Intervention de Philippe Bas

Réunion du 18 juin 2019 à 14h30
Clarification et actualisation du règlement du sénat — Article 15

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Les auteurs de ces amendements soulèvent une question très importante, juridiquement complexe.

Pour qu’un référendum d’initiative partagée soit organisé, si le nombre de signatures est réuni après une initiative parlementaire qui aura probablement rassemblé des membres de groupes parlementaires d’opposition au Gouvernement, le texte arrive sur le bureau de chacune des assemblées.

Pour faire échec au référendum, il faut et il suffit que la proposition de loi soit « examinée » dans chacune des assemblées. Mais quel est précisément le sens de ce terme selon la Constitution ?

Les assemblées pouvant, par hypothèse, avoir des majorités différentes, il suffit que le Gouvernement utilise un certain nombre d’instruments à sa disposition pour faire en sorte que le texte soit réputé examiné et faire échec au référendum.

La situation, évidemment, sera différente dans une assemblée où il a la majorité et dans une assemblée où il ne l’a pas, ce qui est actuellement le cas du Sénat – le récent vote sur la confiance l’a montré.

La majorité sénatoriale pourrait ainsi voter une question préalable pour rejeter le texte. Mais, dans un tel cas de figure, la proposition de loi serait tout de même réputée avoir été examinée, et le référendum ne pourrait pas se tenir. Il faut en effet examiner le texte pour pouvoir le rejeter par le vote d’une question préalable. Cette hypothèse-là ne me semble donc pas soulever de difficultés réelles.

Le renvoi en commission est plus astucieux : il signifie en effet que l’assemblée refuse d’examiner le texte au motif que la commission n’a pas pu suffisamment approfondir la question.

Que peut faire le Gouvernement dans ce cas ? S’il a astucieusement prévu d’inscrire l’examen de cette question à son ordre du jour prioritaire, les règles applicables sont très claires : la commission statue dans la journée, on revient en séance et le Gouvernement force l’examen du texte par l’assemblée parlementaire qui a tenté de l’éviter. Il empêche ainsi le référendum.

En revanche, si le Gouvernement n’a pas prévu cette inscription à l’ordre du jour prioritaire, l’examen par la commission peut durer très longtemps, le texte est réputé ne pas avoir été examiné par le Sénat et le référendum peut avoir lieu.

La seule faille dans le dispositif me semble porter non pas sur la question préalable, mais sur la motion d’irrecevabilité, lorsque le Gouvernement demande l’inscription du texte à l’ordre du jour prioritaire.

Toutefois, aucune des dispositions proposées ne me paraît répondre précisément à la question pertinente que chacune d’entre elles soulève, et c’est la raison pour laquelle la commission des lois a émis un avis défavorable sur ces trois amendements.

Elle l’a fait aussi en considérant que l’on ne pouvait pas résoudre une question de cette nature, qui concerne l’application d’une procédure démocratique prévue par la Constitution, à droit constant. À l’évidence, les auteurs de ces amendements veulent colmater des lignes de fuite qui empêchent la correcte application sur ce point de la révision constitutionnelle de 2008.

Je reconnais toutefois le très grand intérêt du travail qui a été réalisé par les auteurs de ces amendements, et c’est donc presque à regret que je considère que la solution apportée n’est pas aboutie. Il faudrait prendre le temps de réfléchir à une solution dans le cadre d’une réforme de fond de notre règlement.

Le Conseil constitutionnel a certainement des choses à dire sur cette question, et puisque le règlement du Sénat lui est nécessairement transmis, rien ne l’empêcherait de se prononcer sur ce point pour donner sa pleine portée aux dispositions de la Constitution.

Quoi qu’il en soit, j’émets un avis défavorable sur ces trois amendements.

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