Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 13 juin 2019 à 9h30
Politique générale — Débat et vote sur une déclaration du gouvernement

Photo de Patrick KannerPatrick Kanner :

Avec cette réforme paramétrique, qui n’a plus rien à voir avec la réforme systémique annoncée, vous allez creuser un nouveau fossé entre les Français en fonction de leurs revenus. Vous allez encore affaiblir l’adhésion au système des retraites, y compris à celui qui sera mis en place. Vous allez accélérer la perte de confiance envers un système universel et solidaire.

A contrario, nous proposons de revenir aux critères de pénibilité, qui doivent être au cœur du mode de calcul des droits à la retraite et du nombre de trimestres, tout en conservant l’âge légal de départ à la retraite pour tous à 62 ans, et à 60 ans pour les carrières longues.

Ces règles paramétriques peuvent s’appliquer dans le système actuel ou dans le système par points. Elles permettent de ne pas prolonger les carrières de ceux de nos concitoyens qui ont les métiers les plus difficiles et qui font fonctionner notre société au quotidien.

Monsieur le Premier ministre, ce sont les mêmes qui ont l’espérance de vie la plus courte à la retraite. Ce sont eux qui ont crié leur désespoir ces derniers mois. Notre conviction est que leur droit à la retraite doit être garanti par des critères justes. Voilà ce que serait une réponse solidaire à la crise sociale !

Vous auriez pu venir nous expliquer que la réforme de l’assurance chômage n’affaiblirait pas les droits des Français ou même – j’ose le dire – qu’elle les garantirait, que la mise en place du revenu minimum se ferait avec une enveloppe dynamique, ou que vous avez un projet pour l’emploi.

Au lieu de cela, vous proposez un allongement de la durée du travail pour pouvoir bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Vous annoncez aussi d’autres mesures sous prétexte que le système actuel n’inciterait pas suffisamment à la reprise d’une activité durable.

Ce discours qui est tenu dans vos rangs, par vos ministres, permettez-moi de vous le dire, est l’une des causes du fossé grandissant entre les Français. Ce discours est totalement déconnecté de la réalité du chômage ! C’est le discours de ceux qui n’ont jamais eu à vivre éloignés du travail, avec des périodes répétées de chômage et, surtout, des revenus inférieurs à 1 000 euros. C’est le discours de ceux qui n’ont jamais été au chômage et qui ne le seront jamais !

C’est parce que nous nous opposons à ces arguments et à ce mépris social que nous défendons l’abondement de la prime d’activité, celle-là même que nous avons instaurée. Le nombre élevé de demandes de cette prestation est la preuve que les Français préfèrent travailler, plutôt que d’être prétendument assistés.

Cette prime d’activité est d’abord un outil complémentaire du retour à l’emploi : elle ne peut donc remplacer, comme vous le faites, la nécessaire conférence sociale sur les salaires, que nous appelons une nouvelle fois de nos vœux. User et abuser de la prime d’activité, c’est faire de la redistribution sans demander d’efforts supplémentaires aux employeurs. C’est recreuser le déficit de la sécurité sociale et, au passage, ne pas répondre aux besoins des hôpitaux publics !

Nous portons nous aussi l’idée d’un revenu minimum. Après la création de la prime d’activité, ce revenu devait constituer une étape supplémentaire pour pallier le non-recours aux aides sociales. C’est pourquoi nous avons défendu, et nous continuerons de le faire, la proposition d’expérimentation formulée par les départements à majorité socialiste.

Seulement, votre volonté d’intégrer dans le périmètre de ce revenu minimum des allocations qui ne sont pas du même niveau risque d’affaiblir l’impact social de cette mesure.

Surtout, votre volonté de maintenir une enveloppe constante, alors que vous affichez l’objectif d’automatiser le versement des allocations, est une erreur : c’est un peu comme si l’on voulait faire entrer une pointure 42 dans une chaussure pointure 39 ! Nous défendons l’automatisation des allocations : nous défendrons donc une enveloppe adaptée et dynamique.

Sur l’emploi, monsieur le Premier ministre, nous réitérons nos inquiétudes et nos propositions.

Tout d’abord, la suppression des contrats aidés a affaibli notre marché de l’emploi et réduit la baisse du chômage pour nos concitoyens les plus en difficulté.

Ensuite, sur la politique économique, les annonces successives de fermetures d’usines sont la démonstration d’une absence de stratégie industrielle. Les privatisations engagées n’alimenteront que faiblement le fonds pour l’innovation, alors qu’un investissement direct, clair et assumé de l’État pour la transformation de notre appareil industriel serait nécessaire.

Voilà ce qu’aurait pu être une réponse salariale et économique à la crise sociale !

Vous auriez aussi pu venir nous parler de ce qui est au cœur du problème social de notre pays : la question du reste à vivre, du pouvoir d’achat, que l’on appelle aussi depuis peu, à juste titre, le « pouvoir de vivre ».

Bien au-delà de la seule question du niveau des salaires, c’est l’augmentation des charges incompressibles qui grève le budget de beaucoup de Français de la classe moyenne et qui accentue les inégalités avec les plus hauts revenus. C’est cette augmentation qui est à l’origine du populisme rampant dans notre pays. Ce sujet mérite une action de l’État, une action résolue.

Les dépenses en matière de logement doivent être contenues dans les grands centres urbains, via des mesures plus volontaires des pouvoirs publics. Mais la crise des « gilets jaunes » a aussi mis en évidence le coût accru des transports du quotidien pour se rendre au travail.

Sur ces sujets, il existe des leviers, comme l’encadrement des loyers ou une fiscalité affectée aux transports collectifs. Vous ne les actionnez pas, mais nous ferons de nouveau des propositions en la matière lors de l’examen des prochaines lois de finances, avec une attention particulière portée à la situation des outre-mer.

Monsieur le Premier ministre, votre acte II manque cruellement d’un grand volet social, ce que nous déplorons. Pour autant, nous reconnaissons que vous vous emparez de quelques nouveaux sujets, qui étaient bien trop loin de vos préoccupations jusqu’alors.

J’évoquerai la question des nouveaux droits, comme la procréation médicalement assistée, la PMA. Vous l’annoncez depuis deux ans, et peut-être un jour cette réforme se fera-t-elle vraiment. Je veux vous dire ici que nous vous accompagnerions dans cet engagement, sous réserve d’inventaire naturellement, comme nous l’avons toujours fait quand il s’agit de faire progresser les droits des femmes dans notre pays.

Je voudrais aussi aborder la question démocratique. Nous avons eu connaissance des projets concernant le statut de l’élu. Cette problématique est un serpent de mer et nous accueillerons favorablement un débat qui porterait enfin sur ce sujet.

En effet, la crise sociale qui affecte notre pays concerne également les élus de nos mairies, qui n’ont pas la reconnaissance qu’ils devraient avoir. Pour réussir, cette réforme devra concilier deux impératifs : il vous faudra tout d’abord passer par une concertation avec les associations d’élus ; vous l’avez vous-même reconnu et c’est tant mieux ! Il vous faudra ensuite écouter le Sénat, qui, sur toutes ses travées, a déjà beaucoup travaillé sur ce statut.

Nous aurons certainement des points de vue divergents sur les détails, mais il est nécessaire de nous engager enfin dans la voie d’une véritable reconnaissance de nos élus locaux. Cela contribuera à la respiration démocratique dont notre pays a besoin.

La question centrale de cette respiration démocratique restera, ensuite, celle de la décentralisation. Comme lors des précédents débats, nous demandons la mise en place d’un nouveau pacte de décentralisation, afin que les collectivités puissent agir pleinement et librement, mais aussi disposer de moyens propres dans les domaines du développement économique, de l’aménagement du territoire ou des déplacements et des équipements.

Le lien de confiance avec les élus locaux passera par là et par le retour au respect des engagements de l’État sur les projets locaux. Jusqu’ici, nous en sommes loin, monsieur le Premier ministre. À cet égard, permettez au sénateur du Nord et, donc, des Hauts-de-France que je suis de vous dire que le retrait progressif et cynique de l’État sur le projet du canal Seine-Nord Europe n’est pas acceptable.

Faire confiance aux élus locaux, aux collectivités et à la décentralisation, c’est assurer la vitalité démocratique du pays. Cela étant, cette dernière a besoin d’une autre ressource : la pluralité politique.

Monsieur le Premier ministre, nous avons des divergences de vues et des oppositions, mais nous avons en commun la volonté, au moins affichée, de faire vivre notre démocratie et de promouvoir le projet républicain. Cette pluralité est incarnée dans nos assemblées, voire au sein de nos groupes. C’est une force pour nous tous. Aussi, nous nous inquiétons de l’une de vos réformes à venir : la réforme institutionnelle et le totem de la réduction du nombre de parlementaires.

Vous avez manifestement décidé de reporter sine die une réforme qui reste pourtant absolument nécessaire, en faisant porter la responsabilité de votre décision sur la Haute Assemblée, pourtant gardienne de la juste représentation des territoires. Monsieur le Premier ministre, je dénonce cette manœuvre, alors qu’un accord raisonnable est toujours possible.

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