Intervention de Pascal Savoldelli

Réunion du 21 mai 2019 à 15h00
Création d'une taxe sur les services numériques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Pascal SavoldelliPascal Savoldelli :

Je respecte d’ailleurs votre opinion politique.

Vous nous parlez d’emploi, mais 16 200 postes ont été créés l’année dernière… L’Insee a recensé 32 000 personnes à la limite du chômage aux troisième et quatrième semestres de 2018 : et ça irait mieux, vraiment ?

La proposition de taxation du numérique découle de la même logique : l’affichage plutôt qu’une fiscalisation efficace. De fait, les grandes firmes multinationales sont épargnées, au détriment de leur contribution à la solidarité nationale.

Mes chers collègues, si le principe d’une taxe sur les services et activités numériques est juste et nécessaire, ce projet de loi ne permettra pas, en l’état, d’atteindre les objectifs ambitieux auxquels il doit tendre. Sa conception, en effet, est beaucoup trop restreinte, alors que l’économie numérique s’apparente à une nouvelle révolution industrielle : les modes de production, d’échanges et d’implantation des firmes se transforment. En France, trois entreprises sur cinq sont passées au big data et 5, 5 % du produit intérieur brut découlent directement du numérique.

Surtout, le distinguo entre numérique, services et économie productive est désormais largement dépassé dans la réalité des grandes firmes françaises et européennes.

Votre projet, monsieur le ministre, étroitement centré sur les interfaces numériques permettant aux utilisateurs d’entrer en contact entre eux et d’interagir directement, laissera de côté de grandes firmes multinationales très actives dans la sphère numérique, qui échappent déjà largement à l’impôt. À titre d’exemple, Netflix, PayPal ou encore Apple n’entrent pas dans le champ de ce que vous proposez ! Vous vous targuez de modernité, mais, en réalité, vous êtes en retard sur l’évolution des marchés et de l’économie…

Ainsi, au-delà de l’assiette, les seuils retenus sont bien trop élevés pour appréhender effectivement les acteurs du numérique dans leur diversité. Seules une trentaine d’entreprises au plan mondial seraient touchées par la taxe que vous proposez : on est bien loin de ce qui est nécessaire.

Quant au taux de 3 % proposé, il ne permettra pas de réparer l’injustice d’un impôt comparativement bien moins payé par les entreprises du numérique que par celles des secteurs traditionnels. Les rendements attendus devraient osciller entre 400 millions et 500 millions d’euros, alors que l’ISF, avant que vous ne le supprimiez, rapportait 3, 2 milliards d’euros !

Pour mémoire, dans son très récent rapport sur le budget de l’État, la Cour des comptes elle-même a regretté le manque de recettes de l’État, estimant que celui-ci était le premier responsable de l’augmentation des déficits.

Les nombreuses exceptions dont est assorti le mécanisme proposé, par exemple pour les services de paiement, sont source d’inquiétudes. Nos collègues du groupe Les Républicains ont déposé des amendements pour en créer davantage encore, au point de réduire complètement le champ de la taxe !

Surtout, les entreprises auront la faculté de déduire le montant de taxe acquitté de l’impôt sur les sociétés. Est-ce là du courage ? Nombreux sont ceux, y compris à droite, qui s’interrogent : pourquoi un tel cadeau, alors qu’il était possible d’inscrire dans la loi l’impossibilité d’une telle déductibilité ? Pourquoi un tel soutien, alors que, en moyenne, les grands groupes du numérique bénéficient d’un écart d’imposition de près de quatorze points par rapport aux entreprises suivant un modèle traditionnel ? Entre les plus gros et la petite entreprise, c’est deux poids, deux mesures…

Le Gouvernement prétend être à la tête d’une offensive européenne pour la mise en place d’une taxe numérique. L’échelle continentale nous paraît en effet la bonne. Pourtant, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez ne fait aucune mention d’une recherche de coopération renforcée. Alors que des États membres importants comme l’Espagne, l’Autriche et l’Italie ont prévu des dispositifs similaires, on sent un manque de motivation, qui nous amène à nous interroger sur les ambitions réelles du Gouvernement.

À propos d’Europe, monsieur le ministre, votre proposition est en deçà du paquet législatif de 2018 sur la fiscalité du numérique, dans lequel la Commission européenne intégrait, elle, la notion d’établissement stable virtuel.

Chers collègues du groupe Les Républicains, certains d’entre vous semblent vouloir remettre en cause le principe même de la taxe. N’oubliez pas que, en 2016, en 2017, puis en 2018, le Sénat a adopté le principe de l’établissement stable virtuel et d’une taxe sur le numérique. Ne défaites pas aujourd’hui ce que vous avez fait hier !

Au reste, que vous le vouliez ou non, une taxe sur les services numériques est utile, nécessaire, et elle verra le jour. Ne repoussez donc pas inutilement tout projet.

S’agissant enfin de l’article 2, qui reporte temporairement la baisse de l’impôt sur les sociétés, je vous invite, une fois n’est pas coutume, à écouter les recommandations de la Cour des comptes : monsieur le ministre, ne fragilisez pas le budget de l’État en amoindrissant ses recettes !

En définitive, ce projet de loi n’aborde la question de l’économie numérique qu’à la marge : en témoignent un seuil, un taux et une assiette extrêmement réduits. S’il est mieux que rien, il est en l’état insuffisant. C’est pourquoi nous nous abstiendrons !

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