Madame la présidente, mes chers collègues, deux ans après votre prise de fonction, madame la ministre, vous avez choisi de nous présenter une loi non pas de santé, mais d’organisation du système de soins.
D’aucuns y voient la marque d’un pragmatisme qui choisit de s’attaquer à un système de soins de moins en moins adapté aux défis sanitaires de notre temps, sans mettre en scène un débat théologique. D’autres soulignent le manque d’ambition du texte, son côté patchwork, et posent une question : cette loi est-elle de nature à apporter des réponses aux grandes questions de santé publique ? Est-elle à la hauteur des défis ? Aux uns et aux autres, l’avenir répondra.
Beaucoup, en tout cas, constatent que vous présentez une loi aux contours flous et au contenu flouté par un recours massif aux ordonnances.
L’instauration de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’Ondam, en 1996, avait renforcé la légitimité du Parlement en matière de politique de santé. Avec ce texte, vous procédez comme jamais à une dépossession parlementaire. Nous ne mettons pas ici en cause le principe du recours aux ordonnances, légitime lorsque technicité et concertation se conjuguent. Mais nous rejetons la prétention d’un exécutif qui s’attribue une question aussi fortement politique que la carte de l’offre de soins par la conjugaison des ordonnances prévues aux articles 8 et 9. Les hôpitaux de proximité et l’ensemble des autorisations de soins sont des sujets majeurs, politiques avant d’être réglementaires.
Nous souscrivons volontiers au principe de gradation et de meilleure répartition territoriale. Mais il convient de ne pas marginaliser le Parlement, ce qui irait à rebours de l’évolution politique des dernières années, la santé ayant progressivement dépassé son statut de première préoccupation personnelle des Français pour devenir un sujet de débat collectif, sociétal et politique. Le Sénat devra s’opposer, concernant la santé, à cette conception régressive du débat démocratique.
Nous accueillons avec intérêt votre volonté de modifier le mode de sélection des étudiants se destinant aux professions de santé. Nous pensons à eux, parce que le gâchis humain actuel doit cesser. Mais nous savons que c’est le second cycle qui est déterminant dans la construction des représentations professionnelles et, donc, dans le devenir des étudiants. Nous approuvons également la suppression du verrou final, les ECN, qui perturbent ce second cycle. Mais nous restons insatisfaits, ces deux seules mesures d’entrée et de sortie n’étant pas accompagnées d’une évolution concernant le contenu du second cycle. Nombre d’amendements ont été déposés par mes collègues sur ce sujet, ce qui confirme l’insatisfaction qu’il provoque.
Madame la ministre, la désertification médicale, vous le savez, a des conséquences désastreuses pour nos compatriotes qui ne peuvent accéder aux soins dans des conditions satisfaisantes. Cela nous impose d’agir, je reviendrai sur ce point.
En outre, nous constatons que, sous la pression de la pénurie, les fondements de notre organisation des soins et du partage des tâches sont mis en question.
Soyons clairs. Oui, le partage des tâches doit aller plus loin qu’aujourd’hui. Des professionnels de santé sont sous-valorisés et sous-utilisés, alors qu’ils ont la compétence pour mieux contribuer aux parcours de soins et mieux articuler le sanitaire et le médico-social. Il nous faut trouver le bon équilibre : mieux les reconnaître et mieux prendre en compte leurs savoirs et leurs savoir-faire, sans méconnaître la nécessaire délimitation entre les fonctions de diagnostic, de soin et de délivrance des produits de santé. Le confusionnisme qui se répand ne constitue une réponse satisfaisante ni pour les professionnels ni pour les usagers. À cet égard, le texte transmis par l’Assemblée nationale n’a pas atteint un équilibre satisfaisant.
Le numérique dans le domaine de la santé, riche de progrès et d’innovations, est exposé aux mêmes dérives : il est un complément, une composante utile, au parcours de soins. Mais prenons garde à ce qu’il n’engendre pas un système de soins injuste, où certains verraient un médecin en face d’eux tandis que d’autres n’auraient droit qu’à un professionnel de santé derrière un écran. Je vous laisse deviner quels habitants de quels territoires auraient accès à telle ou telle solution. La même interrogation s’applique aux origines et aux classes sociales. Le numérique n’est pas un pis-aller à la désertification médicale. Il ne doit pas être à l’origine d’une médecine à deux vitesses.
Nous devons donc affronter plus volontairement la question de la désertification. Ce projet de loi, vous en conviendrez, serait entaché s’il ne marquait pas un nouveau volontarisme en la matière.
Les mesures incitatives produisent des effets, mais trop lentement. Quant au conventionnement sélectif, il produirait à coup sûr des effets collatéraux qui en feraient un remède peut-être pire que le mal.
Nous avons donc proposé à nos collègues de la majorité sénatoriale et de l’ensemble des groupes, qui ont accepté, de travailler ensemble à une solution. Je salue leur ouverture et leur sagesse. Il s’agit de mettre en œuvre au plus vite l’année de professionnalisation des IMG, les internes de médecine générale, dans les territoires. Cette année est déjà prévue par l’harmonisation européenne des cursus et un arrêté datant de 2017.
La mesure aurait un effet important et déterminant en termes d’attribution de temps médical, là où les besoins sont les plus importants, à un horizon singulièrement raccourci de trois ans. Elle est de nature à résoudre, en complément des dispositifs existants, la question qui nous est posée.
Madame la ministre, sur bien des sujets, votre projet de loi ouvre des pistes intéressantes. Oui, le statut des praticiens hospitaliers, les PH, doit être réformé. Oui, nous devons mieux accueillir les praticiens à diplôme hors Union européenne. Oui, l’espace numérique de santé est un défi enthousiasmant.
Nous constatons seulement que ce projet a insuffisamment mûri et qu’il gagnerait à un travail plus approfondi. Ce n’est pas un hasard si la procédure parlementaire normale prévoit deux lectures dans chaque assemblée. Mais votre gouvernement veut aller trop vite. Une bonne loi prend du temps, et vous ne prenez pas ce temps.
La loi HPST mérite, au vu de ses résultats, que des correctifs lui soient apportés. Alors que la loi de 2016, qui n’est pas encore pleinement entrée en application, n’a pas non plus été évaluée, vous invoquez l’urgence à légiférer. Nous sommes les champions en la matière, mais nous avons du mal à attribuer les moyens que ces lois requièrent. Ainsi ce projet ne manque-t-il pas d’engagements dont le financement ne paraît pas assuré.
Le texte qui sera adopté par le Sénat sera, nous l’espérons et nous y travaillons, amélioré. Nous nous prononcerons en fonction des résultats auxquels nous parviendrons.
À vous, madame la ministre, qui nous présentez une copie bien trop blanche, et qui de ce fait transformez le vote d’une loi en une question de confiance, je voudrais dire que vos propos et vos actes durant ce débat seront pour nous déterminants.