Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quels sont les deux objectifs de ce projet de loi ?
D’abord, c’est un texte d’affichage politique, destiné à répondre à l’émotion grandissante liée aux scandales répétés de l’évasion fiscale et à l’injustice fiscale manifeste qui existe entre, d’une part, les petites et moyennes entreprises et, d’autre part, les multinationales, qui parviennent à éviter largement l’impôt.
À cet égard, la taxe sur les services numériques qui nous est proposée va dans le bon sens, mais reste très insuffisante ; on ne peut manquer de s’interroger, à la suite de la commission elle-même, sur sa portée réelle.
Ensuite, ce projet de loi s’inscrit dans le financement des mesures annoncées en décembre dernier par le Président de la République pour faire face à la colère sociale. Seulement, sur ce point, le compte n’y est pas… De fait, nous sommes loin du montant nécessaire au financement des 10, 8 milliards d’euros de mesures annoncées.
Monsieur le ministre, comme M. le rapporteur l’a expliqué, la taxe sur le numérique et la suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés ne rapporteront qu’un peu plus de 2 milliards d’euros : comment comptez-vous financer les 8 milliards d’euros restants, auxquels s’ajoutent les 7 milliards d’euros correspondant aux mesures annoncées le 25 avril dernier ? Si vous envisagez le rétablissement d’un impôt sur la fortune ou la fin de la flat tax, vous nous trouverez à vos côtés !
Le projet de loi prévoit en premier lieu une taxe sur le chiffre d’affaires que réalisent certaines entreprises du numérique à raison du travail gratuit des utilisateurs français. Cette taxe s’inspire de celle proposée par la Commission européenne dans une directive de mars 2018, au cas où la définition d’un établissement stable numérique ne se concrétiserait pas.
Ici même, monsieur le ministre, le 28 mars 2018, vous aviez marqué votre volonté de voir cette directive adoptée au plus tard au début de l’année 2019 par tous les pays européens. Nous ne pouvons que constater l’échec de la France à mettre en œuvre, avec nos partenaires européens, ce projet d’établissement stable numérique permettant de taxer les bénéfices d’une société réalisés dans un pays, même si cette société n’y a pas d’établissement stable.
C’est cet échec, que nous regrettons, à mettre en place une solution d’imposition des bénéfices qui nous conduit cet après-midi à débattre d’une taxe nationale sur le numérique. Et c’est le souhait d’afficher une – très timide – volonté politique après la crise des « gilets jaunes » et en pleine campagne pour les élections européennes qui nous pousse à en débattre maintenant. Personne n’est dupe.
S’agissant des discussions internationales à venir, gardons-nous de crier victoire trop vite. Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il faille borner cette taxe dans le temps : nous risquerions d’avoir à y revenir, au cas où les négociations internationales échoueraient.
L’autre partie du projet de loi consiste à freiner la baisse du taux d’imposition pour les grandes entreprises, celles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros. Le taux appliqué en 2019 à la fraction des bénéfices excédant 500 000 euros resterait identique à celui de 2018, légèrement supérieur à 33 %.
Nous trouvons juste que les bénéfices de ces grandes entreprises soient imposés davantage, afin de participer aux mesures sociales revendiquées par nos concitoyens.
Nous savons que le taux d’impôt sur les sociétés ne représente qu’une partie de l’équation, mais il en est la partie la plus visible. Nous sommes plus que jamais dans une logique de dumpingfiscal en Europe, où le moins-disant fiscal devient l’alpha et l’oméga de l’attractivité. Vous l’avez vous-même confirmé, monsieur le ministre, dans votre propos introductif, en étant presque sur la défensive pour présenter cette suspension de la baisse de l’impôt sur les sociétés.
Disons aussi qu’une entreprise multinationale investit dans un État pour la qualité de la formation de ses citoyens et celle de ses infrastructures, qui supposent des ressources fiscales et une juste répartition de celles-ci. Nous ne partageons pas votre approche sur ce point, monsieur le ministre.
L’enjeu de l’imposition des entreprises du numérique et, plus globalement, des bénéfices des multinationales dans le pays où se réalise la valeur dépasse l’équilibre budgétaire de court terme. Comme les derniers mois nous l’ont rappelé, pas de consentement à l’impôt sans justice fiscale ! Tel est aujourd’hui l’enjeu essentiel pour notre pays et pour l’Europe.
À ce stade de la discussion, nous portons un regard plutôt bienveillant sur le projet de loi, tout limité qu’il soit dans ses ambitions. Nous ne le conserverons que si celles-ci ne sont pas encore réduites par la discussion parlementaire. Nous pensons, nous, qu’il faut aller plus loin !