Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 21 mai 2019 à 21h45
Création d'une taxe sur les services numériques — Article 1er

Bruno Le Maire :

Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

Je souhaiterais rappeler que nous avons travaillé pendant près de deux ans sur les contours de cette taxe avec les services juridiques et fiscaux de la Commission européenne.

Nous avons trouvé un équilibre autour d’un chiffre d’affaires mondial de 750 millions d’euros et d’un chiffre d’affaires national de 25 millions d’euros.

Nous avons trouvé un équilibre autour de la base fiscale, à savoir le chiffre d’affaires.

Nous avons écarté la notion d’établissement stable numérique, laquelle est bien documentée juridiquement, mais moins fiscalement.

Au final, nous sommes arrivés à une proposition dont nous voulons aujourd’hui rester le plus proche possible, ne serait-ce que parce qu’il sera utile, dans les étapes ultérieures, de pouvoir nous référer au texte de la Commission européenne plutôt qu’à une taxe qui nous serait propre et qui reposerait sur des éléments trop différents de ceux que pourraient retenir les autres États membres ou ceux de l’OCDE. C’est la raison pour laquelle tous les amendements visant soit à modifier les seuils, soit à retenir une autre base taxable que le chiffre d’affaires ne nous paraissent pas opportuns. Je rejoins donc exactement l’argumentaire du rapporteur et invite les auteurs de ces amendements à les retirer ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.

L’autre sujet qui a été soulevé, et dont Albéric de Montgolfier a très bien expliqué les enjeux, concerne la taxation des commerces en ligne. Je voudrais vous inviter à laisser de côté cette question, qui n’est absolument pas comparable avec la taxation du numérique et dont les incidences économiques peuvent être absolument majeures.

Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre un agent immobilier exerçant à Melun, à Biarritz ou à Évreux, qui met des biens immobiliers en ligne, et le site Booking.com, qui croise des millions de données pour mettre en relation des utilisateurs ? Booking réalise des bénéfices grâce à cette mise en relation et à ces millions de données agrégées sans être taxé au même niveau que d’autres PME ou que cet agent immobilier de Melun, de Biarritz ou d’Évreux. Nous rétablissons donc une justice au travers de la mise en place de cette taxation du numérique. Mais si vous taxez l’agent immobilier qui a mis des biens en ligne, vous allez le pénaliser alors même qu’il paye déjà l’impôt sur les sociétés, les impôts locaux et l’intégralité des impôts nationaux auxquels il est assujetti. Vous allez donc créer une injustice.

Je pense également, par exemple, à un fabricant de chaussettes en coton, près de Lille, que j’ai rencontré récemment. Comme son seuil de rentabilité est très faible, il n’a pas de boutique et vend toute sa production en ligne. En revanche, il effectue les livraisons lui-même. Il va donc payer tous ses impôts – impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu, s’il s’agit de revenus propres – et la TICPE sur le gazole qu’il consomme pour effectuer ses livraisons. Et vous allez lui faire payer une taxe supplémentaire, parce qu’il commercialise ses chaussettes sur internet, alors même qu’il ne profite absolument pas de l’effet de masse lié aux millions de données en ligne !

Je suis prêt à ouvrir ce débat, mais je sais que le marchand de chaussettes, dont le commerce est en partie physique et qui s’acquitte déjà d’autres impôts, vous dira que cette taxe est injuste. Il s’agit d’un vrai débat, dont il faut évaluer toutes les conséquences.

Comme toujours en matière fiscale, il faut prendre son temps. C’est un sujet compliqué qui peut entraîner des effets de bord, des incidences qu’on ne maîtrise pas. Une fois ce travail effectué, nous trancherons alors sur l’opportunité de taxer ou non le commerce en ligne.

Pour le moment, je vous demande de laisser de côté cette question, qui n’est en rien comparable avec celle de la taxation du numérique qui nous occupe ce soir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion