Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 20 juin 2019 à 10h30
Accords avec la suisse et le luxembourg — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste a souhaité qu’un débat en procédure normale ait lieu sur ces accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière.

Ces derniers ont fait l’objet d’une étude approfondie de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, car un accord-cadre, s’il fixe les grands principes, nécessite la conclusion de conventions locales pouvant répondre au mieux aux besoins des personnes résidant dans les régions frontalières avec la Suisse et le Luxembourg.

C’est bien parce que des directives ne font pas de mesures concrètes que le Parlement est en droit d’obtenir des éclaircissements sur leurs conséquences. Le rapport de l’Assemblée nationale est exhaustif sur ces accords, et les recommandations formulées de bon sens. Beaucoup a été dit sur l’intérêt de développer les coopérations transfrontalières. Je me contenterai ici d’insister sur quelques points.

Le premier va dans le sens de l’intérêt de la conclusion de tels accords. Il se trouve que nous avons déjà une expérience de longue date en Moselle, plus particulièrement en Lorraine, de ces conventions locales conclues sur la base d’accords-cadres passés dès 2005, notamment avec la Belgique.

À cela s’ajoute la convention sanitaire Mosar, signée mercredi dernier à Forbach par les partenaires franco-allemands.

Elle va permettre de développer un peu plus la coopération entre les établissements de Sarre et de Moselle-Est.

Cependant, c’est bien le travail au plus près des difficultés et des situations concrètes qui a permis de résoudre des cas complexes, par la mise en place de systèmes ad hoc de coopération entre établissements médicaux frontaliers au plus près des besoins des patients, qui fonctionnent aujourd’hui très bien.

À l’échelon des zones frontalières lorraine – Meurthe-et-Moselle – et belge – province de Luxembourg –, une coopération renforcée a été mise en œuvre entre deux établissements par le biais de conventions et d’une zone organisée d’accès aux soins transfrontaliers, une ZOAST. Les ZOAST sont des zones géographiques au sein desquelles les populations ont librement accès aux soins des deux côtés de la frontière.

L’originalité de cette ZOAST repose sur les modalités de facturation de la prise en charge. Les procédures administratives sont ainsi simplifiées pour les patients français grâce à l’utilisation de la carte Vitale française via des bornes installées dans l’établissement belge, avec transmission des éléments à la CPAM française. Pour les patients belges, une procédure identique est appliquée sur présentation de la vignette de mutuelle.

Autre exemple, la ZOAST dite d’Arlon-Longwy, créée en 2008, permet aux patients de la zone frontalière de recevoir des soins au sein des deux établissements hospitaliers sans démarche préalable. Lorsque l’établissement français a connu des difficultés financières et structurelles en raison de la désertification médicale du bassin de Longwy, l’établissement belge est venu renforcer l’équipe médicale française dans nombre de spécialités.

On peut également citer la création d’un groupement d’intérêt économique dit des « trois frontières », qui permet aux radiologues des établissements belges de bénéficier des infrastructures d’imagerie médicale de l’établissement français situé à proximité.

Notre inquiétude, dans un contexte de rationalisation et de régionalisation plus poussées, est donc plutôt aujourd’hui que la mise en œuvre de ces accords ne soit pas en phase avec des problématiques très locales.

La construction d’une offre transfrontalière de soins paraît, dans le principe, un objectif louable, si cela permet aux frontaliers d’avoir accès à des soins à dix kilomètres de chez eux de l’autre côté de la frontière plutôt qu’à soixante-dix kilomètres dans leur propre pays.

Ce qui peut poser une difficulté, c’est ce que l’on met derrière l’objectif d’éviter toute concurrence entre les établissements de soins ou entre professionnels de santé, ou l’organisation de diagnostics qui permettrait à chaque État d’optimiser l’utilisation de ses infrastructures, de ses équipements et de son personnel médical et paramédical. En effet, ces diagnostics pourraient entraîner la disparition de certains établissements de soins. Cette inquiétude n’est pas sans lien avec les débats qui ont eu lieu dans le cadre de l’examen du projet de loi Santé. Les hôpitaux seront organisés en trois grades, selon les offres qu’ils pourront proposer. Dans le cas des régions transfrontalières, la labellisation interviendra-t-elle avant ou après la définition de l’offre de soins transfrontalière ? Est-ce en fonction de cette offre que certains hôpitaux en France seront classés de grade 3 ou de grade 1 ? Un hôpital français pourra-t-il perdre un grade parce qu’un hôpital situé de l’autre côté de la frontière sera considéré comme de grade 3 et ne pourra fournir qu’une offre de soins limitée ? Quelle garantie sera donnée en matière de continuité des soins et de prise en charge des urgences vitales ? Comment cette démarche vient-elle s’insérer, alors que nos territoires se vident de leurs médecins ?

En réalité, je crains que l’optimisation des infrastructures ne conduise inévitablement à la disparition de certaines d’entre elles. Elle ne doit pas non plus conduire à ce que les territoires se vident de leurs personnels les plus compétents, qui pourraient être attirés, notamment, par des salaires beaucoup plus élevés de l’autre côté de la frontière.

Les commissions mixtes chargées du suivi de la mise en œuvre de ces deux accords, tout comme les agences régionales de santé, devront être particulièrement vigilantes sur ce point, d’autant que, nous le savons tous, comme dans le cas de tous les services publics et régaliens, c’est la dynamique d’un territoire qui peut être touchée par une réorganisation des offres de soins. Il faudra également s’interroger sur les bons niveaux de décision.

Je souhaiterais enfin revenir sur la problématique de l’affiliation au régime de sécurité sociale dans le cas de l’accord passé avec la Suisse, pays non membre de l’Union européenne qui ne peut souscrire aux règles européennes sur les prestations de santé transfrontalières. Cette question mérite une clarification rapide, notamment dans le cadre d’un accord qui valorise la notion de résident. Il faut savoir que 270 000 travailleurs frontaliers pourraient être concernés.

Le principe de primauté de l’affiliation dans le pays d’emploi, finalement fixé par la Cour de cassation le 15 mars 2018, pourrait causer en réalité d’autres difficultés si les travailleurs français cotisent au régime suisse, mais se font soigner en France. Cet arrêt risque-t-il de contraindre le cadre de négociation ? Si ce principe prévaut, je pense que la mise en œuvre de l’accord franco-suisse risque de connaître quelques difficultés. Le développement d’une coopération qui devra concilier des systèmes, une répartition des compétences et des coûts en matière de santé très différents pourrait même être freiné.

Nous devrons ainsi être particulièrement vigilants lors de la mise en œuvre de ces accords de coopération. Il serait souhaitable que des rapports d’étape puissent être transmis aux commissions compétentes des deux assemblées afin de suivre au plus près la conclusion des conventions locales et les difficultés qui pourraient être rencontrées.

Quoi qu’il en soit, le groupe socialiste et républicain est favorable au renforcement de la coopération transfrontalière, indispensable au développement de nos territoires, et votera en faveur de l’approbation de ces accords-cadres.

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