Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que de chemin parcouru ! Que de travail accompli depuis la rédaction de cette proposition de loi déposée le 30 juillet 2018, voilà presque un an, aux côtés de notre ancien et très estimé collègue François Pillet, qui – est-il nécessaire de le rappeler ? – a quitté nos travées pour rejoindre les fauteuils du Conseil constitutionnel.
François Pillet avait accepté de me parrainer et de me conseiller dans le cheminement de ce texte de loi, un appel cosigné par près de 20 % d’entre nous. Nous avions alors pour objectif de porter au cœur de cet hémicycle le débat sur le rôle que peut jouer la médiation territoriale, aux fins de rapprocher l’administration de ses administrés.
Entre-temps, cette proposition de loi a rencontré l’actualité. Elle a trouvé un écho particulier à l’échelle nationale, avec le mouvement des « gilets jaunes ». Cet élan de protestation a mis en lumière, sur l’ensemble de notre territoire, l’extrême défiance de nos concitoyens envers nos mécanismes démocratiques.
C’est un profond sentiment de mise à l’écart de l’élaboration de nos politiques publiques qui a été exprimé. Les manifestants nous font part de leur furieuse envie d’être régulièrement consultés et intégrés dans les processus de décision ; ce sentiment s’exprime d’ailleurs bien au-delà d’eux.
Le Gouvernement a répondu de manière originale à cette crise, en organisant un grand débat national. Ce sont près de 700 médiateurs, 700 facilitateurs de parole, qui ont eu la lourde tâche de transformer une contestation violente en une concertation constructive. Ce sont eux qui ont eu la responsabilité d’animer et de réguler au plus près du terrain ces participations de citoyens aspirant à devenir bien plus que de simples administrés – la responsabilité de redonner de la vitalité à notre démocratie.
C’est pourquoi, dans le cadre du grand débat national organisé au Sénat, j’avais tenu à interroger Mme la ministre de la justice, Nicole Belloubet, sur l’opportunité de notre proposition de loi et sur le rôle des médiateurs territoriaux au sein de nos collectivités locales. Dans sa réponse, Mme la garde des sceaux avait reconnu le rôle que pourrait jouer la médiation territoriale, pour « revivifier l’expression de la citoyenneté en France ».
La médiation territoriale a d’ores et déjà fait ses preuves sur notre territoire : elle apparaît comme le maillon manquant entre les administrations et leurs résidents.
Même s’il est difficile de recenser les médiateurs, car ils ont des statuts et des pratiques pouvant différer, l’Association des médiateurs des collectivités territoriales en dénombre une quarantaine : 23 médiateurs communaux, notamment à Bordeaux, Paris ou Angers, 1 médiateur intercommunal à Bourges, 1 médiateur métropolitain lillois, 14 médiateurs départementaux, notamment en Gironde, Charente-Maritime ou dans le Cantal, et 2 médiateurs régionaux, avec l’Île-de-France et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Toutefois, comment développer au mieux ce formidable outil qu’est la médiation territoriale ? Comment instiller cet élément de réconciliation dans nos rouages administratifs, sans créer une nouvelle charge pour nos collectivités ?
C’est tout le travail que nous avons mené avec le rapporteur François Bonhomme, que je salue et remercie chaleureusement de son attrait et de sa réelle implication dans cette cause.
C’est aussi le fruit de nombreuses sollicitations que nous avons spontanément reçues à la suite de la publication du texte en juillet 2018. Je souhaitais donc tout naturellement remercier les associations de médiateurs et les représentants d’acteurs de la médiation territoriale que nous avons auditionnés et qui ont apporté leur pierre à l’édifice. C’est sans oublier l’appui du ministère de la justice et le vif intérêt manifesté par M. le ministre Sébastien Lecornu, qui a tenu à être présent aujourd’hui.
Nous n’avons pas eu la prétention d’embrasser l’ensemble des problématiques de la médiation française. L’objectif était de réunir des textes épars et de les enrichir sur le seul champ de la médiation territoriale.
Nous avons saisi l’occasion de ce véhicule législatif pour élaborer un socle solide, capable de faire prospérer écoute et dialogue au sein de nos collectivités et de faire naître de nouvelles initiatives de règlement de conflits au quotidien. Cette disposition est attendue, car elle va permettre de limiter le nombre de recours juridiques et de régler certains vices de procédure, parfois chronophages.
Avec le rapporteur, j’ai pris le parti de supprimer l’obligation de désigner un médiateur territorial dans les communes de plus de 60 000 habitants et dans les intercommunalités de plus de 100 000 habitants – soit respectivement 94 communes et 123 établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, en France –, ainsi que dans les conseils départementaux et les conseils régionaux.
Si cette obligation, initialement prévue dans la proposition de loi, pouvait favoriser un développement rapide de ce mode de résolution à l’amiable, nous avons décidé d’éviter toute nouvelle contrainte pour les collectivités territoriales.
Ce texte permet de parvenir à une notion de médiation territoriale, dans laquelle le rôle du médiateur y est défini par son champ de compétences.
Nous avons pris le parti d’exclure les différends avec les autres personnes publiques et les litiges internes de gestion des ressources humaines. Nous avons également tenu à articuler son action avec celle du Défenseur des droits, dont il devient le correspondant, ou avec celle des autres médiateurs, comme celui de la consommation. Nous avons chargé le médiateur territorial de remettre annuellement un rapport d’activité ; ce document peut être source de propositions pour les élus, afin de résoudre des dysfonctionnements aussi bien ponctuels que structurels entre voisins, entre particuliers ou avec l’administration.
L’un des apports de cette proposition de loi est d’élaborer un code de déontologie pour tout médiateur territorial en France. Pour cela, elle s’appuie sur des principes inspirés du code de justice administrative, tels que l’indépendance, l’impartialité, la compétence, la diligence et la confidentialité.
Afin de garantir, dans la pratique, ces règles déontologiques, le texte prévoit certaines incompatibilités avec des fonctions d’élu ou d’agent territorial de la même collectivité.
Ces mesures ont pour objectif d’éviter certains cas, observés notamment lors de mes auditions préalables, de conseillers municipaux de la majorité occupant la fonction de médiateurs territoriaux au sein de leurs communes et statuant sur des litiges survenant avec leur propre administration. L’adoption d’un amendement de notre rapporteur a permis d’élargir ces conditions d’exercice aux agents contractuels, mais aussi de souligner que la proposition de loi rappelle la gratuité de ce service aux usagers.
Enfin, et cela constitue une avancée majeure, cette proposition de loi octroie au processus de médiation territoriale un caractère suspensif.
En effet, les dossiers viennent souvent en médiation après un certain délai de réflexion ou d’une information obtenue tardivement – donc proche de la fin d’un recours. Or la médiation demande parfois un peu de temps : cette suspension peut permettre de ramener de la sérénité et de laisser le temps, justement, démêler une situation délicate. Cela peut permettre, aussi, d’éviter une judiciarisation.
Toutefois, si la collectivité pense que la saisie de la médiation n’a que pour seul but de gagner du temps, et si la démarche semble abusive, elle aura le choix de ne pas entrer dans le processus de médiation. De même, si cette dernière n’aboutit pas, le délai de recours reprendra à la date initiale.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, cette proposition de loi ayant pour objet de favoriser le développement des médiateurs territoriaux répond donc à une pratique de résolution de conflits entre l’administration et les administrés. Cette dernière doit être encadrée par la loi, pour ne pas être dénaturée.
En rédigeant un nouvel article du code général des collectivités territoriales, ce texte de loi a, je pense, relevé le défi que je lui avais donné avec le sénateur François Pillet : créer un socle de règles communes pour la médiation territoriale, sécuriser son application sur le terrain et faire prospérer ce mode de règlement de conflit de proximité à l’amiable.
« Voilà ce qui réconcilie la politique et la proximité. Voilà ce qui peut nous réconcilier durablement avec les Français, nous qui nous sommes engagés pour améliorer leur vie quotidienne ». Ce ne sont pas là mes propos, mes chers collègues ; ce sont les mots prononcés par M. le Premier ministre, ce matin, à cette même tribune, dans son discours de politique générale.
Je suis donc ravie, fière, et même un brin émue de vous présenter ce texte de loi, qui, j’en suis persuadée, répond tant à un besoin de nos collectivités qu’à l’appel lancé par nos concitoyens.