’est passé dans l’Union européenne. C’est décisif. Il n’est pas agréable, après deux ans de négociations, après avoir obtenu l’accord de vingt-trois États sur vingt-sept, d’échouer parce que quatre États sont en mesure, seuls, de s’opposer à la décision des autres en raison de règles institutionnelles obsolètes. En matière fiscale, l’unanimité est une impasse et les impasses, il faut en sortir ! Je propose donc que nous passions à la majorité qualifiée pour les décisions fiscales.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Je me réjouis de vous retrouver pour ce débat auquel je vous remercie de participer aussi nombreux. La question de la fiscalité des géants du numérique est essentielle et je souhaite que nous puissions trouver un accord sur le projet de loi proposé par le Gouvernement.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu, mais pour mettre fin à la règle de l’unanimité, il faut l’unanimité ! C’est le serpent qui se mord la queue !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je ne partage pas tout à fait votre enthousiasme, car à la dernière réunion, les Allemands nous ont répondu Nein ! quand on leur a parlé de cette taxe. Vous êtes germaniste, monsieur le ministre, vous n’aurez donc pas besoin de traduction !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

À la lecture du compte rendu des travaux de la commission des finances, vous avez perçu certaines inquiétudes, qui sont, à mes yeux, parfaitement légitimes.

Sur les deux aspects que nous allons aborder dans ce débat, nous sommes à contre-courant. Tous les pays européens baissent l’impôt sur les sociétés, alors que la France fait le choix de différer cette baisse, au moins pour les grands groupes, même si vous indiquez que l’objectif reste bien 2022. Quant à la taxe sur le numérique, je nuancerai vos propos : hormis la Hongrie, aucun pays d’Europe n’a, à ma connaissance, institué une telle taxe. En Europe du Sud, l’Espagne a différé son application et l’Italie ne l’a pas mise en œuvre ; au Royaume-Uni, elle est à l’état de projet. Nous serons donc les premiers et nous essuierons les plâtres.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Vous comprendrez que, sur ce sujet, on puisse exprimer certaines inquiétudes.

Revenons sur les deux objectifs qui président à ces deux aspects. Le premier est un objectif de rendement, ne nous leurrons pas. Il s’agit de disposer des moyens nécessaires pour financer les mesures d’urgence qui ont été votées ici sur proposition du Gouvernement en réponse à la fameuse crise que le pays a connu en fin d’année. Le second, que nous partageons, est un objectif d’équité fiscale envers les géants du numérique, les Gafa. Nous nous rejoignons tous sur ce point.

Nous ne contestons pas ces objectifs et nous pouvons même les partager.

Quant aux deux mesures que nous examinons, la création d’une taxe sur les services numériques et la modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, elles étaient annoncées depuis la fin de l’année 2018 et ne sont donc pas des surprises. Elles ne constituent pas, pour autant, des réponses satisfaisantes.

Tout d’abord, l’adoption de 10, 8 milliards d’euros de dépenses supplémentaires votées dans l’urgence, de manière un peu contrainte, bouleverse l’équilibre budgétaire. Nous nous souvenons tous des conditions désastreuses dans lesquelles ces mesures ont été adoptées en loi de finances. Le Gouvernement avait alors annoncé qu’il mettrait les grandes entreprises à contribution dès 2019. L’objectif était clair : il s’agissait de reprendre d’une main ce que l’on avait donné de l’autre, de récupérer ainsi une partie du gain de trésorerie dont les entreprises ont bénéficié grâce à la bascule du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en baisse de charges. C’est l’objet de l’article 2, qui doit rapporter 1, 7 milliard d’euros, comme vous venez de nous le confirmer, sur les 2, 1 milliards de recettes attendues dans le présent projet de loi.

De nouvelles recettes sont prévues, donc, alors que vous avez été silencieux sur les dépenses. Certes, 1, 5 milliard d’économies sont annoncées sur le budget de l’État en 2019, mais personne ne sait aujourd’hui d’où elles proviendraient.

Cette nouvelle trajectoire signifie incontestablement qu’il y aura une contribution exceptionnelle, sous forme de fiscalité supplémentaire par rapport à ce qui était annoncé, pour les 765 grandes entreprises concernées.

Or nous avons un désaccord : vous nous dites que l’objectif reste 2022, mais, à mon sens, cette modification envoie un très mauvais signal en matière de stabilité fiscale aux investisseurs internationaux, puisqu’il s’agit de revenir sur un engagement.

Notre inquiétude naît, monsieur le ministre, de ce que vos récentes déclarations laissent entrevoir, au-delà de cette mesure exceptionnelle portant sur la seule année 2019, une prolongation du dispositif. Nous craignons que vous nous fassiez le même coup dans le projet de loi de finances pour 2020, ainsi que la lecture attentive du programme de stabilité pour les années 2019 à 2022 le laisse penser.

En effet, les fonds manquent d’ores et déjà et vous nous annoncerez sans doute lors de l’examen du prochain projet de loi de finances que vous reportez de nouveau cette baisse de l’impôt sur les sociétés, au moins pour les grandes entreprises. Vous affirmiez pourtant encore à l’instant que l’objectif reste d’atteindre un taux de 25 % en 2022.

Nous serons très vigilants sur ce point ; au-delà de cette année un peu exceptionnelle, une nouvelle modification de la trajectoire de baisse serait évidemment inacceptable.

Une question se pose pourtant : dès lors que l’on diffère la baisse, comment parvenir au niveau voulu en 2022 ? En effet, en cas de nouveau report en 2020, la marche serait encore plus haute, puisque le maintien d’un objectif de taux à 25 % à partir de 2022 induirait une perte de recettes de 6 milliards d’euros en deux ans pour l’État. Cela me semble difficilement soutenable, compte tenu des autres baisses que vous avez annoncées, en particulier en matière d’impôt sur le revenu. Cet engagement n’est pourtant pas un cadeau, mais une nécessité pour notre économie : il y va de notre compétitivité au niveau international.

J’en viens maintenant au premier point, qui est au cœur de notre débat : la création de cette taxe à la française sur les services numériques. Vous l’avez rappelé, il est apparu clairement, en décembre dernier, que la solution temporaire proposée par la Commission ne pouvait être acceptée – je ne reviens pas sur le problème de la règle de l’unanimité ; le Gouvernement a donc proposé de transcrire cette proposition européenne dans notre droit national. Tous les orateurs le diront sans doute, nous ne pouvons que partager cet objectif. Personne ne conteste, en effet, que nombre de sociétés ne paient pas un juste impôt en France et qu’il convient d’y remédier.

Toutefois, la taxe qui nous est proposée est loin d’être parfaite et pose des difficultés juridiques et pratiques. Il est ainsi proposé d’introduire une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des grandes entreprises, une solution de court terme qui avait été proposée par la Commission européenne. Visant une trentaine de groupes, cette taxe concernerait uniquement les services reposant sur le travail gratuit fourni par les utilisateurs.

Cependant, depuis la lettre que vous avez signée à l’été 2017 pour appeler de vos vœux une solution européenne, le contexte a singulièrement changé au niveau international. Pascal Saint-Amans le disait la semaine dernière, les négociations à l’OCDE progressent à grands pas et nous sommes relativement proches d’une solution, grâce, notamment, à l’évolution de la position américaine. Des avancées importantes auraient d’ores et déjà été actées et laisseraient entrevoir un accord, sans doute d’ici à la fin de 2021.

En matière fiscale, la France a parfois fait beaucoup de mousse, mais dans la réalité, la position américaine, comme dans le cas de la réglementation Fatca – pour Foreign Account Tax Compliance Act –, ou les avancées obtenues au sein des instances internationales, telles que l’OCDE ou les G7, jouent un rôle beaucoup plus important que les évolutions unilatérales.

C’est pourquoi la commission a souscrit à l’objectif de répondre rapidement à l’inadaptation des règles actuelles du système fiscal international au regard de la numérisation des échanges dont peuvent bénéficier les entreprises du numérique.

Je rappelle, à cet égard, que l’écart de taxation chiffré par la commission entre les multinationales traditionnelles et celles du numérique est de quatorze points. À mon sens, seule une solution internationale, au niveau de l’OCDE, serait efficace. Une telle solution peut maintenant être envisagée à court terme – 2021, c’est demain. C’est pourquoi la commission a expressément inscrit dans le projet de loi le caractère temporaire de la taxe nationale proposée, cantonnant son application à trois exercices, de 2019 à 2021.

Vous indiquez, monsieur le ministre, qu’en agissant ainsi, nous serions battus en rase campagne ; mais l’OCDE nous dit au contraire que, pour aider aux négociations internationales, il faut fixer un terme à notre dispositif. Après trois ans, nous basculerons dans le dispositif de l’OCDE qui prendra sans doute le relais. Si nous ne parvenions pas à nous accorder et qu’une solution n’était pas trouvée en 2021, nous prolongerions la taxe nationale. Ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire !

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

La commission a ainsi souhaité sécuriser un dispositif imparfait, qui constitue une solution de repli.

Cette taxe ne présente pas que des avantages, elle a aussi de nombreux inconvénients, vous l’avez vous-même reconnu. Sur le plan économique, un dispositif qui taxe le chiffre d’affaires est perfectible, car il pèse sur la trésorerie des entreprises, y compris celles qui perdent de l’argent.

Sa répercussion sur les utilisateurs ne doit pas non plus être négligée : ne nous faisons pas d’illusion, quelqu’un paiera à la fin, et ce sera l’utilisateur ! Une grande entreprise – Booking – nous a même indiqué qu’elle allait créer une taxe « Le Maire » qui apparaîtra sur chaque réservation d’hôtel en Espagne, en Italie ou en France. Monsieur le ministre, au moins votre taxe bénéficiera-t-elle de cette notoriété !

En outre, cette taxe a également pour conséquences de s’ajouter à l’impôt sur les sociétés et emporte donc un effet collatéral de double imposition. Nous vous proposerons une solution, sans doute imparfaite : la déduction de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S.

Un autre inconvénient majeur est que le dispositif sera très complexe à mettre en œuvre. Vous avez fait le choix d’une procédure entièrement déclarative. Je vais le dire de manière plus brutale : les entreprises paieront ce qu’elles voudront parce que l’administration fiscale est incapable d’établir de manière certaine leur chiffre d’affaires en France – messieurs les conseillers, ne me regardez pas comme cela, c’est la vérité ! Avec le président de la commission, nous avons rencontré les services fiscaux.

Comment, dès lors, s’assurer qu’une entreprise déclare les bons montants ? L’évaluation des recettes – 400 ou 500 millions d’euros – est donc très incertaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

J’en termine, madame la présidente, mais cela vaut la peine ! Nous avons été échaudés dans le passé par des initiatives, comme la taxe de 3 % ou la tranche d’imposition à 75 % sur les revenus, qui nous ont laissé un souvenir amer, alors même que les prédécesseurs des conseillers ici présents nous avaient expliqué que nous ne prenions aucun risque. Je souhaite donc que l’on sécurise ce dispositif en le notifiant à la Commission européenne afin de nous assurer qu’il ne soit pas considéré comme une aide d’État. J’ai déposé un amendement en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je vous propose donc de limiter juridiquement cette taxe dans le temps avant que l’OCDE ne trouve une solution définitive. D’autres pays ont fait le choix d’attendre, nous prenons un risque, que cet encadrement permettra de limiter.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Rambaud

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la numérisation de l’économie pose des défis sans précédent aux États dans leur pouvoir de lever l’impôt, remettant ainsi en cause l’un des aspects essentiels de la fiscalité : son caractère national.

Ces défis, le Sénat les connaît. Beaucoup de nos collègues ont travaillé sur ces questions, particulièrement au sein de notre commission des finances. Je salue ici le travail fait dans le passé et le travail d’aujourd’hui. Les amendements qui ont été présentés par le rapporteur en sont une illustration fidèle.

À titre d’exemple, en 2012, le rapport d’information de Philippe Marini sur la fiscalité numérique concluait que les entreprises du numérique étaient, en Europe, assujetties à un taux moyen de 9 % pour l’impôt sur les sociétés, alors que ce taux s’élevait à 23 % pour les entreprises dites traditionnelles du secteur physique.

Cette rupture du principe d’égalité devant les charges publiques, principe qui est au cœur de notre pacte républicain, constitue le point de départ de notre discussion. Chacun doit payer sa juste part de contribution aux charges publiques et chacun, entreprise ou particulier, doit se voir appliquer également la loi fiscale. À défaut, c’est notre modèle social qui est menacé, alors que chaque atteinte aux principes fondateurs de notre République est vécue comme une injustice insupportable par nos concitoyens.

L’économie numérique est l’économie de demain, ne pas s’intéresser à la taxation du numérique et attendre les autres pays serait une véritable capitulation. Il revient aux responsables politiques de répondre à ces injustices et c’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre, avec le gouvernement auquel vous appartenez. Vous présentez au Parlement un texte de justice fiscale, mais aussi d’efficacité.

Justice, face au différentiel de quatorze points entre les entreprises numériques et les entreprises traditionnelles dans le paiement de l’impôt ; efficacité, parce qu’il s’agit de flux économiques qui échappent à l’impôt en France, alors que la valeur est créée dans notre pays, grâce aux utilisateurs français.

Les habitudes de recherche des utilisateurs sur un célèbre moteur sont par exemple collectées et permettent d’améliorer la plateforme, donc d’accroître sa valeur. Plus il y a de recherches, plus la plateforme est valorisée et plus elle est monétisable par des annonceurs. Cet effet de réseau se fait sans présence physique et permet d’éviter l’impôt en France et même, en réalité, d’éviter une grande partie de l’impôt qui serait dû dans un schéma classique.

Mes chers collègues, nous dénonçons cette situation depuis plus de dix ans. Il est maintenant temps d’agir et c’est ce que vous faites, monsieur le ministre. Cette taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires numérique réalisé en France ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique grâce au double seuil cumulatif. Ne seront assujettis que les secteurs créant le plus de valeur : la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.

Cette taxe sur les services numériques n’est pourtant qu’une première étape, d’abord, parce que la réponse à la numérisation de l’économie ne peut être nationale. Son histoire a été rappelée : elle est directement inspirée d’une proposition de directive européenne qui n’avait pu recueillir un accord unanime.

Elle n’est qu’une première étape, ensuite, parce qu’un dispositif qui taxe le chiffre d’affaires des plus grandes entreprises du numérique est imparfait : il ne permet pas de cerner le lieu où s’exerce l’activité, mais seulement celui où se situent ceux qui en bénéficient. En outre, il ne répond pas à la possibilité dont disposent ces entreprises de déplacer leur résultat dans des pays à faible fiscalité ou de délocaliser les bénéfices dans des paradis fiscaux.

Si nous décidons de taxer ces entreprises qui ne paient pas leur juste part d’impôt, c’est parce que les règles de l’impôt ne sont plus adaptées à l’économie.

Ainsi, et en suivant le droit, le 12 juillet 2017 le tribunal administratif de Paris a jugé que Google Irlande ne disposait d’aucun établissement stable en France, parce que Google France ne pouvait engager juridiquement la société et a ainsi annulé le redressement fiscal de plus de 1 milliard d’euros infligé à Google par le fisc français.

Dès lors que le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés françaises exempte les bénéfices réalisés par une société française lorsqu’ils le sont au moyen d’une entreprise exploitée à l’étranger, il est difficile de ne pas accepter la réciproque.

Ces règles nouvelles devront émerger d’un cadre multilatéral. Celui-ci existe : c’est l’OCDE, laquelle, après avoir défini un plan d’action en juillet 2013 contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises, a lancé très récemment un programme de travail pour trouver une solution technique.

Plusieurs modèles s’opposent : l’un fondé sur la « participation de l’utilisateur », un autre sur les « biens incorporels de commercialisation » – solution défendue par les États-Unis – ou encore un dernier qui retient le critère de la « présence économique significative » – soutenu par plusieurs pays.

Ces modèles reposent sur des conceptions opposées de l’économie numérisée et de la manière dont elle doit être fiscalisée. Dans quelle mesure la valeur provient-elle de la participation de l’utilisateur par l’effet de réseau que j’ai évoqué et relativement aux biens de commercialisation ? Les pays membres de l’OCDE devront trancher d’ici deux ans.

En attendant, la France doit appliquer une mesure temporaire de justice entre les entreprises traditionnelles et celles du numérique.

En commission des finances, nous avons complété le texte par des dispositions utiles, comme l’application de la règle de détermination du coefficient de présence numérique pour l’année 2019 à l’assujettissement et non à la seule liquidation.

Notre groupe votera ce projet de loi : attendu par les Français – le grand débat national, notamment, l’a montré –, il apporte une réponse temporaire, mais nécessaire à l’évitement de l’impôt par les grandes entreprises du numérique !

M. Richard Yung applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les acronymes sont parfois trompeurs. Ainsi, nous devrions discuter de la mise en place d’une taxe visant les Gafa, acronyme désignant les grandes firmes multinationales que sont Google, Amazon, Facebook et Apple. Or si nous discutons bien des Gafa, votre projet de loi, monsieur le ministre, correspond à une autre signification de cet acronyme : grand affichage fiscal annuel du Gouvernement… Car, comme bien souvent, votre gouvernement utilise l’outil fiscal pour faire de la communication plutôt qu’une politique efficace !

Le crime est d’ailleurs avoué, puisque vous l’avez vous-même expliqué il y a quelques instants : vous favorisez les plus aisés, les plus puissants, au détriment de la justice sociale.

De fait, face au chômage, vous perpétuez les cadeaux fiscaux inefficaces, à l’instar du CICE. Face à l’inégalité des taux d’imposition, vous mettez en œuvre l’injuste flat tax sur les revenus financiers… sans oublier la suppression de l’ISF et la baisse de l’impôt sur les sociétés.

Vous avez parlé de fermeté, monsieur le ministre : je vous reconnais cette qualité. Mais de courage il ne saurait être question : c’est affaire de choix politiques et économiques, de choix de société ! Personne, ni vous ni le sénateur que je suis, n’a la vertu du courage dans ce domaine.

Vous parlez de votre politique de l’offre. Cette politique, vous l’avez menée, tranquillement, depuis le début : vous chassiez à droite, parce que vous êtes un homme de droite.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Je respecte d’ailleurs votre opinion politique.

Vous nous parlez d’emploi, mais 16 200 postes ont été créés l’année dernière… L’Insee a recensé 32 000 personnes à la limite du chômage aux troisième et quatrième semestres de 2018 : et ça irait mieux, vraiment ?

La proposition de taxation du numérique découle de la même logique : l’affichage plutôt qu’une fiscalisation efficace. De fait, les grandes firmes multinationales sont épargnées, au détriment de leur contribution à la solidarité nationale.

Mes chers collègues, si le principe d’une taxe sur les services et activités numériques est juste et nécessaire, ce projet de loi ne permettra pas, en l’état, d’atteindre les objectifs ambitieux auxquels il doit tendre. Sa conception, en effet, est beaucoup trop restreinte, alors que l’économie numérique s’apparente à une nouvelle révolution industrielle : les modes de production, d’échanges et d’implantation des firmes se transforment. En France, trois entreprises sur cinq sont passées au big data et 5, 5 % du produit intérieur brut découlent directement du numérique.

Surtout, le distinguo entre numérique, services et économie productive est désormais largement dépassé dans la réalité des grandes firmes françaises et européennes.

Votre projet, monsieur le ministre, étroitement centré sur les interfaces numériques permettant aux utilisateurs d’entrer en contact entre eux et d’interagir directement, laissera de côté de grandes firmes multinationales très actives dans la sphère numérique, qui échappent déjà largement à l’impôt. À titre d’exemple, Netflix, PayPal ou encore Apple n’entrent pas dans le champ de ce que vous proposez ! Vous vous targuez de modernité, mais, en réalité, vous êtes en retard sur l’évolution des marchés et de l’économie…

Ainsi, au-delà de l’assiette, les seuils retenus sont bien trop élevés pour appréhender effectivement les acteurs du numérique dans leur diversité. Seules une trentaine d’entreprises au plan mondial seraient touchées par la taxe que vous proposez : on est bien loin de ce qui est nécessaire.

Quant au taux de 3 % proposé, il ne permettra pas de réparer l’injustice d’un impôt comparativement bien moins payé par les entreprises du numérique que par celles des secteurs traditionnels. Les rendements attendus devraient osciller entre 400 millions et 500 millions d’euros, alors que l’ISF, avant que vous ne le supprimiez, rapportait 3, 2 milliards d’euros !

Pour mémoire, dans son très récent rapport sur le budget de l’État, la Cour des comptes elle-même a regretté le manque de recettes de l’État, estimant que celui-ci était le premier responsable de l’augmentation des déficits.

Les nombreuses exceptions dont est assorti le mécanisme proposé, par exemple pour les services de paiement, sont source d’inquiétudes. Nos collègues du groupe Les Républicains ont déposé des amendements pour en créer davantage encore, au point de réduire complètement le champ de la taxe !

Surtout, les entreprises auront la faculté de déduire le montant de taxe acquitté de l’impôt sur les sociétés. Est-ce là du courage ? Nombreux sont ceux, y compris à droite, qui s’interrogent : pourquoi un tel cadeau, alors qu’il était possible d’inscrire dans la loi l’impossibilité d’une telle déductibilité ? Pourquoi un tel soutien, alors que, en moyenne, les grands groupes du numérique bénéficient d’un écart d’imposition de près de quatorze points par rapport aux entreprises suivant un modèle traditionnel ? Entre les plus gros et la petite entreprise, c’est deux poids, deux mesures…

Le Gouvernement prétend être à la tête d’une offensive européenne pour la mise en place d’une taxe numérique. L’échelle continentale nous paraît en effet la bonne. Pourtant, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez ne fait aucune mention d’une recherche de coopération renforcée. Alors que des États membres importants comme l’Espagne, l’Autriche et l’Italie ont prévu des dispositifs similaires, on sent un manque de motivation, qui nous amène à nous interroger sur les ambitions réelles du Gouvernement.

À propos d’Europe, monsieur le ministre, votre proposition est en deçà du paquet législatif de 2018 sur la fiscalité du numérique, dans lequel la Commission européenne intégrait, elle, la notion d’établissement stable virtuel.

Chers collègues du groupe Les Républicains, certains d’entre vous semblent vouloir remettre en cause le principe même de la taxe. N’oubliez pas que, en 2016, en 2017, puis en 2018, le Sénat a adopté le principe de l’établissement stable virtuel et d’une taxe sur le numérique. Ne défaites pas aujourd’hui ce que vous avez fait hier !

Au reste, que vous le vouliez ou non, une taxe sur les services numériques est utile, nécessaire, et elle verra le jour. Ne repoussez donc pas inutilement tout projet.

S’agissant enfin de l’article 2, qui reporte temporairement la baisse de l’impôt sur les sociétés, je vous invite, une fois n’est pas coutume, à écouter les recommandations de la Cour des comptes : monsieur le ministre, ne fragilisez pas le budget de l’État en amoindrissant ses recettes !

En définitive, ce projet de loi n’aborde la question de l’économie numérique qu’à la marge : en témoignent un seuil, un taux et une assiette extrêmement réduits. S’il est mieux que rien, il est en l’état insuffisant. C’est pourquoi nous nous abstiendrons !

Debut de section - PermalienPhoto de Rémi Féraud

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quels sont les deux objectifs de ce projet de loi ?

D’abord, c’est un texte d’affichage politique, destiné à répondre à l’émotion grandissante liée aux scandales répétés de l’évasion fiscale et à l’injustice fiscale manifeste qui existe entre, d’une part, les petites et moyennes entreprises et, d’autre part, les multinationales, qui parviennent à éviter largement l’impôt.

À cet égard, la taxe sur les services numériques qui nous est proposée va dans le bon sens, mais reste très insuffisante ; on ne peut manquer de s’interroger, à la suite de la commission elle-même, sur sa portée réelle.

Ensuite, ce projet de loi s’inscrit dans le financement des mesures annoncées en décembre dernier par le Président de la République pour faire face à la colère sociale. Seulement, sur ce point, le compte n’y est pas… De fait, nous sommes loin du montant nécessaire au financement des 10, 8 milliards d’euros de mesures annoncées.

Monsieur le ministre, comme M. le rapporteur l’a expliqué, la taxe sur le numérique et la suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés ne rapporteront qu’un peu plus de 2 milliards d’euros : comment comptez-vous financer les 8 milliards d’euros restants, auxquels s’ajoutent les 7 milliards d’euros correspondant aux mesures annoncées le 25 avril dernier ? Si vous envisagez le rétablissement d’un impôt sur la fortune ou la fin de la flat tax, vous nous trouverez à vos côtés !

Le projet de loi prévoit en premier lieu une taxe sur le chiffre d’affaires que réalisent certaines entreprises du numérique à raison du travail gratuit des utilisateurs français. Cette taxe s’inspire de celle proposée par la Commission européenne dans une directive de mars 2018, au cas où la définition d’un établissement stable numérique ne se concrétiserait pas.

Ici même, monsieur le ministre, le 28 mars 2018, vous aviez marqué votre volonté de voir cette directive adoptée au plus tard au début de l’année 2019 par tous les pays européens. Nous ne pouvons que constater l’échec de la France à mettre en œuvre, avec nos partenaires européens, ce projet d’établissement stable numérique permettant de taxer les bénéfices d’une société réalisés dans un pays, même si cette société n’y a pas d’établissement stable.

C’est cet échec, que nous regrettons, à mettre en place une solution d’imposition des bénéfices qui nous conduit cet après-midi à débattre d’une taxe nationale sur le numérique. Et c’est le souhait d’afficher une – très timide – volonté politique après la crise des « gilets jaunes » et en pleine campagne pour les élections européennes qui nous pousse à en débattre maintenant. Personne n’est dupe.

S’agissant des discussions internationales à venir, gardons-nous de crier victoire trop vite. Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il faille borner cette taxe dans le temps : nous risquerions d’avoir à y revenir, au cas où les négociations internationales échoueraient.

L’autre partie du projet de loi consiste à freiner la baisse du taux d’imposition pour les grandes entreprises, celles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Le taux appliqué en 2019 à la fraction des bénéfices excédant 500 000 euros resterait identique à celui de 2018, légèrement supérieur à 33 %.

Nous trouvons juste que les bénéfices de ces grandes entreprises soient imposés davantage, afin de participer aux mesures sociales revendiquées par nos concitoyens.

Nous savons que le taux d’impôt sur les sociétés ne représente qu’une partie de l’équation, mais il en est la partie la plus visible. Nous sommes plus que jamais dans une logique de dumpingfiscal en Europe, où le moins-disant fiscal devient l’alpha et l’oméga de l’attractivité. Vous l’avez vous-même confirmé, monsieur le ministre, dans votre propos introductif, en étant presque sur la défensive pour présenter cette suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés.

Disons aussi qu’une entreprise multinationale investit dans un État pour la qualité de la formation de ses citoyens et celle de ses infrastructures, qui supposent des ressources fiscales et une juste répartition de celles-ci. Nous ne partageons pas votre approche sur ce point, monsieur le ministre.

L’enjeu de l’imposition des entreprises du numérique et, plus globalement, des bénéfices des multinationales dans le pays où se réalise la valeur dépasse l’équilibre budgétaire de court terme. Comme les derniers mois nous l’ont rappelé, pas de consentement à l’impôt sans justice fiscale ! Tel est aujourd’hui l’enjeu essentiel pour notre pays et pour l’Europe.

À ce stade de la discussion, nous portons un regard plutôt bienveillant sur le projet de loi, tout limité qu’il soit dans ses ambitions. Nous ne le conserverons que si celles-ci ne sont pas encore réduites par la discussion parlementaire. Nous pensons, nous, qu’il faut aller plus loin !

Mme Victoire Jasmin applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Emmanuel Capus applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation des échanges associée à la numérisation des économies et à l’émergence de grandes entreprises, surtout américaines, dans le secteur des services numériques représente un véritable défi pour les systèmes fiscaux actuels, dont les fondements remontent à l’après-guerre.

Alors que le prélèvement de l’impôt, en France, repose sur le principe de territorialité, selon lequel la localisation des biens et activités permet de déterminer les contributions obligatoires, les sociétés du numérique peuvent opérer auprès d’utilisateurs situés en France sans être nécessairement implantées dans l’Hexagone ou, plus précisément, sans y avoir d’établissement stable.

Si les problèmes liés à l’optimisation fiscale par le biais d’implantations dans des pays à fiscalité plus avantageuse et par le moyen des prix de transfert intragroupe ne sont pas nouveaux, le défi posé par l’économie numérique est encore plus grand, si l’on en juge par les montants d’impôt assez faibles payés par ces grandes entreprises au regard de la valeur créée.

La définition des activités taxables est particulièrement importante et complexe. Le Gouvernement a choisi d’y inclure le ciblage publicitaire et la mise en relation des utilisateurs, mais non la vente en ligne.

Par ailleurs, plusieurs types de services proposés par les plateformes ne sont pas taxables : la fourniture de contenus de type YouTube ou Dailymotion et les services de communication comme Skype, ou encore les services de paiement. La directive européenne sur les services de paiement, dans sa deuxième version, a été transposée l’an dernier.

D’autres activités, comme le conseil en financement participatif, sont également exclues du champ de la taxe.

L’idée générale reste d’appliquer une taxe aux activités qui se rapportent à une forme de travail gratuit des utilisateurs, créateur de valeur. Diverses tentatives ont été faites avant d’en arriver à une initiative nationale.

Ainsi, des négociations ont été menées au sein de l’OCDE dans le cadre du projet BEPS, engagé sur l’initiative des dirigeants du G20 au sommet de Saint-Pétersbourg, en septembre 2013. Seulement, sur les quinze actions destinées à répondre à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, la première, qui concernait la taxation de l’économie numérique, n’a pas été retenue dans l’accord multilatéral ratifié l’an dernier.

Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne a proposé un projet de directive qui n’a pas été adopté par le Conseil, en raison du refus de certains États membres d’ouvrir le débat sur la taxation de ces activités, par crainte de contre-mesures de la part des Américains ou des Chinois. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la règle de l’unanimité qui s’applique dans ce domaine.

Finalement, le gouvernement français, comme d’autres gouvernements européens, a décidé de légiférer au niveau national. À ce jour, l’Italie semble avoir le projet le plus abouti, avec une Google Tax censée entrer en vigueur en juin prochain.

Dans le présent projet de loi, l’assiette choisie, une estimation du chiffre d’affaires réalisé en France à partir d’un pourcentage représentatif du chiffre d’affaires mondial, vise à reterritorialiser le chiffre d’affaires. Il ne s’agit pas de la valeur ajoutée, qui aurait été plus satisfaisante, ni du bénéfice, dont la territorialisation est beaucoup plus difficile à appréhender. Cette approche repose sur l’hypothèse qu’il existe une proportionnalité entre le nombre de transactions et les sommes encaissées, dans l’attente de la reconnaissance d’un établissement stable virtuel.

La démarche de la France n’est pas originale en soi. Le débat sur la taxation des Gafa existe depuis plusieurs années, et d’autres pays européens poursuivent des projets similaires, bien qu’une différence se remarque entre les pays du nord de l’Europe, peu enclins à instaurer cette taxe, et les pays latins, plus avancés dans cette voie.

Quoi qu’il en soit, l’objectif est avant tout d’accélérer une mise en œuvre collective de cette taxation, malgré un contexte mondial marqué par des tensions commerciales croissantes entre les États-Unis et la Chine.

En Europe, on espère un redémarrage du projet de directive, peut-être après les élections de dimanche prochain. On ne peut pas reprocher aux Français et à la France, et plus largement aux Européens, de vouloir jouer un rôle précurseur dans la réalisation d’une plus grande équité fiscale, alors qu’on demande par ailleurs plus de rigueur budgétaire.

Plus globalement, les négociations doivent être poursuivies dans le cadre de l’OCDE, ce qui justifie, à mon sens, la modification proposée par le Sénat en ce qui concerne le caractère temporaire de ce dispositif. Celui-ci pourra être renouvelé et amélioré, si, à l’échéance prévue, aucune solution européenne ou internationale n’est mise en œuvre. Les positions du Gouvernement et de la commission me paraissent à cet égard tout à fait conciliables.

S’agissant du second volet du projet de loi, le gel de la trajectoire de réduction de l’impôt sur les sociétés en 2019 pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, il m’inspire deux remarques.

D’une part, on peut regretter une certaine instabilité juridique, pour la deuxième fois concernant le même impôt.

D’autre part, on peut comprendre la nécessité de financer les mesures d’urgence accordées en décembre dernier, puis au début du printemps, compte tenu du contexte politique et social exceptionnel.

En tout cas, nous nous félicitons que la réduction de l’impôt sur les sociétés soit maintenue cette année pour les PME et TPE.

La majorité des membres du RDSE voteront l’ensemble de ces dispositions, sauf, bien entendu, si la majorité du Sénat ou une majorité de nos collègues venait à les vider de leur sens !

MM. Yvon Collin et Emmanuel Capus applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Delcros

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons cet après-midi de la fiscalité des grandes entreprises du numérique et de la modification, partielle et transitoire, de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés.

Sur le premier point, nous sommes nombreux à appeler de nos vœux la mise en place d’une fiscalité plus juste sur les services numériques. Monsieur le ministre, vous avez rappelé les chiffres.

Bien sûr, la mise en œuvre pratique d’une telle fiscalité reste complexe, notamment pour établir un cadre juridique parfaitement sécurisé en dehors d’un accord international.

Il est vrai que la réponse devrait être apportée à l’échelle mondiale ; mais nous savons que, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour y parvenir. Plusieurs pays, et non des moindres, ne sont pas, pour l’instant, sur la même position que la France. On en connaît les raisons, liées notamment aux enjeux commerciaux internationaux.

Devons-nous en tirer la conclusion qu’il ne faut rien changer, comme nous l’entendons parfois ? Je ne le crois pas. Ni la complexité de la mise en place, ni les positions contraires d’autres pays, ni même la prise de risque ne doivent nous conduire à renoncer !

En effet, comme l’a rappelé un précédent orateur, la révolution numérique transforme en profondeur notre modèle économique, et notre système fiscal devient chaque jour plus inadapté à cette nouvelle donne.

Par ailleurs, c’est une question d’équité fiscale, un sujet sur lequel nos concitoyens sont mobilisés et réclament, à juste titre, davantage de justice.

Au reste, l’équité fiscale se joue aussi entre les entreprises qui paient déjà leurs impôts en France et celles, les géants du numérique, qui profitent du lucratif marché français sans participer au bon niveau à l’effort collectif.

Il n’est pas tenable, sous le seul prétexte de la complexité ou de l’impossibilité d’un accord européen ou mondial, de continuer à taxer nos entreprises traditionnelles, nos PME, nos artisans et nos commerçants sans traiter le cas des géants du numérique !

Enfin, on ne peut pas, d’un côté, se fixer comme objectif majeur de réduire notre déficit et, de l’autre, se priver de la recette fiscale légitimement due par les géants du numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Delcros

En adoptant cette taxe, la France adresserait à l’ensemble de ses voisins un signal fort, donnant par la même occasion une impulsion qui pourrait s’avérer décisive dans l’adaptation du cadre fiscal international au déploiement de l’économie numérique.

Alors, oui, malgré les difficultés, la France doit s’engager sans attendre sur la voie de la taxation des grandes entreprises du numérique.

M. le ministre opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Delcros

Pour ce faire, monsieur le ministre, vous nous proposez d’instaurer une taxe sur les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros au titre des services fournis au niveau mondial et à 25 millions d’euros au titre des services fournis en France. Cette taxe représentera 3 % sur les produits bruts tirés des services de ciblage publicitaire, de la transmission de données personnelles et de l’activité des places de marché du commerce en ligne.

Certes, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, l’assiette retenue n’est pas la solution idéale. Taxer le chiffre d’affaires, c’est taxer sans distinction l’entreprise en pleine croissance qui n’enregistre pas ou peu de résultats et celle dont les résultats sont élevés. La taxation des bénéfices eût été préférable ; mais, nous le savons, elle nécessiterait la renégociation de conventions fiscales bilatérales.

La commission des finances, dont je salue le travail important, a longuement débattu de cette question. Elle a apporté au texte plusieurs modifications visant à le sécuriser et à limiter à trois années sa première mise en application – nous en reparlerons dans la discussion des articles.

Mes chers collègues, face aux géants du numérique, qui se jouent des règles fiscales traditionnelles, l’occasion nous est donnée de réaffirmer la souveraineté de l’État, garant de l’intérêt général et protecteur de l’équité fiscale.

Vous l’aurez compris, les sénatrices et les sénateurs du groupe Union Centriste se prononceront en faveur de la création de la taxe sur les services numériques, même s’il ne s’agit que d’un premier pas, avec une recette estimée à 400 millions d’euros en 2019, et qu’une solution internationale doit être trouvée.

J’en viens à l’article 2 du projet de loi, qui prévoit de déroger à la trajectoire de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises, celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, et seulement pour la fraction du bénéfice imposable supérieure à 500 000 euros. Il leur serait appliqué, pour la seule année 2019, le taux de 2018, soit 33, 33 %.

J’entends l’argument selon lequel, pour donner de la visibilité aux acteurs économiques, on ne devrait pas changer les règles du jeu en cours de route. Évidemment, nous partageons tous cet objectif. Mais nous pouvons aussi considérer que nous avons une exigence de responsabilité au regard de notre déficit public, que nous souhaitons tous diminuer : celle de trouver les moyens de financer les dépenses engagées, que nous avons nous-mêmes adoptées en décembre dernier, pour redonner 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français.

J’estime, pour ma part, que le contexte légitime la mesure proposée, qui devrait rapporter 1, 7 milliard d’euros cette année, étant donné qu’elle ne remet pas en cause l’objectif d’abaissement du taux de l’impôt sur les sociétés, qui reste fixé à 25 % à horizon de 2022, et, j’y insiste, qu’elle concernera seulement les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros.

La disposition prévue à l’article 2 constitue ainsi un levier utile, parmi d’autres, pour compenser la dépense substantielle que le Gouvernement et le Parlement ont décidée en faveur du pouvoir d’achat des Français. Au sein du groupe Union Centriste, nous serons nombreux à la voter !

Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Plus précisément, l’article 1er du projet de loi instaure la taxe sur les services numériques ; son article 2 modifie la trajectoire de l’impôt sur les sociétés.

S’agissant de la taxe sur les services numériques, même si nous avons eu en commission des finances des discussions assez poussées, nous faisons tous ce constat simple : les Français ne supportent plus la pression fiscale intolérable qui pèse sur leurs épaules.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Cette pression est d’autant plus inacceptable que certaines sociétés – de même que certains particuliers, mais ce n’est pas le sujet de cet après-midi – tentent de contourner l’impôt en pratiquant ce qu’on appelle l’évitement fiscal.

Or, aujourd’hui, ce comportement n’est plus accepté, les Français ne le tolèrent plus. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’agir, de créer une taxe sur les services numériques, en particulier pour les sociétés multinationales qui accumulent des richesses excessives, extrêmes, et qui créent de la richesse, de la valeur, en France, sans payer d’impôt sur notre territoire, ou en en payant extrêmement peu.

Bien sûr, nous préférerions le faire à une échelle internationale ; donc faut-il passer outre ou attendre que, comme certains le préconisent, nos partenaires se décident ? Mais ces derniers le feront-ils un jour ? L’Irlande acceptera-t-elle, un jour, de taxer des sociétés qui font sa richesse aujourd’hui ? Je ne le crois pas. La réponse du groupe Les Indépendants est donc extrêmement simple : nous sommes favorables à l’instauration, dès maintenant, de la taxe sur les services numériques, pour envoyer un signal extrêmement fort à nos partenaires européens, quitte à renégocier demain, pour instituer une taxe européenne ou mondiale sur les services numériques. Selon nous, il est urgent de ne plus attendre…

Nous avons échangé longuement, en commission des finances, sur les inconvénients de cette taxe ; il y en a, cette taxe n’est certes pas parfaite.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Je partage à cet égard beaucoup des arguments du rapporteur Albéric de Montgolfier.

Bien sûr, ce serait mieux que la taxe ne porte pas sur le chiffre d’affaires ; les inconvénients d’une telle taxation, surtout pour les sociétés en progression, ont été évoqués. Bien sûr, il y a le risque de la double imposition ; certaines entreprises, vertueuses, paient déjà leurs impôts en France et risquent d’être doublement imposées. Surtout – troisième inconvénient majeur, que j’ai déjà évoqué –, il serait nettement préférable que cette taxe soit internationale, européenne.

C’est d’ailleurs pour cela que la commission des finances propose, de façon quasi unanime, que la taxe soit provisoire – cela ne me choque pas –, le temps de faire pression sur nos partenaires, afin que ceux-ci comprennent que la France est sérieuse, qu’elle ne tolérera plus que des sociétés, étrangères ou non, créent de la richesse, de la valeur, en France, sans être taxées.

Ainsi, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants votera pour l’article 1er.

L’article 2 traite d’un autre sujet. Puisque vous avez lu le compte rendu de la commission des finances, monsieur le ministre, vous savez que notre groupe est extrêmement attaché à la baisse de la dépense publique, à la poursuite de la diminution des effectifs dans la fonction publique, notamment d’État, et au maintien de cet objectif, et à la baisse de la fiscalité, en particulier des sociétés. Nous serons donc très vigilants, car nous sommes favorables à la baisse de cette imposition.

Pour que nos sociétés ne décrochent pas à l’échelon international par rapport à leurs concurrents, qui sont soumis à des taux d’impôt sur les sociétés – vous l’avez rappelé – beaucoup plus faibles, il est vital qu’elles soient assujetties à un impôt plus faible. Aussi, nous sommes rassurés par le fait que le report de la baisse de l’impôt sur les sociétés – vous avez commencé par cet aspect, parce que vous avez compris que c’était l’élément essentiel, monsieur le ministre – n’était que d’une année.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

L’objectif reste, monsieur le ministre, que, en 2022, nous atteignions un taux d’impôt sur les sociétés raisonnable – beaucoup de mes collègues sur ces travées sont très attachés à cet objectif –, qui sera plus faible que celui de certains pays concurrents, mais qui sera raisonnable ; 25 %, vous l’avez dit.

Pour toutes ces raisons, et dans les conditions que vous avez exposées – le décalage dans le temps et l’engagement de maintenir la baisse de l’impôt sur les sociétés à l’avenir –, le groupe Les Indépendants votera également pour l’article 2 tel que vous le proposez.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Monsieur le ministre, le 6 mars dernier, à l’occasion de la conférence de presse de présentation du présent projet de loi, vous faisiez preuve d’une grande ambition : « nous voulons, avec cette taxation des géants du numérique, inventer la fiscalité du XXIe siècle » ; vous venez de rappeler cette volonté.

Cela dit, plus prosaïquement, ce projet de loi vise surtout à dégager des économies pour financer, en partie, les mesures de pouvoir d’achat adoptées en décembre dernier, au plus fort du mouvement des « gilets jaunes ». Vous l’admettiez vous-même le 6 mars : cette taxe « est une question d’efficacité pour nos finances publiques ». Les mesures de pouvoir d’achat adoptées au travers de deux textes représentent respectivement 3, 7 milliards et 7, 3 milliards d’euros, soit 11 milliards d’euros de nouvelles dépenses.

Le présent projet de loi améliorera, au mieux, les recettes de l’État de 2, 2 milliards d’euros en 2019 : de 1, 7 milliard d’euros au titre du report de la baisse d’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises et de 500 millions d’euros pour la taxe sur les géants du numérique, selon l’estimation très optimiste du Gouvernement. Nous sommes loin de l’équilibre… Nous avons pris bonne note de la volonté du Gouvernement de réaliser 1, 5 milliard d’euros d’économies sur le budget de l’État ; peut-être M. le ministre pourra-t-il nous apporter quelques informations à ce sujet, encore trop peu précisé et documenté.

Les nouvelles mesures annoncées fin avril, à l’issue du grand débat national, vont doubler le montant de la facture, qui sera en réalité essentiellement financée par le déficit public, donc par la dette, les recettes nouvelles discutées ce soir n’ayant qu’un caractère temporaire.

Aujourd’hui, seules les entreprises, notamment les champions français, sont mises à contribution pour payer la baisse de la fiscalité pesant sur les ménages. Cela passe tout d’abord par le report de la baisse de leur fiscalité : quel crédit sera donné, dans la suite du quinquennat, à la parole du Gouvernement ? Cela passe ensuite par une nouvelle taxe, qui affectera non pas uniquement les géants américains, mais aussi des entreprises françaises, et qui ne résoudra aucun des problèmes soulevés par l’e-commerce.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Enfin, cela passera par une future hausse de leur imposition, avec la suppression annoncée de certaines niches fiscales.

Quant à la taxation des Gafa, il s’agit d’un serpent de mer. À l’instar de l’Union européenne ou de l’OCDE, le Sénat réfléchit depuis plusieurs années à la manière de mieux appréhender la capacité contributive des géants du numérique, face au développement rapide de ce secteur de l’économie. Les débats sont toujours très animés.

Les règles internationales en vigueur permettent aux entreprises de rapatrier leurs impôts dans leur pays de production, alors qu’elles ne sont pas ou sont très peu taxées sur leurs lieux de consommation. C’est notamment pour cela qu’une société comme Google, pourtant très internationalisée, paierait, selon les données disponibles, 80 % de ses impôts aux États-Unis.

Par ailleurs, ces sociétés profitent également des disparités des systèmes fiscaux européens pour faire de l’optimisation fiscale en transférant, de manière artificielle mais légale, l’essentiel de leur activité et de leurs bénéfices dans des pays où la fiscalité est plus accueillante, comme en Irlande ou au Luxembourg. Ces transferts sont facilités par le caractère immatériel des prestations commercialisées.

La règle de l’unanimité qui prévaut en matière fiscale au sein de l’Union européenne, cela a été rappelé, n’a pas permis d’aboutir à un accord européen. Le projet de directive de mars 2018, qui prévoyait une taxe sur les services numériques à l’échelle européenne, a été rejeté par plusieurs États membres, notamment l’Irlande et les pays scandinaves. L’accord a été renvoyé à 2021. L’OCDE souhaite, pour sa part, trouver un accord international en 2020.

À ces blocages politiques s’ajoute la difficulté d’établir un diagnostic réel de la fiscalité s’appliquant aujourd’hui aux Gafa. Selon le diagnostic établi par la Commission européenne, les géants du numérique paieraient en moyenne 14 points d’impôts de moins sur leurs bénéfices que les PME européennes : le taux effectif moyen d’imposition des entreprises multinationales du secteur numérique serait en effet de 9, 5 %, à comparer au taux moyen de 23, 2 % pour les entreprises multinationales traditionnelles. Ce constat est contesté par l’Institut économique Molinari : selon cet organisme, les Gafa seraient en réalité imposés en moyenne à hauteur de 24 %, soit autant que les entreprises européennes.

Les chiffres avancés par Bruxelles se fondent sur une étude du cabinet d’audit PwC et du laboratoire allemand de recherche en fiscalité ZEW. Cette étude a consisté à établir des simulations de la fiscalité des entreprises, sur le fondement des législations en vigueur : les auteurs ont ainsi calculé que les entreprises numériques qui font beaucoup de recherche et développement, ou R&D, bénéficient d’une fiscalité très clémente de 12 % en France et de 9 % en Europe, contre 22 % aux États-Unis.

Néanmoins, selon l’Institut économique Molinari, ces avantages fiscaux concernent avant tout les entreprises pharmaceutiques et les biotechs, et visent à aider ces entreprises à financer davantage de recherche, et non les Gafa, qui réalisent l’essentiel de leur R&D en dehors de l’Europe. Les résultats de cet Institut montrent que les Gafa se sont acquittés de 24 % d’imposition sur leurs bénéfices mondiaux durant les cinq et dix dernières années.

Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Cet Institut semble toutefois relativement isolé lorsqu’il écrit que le « niveau de fiscalité [des Gafa], loin d’être anormalement bas, est légèrement supérieur à la fiscalité moyenne constatée dans l’OCDE ».

Monsieur le ministre, pouvez-vous toutefois nous préciser sur quels fondements s’appuie votre appréciation du niveau réel d’imposition des Gafa en France, au regard de la diversité des études portées à la connaissance du Parlement ?

Par ailleurs, s’il peut être vrai que certaines entreprises étrangères font peu de bénéfices en France, ou n’en font pas, et, par conséquent, paient peu d’impôt sur les sociétés en France, elles s’acquittent pour autant de cette obligation ailleurs, conformément aux conventions fiscales négociées par la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Notre pays profite aussi, en toute réciprocité, de ces conventions bilatérales, via le versement de montants d’impôt sur les sociétés très importants acquittés par des groupes français ayant une activité en dehors du territoire français.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Mettre en place une taxation spécifique contrebalançant les accords fiscaux que la France a signés pourrait donc être contre-productif, en provoquant des mesures de rétorsion de nos partenaires commerciaux, notamment des États-Unis. Les réactions américaines ont été très vives après l’annonce de la mise en place de cette taxe sur les services numériques par le gouvernement français, tant dans les milieux économiques que politiques, au Congrès notamment. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne n’a pas souhaité mettre en place une taxe nationale similaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

L’Italie n’applique pas la taxe qu’elle a votée. Seule une solution négociée à l’échelon de l’OCDE permettrait de sortir de cette situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

De surcroît, cette initiative française n’est pas sans poser de problèmes à nos propres entreprises. Faute d’avoir pu obtenir un accord à l’échelon européen, le Gouvernement propose une taxe nationale pour que les Gafa s’acquittent d’un impôt en France. Serait ainsi mise en place une fiscalité temporaire, en attendant une évolution des règles internationales de taxation, à l’échelon de l’OCDE, faute d’accord en Union européenne.

L’assiette de cette taxe va toucher également des entreprises françaises du numérique en pleine croissance, alors même que la France manque encore d’entreprises de taille intermédiaire dans le secteur numérique.

Enfin, une taxe portant sur le chiffre d’affaires plutôt que sur les bénéfices frappera beaucoup plus fortement les entreprises qui ont des charges importantes, comme des locaux ou de nombreux salariés. À ce sujet, je ne peux manquer d’évoquer le risque juridique très sérieux, identifié par notre rapporteur, Albéric de Montgolfier, dont je tiens à souligner la qualité du travail sur un sujet qu’il connaît bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Le seuil d’imposition fondé sur le chiffre d’affaires avantagera les entreprises situées au-dessous de ce seuil et pourrait entraîner une qualification d’aide d’État par la Cour de justice de l’Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Si la taxe était « retoquée » d’ici quelques années, la France devrait alors rembourser le montant des recettes perçues aux entreprises assujetties à la taxe, comme ce fut le cas il n’y a pas si longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Le Gouvernement devrait sécuriser le dispositif en procédant à une notification auprès de la Commission européenne, comme l’y invite notre commission des finances.

Au-delà du risque juridique, cette taxe mal préparée souffre également de difficultés techniques : la taxe sera calculée sur une base déclarative, qui, de manière pratique, sera quasiment impossible à vérifier pour l’administration fiscale. Aujourd’hui, les entreprises concernées ne sont pas encore dotées des outils informatiques permettant la consolidation de leur assiette taxable.

Enfin, le rendement budgétaire de cette mesure pourrait être très inférieur aux recettes attendues. Selon l’Association des services internet communautaires, l’ASIC, entendue par la commission des finances du Sénat, le chiffre d’affaires français des places de marché serait de 1 milliard d’euros en France, celui de la publicité en ligne de 5 milliards d’euros et il n’y aurait pas de vente de données en France. Une taxe de 3 % rapporterait donc seulement 180 millions d’euros, et non 500 millions d’euros en moyenne, comme l’annonce le Gouvernement.

Pour autant, malgré toutes ces réserves, le groupe Les Républicains soutiendra le principe de cette taxe, …

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

… dans le seul espoir qu’elle permette d’accélérer les négociations au sein de l’OCDE.

Monsieur le ministre, il est temps d’inventer cette « fiscalité du XXIe siècle », une fiscalité qui n’ait pas seulement un objectif de rendement, aussi faible soit-il, mais également un objectif d’égalité. Les commerçants de nos centres-villes déplorent trop souvent l’inégalité entre leur régime fiscal et celui des géants du numérique ; ce projet de loi ne règle aucun des problèmes soulevés par le e-commerce.

Le présent projet de loi contient une seconde mesure qui aura, elle aussi, un impact sur nos entreprises : son article 2 annule la baisse, prévue en 2019, de 33, 3 % à 31 %, du taux de l’impôt sur les sociétés, pour l’ensemble des entreprises réalisant un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros. L’engagement présidentiel d’Emmanuel Macron était une baisse de l’impôt sur les sociétés de 33, 3 % à 25 % en 2022, en passant par 31 % en 2019, conformément à la trajectoire définie dans la loi de finances pour 2018. En 2020, il était prévu que l’impôt sur les sociétés diminuerait à 28 %, mais, encore une fois, cela pourrait ne pas concerner toutes les entreprises.

Monsieur le ministre, lors de la discussion du présent projet de loi à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré : « Je ne saurais prendre l’engagement que nous reprendrons, pour les seules entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, exactement la même trajectoire dans le PLF pour 2020 que dans le PLF pour 2018. » La mesure temporaire pour 2019 pourrait donc être reconduite dans le prochain projet de loi de finances.

Confirmez-vous donc, monsieur le ministre, les propos tenus à l’Assemblée nationale, alors même que vous venez de nous affirmer à l’instant que, tant que vous serez ministre, la politique de l’offre ne serait pas remise en cause et que le taux de 25 % serait applicable à toutes les entreprises en 2022 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Les entreprises ont besoin de visibilité, et nous ne pouvons changer chaque année la trajectoire annoncée. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains est opposé à cet article.

Les mesures de baisse de la fiscalité pesant sur les ménages ne doivent pas être compensées par des hausses de la fiscalité des entreprises. Notre niveau de fiscalité est le plus élevé du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Mme Christine Lavarde. Nous devons globalement le faire diminuer. C’est à l’État de prendre ses responsabilités ; il ne faut plus attendre pour mettre en œuvre de réelles économies, ce sont les seules mesures viables à long terme. Augmenter les impôts relève uniquement d’une vision de court terme ; les Français attendent un autre scénario que celui qui s’est déjà joué sous le quinquennat précédent.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit est court ; il comporte deux articles : l’un concerne la création d’une taxe sur les services numériques, l’autre modifie la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Monsieur le ministre, vous les justifiez comme étant des mesures de rendement, de justice fiscale et de réponse aux décisions prises en décembre 2018 en faveur du pouvoir d’achat des ménages pour répondre à l’urgence sociale. Le rendement de l’une des mesures est estimé à 400 millions d’euros, celui de l’autre à 1, 7 milliard d’euros. Vous eussiez pu rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ; le rendement en eût été supérieur, avec 3, 7 milliards d’euros…

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Je ne reviens pas sur les propos de Rémi Féraud, que je partage.

Au travers de l’article 2, vous rompez pour un an l’engagement pris par les différents gouvernements de baisse de l’impôt sur les sociétés. Pourquoi pas ? Le groupe socialiste et républicain déterminera sa position selon le maintien ou non de cette mesure par la majorité sénatoriale.

Avec l’article 1er, il s’agit d’un sujet beaucoup plus large, celui de la taxation des profits liés à la numérisation de l’économie, dans laquelle le monde est engagé. À la question « La France s’apprête à taxer les Gafa. Est-ce une bonne idée ? », Jean-Baptiste Rudelle, PDG de Criteo, répondait dans un entretien au journal Les Échos : « C’est la mauvaise réponse à deux bonnes questions. La première est une question générale qui concerne la taxation des multinationales. Sur un plan moral, il est normal que toutes les entreprises paient des impôts. […] C’est un devoir, mais la réponse passe par une approche globale sur laquelle travaille l’OCDE. La seconde question est plus spécifiquement liée au monde du numérique. Les Gafa utilisent leur position dominante pour verrouiller une grosse partie de l’écosystème digital. Cela pose un vrai problème de souveraineté. »

La fiscalité est devenue un sujet de préoccupation et les États n’ont pas su réagir rapidement à la mondialisation de l’économie et à la dérégulation financière ; ils sont plus rapides pour soutenir les banques, comme lors de la crise financière de 2007 et 2008…

Nos systèmes fiscaux nationaux sont fondés sur une économie industrielle de production. Or l’introduction de l’internet et la numérisation de l’économie ont bouleversé un système fondé sur des conventions internationales, dont le modèle est issu de la crise de 1929. Ce modèle prévoit qu’une entreprise étrangère n’est taxable sur un territoire que lorsqu’elle y a un établissement stable, une présence physique. L’article 209 du code général des impôts correspond à ce principe : sont assujettis à l’impôt sur les sociétés les bénéfices tirés de l’exploitation d’une entreprise en France. Les décisions de justice récemment rendues à propos de Google démontrent, s’il en était besoin, les lacunes des conventions internationales et de notre droit fiscal.

Votre proposition est une avancée, monsieur le ministre, même si nous regrettons cette politique des très petits pas. Nous ne pouvons que vous encourager dans la voie ouverte, même si le Sénat avait déjà adopté, lors du débat sur la loi de finances pour 2019, un article destiné à avancer sur la voie de la taxation. Par ailleurs, en mai 2018, nous avions également soutenu la proposition de résolution européenne sur la directive du Conseil de l’Union concernant le projet d’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés, ou Accis.

Nous déplorons la lenteur des décisions à l’échelon européen, puisque l’OCDE entendait assurer dès 2012, dans son projet BEPS, que les bénéfices soient imposés là où ils sont dégagés. La cinquième des quinze actions proposées prévoyait de « lutter […] contre les pratiques fiscales dommageables », donc contre l’optimisation fiscale agressive, et il était également question d’empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales.

Nous ne pouvons que vous encourager à persévérer dans le soutien aux démarches de l’OCDE et à appuyer le travail remarquable de M. Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

La France présidera le prochain G7. Le Président de la République se préoccupe lui-même de l’organisation de ce sommet en se rendant sur place, à Biarritz. Nous souhaitons qu’il s’active aussi fermement sur cette question. Vous nous avez un tout petit peu rassurés à cet égard, monsieur le ministre.

Sur le projet Accis, mis sur la table en mars 2018, l’Union européenne se heurte à la règle de l’unanimité des États membres en matière fiscale. Dans le cadre du débat actuel sur l’Europe, la bataille relative à la majorité qualifiée fait rage ; adopter une telle règle est une nécessité. En effet, la reconnaissance d’un établissement stable virtuel, au travers de la notion de présence numérique significative, nous paraît déterminante, et notre soutien vous est acquis en la matière. Il convient de donner une impulsion.

Israël, en 2016, et l’Inde – troisième écosystème mondial, avec 250 licornes et 7 400 start-up –, en 2018, ont introduit de tels dispositifs dans leur législation en dépit des lenteurs liées à la renégociation des conventions fiscales internationales. C’est un signal encourageant.

Nous le constatons, les positions des États évoluent en fonction de leurs intérêts propres. La réforme de la fiscalité américaine de décembre 2017, destinée à attirer les actifs incorporels et les bénéfices sur son sol en les rapatriant des paradis fiscaux et à sécuriser l’assiette imposable, en est l’expression.

Nous ne pouvons que soutenir votre démarche ; c’est une avancée que nous approuvons. Néanmoins, le groupe socialiste et républicain attendra, pour se déterminer définitivement, même si son a priori est favorable, l’issue des débats et les inflexions que pourrait apporter la majorité sénatoriale au texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le chapitre II du titre II de la première partie du livre Ier est ainsi rétabli :

« CHAPITRE II

« Taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique

« Art. 299. – I. – Il est institué, pour les années 2019 à 2021, une taxe due à raison des sommes encaissées par les entreprises du secteur numérique définies au III, en contrepartie de la fourniture en France, au cours d’une année civile, des services définis au II.

« II. – Les services taxables sont :

« 1° La mise à disposition, par voie de communications électroniques, d’une interface numérique qui permet aux utilisateurs d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs et d’interagir avec eux, notamment en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services directement entre ces utilisateurs. Toutefois, la mise à disposition d’une interface numérique n’est pas un service taxable :

« a) Lorsque la personne qui réalise cette mise à disposition utilise l’interface numérique à titre principal pour fournir aux utilisateurs :

« – des contenus numériques ;

« – des services de communications ;

« – des services de paiement, au sens de l’article L. 314-1 du code monétaire et financier ;

« b) Lorsque l’interface numérique est utilisée pour gérer les systèmes et services suivants :

« – les systèmes de règlements interbancaires ou de règlement et de livraison d’instruments financiers, au sens de l’article L. 330-1 du même code ;

« – les plates-formes de négociation définies à l’article L. 420-1 dudit code ou les systèmes de négociation des internalisateurs systématiques définis à l’article L. 533-32 du même code ;

« – les activités de conseil en investissements participatifs, au sens de l’article L. 547-1 du même code, et, s’ils facilitent l’octroi de prêts, les services d’intermédiation en financement participatif, au sens de l’article L. 548-1 du même code ;

« – les autres systèmes de mise en relation, mentionnés dans un arrêté du ministre chargé de l’économie, dont l’activité est soumise à autorisation et l’exécution des prestations soumise à la surveillance d’une autorité de régulation en vue d’assurer la sécurité, la qualité et la transparence de transactions portant sur des instruments financiers, des produits d’épargne ou d’autres actifs financiers ;

« c) Lorsque cette mise à disposition n’est pas un service qui relève du 2° du présent II et que l’interface numérique a pour objet de permettre l’achat ou la vente de prestations visant à placer des messages publicitaires dans les conditions prévues au même 2° ;

« 2° Les services commercialisés auprès des annonceurs, ou de leurs mandataires, visant à placer sur une interface numérique des messages publicitaires ciblés en fonction de données relatives à l’utilisateur qui la consulte et collectées ou générées à l’occasion de la consultation de telles interfaces. Ces services peuvent notamment comprendre les services d’achat, de stockage et de diffusion de messages publicitaires, de contrôle publicitaire et de mesures de performance ainsi que les services de gestion et de transmission de données relatives aux utilisateurs.

« Sont exclus des services taxables les services mentionnés aux 1° et 2° du présent II fournis entre entreprises appartenant à un même groupe, au sens du dernier alinéa du III.

« III. – Les entreprises mentionnées au I sont celles, quel que soit leur lieu d’établissement, pour lesquelles le montant des sommes encaissées en contrepartie des services taxables lors de l’année civile précédant celle mentionnée au même I excède les deux seuils suivants :

« 1° 750 millions d’euros au titre des services fournis au niveau mondial ;

« 2° 25 millions d’euros au titre des services fournis en France, au sens de l’article 299 bis.

« Pour les entreprises, quelle que soit leur forme, qui sont liées, directement ou indirectement, au sens du II de l’article L. 233-16 du code de commerce, le respect des seuils mentionnés aux 1° et 2° du présent III s’apprécie au niveau du groupe qu’elles constituent.

« Art. 299 bis. – I. – Pour l’application du présent chapitre :

« 1° La France s’entend du territoire national, à l’exception des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, de la Nouvelle-Calédonie, des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton ;

« 2° L’utilisateur d’une interface numérique est localisé en France s’il la consulte au moyen d’un terminal situé en France ;

« 3° Les encaissements versés en contrepartie de la fourniture d’un service taxable défini au 1° du II de l’article 299 s’entendent de l’ensemble des sommes versées par les utilisateurs de cette interface, à l’exception de celles versées en contrepartie de biens ou de services dont l’achat n’est pas indispensable à l’utilisation de l’interface et n’en permet pas une utilisation dans de meilleures conditions ;

« 4° Les encaissements versés en contrepartie de la fourniture d’un service taxable défini au 2° du même II s’entendent de l’ensemble des sommes versées par les annonceurs, ou leurs mandataires, en contrepartie de la réalisation effective du placement des messages publicitaires ou permettant de réaliser un tel placement dans de meilleures conditions.

« II. – Les services taxables mentionnés au 1° du II de l’article 299 sont fournis en France au cours d’une année civile si :

« 1° Lorsque l’interface numérique permet la réalisation, entre utilisateurs de l’interface, de livraisons de biens ou de prestations de services, une telle opération est conclue au cours de cette année par un utilisateur localisé en France ;

« 2° Lorsque l’interface numérique ne permet pas la réalisation de livraisons de biens ou de prestations de services, un de ses utilisateurs dispose au cours de cette année d’un compte ayant été ouvert depuis la France et lui permettant d’accéder à tout ou partie des services disponibles sur cette interface.

« III. – Les services taxables mentionnés au 2° du II de l’article 299 sont fournis en France au cours d’une année civile si :

« 1° Pour les services autres que ceux mentionnés au 2° du présent III, un message publicitaire est placé au cours de cette année sur une interface numérique consultée par un utilisateur localisé en France ;

« 2° Pour les ventes de données qui ont été générées ou collectées à l’occasion de la consultation d’interfaces numériques par des utilisateurs, des données vendues au cours de cette année sont issues de la consultation d’une de ces interfaces par un utilisateur localisé en France.

« IV. – Lorsqu’un service taxable mentionné au II de l’article 299 est fourni en France au cours d’une année civile au sens des II ou III du présent article, le montant des encaissements versés en contrepartie de cette fourniture est défini comme le produit de la totalité des encaissements versés au cours de cette année en contrepartie de ce service par le pourcentage représentatif de la part de ces services rattachée à la France évalué lors de cette même année. Ce pourcentage est égal :

« 1° Pour les services mentionnés au 1° du II, à la proportion des opérations de livraisons de biens ou de fournitures de services pour lesquelles l’un des utilisateurs de l’interface numérique est localisé en France ;

« 2° Pour les services mentionnés au 2° du même II, à la proportion des utilisateurs qui disposent d’un compte ayant été ouvert depuis la France et permettant d’accéder à tout ou partie des services disponibles à partir de l’interface et qui ont utilisé cette interface durant l’année civile concernée ;

« 3° Pour les services mentionnés au 1° du III, à la proportion des messages publicitaires placés sur une interface numérique consultée par un utilisateur localisé en France ;

« 4° Pour les services mentionnés au 2° du même III, à la proportion des utilisateurs pour lesquels tout ou partie des données vendues ont été générées ou collectées à l’occasion de la consultation, lorsqu’ils étaient localisés en France, d’une interface numérique.

« V. – Les modalités permettant d’apprécier la consultation d’une interface numérique au moyen d’un terminal situé en France sont fixées par un décret en Conseil d’État.

« Art. 299 ter. – Le fait générateur de la taxe prévue à l’article 299 est constitué par l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle l’entreprise définie au III du même article 299 a encaissé des sommes en contrepartie de la fourniture en France de services taxables. Toutefois, en cas de cessation d’activité du redevable, le fait générateur de la taxe intervient lors de cette cessation.

« Le redevable de la taxe est la personne qui encaisse les sommes. La taxe devient exigible lors de l’intervention du fait générateur.

« Art. 299 quater. – I. – La taxe prévue à l’article 299 est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, tel que défini au IV de l’article 299 bis, des sommes encaissées par le redevable, lors de l’année au cours de laquelle la taxe devient exigible, en contrepartie d’un service taxable fourni en France.

« Toutefois, ne sont pas prises en compte les sommes versées en contrepartie de la mise à disposition d’une interface numérique qui facilite la vente de produits soumis à accises, au sens du 1 de l’article 1er de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, lorsqu’elles présentent un lien direct et indissociable avec le volume ou la valeur de ces ventes.

« II. – Le montant de la taxe est calculé en appliquant à l’assiette définie au I un taux de 3 %.

« Art. 299 quinquies. – Pour l’application du présent chapitre, les sommes encaissées dans une monnaie autre que l’euro sont converties en appliquant le dernier taux de change publié au Journal officiel de l’Union européenne, connu au premier jour du mois au cours duquel les sommes sont encaissées.

« Art. 300. – I. – La taxe prévue à l’article 299 est déclarée et liquidée par le redevable selon les modalités suivantes :

« 1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287, sur l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois de mars ou du premier trimestre de l’année qui suit celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible ;

« 2° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A, sur la déclaration annuelle mentionnée au 3 de l’article 287 déposée au titre de l’exercice au cours duquel la taxe est devenue exigible ;

« 3° Dans tous les autres cas, sur l’annexe à la déclaration prévue au 1 du même article 287, déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable, au plus tard le 25 avril de l’année qui suit celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible.

« II. – La taxe est acquittée dans les conditions prévues à l’article 1693 quater, sauf par les redevables soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A, pour lesquels elle est acquittée dans les conditions prévues à l’article 1692. Sans préjudice des dispositions prévues aux articles L. 16 C et L. 70 A du livre des procédures fiscales, elle est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que les taxes sur le chiffre d’affaires. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à ces mêmes taxes.

« III. – Tant que le droit de reprise de l’administration est susceptible de s’exercer, conformément à l’article L. 177 A du livre des procédures fiscales, les redevables conservent, à l’appui de leur comptabilité, l’information des sommes encaissées mensuellement en contrepartie de chacun des services taxables fournis, en distinguant celles se rapportant à un service fourni en France, au sens des II et III de l’article 299 bis du présent code et, le cas échéant, celles exclues de l’assiette en application du second alinéa du I de l’article 299 quater, ainsi que les éléments quantitatifs mensuels utilisés pour calculer les proportions prévues au IV de l’article 299 bis. L’information sur les sommes encaissées mensuellement précise, le cas échéant, le montant encaissé dans une monnaie autre que l’euro et le montant converti en euro selon les modalités prévues à l’article 299 quinquies, en faisant apparaître le taux de change retenu en application du même article 299 quinquies.

« Ces informations sont tenues à la disposition de l’administration et lui sont communiquées à première demande.

« IV. – Lorsque le redevable n’est pas établi dans un État membre de l’Union européenne ou dans tout autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi qu’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement de l’impôt, il fait accréditer auprès du service des impôts compétent un représentant assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée établi en France, qui s’engage, le cas échéant, à remplir les formalités au nom et pour le compte du représenté et à acquitter la taxe à sa place. » ;

2° Le II quater de la section II du chapitre Ier du livre II est ainsi rétabli :

« II quater : Régime spécial de la taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique

« Art. 1693 quater. – I. – Les redevables de la taxe prévue à l’article 299 autres que ceux soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A acquittent cette taxe au moyen de deux acomptes versés lors de l’année au cours de laquelle elle devient exigible et au moins égaux à la moitié du montant dû au titre de l’année précédente.

« Le premier acompte est versé lors de la déclaration de la taxe devenue exigible l’année précédente.

« Le second acompte est versé :

« 1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois de septembre ou du troisième trimestre de l’année ;

« 2° Dans les autres cas, au plus tard le 25 octobre, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration prévue au même 1 déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable.

« II. – Les redevables qui estiment que le paiement d’un acompte conduirait à excéder le montant de la taxe définitivement dû peuvent surseoir au paiement de ce dernier ou minorer son montant.

« Lorsqu’un redevable fait usage de la faculté prévue au premier alinéa du présent II et que le montant de la taxe finalement dû est supérieur de plus de 20 % au montant des acomptes versés, l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 et la majoration prévue à l’article 1731 sont applicables.

« L’intérêt de retard et la majoration mentionnés au deuxième alinéa du présent II sont appliqués à la différence positive entre, d’une part, la somme du montant de chacun des deux acomptes qui auraient été versés en l’absence de modulation à la baisse et, d’autre part, la somme du montant de chacun des deux acomptes effectivement versés.

« III. – Le montant de taxe dû est régularisé lorsqu’elle est déclarée. Le cas échéant, les montants à restituer aux redevables sont imputés sur l’acompte acquitté lors de cette déclaration puis, si nécessaire, sur celui acquitté postérieurement la même année ou, en cas d’absence ou d’insuffisance des acomptes, remboursés.

« Art. 1693 quater A. – En cas de cessation d’activité du redevable, le montant de la taxe prévue à l’article 299 qui est dû au titre de l’année de cessation d’activité est établi immédiatement. Elle est déclarée, acquittée et, le cas échéant, régularisée selon les modalités prévues pour la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable ou, à défaut, dans les soixante jours suivant la cessation d’activité.

« Art. 1693 quater B. – I. – Un redevable de la taxe prévue à l’article 299 qui n’est pas soumis au régime réel simplifié d’imposition prévu à l’article 302 septies A peut choisir de déclarer et d’acquitter la taxe pour l’ensemble des redevables du groupe, au sens du dernier alinéa du IV de l’article 299, auquel il appartient. Dans ce cas, l’article 1693 ter ne s’applique pas à cette taxe.

« Cette option est exercée avec l’accord de l’ensemble des redevables du groupe concerné.

« II. – Le redevable recourant à l’option prévue au I du présent article formule sa demande auprès du service des impôts dont il dépend. Cette option prend effet pour les paiements et remboursements intervenant à compter de la déclaration déposée l’année suivant la réception de la demande par ce service.

« III. – L’option est exercée pour au moins trois années.

« Le redevable renonçant à l’option formule sa demande de renonciation auprès du service des impôts dont il dépend. Cette renonciation prend effet pour les paiements et remboursements intervenant à compter de la déclaration de l’année déposée l’année suivant la réception de la demande par ce service.

« L’option s’applique pour la taxe due par tout nouveau membre du groupe concerné. En cas de désaccord de ce dernier, il est renoncé à l’option dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent III.

« IV. – La déclaration déposée par le redevable recourant à l’option mentionne les montants dus par chaque membre du groupe.

« V. – Le redevable recourant à l’option prévue au I obtient les remboursements de la taxe due par les redevables membres du groupe consolidé, le cas échéant, par imputation des montants dus par les autres membres et acquitte les droits et les intérêts de retard et pénalités prévus au chapitre II du présent livre en conséquence des infractions commises par les redevables membres du groupe.

« VI. – Chaque redevable membre du groupe est tenu solidairement avec le redevable recourant à l’option prévue au I au paiement de la taxe et, le cas échéant, des intérêts de retard et pénalités correspondants que le redevable recourant à l’option prévue au même I est chargé d’acquitter, à hauteur des droits, intérêts et pénalités dont le redevable membre du groupe serait redevable si l’option mentionnée audit I n’avait pas été exercée. » ;

3° À l’article 302 decies, après les mots : « des articles », est insérée la référence : « 299, » ;

Supprimé

II. – Le titre II de la première partie du livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

1° Le I ter de la section II du chapitre Ier est ainsi rétabli :

« I ter : Taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique

« Art. L. 16 C. – L’administration fiscale peut demander au redevable de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts des justifications sur tous les éléments servant de base au calcul de cette taxe sans que cette demande constitue le début d’une vérification de comptabilité ou d’un examen de comptabilité.

« Cette demande indique expressément au redevable les points sur lesquels elle porte et lui fixe un délai de réponse, qui ne peut être inférieur à deux mois.

« Lorsque le redevable n’a pas répondu ou a répondu de façon insuffisante à la demande de justifications dans le délai prévu par celle-ci, l’administration fiscale lui adresse une mise en demeure de produire ou de compléter sa réponse dans un délai de trente jours, en précisant, le cas échéant, les compléments de réponse souhaités. Cette mise en demeure mentionne la procédure de taxation d’office prévue à l’article L. 70 A du présent livre. » ;

bis Après le troisième alinéa de l’article L. 48, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour le redevable membre d’un groupe mentionné à l’article 1693 quater B du code général des impôts, l’information prévue au premier alinéa du présent article porte, en ce qui concerne la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts et les pénalités correspondantes, sur les montants dont ce redevable serait redevable en l’absence d’appartenance au groupe. » ;

1° ter

2° Le B du I de la section V du même chapitre Ier est complété par un article L. 70 A ainsi rédigé :

« Art. L. 70 A. – Lorsque, dans les trente jours de la réception de la mise en demeure mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 16 C, le redevable s’est abstenu de répondre, n’a pas complété sa réponse ou l’a complétée de manière insuffisante, l’administration fiscale peut procéder à la taxation d’office du redevable au titre de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts. » ;

3° L’article L. 177 A est ainsi rétabli :

« Art. L. 177 A. – Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 176, pour la taxe sur certains services fournis par les grandes entreprises du secteur numérique prévue à l’article 299 du code général des impôts, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la sixième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions de l’article 299 ter du même code.

« Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 176 du présent livre, pour la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la dixième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément à l’article 299 ter du même code. »

II bis. – Après le douzième alinéa de l’article L. 137-33 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les redevables de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts peuvent déduire de la contribution, dans la limite de son montant, la taxe qu’ils ont acquittée au titre de l’année pour laquelle la contribution est due. »

III. – La taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts due au titre de l’année 2019 donne lieu au paiement d’un acompte unique, acquitté dans les conditions que l’article 1693 quater du même code prévoit pour le second acompte.

Il est égal au montant de la taxe qui aurait été liquidée sur la base des sommes encaissées en 2018 en contrepartie du ou des services taxables fournis en France. Le pourcentage représentatif de la part des services rattachés à la France défini au IV de l’article 299 bis dudit code est évalué lors de la période comprise entre le lendemain de la publication de la présente loi et le 30 septembre 2019.

Pour l’assujettissement et la liquidation de la taxe prévue à l’article 299 du code général des impôts due au titre de l’année 2019, le pourcentage représentatif de la part des services rattachés à la France défini au IV de l’article 299 bis du même code est évalué lors de la période comprise entre le lendemain de la publication de la présente loi et le 31 décembre 2019.

IV. – L’option prévue à l’article 1693 quater B du code général des impôts peut, pour la taxe prévue à l’article 299 du même code due au titre de l’année 2019, être exercée jusqu’au 30 septembre 2019 et prend effet à partir du premier paiement à compter de cette date.

V. – Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 septembre de chaque année, un rapport sur les négociations conduites au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques pour identifier et mettre en œuvre une solution internationale coordonnée destinée à renforcer l’adéquation des règles fiscales internationales aux évolutions économiques et technologiques modernes. Ce rapport précise notamment, pour chaque proposition figurant dans le document de consultation publique de février 2019 ou toute autre proposition postérieure, la position de la France, de l’Union européenne et de chaque juridiction fiscale participant à ces travaux et la motivation de chacune de ces positions, l’état d’avancement des négociations, les perspectives d’aboutissement et l’impact budgétaire, fiscal, administratif et économique pour la France et les entreprises françaises. Il rend compte aussi, le cas échéant, des progrès des travaux menés sur ces questions dans le cadre de l’Union européenne ou tout autre cadre international pertinent.

Il fait également état de l’incidence de ces négociations sur la taxe sur les services numériques prévue à l’article 299 du code général des impôts et indique, le cas échéant, la date à laquelle un nouveau dispositif mettant en œuvre la solution internationale coordonnée pourrait se substituer à cette taxe.

Il peut faire l’objet de débats dans les conditions prévues par les règlements des assemblées parlementaires.

VI. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de la déductibilité de la taxe sur les services numériques sur la contribution sociale de solidarité des sociétés est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Je souhaite intervenir à ce stade de la discussion pour évoquer deux amendements que j’avais déposés sur le présent texte et qui n’ont pas pu être retenus, car ils ont été considérés comme aggravant une charge publique au sens de l’article 40 de la Constitution.

Pourtant, mon premier amendement avait pour objet le versement d’une part des résultats de la taxe perçue au titre de l’article 299 nouveau du code général des impôts au Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT. Ce Fonds, institué par l’article 24 de la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, n’est, dix ans plus tard, toujours pas alimenté. Le produit de la taxe imaginée résulte de l’activité économique numérique réalisée en France et, par conséquent, de l’accès généralisé aux outils de communication électronique en très haut débit sur notre territoire, objet même de l’existence du FANT via la contribution au financement des travaux de réalisation des infrastructures et réseaux de communications électroniques.

Comme indiqué dans le code général des impôts, la réalisation des services taxables est liée à l’accès des utilisateurs aux interfaces numériques, par voie de communications électroniques ; cela implique l’installation de la fibre optique jusqu’au domicile pour tous. L’abondement du FANT, créé pour la bonne réalisation des réseaux de télécommunications envisagés par les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, aurait ainsi permis de prolonger le financement du plan France très haut débit au-delà de l’objectif 2022, afin de tendre vers 100 % de fibre optique jusqu’au domicile, ou FTTH. Cela aurait en outre envoyé un signal fort aux collectivités territoriales chargées de réaliser le déploiement de cette technologie sur la partie publique du réseau, en y intégrant les investissements ultérieurs nécessaires et les actions d’inclusion numérique.

Sous réserve d’un nouveau dispositif européen en vue d’une harmonisation fiscale substituable à cette taxe, le FANT aurait ainsi pu être abondé postérieurement à 2022, pour la bonne réalisation des schémas directeurs des usages et services en jeu, après la couverture numérique des territoires spécifiée à l’article 33 de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne.

Le second amendement que j’avais déposé avait pour objet d’établir les modalités de calcul de la part du produit de la taxe destinée à l’abondement du FANT. Au-delà du prolongement du plan France très haut débit, il est nécessaire d’appréhender le coût particulier d’exploitation dans la durée. Le fibrage de l’ensemble des foyers français, y compris ceux qui sont les plus coûteux à raccorder, bénéficiera à tous, et principalement aux entreprises ciblées par le présent projet de loi.

Ainsi, par analogie avec le Fonds d’amortissement des charges d’électrification, le FACÉ, créé dès 1936 et dont l’objet est le versement de subventions aux collectivités, il serait judicieux et opportun que la taxe versée par les entreprises proposant leurs services numériques grâce à ces réseaux de télécommunication soit en partie affectée à l’extension et à la pérennité de ces derniers, afin de tendre vers une péréquation motrice d’une société numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Je tenais, au travers de cette invention, à vous sensibiliser, monsieur le ministre, à ces dispositions et à la réouverture du guichet du plan France très haut débit, indispensable à la réussite du plan que vous soutenez.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Cela fait deux ans, monsieur le ministre, que vous bataillez sur cette question, et vous avez plutôt bien progressé, puisque vous en êtes à vingt-quatre pays en faveur de ce dispositif.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Pourquoi ne le mettent-ils pas en place, s’ils y sont favorables ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Malheureusement, c’est insuffisant et, en raison de la règle de l’unanimité, nous ne pouvons pas le faire passer au niveau européen.

Le texte qui nous est soumis est une bonne réponse, je crois, à la demande de justice fiscale. Il n’est pas acceptable que les entreprises multinationales du secteur numérique soient en moyenne taxées à 9, 5 %, alors que les autres, vous l’avez dit, le sont à 23 %. J’ai quelques chiffres : Apple a réalisé, en 2017, un chiffre d’affaires en France de 4 milliards d’euros, mais son chiffre d’affaires déclaré s’est élevé à 700 millions d’euros, Netflix n’a déclaré aucun bénéfice, et Google contrôle 90 % du marché de la publicité sur internet. On le voit bien, au travers de toutes les techniques que vous connaissez, dont le fameux sandwich irlandais, …

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

… ou hollandais, tous les bénéfices s’évadent d’abord vers les Pays-Bas, puis vers l’Irlande, et enfin disparaissent aux Bahamas.

Le dispositif prévu à l’article 1er s’inspire très largement de celui de la Commission européenne. Il n’est pas parfait, et nous avons à l’esprit qu’il a un caractère provisoire, l’objectif étant d’aboutir très rapidement à une solution multilatérale ; toutefois, à titre personnel, j’ai des doutes ou des réserves quant au fait que les États-Unis, dans le cadre de l’OCDE, soient absolument débordants de joie pour adopter une législation qui vise principalement leurs propres entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Le Gouvernement a retenu comme assiette le chiffre d’affaires et non les bénéfices ; je pense que c’est un choix judicieux, car cela évite la neutralisation du dispositif par les conventions fiscales.

Certains de nos collègues veulent étendre le champ d’application de la taxe au-delà du seul secteur des services, quand d’autres proposent, à l’inverse, de le restreindre. Pour ma part, je pense que le dispositif actuel est équilibré.

Le taux retenu est raisonnable ; il est calqué sur celui qui figure dans la directive européenne. Je ne suis pas favorable aux différents amendements ayant pour objet de le porter à 3, 5 %, à 4 %, voire à 4, 5 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

D’autres ont largement débordé, madame la présidente !

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Enfin, nul ne peut se prévaloir de la turpitude d’autrui…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je conclus, madame la présidente.

Certains craignaient que la taxe sur les services numériques ne constitue une aide d’État ; c’est au contraire la possibilité d’imputer le montant de la taxe sur la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S, qui risquerait de conférer à cette taxe le caractère d’une aide d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

J’ai fait preuve de beaucoup de générosité à votre égard, cher collègue…

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

À plusieurs reprises, nous avons débattu à l’occasion de la loi de finances de la question de la taxation des Gafa et, à plusieurs reprises, le Sénat a voté des amendements tendant à prévoir la taxation de ces fameuses grandes entreprises du numérique, notamment sur la base du chiffre d’affaires, en s’appuyant sur les travaux de la Commission européenne.

Encore lors de l’examen de la dernière loi de finances, M. de Montgolfier nous avait opposé les mêmes arguments : nous ne pouvons pas être les seuls à le faire en Europe ; nous ne pouvons pas le faire sans l’OCDE ; donc, attendons !

Je me réjouis de constater que le Gouvernement, qui, à l’époque, semblait penser la même chose, est aujourd’hui convaincu de la thèse que nous avions défendue et votée en séance budgétaire, à savoir que la France doit prendre une initiative, même si elle est plus ou moins isolée – nous savons que des travaux sont en cours en Italie et en Grande-Bretagne sur ces sujets –, pour instaurer un rapport de force et répondre à l’aspiration exprimée par nos concitoyens.

Aujourd’hui, je pense qu’il faut veiller à ne pas faire « comme si ». Tous ceux qui nous expliquent que nous parviendrons à un accord européen nous trompent.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

On sait pertinemment, non seulement que certains pays comme le Luxembourg ne bougeront pas et feront jouer le principe d’unanimité, mais aussi, monsieur le ministre, que vous avez obtenu avec l’Allemagne un accord a minima par rapport à la directive initiale, dont le champ était plus large et les recettes plus vastes, M. Trump ayant fait pression sur Mme Merkel en menaçant l’Allemagne, si elle acceptait une taxation des Gafa, de pénaliser les exportations de voitures allemandes.

Donc, ne faisons pas « comme si » ! Et ce d’autant que les traités existants imposent l’harmonisation. Bien sûr, nous pouvons sortir des traités – je plaide pour cette sortie –, mais la situation n’est pas celle-là !

Il en va de même pour l’OCDE. J’espère, bien sûr, que la raison va l’emporter, qu’un accord à l’OCDE pourra être trouvé, et je ne conteste pas votre détermination à défendre cette position, monsieur le ministre. Mais, comme l’a suggéré M. Yung, je serais vraiment très surprise que le Président Trump se mette en situation…

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

… de voir une taxation adéquate adoptée au sein de l’OCDE.

Je présenterai donc, avec le groupe CRCE, plusieurs amendements. Il s’agit…

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

… de taxer selon la directive européenne et de ne pas reculer sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Monsieur le ministre, vous avez rappelé, avec un certain brio, l’histoire de cette taxe. Vous en avez été le promoteur. J’entends par là que vous avez essayé de convaincre nos partenaires européens, au nom d’une certaine équité fiscale, de faire en sorte que des entreprises ne s’acquittant pas de l’impôt puissent néanmoins contribuer, comme les autres, à l’effort national. Pour autant, une fois le contexte et le cheminement précisés, on s’aperçoit que la France est seule, au bout du compte.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Comme nous l’étions pour la taxe de 3 % sur les dividendes !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dominati

Le rapporteur l’a bien souligné, nous sommes le seul pays à créer une telle taxe, espérant ainsi faire bouger les autres.

Cette solitude, dans le contexte que nous connaissons, me préoccupe. Non seulement nous sommes seuls, mais il existe en plus une fragilité juridique, qui pourrait contraindre de prochains gouvernements à rembourser les entreprises ayant payé cette taxe, avec des conséquences sur les finances publiques et, donc, sur la charge supportée par nos concitoyens.

Mais là n’est pas le problème le plus essentiel. Le problème, mes chers collègues, est de savoir si cette taxe pèsera sur les services numériques – ce qui ne posera de problème à personne – ou sur les Français et les entreprises françaises utilisant les services numériques. Je crains effectivement que les entreprises françaises puissent être pénalisées par rapport à leurs concurrentes européennes, car les Gafa auront augmenté de 3 % ou 5 % les tarifs proposés, sur le territoire national, à ces entreprises françaises. Les PME seront plus particulièrement touchées.

Sur ces sujets, monsieur le ministre, vous ne nous donnez aucune assurance, aucune réponse : circulez, il n’y a rien à voir ! En réalité, ce sont les Français qui, une fois de plus, vont payer la taxe.

Enfin, le rapporteur l’a expliqué en commission, cette taxe concerne, pour seulement 20 %, les Gafa. Ainsi, 80 % des recettes seront tirées d’autres entreprises. Autrement dit, on donne un titre, mais le titre ne correspond pas à l’objectif.

J’ai donc, pour ma part, de très nombreuses réserves, y compris sur l’article 1er, compte tenu de l’isolement de la France, de l’existence d’un risque juridique et du fait que, en réalité, les Français ou les entreprises françaises vont payer.

On évoque l’attractivité fiscale de notre pays, et on crée une taxe nouvelle ! La France se distingue par sa créativité fiscale – c’est notre particularité –, mais, là, monsieur le ministre, je ne vous suis pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Je voudrais vous féliciter, monsieur le ministre, sans ironie aucune. Vous êtes effectivement en train de casser une rhétorique qu’on entend depuis vingt ans dans la bouche des différents ministres qui se succèdent – ce n’est pas propre à votre gouvernement. Chaque fois que nous posons un problème, on nous explique que nous avons raison, mais qu’il est impossible de faire quoi que ce soit. En effet, nous dit-on, la bonne échelle pour résoudre ce problème est celle de l’Union européenne, et, même si nous menons ce combat avec ardeur, vous n’êtes pas sans savoir qu’il faut l’unanimité… Encore une fois, on pourrait taxer les revenus financiers, mais cela dégraderait notre compétitivité : la bonne échelle, c’est l’Union européenne…

J’ai eu ce même débat, voilà peu, avec le ministre de la transition écologique et solidaire sur la taxation du kérosène. Ce dernier a reconnu que l’idée était bonne, mais qu’une telle mesure conduirait les avions à aller se ravitailler dans d’autres pays et que, par conséquent, la bonne échelle, c’est l’Union européenne.

Et voilà, monsieur le ministre, qu’après avoir mené une bataille de deux ans, comme vous l’avez rappelé dans vos propos introductifs, vous prenez le taureau par les cornes – pardonnez-moi l’expression – et décidez, en l’absence d’accord, d’instaurer une taxe à l’échelle nationale ! Je vous en félicite et vous en remercie ! Il y aura désormais une jurisprudence Bruno Le Maire. Quand un ministre ou une ministre viendra nous expliquer qu’on ne peut rien faire au motif que la bonne échelle est celle de l’Union européenne, nous lui rappellerons – je serai le premier à le dire – que c’est faisable.

Cela étant, sans revenir sur tous les arguments développés par mon collègue Pascal Savoldelli, nous avons matière à débat, monsieur le ministre, puisque de nombreux éléments nous laissent insatisfaits : l’assiette, le seuil, etc. En particulier, nous regrettons que ce ne soit pas les activités qui soient taxées, ce qui crée des disparités y compris au sein même des Gafa. Ainsi, le modèle d’Amazon n’est pas exactement celui de Google : s’agissant des publicités, par exemple, la seconde entreprise sera très ponctionnée, la première beaucoup moins.

Enfin, je profiterai des trente secondes de temps de parole qu’il me reste pour relayer les propos d’un responsable de Google – j’ai effectivement eu l’occasion, avec une délégation du parti communiste, de me rendre dans cette entreprise. À mon grand étonnement, celui-ci nous a expliqué, à la fin de la visite, qu’il était content de recevoir des parlementaires, car il avait un problème à nous soumettre : comme la question des aides publiques fait débat dans la société et que Google pratique déjà l’optimisation fiscale, peut-être n’était-il pas nécessaire que l’entreprise bénéficie du CIR ou du CICE… Ce responsable trouvait cela un peu indécent !

Dès lors – nous avons déjà débattu de la question du conditionnement des aides publiques, notamment du CICE, et vous n’avez jamais voulu me répondre sur ce sujet –, accepteriez-vous que des grandes entreprises comme les Gafa, puisqu’elles le souhaitent, puissent rendre les aides publiques qu’elles ont perçues. C’est une proposition dont nous pourrions discuter et, monsieur le rapporteur, nous pourrions même envisager un amendement en ce sens à l’occasion de l’examen du prochain budget de la France. J’y insiste, cette question, qui est une véritable question, a été soulevée, non pas par nous, mais par les représentants de Google en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Nous sommes face à un dilemme cornélien.

Dilemme, parce que, comme le dirait notre Président de la République – le vôtre, surtout –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

… l’économie du numérique est nécessaire, mais, en même temps, on ne peut pas continuer à taxer sans arrêt toutes les entreprises – je pense à l’article 2 que nous examinerons ultérieurement.

Dilemme, parce que nous sommes tous persuadés que les Gafa doivent être taxés, mais, en même temps, votre taxe affectera, en premier lieu, des petites entreprises.

Dilemme, parce que nous instaurons cette taxe au seul niveau français – et, contrairement à mon collègue Fabien Gay, je pense que c’est une erreur –, mais le niveau adéquat, c’est l’Union européenne, voire, au-delà, l’OCDE.

Dilemme, parce que rester sans rien faire ne serait pas acceptable par l’opinion publique, mais, en même temps, nous allons taper une fois encore sur des petites entreprises françaises.

Mes chers collègues, la cote est mal taillée – cela va tous nous mettre dans l’embarras –, et la mesure n’est que symbolique, à l’image des sommes attendues.

Cela me rappelle la question du niveau de l’impôt sur les sociétés – une question que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Aux plus grandes entreprises, on n’impose pas le taux normal d’impôt sur les sociétés ; on leur demande de dire combien elles veulent payer. On a un peu l’impression d’un mécanisme similaire ici, d’où ce dilemme auquel nous faisons face. Nous aurons beaucoup de difficultés à voter cet article ; si nous le votons, ce sera pour le symbole, non pour le résultat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Je suis saisie de dix amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 43 n’est pas soutenu.

Les trois amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 10 est présenté par M. Carcenac, Mme Taillé-Polian, MM. Lurel, Kanner, Raynal, Éblé et Botrel, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas, P. Joly et Lalande, Mme Artigalas, MM. Bérit-Débat et Jacquin, Mmes G. Jourda et Lepage, MM. Mazuir, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 22 est présenté par le Gouvernement.

L’amendement n° 26 est présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Supprimer les mots :

, pour les années 2019 à 2021,

La parole est à M. Thierry Carcenac, pour présenter l’amendement n° 10.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Cet amendement a pour objet de supprimer le bornage dans le temps de l’application de la taxe sur les services numériques instituée par le présent projet de loi.

En l’absence de certitudes sur le plan international, il convient, par prudence, de renvoyer l’extinction de la taxe à un moment ultérieur. Il semble effectivement très ambitieux de considérer que les discussions conduites au niveau de l’OCDE aboutiront d’ici à la fin de l’année 2021. Aussi, mentionner dans l’article une date d’extinction crée une situation ambiguë et contre-productive sur les plans fiscal et législatif. C’est en ce sens que la suppression de cette disposition nous apparaît nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 22.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Je rejoins l’argumentaire tout juste développé et profite de cette présentation pour répondre à certaines remarques constructives – je vous remercie d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le caractère très constructif de notre débat.

Nous faisons le choix d’une taxe nationale, afin de nous donner toute la crédibilité nécessaire à l’OCDE pour obtenir une solution internationale.

Vous me permettrez d’être un peu moins confiant que certains dans cet hémicycle sur notre capacité à obtenir un résultat à l’OCDE. Comme qui dirait, chat échaudé craint l’eau froide… En outre, j’ai pu constater que, en matière fiscale, il peut couler beaucoup d’eau sous les ponts avant de parvenir à un consensus. Par conséquent, nous devons mettre toutes les chances de notre côté, et, pour cela, avoir le courage d’adopter une taxe au niveau national. Je rejoins d’ailleurs les propos de M. Gay sur le fait que, par moments, la France doit accepter d’être devant, de proposer son propre système.

La France est un grand pays, une grande nation. Elle peut montrer la voie sur certains sujets, plutôt que d’attendre systématiquement d’avoir le soutien des autres, surtout quand, comme ici, elle a déjà obtenu le soutien de vingt-trois nations et que le blocage est dû à seulement quatre États en Europe.

Il est d’autres sujets fiscaux sur lesquels d’autres nations ont accepté d’être pionnières et ont obtenu des résultats. Quand la Grande-Bretagne – une grande place financière pourtant – décide d’instaurer une taxation sur les transactions financières, parce que, justement, elle est une grande place financière et que cela lui rapporte beaucoup, elle est seule à le faire. C’est le paradoxe, d’ailleurs : la taxe est mise en place, pour la première fois, par la City de Londres, qui, en plus, agit seule !

Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de pays à vouloir suivre son exemple. La France a créé sa propre taxe, et, quelques années plus tard – je reconnais que cela prend beaucoup de temps –, nous parvenons à un accord sur le sujet, avec une taxe sur les transactions financières qui constituera, en outre, un des moyens de financement du budget de la zone euro. L’aboutissement d’un tel dossier représente plusieurs années de travail, mais, à l’origine, il y a une nation – la Grande-Bretagne – que nous avons suivie et, à la fin, un accord.

Dans le cas des États-Unis, je citerai la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés, le fameux Gilti.

Mise en place par l’administration de Donald Trump, cette taxation vise à éviter l’évasion fiscale. À ce jour, aucun autre État n’a déployé un dispositif identique. Pour autant, si vous en discutez avec le secrétaire du Trésor américain, il vous expliquera que le principe est très simple : ne souhaitant subir aucune évasion fiscale, les Américains se permettent d’avoir une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés. Celle-ci, d’ailleurs, nous servira de base, dans le cadre du G7, pour instaurer une même taxe et, ainsi, éviter l’évasion fiscale de grandes entreprises multinationales, qui engrangent des bénéfices en France et paient leurs impôts à l’étranger, évidemment dans des paradis fiscaux. Face à ce phénomène, inacceptable, vous voyez bien que la voie a été ouverte par un État.

À mes yeux, c’est tout à l’honneur de la France que d’ouvrir la voie sur la taxation du numérique et d’avoir le courage, effectivement, d’être seule à appliquer cette taxe. Je le reconnais bien volontiers : si d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, ont mis le projet à l’étude, nous sommes pour le moment seuls à être passés à l’acte, peut-être bientôt rejoints par l’Autriche.

Quoi qu’il en soit, la France sera le premier État, en Europe, à taxer les géants du numérique. Il faut, non pas en avoir peur, mais en être fier, et je suis convaincu que d’autres nations nous suivront.

En revanche, si nous instaurons ce dispositif, tout en disant aux intéressés « ne vous inquiétez pas, la taxe sera retirée dans deux ou trois ans », nous perdons en « beauté » et en « efficacité ». Or les deux sont importants en politique : la beauté du geste, comme son efficacité ! Si vous voulez les concilier, il me paraît indispensable de ne pas borner dans le temps cette taxation sur les services numériques.

L’engagement est clair et simple : le jour où un accord sera obtenu à l’OCDE, nous retirerons notre taxe nationale, mais nous la conserverons tant qu’il n’y en aura pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 26.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

J’ai une interrogation et je veux faire une remarque.

Je reviens tout d’abord sur une question formulée par mon collègue Pascal Savoldelli : combien va rapporter cette taxe ? La réponse n’est pas anodine ! Nous entendons parler d’une fourchette de 350 millions à 500 millions d’euros ; M. le rapporteur mentionne un montant de 1, 2 milliard d’euros dans son propos.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Si ce n’est pas le cas, je retire mon propos. Toujours est-il que M. le ministre, lui, parle de sommes comprises entre 350 millions et 500 millions d’euros. Nous sommes très loin de l’écart de 14 points avec l’imposition de nos TPE et de nos PME.

Par ailleurs, nous sommes d’accord pour ne pas fixer de bornes dans le temps. L’instauration de cette taxe nationale vise à créer un rapport de force au niveau européen et à entraîner les autres pays dans la même direction que la nôtre. Mais, si avant même de voter cette taxe, nous prévenons qu’elle s’appliquera pour deux ans seulement, nous ne permettons pas que ce rapport de force se développe au sein de l’Union européenne.

Je partage la position de M. le ministre : deux ans ne seront pas suffisants pour régler la difficulté. J’ai pu me rendre au Danemark voilà plusieurs mois, avec une délégation aux entreprises, et nos interlocuteurs nous avaient fait part de leur totale opposition à voir une taxe sur les Gafa être déployée au niveau de l’Union européenne. Il faudra donc de très nombreuses discussions pour aboutir à une harmonisation fiscale.

La bonne échelle est effectivement celle de l’Union européenne. Mais, si nous voulons construire ce rapport de force, il faut bannir toute durée dans le temps, mettre en place la taxation, en tirer un rendement – je vous repose donc la question, monsieur le ministre : quel rendement attendez-vous ? – et poursuivre la discussion avec nos partenaires européens.

Borner dans le temps la taxation reviendrait à dénaturer, dès le début, le projet de loi. Ce serait mettre une aiguille dans une meule de foin ; nous n’aurions aucun poids dans le rapport de force.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Les deux amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 6 rectifié est présenté par Mmes Lavarde, Garriaud-Maylam et Vullien, MM. Longeot, Kennel, Grosdidier et Bascher, Mmes Gruny, L. Darcos, Morhet-Richaud et N. Goulet, M. Piednoir, Mme Estrosi Sassone, M. de Nicolaÿ, Mmes Imbert, M. Mercier et A.M. Bertrand, MM. D. Laurent, Lefèvre, Danesi, Laménie, Savary et Segouin et Mme de Cidrac.

L’amendement n° 20 rectifié est présenté par M. Cadic, Mme Billon, MM. Moga et Guerriau et Mme Guidez.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 5

Remplacer l’année :

par l’année :

La parole est à Mme Christine Lavarde, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Dans le cadre de la discussion générale, j’ai évoqué le fait que les entreprises étaient insuffisamment préparées pour être en mesure de consolider le chiffre d’affaires taxable à la date d’entrée en vigueur de la loi. Cet amendement vise donc à repousser cette date au 1er janvier 2020, de manière à leur laisser le temps de développer les outils nécessaires.

Je vais citer un exemple.

Aujourd’hui, les plateformes effectuent un suivi de l’usage de leurs services, mais, selon les modèles économiques, ce tracking ne vise pas toujours le consommateur et, donc, la valeur créée en France. Ainsi, s’agissant des régies publicitaires, c’est l’usage de la plateforme par les annonceurs qui est pris en compte dans le tracking des transactions financières.

L’application de la taxe sur les services numériques nécessitera donc, pour les acteurs du numérique, de mettre en place de nouveaux outils, propres à identifier la consultation en France et à y assigner une part de la valeur créée. Par exemple, pour une publicité consultée dans toute l’Europe, il faudra, non seulement effectuer le suivi des visionnages en France, mais aussi y assigner une quote-part de ce qui a été payé par l’annonceur.

Tout cela imposera donc une refonte lourde des systèmes d’information, qui ne peut pas débuter avant le vote de la loi, puisque la CNIL interdit la collecte de données sans motif légal.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Après la « French Tech », voici donc la « French taxe » !

Le présent amendement vise, à défaut de rejeter purement et simplement une nouvelle taxe que nous introduisons seuls dans notre coin, à reporter d’un an son entrée en vigueur.

J’avoue être un peu stupéfait par cette nouvelle illustration du génie fiscal français. Plusieurs éléments d’explication nous sont donnés.

Cette taxe, improprement baptisée « taxe Gafa », est une absurdité sur les plans juridique et économique. Les recettes, estimées à 400 millions d’euros, soit moins d’un demi-millième du total des prélèvements obligatoires, sont fictives, puisque la France pourrait être contrainte de les rembourser dans quelques années, faute de s’être conformée au droit européen de la concurrence – il y a des précédents. L’assiette retenue, à savoir le chiffre d’affaires, favorisera paradoxalement les gros au détriment des petits et, par conséquent, renforcera la position des géants américains et chinois à l’égard des start-up françaises et européennes, qui ne pourront accroître la dimension de leurs affaires. Et c’est sans parler des incidences et répercussions fiscales qui viendront grever le pouvoir d’achat des consommateurs français, que l’État s’ingénie, dans le même temps, à stimuler à grand renfort de dépenses publiques !

Pourtant, malgré ces griefs et par excès de zèle « taxateur », nous nous apprêtons à adopter cette mesure. Je vous propose donc, mes chers collègues, d’accepter au minimum que l’on puisse reporter son entrée en vigueur, afin de laisser à l’administration fiscale et, plus encore, aux entreprises concernées, comme l’a très bien dit ma collègue Lavarde, un temps suffisant d’adaptation, la rétroactivité de la taxe au 1er janvier 2019 n’étant pas la moindre de ses conséquences fâcheuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 64, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 57

Après la référence :

302 septies A

insérer les mots :

ou admis à déposer leurs déclarations par trimestre civil conformément au troisième alinéa du 2 de l’article 287

II. – Alinéa 60

Supprimer les mots :

ou du troisième trimestre de l’année

III. – Alinéa 67

Après la référence :

302 septies A

insérer les mots :

ni admis à déposer ses déclarations par trimestre civil conformément au troisième alinéa du 2 de l’article 287

IV. – Alinéa 94

1° Au début

Insérer les mots :

Par dérogation aux dispositions du I de l’article 1693 quater du code général des impôts,

2° Remplacer les mots :

code général des impôts

par les mots :

même code

3° Remplacer les mots :

que l’article 1693 quater du même code prévoit pour le second acompte

par le mot :

suivantes :

V. – Après l’alinéa 94

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

1° Pour les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée soumis au régime réel normal d’imposition mentionné au 2 de l’article 287 du même code, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration mentionnée au 1 du même article 287 déposée au titre du mois d’octobre ;

2° Dans les autres cas, au plus tard le 25 novembre, lors du dépôt de l’annexe à la déclaration prévue au même 1 déposée auprès du service de recouvrement dont relève le siège ou le principal établissement du redevable.

VI. – Alinéa 95

1° Première phrase

Remplacer le mot :

Il

par les mots :

Cet acompte

2° Seconde phrase

Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

octobre

VII. – Alinéa 97

Remplacer le mot :

septembre

par le mot :

octobre

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Je vous présente un amendement de compromis. À défaut de reporter l’entrée en vigueur de cette taxation – nous estimons, pour notre part, que les grandes entreprises du numérique ont les moyens d’organiser la collecte des données nécessaires dans les temps impartis –, nous proposons de leur laisser plus de temps pour déterminer les éléments permettant la déclaration et la liquidation de l’acompte. Pour celui-ci, l’échéance d’octobre 2019 serait repoussée au mois de décembre 2019. Nous leur laisserions donc trois mois supplémentaires.

Par souci de cohérence, nous modifierions également la date limite pour formuler l’option sur le régime de groupe, prévue dans tous les régimes fiscaux. Cette date serait reportée du mois de septembre au 30 octobre 2019.

Pour résumer, nous ne reportons pas l’entrée en vigueur de la taxe, mais nous laissons un délai supplémentaire aux entreprises pour liquider l’acompte et formuler l’option sur le régime de groupe. Cette solution de compromis permet de tenir compte des contraintes pesant sur ces dernières, sans pour autant repousser l’instauration de la taxe.

Pour répondre à la question posée par M. Gay, j’indique que nous partons sur un rendement initial de 400 millions d’euros, qui dépassera 600 millions d’euros d’ici à 2021, d’où un rendement moyen estimé à 500 millions d’euros, soit 2 milliards d’euros sur quatre ans. Nous parlons d’une somme évidemment élevée, sachant que le rendement de cette taxe devrait très probablement croître fortement au fil des ans, ainsi que le revenu qui en sera tiré.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

L’amendement n° 61 rectifié bis ainsi que les amendements identiques n° 44 et 60 rectifié ne sont pas soutenus.

Quel est l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Que l’on ne se méprenne pas : la commission soutient cette taxe. Preuve en est, son avis sera favorable sur l’amendement n° 64, tout juste défendu par M. le ministre, qui propose un certain nombre de mesures techniques, plutôt que le report de la taxe. Néanmoins, ce dispositif n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés juridiques.

M. le ministre l’a reconnu très volontiers : nous serons le premier pays à instaurer cette taxe. Elle a été envisagée par l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, autant de pays qui ne l’ont pas mise en place. Il faut donc être extrêmement prudent en la matière. À ce titre, je vous rappelle que nous avons aussi été le premier pays à mettre en place la taxe de 3 % sur les dividendes, et on a bien vu ce que cela nous a coûté ! Nous avons été le premier pays à mettre en place une taxe à 75 % sur les revenus salariaux, et on a bien vu ce que le Conseil constitutionnel en a pensé !

Vraiment, la prudence s’impose. Une taxe qui, miraculeusement, toucherait environ trente sociétés, en épargnant pratiquement toutes les sociétés françaises, me conduit forcément à me poser certaines questions, en particulier sur les réactions au plan européen. C’est la raison pour laquelle un amendement présenté ultérieurement tendra à notifier cette taxe auprès de la Commission européenne pour vérifier si ce n’est pas une aide d’État. Il s’agit bien, en procédant de la sorte, non pas de reconnaître de fait que cette taxe en est une, mais de sécuriser le dispositif sur le plan juridique. La pire situation serait effectivement celle dans laquelle nous devrions avoir à procéder à des remboursements. Je peux citer des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne considérant que la taxe pourrait être discriminatoire dans la mesure où, en pratique, elle ne s’appliquerait à quasiment aucune société française.

Mon souhait n’est pas de contrecarrer la taxe ; j’entends la sécuriser afin de ne pas nous retrouver à devoir rembourser les sociétés, comme cela nous est arrivé pour la taxe de 3 % sur les dividendes. À l’époque, tout le monde nous a expliqué que cette taxe était merveilleuse ; quelque temps plus tard, on est venu nous dire que cela ne fonctionnait pas et qu’il fallait rembourser les sommes perçues ! Cela explique que je propose un certain nombre de sécurités juridiques.

Pourquoi la commission a-t-elle souhaité limiter cette taxe dans le temps, en ciblant les années 2019, 2020 et 2021 ? Nous avons acquis la conviction que cette mesure était nécessaire en préparant l’examen de ce projet de loi, notamment au travers de l’audition des représentants de l’OCDE.

Pour le coup, dans ce cadre, les négociations progressent. L’Europe – les représentants du groupe CRCE y ont fait allusion – n’est plus le niveau auquel il faut travailler : les discussions ont échoué, et des oppositions ont été très clairement exprimées par certains pays, comme le Danemark ou la Suède. En revanche, on a pu constater que, dans le domaine fiscal – je pense, par exemple, à la question du secret fiscal –, c’est chaque fois au niveau de l’OCDE que les dossiers progressent. Or, le meilleur moyen de faire progresser le présent dossier, c’est sans doute de se donner un délai court et d’indiquer clairement que nous souhaitons aboutir avant 2021. Si, d’ici là, nous échouons, nous pourrons remettre cette taxe en discussion au Parlement, qui pourra toujours la prolonger ou en améliorer le dispositif.

Fixer une échéance ne signifie pas que la taxe disparaîtra en 2021. Cela obligera le Gouvernement à revenir devant le Parlement pour justifier de son extension éventuelle et nous préciser le degré d’avancement des discussions au sein de l’OCDE. Cette solution nous apparaît comme étant la meilleure, et, après discussion avec l’OCDE, c’est sans doute le meilleur moyen de mettre la pression sur nos partenaires.

En conséquence, au motif qu’ils vont à l’encontre de cette position de la commission, nous demandons le retrait de tous les amendements, à l’exception, comme je l’indiquais, de l’amendement n° 64 du Gouvernement. Cet amendement technique permet, effectivement, d’améliorer les conditions d’entrée en vigueur de la taxe.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire

Le Gouvernement est défavorable aux amendements visant à reporter l’entrée en vigueur de la taxe et à instaurer une limite de son application dans le temps.

Pour nous, il ne fait pas de doute que cette taxe ne constitue pas une aide d’État, au titre de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, car elle ne fausse pas la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Ce qui distingue les entreprises taxées de celles qui ne le sont pas, pour faire simple, c’est qu’elles disposent d’effets de réseaux importants, liés à l’accumulation de centaines de milliers ou de millions de données, dont ne peuvent pas se prévaloir les autres entreprises.

Puisque, dans la détermination du champ de cette taxe, nous n’établissons aucune différenciation entre entreprises étrangères et entreprises nationales, lesquelles seront aussi concernées, il n’y a pas davantage de discrimination.

Pour ces deux raisons, le Gouvernement estime que cette taxe ne constitue aucunement une aide d’État, approche que le Conseil d’État a d’ailleurs validée.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je voudrais insister sur l’intérêt de ne pas borner le mécanisme fiscal qu’il nous est proposé d’adopter.

J’ai le souvenir d’un débat similaire au cours duquel M. Karoutchi, longtemps représentant permanent de la France auprès de l’OCDE, nous expliquait que, dans le cadre des négociations menées au sein de cette organisation, le fait, pour tel ou tel pays, d’avoir déjà mis en œuvre des dispositions constituait un atout avant que ne soient rendus les arbitrages finaux, fruits d’un rapport de force.

Si, dès le début, nous donnons le sentiment de défendre avec faiblesse notre position, nous donnerons à penser que nous menons la négociation sans certitude. Au sein de l’OCDE, je l’ai dit, celle-ci ne sera pas facile, et quand nous aurons face à nous les Américains, en n’étant que faiblement soutenus par les Européens, je crains même qu’elle n’aboutisse pas. En revanche, si nous établissons un rapport de force positif en créant cette taxe, je reste convaincue que cette décision de la France aura des effets rebonds, si je puis dire, dans d’autres pays, parce que ceux d’entre eux qui approuvaient la position française pourront s’appuyer sur notre décision pour agir.

Par ailleurs, en matière de taxation, on trouve toujours toutes sortes d’alibis : le bon niveau est le niveau non pas français, mais européen ; ou bien alors il faut engager une négociation au sein de l’OCDE. En réalité, c’est que cette impuissance du politique donne un pouvoir de plus en plus fort à ces multinationales. Même si je ne suis pas d’accord avec le niveau de taxation envisagé – je pense qu’on peut aller plus loin, notamment en nous adossant à la directive, mais nous en discuterons –, comme le ministre, je considère qu’il ne s’agit pas d’une aide d’État.

Encore une fois, puisque nous nous adossons à un projet de directive européenne, c’est bien la preuve que cette taxation ne peut pas être assimilée à une aide d’État ! Et la Cour de justice de l’Union européenne ne pourra pas qualifier comme tel un dispositif émanant de la Commission européenne que la France appliquerait de façon unilatérale !

Monsieur de Montgolfier, demander à la Commission d’arbitrer en lieu et place de la France, ce serait un peu diluer notre capacité politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Les Français ne comprendraient pas qu’on demande l’autorisation de l’Europe pour mettre en œuvre cette initiative nationale, alors qu’elle s’adosse à une décision prise au niveau européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Je mets aux voix les amendements identiques n° 10, 22 et 26.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :

Le Sénat n’a pas adopté.

La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote sur les amendements identiques n° 6 rectifié et 20 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Le zèle qu’on emploie à mettre en place cette taxe avec effet rétroactif déstabilisera une nouvelle fois nos entrepreneurs. De nouveau, notre pays sera taxé d’instable sur le plan fiscal.

Je suis allé récemment à La Réunion, où l’on m’a fait part des effets dévastateurs pour les commerçants de l’île d’une plateforme chinoise qui, une fois commandés, y expédie des biens vendus à des prix réduits. Déjà, qu’on applique le droit et les taxes en vigueur ! De toute façon, ces plateformes pourront continuer leur commerce en toute tranquillité.

Le Président de la République voulait que la France devienne une start-up nation ; en fait, vous êtes en train d’en faire une star tax nation ! Et nous verrons avec quelle efficacité…

Les amendements ne sont pas adoptés.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Troendle

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.