Je rejoins l’argumentaire tout juste développé et profite de cette présentation pour répondre à certaines remarques constructives – je vous remercie d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le caractère très constructif de notre débat.
Nous faisons le choix d’une taxe nationale, afin de nous donner toute la crédibilité nécessaire à l’OCDE pour obtenir une solution internationale.
Vous me permettrez d’être un peu moins confiant que certains dans cet hémicycle sur notre capacité à obtenir un résultat à l’OCDE. Comme qui dirait, chat échaudé craint l’eau froide… En outre, j’ai pu constater que, en matière fiscale, il peut couler beaucoup d’eau sous les ponts avant de parvenir à un consensus. Par conséquent, nous devons mettre toutes les chances de notre côté, et, pour cela, avoir le courage d’adopter une taxe au niveau national. Je rejoins d’ailleurs les propos de M. Gay sur le fait que, par moments, la France doit accepter d’être devant, de proposer son propre système.
La France est un grand pays, une grande nation. Elle peut montrer la voie sur certains sujets, plutôt que d’attendre systématiquement d’avoir le soutien des autres, surtout quand, comme ici, elle a déjà obtenu le soutien de vingt-trois nations et que le blocage est dû à seulement quatre États en Europe.
Il est d’autres sujets fiscaux sur lesquels d’autres nations ont accepté d’être pionnières et ont obtenu des résultats. Quand la Grande-Bretagne – une grande place financière pourtant – décide d’instaurer une taxation sur les transactions financières, parce que, justement, elle est une grande place financière et que cela lui rapporte beaucoup, elle est seule à le faire. C’est le paradoxe, d’ailleurs : la taxe est mise en place, pour la première fois, par la City de Londres, qui, en plus, agit seule !
Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de pays à vouloir suivre son exemple. La France a créé sa propre taxe, et, quelques années plus tard – je reconnais que cela prend beaucoup de temps –, nous parvenons à un accord sur le sujet, avec une taxe sur les transactions financières qui constituera, en outre, un des moyens de financement du budget de la zone euro. L’aboutissement d’un tel dossier représente plusieurs années de travail, mais, à l’origine, il y a une nation – la Grande-Bretagne – que nous avons suivie et, à la fin, un accord.
Dans le cas des États-Unis, je citerai la taxation minimale à l’impôt sur les sociétés, le fameux Gilti.
Mise en place par l’administration de Donald Trump, cette taxation vise à éviter l’évasion fiscale. À ce jour, aucun autre État n’a déployé un dispositif identique. Pour autant, si vous en discutez avec le secrétaire du Trésor américain, il vous expliquera que le principe est très simple : ne souhaitant subir aucune évasion fiscale, les Américains se permettent d’avoir une taxation minimale à l’impôt sur les sociétés. Celle-ci, d’ailleurs, nous servira de base, dans le cadre du G7, pour instaurer une même taxe et, ainsi, éviter l’évasion fiscale de grandes entreprises multinationales, qui engrangent des bénéfices en France et paient leurs impôts à l’étranger, évidemment dans des paradis fiscaux. Face à ce phénomène, inacceptable, vous voyez bien que la voie a été ouverte par un État.
À mes yeux, c’est tout à l’honneur de la France que d’ouvrir la voie sur la taxation du numérique et d’avoir le courage, effectivement, d’être seule à appliquer cette taxe. Je le reconnais bien volontiers : si d’autres pays, comme l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, ont mis le projet à l’étude, nous sommes pour le moment seuls à être passés à l’acte, peut-être bientôt rejoints par l’Autriche.
Quoi qu’il en soit, la France sera le premier État, en Europe, à taxer les géants du numérique. Il faut, non pas en avoir peur, mais en être fier, et je suis convaincu que d’autres nations nous suivront.
En revanche, si nous instaurons ce dispositif, tout en disant aux intéressés « ne vous inquiétez pas, la taxe sera retirée dans deux ou trois ans », nous perdons en « beauté » et en « efficacité ». Or les deux sont importants en politique : la beauté du geste, comme son efficacité ! Si vous voulez les concilier, il me paraît indispensable de ne pas borner dans le temps cette taxation sur les services numériques.
L’engagement est clair et simple : le jour où un accord sera obtenu à l’OCDE, nous retirerons notre taxe nationale, mais nous la conserverons tant qu’il n’y en aura pas.