Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mondialisation des échanges associée à la numérisation des économies et à l’émergence de grandes entreprises, surtout américaines, dans le secteur des services numériques représente un véritable défi pour les systèmes fiscaux actuels, dont les fondements remontent à l’après-guerre.
Alors que le prélèvement de l’impôt, en France, repose sur le principe de territorialité, selon lequel la localisation des biens et activités permet de déterminer les contributions obligatoires, les sociétés du numérique peuvent opérer auprès d’utilisateurs situés en France sans être nécessairement implantées dans l’Hexagone ou, plus précisément, sans y avoir d’établissement stable.
Si les problèmes liés à l’optimisation fiscale par le biais d’implantations dans des pays à fiscalité plus avantageuse et par le moyen des prix de transfert intragroupe ne sont pas nouveaux, le défi posé par l’économie numérique est encore plus grand, si l’on en juge par les montants d’impôt assez faibles payés par ces grandes entreprises au regard de la valeur créée.
La définition des activités taxables est particulièrement importante et complexe. Le Gouvernement a choisi d’y inclure le ciblage publicitaire et la mise en relation des utilisateurs, mais non la vente en ligne.
Par ailleurs, plusieurs types de services proposés par les plateformes ne sont pas taxables : la fourniture de contenus de type YouTube ou Dailymotion et les services de communication comme Skype, ou encore les services de paiement. La directive européenne sur les services de paiement, dans sa deuxième version, a été transposée l’an dernier.
D’autres activités, comme le conseil en financement participatif, sont également exclues du champ de la taxe.
L’idée générale reste d’appliquer une taxe aux activités qui se rapportent à une forme de travail gratuit des utilisateurs, créateur de valeur. Diverses tentatives ont été faites avant d’en arriver à une initiative nationale.
Ainsi, des négociations ont été menées au sein de l’OCDE dans le cadre du projet BEPS, engagé sur l’initiative des dirigeants du G20 au sommet de Saint-Pétersbourg, en septembre 2013. Seulement, sur les quinze actions destinées à répondre à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices, la première, qui concernait la taxation de l’économie numérique, n’a pas été retenue dans l’accord multilatéral ratifié l’an dernier.
Au sein de l’Union européenne, la Commission européenne a proposé un projet de directive qui n’a pas été adopté par le Conseil, en raison du refus de certains États membres d’ouvrir le débat sur la taxation de ces activités, par crainte de contre-mesures de la part des Américains ou des Chinois. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la règle de l’unanimité qui s’applique dans ce domaine.
Finalement, le gouvernement français, comme d’autres gouvernements européens, a décidé de légiférer au niveau national. À ce jour, l’Italie semble avoir le projet le plus abouti, avec une Google Tax censée entrer en vigueur en juin prochain.
Dans le présent projet de loi, l’assiette choisie, une estimation du chiffre d’affaires réalisé en France à partir d’un pourcentage représentatif du chiffre d’affaires mondial, vise à reterritorialiser le chiffre d’affaires. Il ne s’agit pas de la valeur ajoutée, qui aurait été plus satisfaisante, ni du bénéfice, dont la territorialisation est beaucoup plus difficile à appréhender. Cette approche repose sur l’hypothèse qu’il existe une proportionnalité entre le nombre de transactions et les sommes encaissées, dans l’attente de la reconnaissance d’un établissement stable virtuel.
La démarche de la France n’est pas originale en soi. Le débat sur la taxation des Gafa existe depuis plusieurs années, et d’autres pays européens poursuivent des projets similaires, bien qu’une différence se remarque entre les pays du nord de l’Europe, peu enclins à instaurer cette taxe, et les pays latins, plus avancés dans cette voie.
Quoi qu’il en soit, l’objectif est avant tout d’accélérer une mise en œuvre collective de cette taxation, malgré un contexte mondial marqué par des tensions commerciales croissantes entre les États-Unis et la Chine.
En Europe, on espère un redémarrage du projet de directive, peut-être après les élections de dimanche prochain. On ne peut pas reprocher aux Français et à la France, et plus largement aux Européens, de vouloir jouer un rôle précurseur dans la réalisation d’une plus grande équité fiscale, alors qu’on demande par ailleurs plus de rigueur budgétaire.
Plus globalement, les négociations doivent être poursuivies dans le cadre de l’OCDE, ce qui justifie, à mon sens, la modification proposée par le Sénat en ce qui concerne le caractère temporaire de ce dispositif. Celui-ci pourra être renouvelé et amélioré, si, à l’échéance prévue, aucune solution européenne ou internationale n’est mise en œuvre. Les positions du Gouvernement et de la commission me paraissent à cet égard tout à fait conciliables.
S’agissant du second volet du projet de loi, le gel de la trajectoire de réduction de l’impôt sur les sociétés en 2019 pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, il m’inspire deux remarques.
D’une part, on peut regretter une certaine instabilité juridique, pour la deuxième fois concernant le même impôt.
D’autre part, on peut comprendre la nécessité de financer les mesures d’urgence accordées en décembre dernier, puis au début du printemps, compte tenu du contexte politique et social exceptionnel.
En tout cas, nous nous félicitons que la réduction de l’impôt sur les sociétés soit maintenue cette année pour les PME et TPE.
La majorité des membres du RDSE voteront l’ensemble de ces dispositions, sauf, bien entendu, si la majorité du Sénat ou une majorité de nos collègues venait à les vider de leur sens !