Intervention de Didier Rambaud

Réunion du 21 mai 2019 à 15h00
Création d'une taxe sur les services numériques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier RambaudDidier Rambaud :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la numérisation de l’économie pose des défis sans précédent aux États dans leur pouvoir de lever l’impôt, remettant ainsi en cause l’un des aspects essentiels de la fiscalité : son caractère national.

Ces défis, le Sénat les connaît. Beaucoup de nos collègues ont travaillé sur ces questions, particulièrement au sein de notre commission des finances. Je salue ici le travail fait dans le passé et le travail d’aujourd’hui. Les amendements qui ont été présentés par le rapporteur en sont une illustration fidèle.

À titre d’exemple, en 2012, le rapport d’information de Philippe Marini sur la fiscalité numérique concluait que les entreprises du numérique étaient, en Europe, assujetties à un taux moyen de 9 % pour l’impôt sur les sociétés, alors que ce taux s’élevait à 23 % pour les entreprises dites traditionnelles du secteur physique.

Cette rupture du principe d’égalité devant les charges publiques, principe qui est au cœur de notre pacte républicain, constitue le point de départ de notre discussion. Chacun doit payer sa juste part de contribution aux charges publiques et chacun, entreprise ou particulier, doit se voir appliquer également la loi fiscale. À défaut, c’est notre modèle social qui est menacé, alors que chaque atteinte aux principes fondateurs de notre République est vécue comme une injustice insupportable par nos concitoyens.

L’économie numérique est l’économie de demain, ne pas s’intéresser à la taxation du numérique et attendre les autres pays serait une véritable capitulation. Il revient aux responsables politiques de répondre à ces injustices et c’est ce que vous avez fait, monsieur le ministre, avec le gouvernement auquel vous appartenez. Vous présentez au Parlement un texte de justice fiscale, mais aussi d’efficacité.

Justice, face au différentiel de quatorze points entre les entreprises numériques et les entreprises traditionnelles dans le paiement de l’impôt ; efficacité, parce qu’il s’agit de flux économiques qui échappent à l’impôt en France, alors que la valeur est créée dans notre pays, grâce aux utilisateurs français.

Les habitudes de recherche des utilisateurs sur un célèbre moteur sont par exemple collectées et permettent d’améliorer la plateforme, donc d’accroître sa valeur. Plus il y a de recherches, plus la plateforme est valorisée et plus elle est monétisable par des annonceurs. Cet effet de réseau se fait sans présence physique et permet d’éviter l’impôt en France et même, en réalité, d’éviter une grande partie de l’impôt qui serait dû dans un schéma classique.

Mes chers collègues, nous dénonçons cette situation depuis plus de dix ans. Il est maintenant temps d’agir et c’est ce que vous faites, monsieur le ministre. Cette taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires numérique réalisé en France ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique grâce au double seuil cumulatif. Ne seront assujettis que les secteurs créant le plus de valeur : la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.

Cette taxe sur les services numériques n’est pourtant qu’une première étape, d’abord, parce que la réponse à la numérisation de l’économie ne peut être nationale. Son histoire a été rappelée : elle est directement inspirée d’une proposition de directive européenne qui n’avait pu recueillir un accord unanime.

Elle n’est qu’une première étape, ensuite, parce qu’un dispositif qui taxe le chiffre d’affaires des plus grandes entreprises du numérique est imparfait : il ne permet pas de cerner le lieu où s’exerce l’activité, mais seulement celui où se situent ceux qui en bénéficient. En outre, il ne répond pas à la possibilité dont disposent ces entreprises de déplacer leur résultat dans des pays à faible fiscalité ou de délocaliser les bénéfices dans des paradis fiscaux.

Si nous décidons de taxer ces entreprises qui ne paient pas leur juste part d’impôt, c’est parce que les règles de l’impôt ne sont plus adaptées à l’économie.

Ainsi, et en suivant le droit, le 12 juillet 2017 le tribunal administratif de Paris a jugé que Google Irlande ne disposait d’aucun établissement stable en France, parce que Google France ne pouvait engager juridiquement la société et a ainsi annulé le redressement fiscal de plus de 1 milliard d’euros infligé à Google par le fisc français.

Dès lors que le principe de territorialité de l’impôt sur les sociétés françaises exempte les bénéfices réalisés par une société française lorsqu’ils le sont au moyen d’une entreprise exploitée à l’étranger, il est difficile de ne pas accepter la réciproque.

Ces règles nouvelles devront émerger d’un cadre multilatéral. Celui-ci existe : c’est l’OCDE, laquelle, après avoir défini un plan d’action en juillet 2013 contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises, a lancé très récemment un programme de travail pour trouver une solution technique.

Plusieurs modèles s’opposent : l’un fondé sur la « participation de l’utilisateur », un autre sur les « biens incorporels de commercialisation » – solution défendue par les États-Unis – ou encore un dernier qui retient le critère de la « présence économique significative » – soutenu par plusieurs pays.

Ces modèles reposent sur des conceptions opposées de l’économie numérisée et de la manière dont elle doit être fiscalisée. Dans quelle mesure la valeur provient-elle de la participation de l’utilisateur par l’effet de réseau que j’ai évoqué et relativement aux biens de commercialisation ? Les pays membres de l’OCDE devront trancher d’ici deux ans.

En attendant, la France doit appliquer une mesure temporaire de justice entre les entreprises traditionnelles et celles du numérique.

En commission des finances, nous avons complété le texte par des dispositions utiles, comme l’application de la règle de détermination du coefficient de présence numérique pour l’année 2019 à l’assujettissement et non à la seule liquidation.

Notre groupe votera ce projet de loi : attendu par les Français – le grand débat national, notamment, l’a montré –, il apporte une réponse temporaire, mais nécessaire à l’évitement de l’impôt par les grandes entreprises du numérique !

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