Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 21 mai 2019 à 15h00
Création d'une taxe sur les services numériques — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Thierry CarcenacThierry Carcenac :

Je ne reviens pas sur les propos de Rémi Féraud, que je partage.

Au travers de l’article 2, vous rompez pour un an l’engagement pris par les différents gouvernements de baisse de l’impôt sur les sociétés. Pourquoi pas ? Le groupe socialiste et républicain déterminera sa position selon le maintien ou non de cette mesure par la majorité sénatoriale.

Avec l’article 1er, il s’agit d’un sujet beaucoup plus large, celui de la taxation des profits liés à la numérisation de l’économie, dans laquelle le monde est engagé. À la question « La France s’apprête à taxer les Gafa. Est-ce une bonne idée ? », Jean-Baptiste Rudelle, PDG de Criteo, répondait dans un entretien au journal Les Échos : « C’est la mauvaise réponse à deux bonnes questions. La première est une question générale qui concerne la taxation des multinationales. Sur un plan moral, il est normal que toutes les entreprises paient des impôts. […] C’est un devoir, mais la réponse passe par une approche globale sur laquelle travaille l’OCDE. La seconde question est plus spécifiquement liée au monde du numérique. Les Gafa utilisent leur position dominante pour verrouiller une grosse partie de l’écosystème digital. Cela pose un vrai problème de souveraineté. »

La fiscalité est devenue un sujet de préoccupation et les États n’ont pas su réagir rapidement à la mondialisation de l’économie et à la dérégulation financière ; ils sont plus rapides pour soutenir les banques, comme lors de la crise financière de 2007 et 2008…

Nos systèmes fiscaux nationaux sont fondés sur une économie industrielle de production. Or l’introduction de l’internet et la numérisation de l’économie ont bouleversé un système fondé sur des conventions internationales, dont le modèle est issu de la crise de 1929. Ce modèle prévoit qu’une entreprise étrangère n’est taxable sur un territoire que lorsqu’elle y a un établissement stable, une présence physique. L’article 209 du code général des impôts correspond à ce principe : sont assujettis à l’impôt sur les sociétés les bénéfices tirés de l’exploitation d’une entreprise en France. Les décisions de justice récemment rendues à propos de Google démontrent, s’il en était besoin, les lacunes des conventions internationales et de notre droit fiscal.

Votre proposition est une avancée, monsieur le ministre, même si nous regrettons cette politique des très petits pas. Nous ne pouvons que vous encourager dans la voie ouverte, même si le Sénat avait déjà adopté, lors du débat sur la loi de finances pour 2019, un article destiné à avancer sur la voie de la taxation. Par ailleurs, en mai 2018, nous avions également soutenu la proposition de résolution européenne sur la directive du Conseil de l’Union concernant le projet d’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés, ou Accis.

Nous déplorons la lenteur des décisions à l’échelon européen, puisque l’OCDE entendait assurer dès 2012, dans son projet BEPS, que les bénéfices soient imposés là où ils sont dégagés. La cinquième des quinze actions proposées prévoyait de « lutter […] contre les pratiques fiscales dommageables », donc contre l’optimisation fiscale agressive, et il était également question d’empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales.

Nous ne pouvons que vous encourager à persévérer dans le soutien aux démarches de l’OCDE et à appuyer le travail remarquable de M. Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

La France présidera le prochain G7. Le Président de la République se préoccupe lui-même de l’organisation de ce sommet en se rendant sur place, à Biarritz. Nous souhaitons qu’il s’active aussi fermement sur cette question. Vous nous avez un tout petit peu rassurés à cet égard, monsieur le ministre.

Sur le projet Accis, mis sur la table en mars 2018, l’Union européenne se heurte à la règle de l’unanimité des États membres en matière fiscale. Dans le cadre du débat actuel sur l’Europe, la bataille relative à la majorité qualifiée fait rage ; adopter une telle règle est une nécessité. En effet, la reconnaissance d’un établissement stable virtuel, au travers de la notion de présence numérique significative, nous paraît déterminante, et notre soutien vous est acquis en la matière. Il convient de donner une impulsion.

Israël, en 2016, et l’Inde – troisième écosystème mondial, avec 250 licornes et 7 400 start-up –, en 2018, ont introduit de tels dispositifs dans leur législation en dépit des lenteurs liées à la renégociation des conventions fiscales internationales. C’est un signal encourageant.

Nous le constatons, les positions des États évoluent en fonction de leurs intérêts propres. La réforme de la fiscalité américaine de décembre 2017, destinée à attirer les actifs incorporels et les bénéfices sur son sol en les rapatriant des paradis fiscaux et à sécuriser l’assiette imposable, en est l’expression.

Nous ne pouvons que soutenir votre démarche ; c’est une avancée que nous approuvons. Néanmoins, le groupe socialiste et républicain attendra, pour se déterminer définitivement, même si son a priori est favorable, l’issue des débats et les inflexions que pourrait apporter la majorité sénatoriale au texte.

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