… nous sommes convaincus qu’il faut proposer et mobiliser une multiplicité d’outils pour répondre au cas par cas aux réalités des territoires.
Aussi avons-nous identifié trois pistes essentielles qui seront traduites, pour partie, en amendements visant à regagner du temps médical et à implanter les futurs médecins sur les territoires.
Première piste : décentraliser la formation.
La fin du numerus clausus n’entraînera pas immédiatement l’augmentation attendue du nombre de médecins, en raison du caractère limité des capacités d’accueil dont disposent les universités et les maîtres de stage, bien que le nombre de ces derniers ait enregistré une progression remarquable de 17 % lors de l’année écoulée.
C’est pourquoi nous pensons que décentraliser les formations est une piste à explorer, qui permettrait d’augmenter le nombre de places, de susciter davantage de vocations, avec pour effet de diversifier les profils, et de maintenir les étudiants sur leur lieu de vie. Cessons de concentrer nos étudiants dans les grandes métropoles – ils y restent souvent une fois leurs études terminées. Certains territoires donnent l’exemple : Laval accueillera à la rentrée prochaine des cours retransmis de la faculté d’Angers.
Cette proposition ne peut se traduire par un amendement ; son sort dépendra de la volonté des universités et de leurs doyens. Merci à vous, mesdames les ministres, de les intéresser à une telle ouverture !
Deuxième piste : priorité aux stages.
Nous le savons : les stages ambulatoires sont un levier essentiel pour faire découvrir les réalités des territoires fragiles, pour promouvoir la richesse des modes d’exercice et pour orienter les vocations des étudiants.
J’identifie plusieurs conditions pour faire de ces stages des expériences réussies, donnant envie de s’installer durablement dans ces territoires : offrir aux étudiants de bonnes conditions matérielles, et ce dès les stages d’externat ; garantir la qualité de l’encadrement et diversifier les lieux de stage, ce qui implique de mieux prendre en compte les retours d’expérience des stagiaires et de faciliter l’agrément des maîtres de stage – nous proposerons des amendements en ce sens ; organiser des politiques d’accueil des étudiants dans ces territoires, non seulement par la promotion du cadre de vie, mais aussi par la rencontre avec le réseau des professionnels de santé desdits territoires.
Troisième piste : favoriser le partage des tâches.
Le profil type du médecin d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. Les 80 heures par semaine en pratique isolée sont derrière nous ; 97 % des médecins expriment le souhait de travailler en pluridisciplinarité. Ainsi le simple remplacement d’un médecin par un nouveau professionnel est-il aujourd’hui insuffisant. La Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, indiquait récemment que les médecins généralistes travaillent en moyenne 54 heures par semaine.
Avec le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques, nos concitoyens doivent se rendre régulièrement chez leur médecin traitant ou chez un spécialiste.
C’est pourquoi nous devons favoriser le partage des tâches et regagner du temps médical. Nous proposons, dans cette perspective, de donner une définition claire des « équipes de soins primaires », en prévoyant un triptyque composé d’un médecin généraliste, d’un pharmacien et d’un infirmier libéral auquel viendraient s’ajouter, selon les besoins des patients, les autres auxiliaires médicaux.
Il est également nécessaire de fluidifier les parcours des professionnels de santé, en facilitant les exercices mixtes – c’est d’ailleurs ce que vous proposez, madame la ministre. Dans la continuité de vos propositions, nous voulons autoriser la pratique d’une activité libérale aux praticiens salariés à temps plein des Espic, les établissements de santé privés d’intérêt collectif.
Je soutiendrai tout amendement dont l’adoption aurait pour effet de permettre un meilleur partage des tâches, tout en restant très vigilante sur la nécessité de maintenir un haut niveau de qualité des soins. L’objectif n’est pas de déléguer à tout va – cela mettrait en danger à la fois les professionnels et les patients.
À ce stade de mon propos, je souhaite vous livrer un témoignage. Déléguée à l’accès aux soins avec le député Thomas Mesnier et le docteur Sophie Augros, j’ai pu mesurer, au cours de nos déplacements, combien le dialogue et l’accompagnement étaient nécessaires et essentiels. Expliquer les dispositifs, rencontrer les acteurs, relever les difficultés, comprendre les enjeux liés à chaque territoire, mettre du lien entre institutions et professionnels : autant d’actions qui mériteraient une véritable structuration. Or, sur les territoires, la déclinaison des mesures est perfectible. Nos concitoyens, les élus et les professionnels eux-mêmes ont besoin de mesurer les effets de la politique nationale.
Il convient de communiquer au plus près du terrain pour fédérer tous les acteurs. Je pense toutefois qu’un effort de simplification et de clarification est nécessaire et permettra une meilleure adhésion. Je suis persuadée par ailleurs que les élus locaux ont un grand rôle à jouer – vous l’avez dit, madame la ministre –, à la condition qu’ils maîtrisent pleinement l’ensemble des dispositifs.
Si ce projet de loi suscite globalement l’enthousiasme des Français, d’après un sondage publié aujourd’hui par un grand quotidien national, ceux-ci demandent aussi des mesures coercitives. Cette option est relayée par certains parlementaires, y compris de mon groupe ; à titre personnel, je n’y suis pas favorable. Car, pour pouvoir répartir, encore faut-il disposer du nombre de professionnels suffisant. Or, ce nombre, actuellement, fait défaut, s’agissant en particulier des médecins généralistes. Je me contenterai de citer un chiffre : en 2010, ces derniers étaient plus de 94 000 ; en 2019, ils ne sont plus que 87 000.
Dessiner le paysage de demain, en matière de santé, est indispensable ; quant à vos ambitions, madame la ministre, nous les partageons toutes, tous autant que nous sommes. Mais je crois beaucoup, au-delà d’un projet de loi, à la pédagogie et au partage des responsabilités pour engager une véritable dynamique. La santé est un sujet universel qui devrait nous unir, pour le bien de nos concitoyens.