Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis ce matin en nouvelle lecture, après l’échec de la CMP réunie le 3 avril dernier, de la proposition de loi portant création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, déposée au Sénat en octobre 2018 par le président Jean-Claude Requier et les membres du RDSE.
Nous examinons également les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi organique déposée conjointement par le président Hervé Maurey et le président Requier pour prévoir l’audition du futur directeur général de l’agence par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, en application de l’article 13 de la Constitution, ce texte ayant fait l’objet d’un accord.
Avant de vous présenter la position de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour cette nouvelle lecture, je souhaiterais revenir sur les principales étapes de la navette parlementaire.
En première lecture au Sénat, nous avions considéré que si la création de l’ANCT n’était pas une solution miracle au manque de dynamisme que connaissent certains territoires, elle constituait un premier pas pour replacer l’objectif d’un aménagement durable et innovant du territoire au cœur des politiques de cohésion.
En dépit de réserves tant sur la forme et la méthode employée que sur le fond, tenant notamment à des inquiétudes quant aux ressources et à la gouvernance de l’agence, le Sénat avait adopté un texte enrichi sur l’initiative de notre commission selon trois axes : en premier lieu, le renforcement du rôle des élus locaux et nationaux dans la gouvernance de l’agence ; en deuxième lieu, l’amélioration du fonctionnement et de la transparence de l’agence ; enfin, une meilleure prise en compte des territoires les plus fragiles.
Ces trois axes correspondaient d’ailleurs aux orientations retenues par le Sénat lors du vote, le 13 juin 2018, de la proposition de loi de nos collègues Bruno Retailleau, Philippe Bas et Mathieu Darnaud relative à l’équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, qui comportait un volet dédié à l’Agence nationale de la cohésion des territoires.
Concernant la gouvernance, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avait instauré, à l’article 3, la parité au sein du conseil d’administration de l’agence entre les représentants de l’État, d’une part, et les représentants des élus locaux et nationaux, d’autre part, position que le Sénat avait confirmée en séance par l’adoption d’un amendement de précision du président Hervé Marseille.
Notre commission avait en outre institué, à l’article 5, un comité local de la cohésion territoriale afin de renforcer l’information et l’association des élus locaux aux actions de l’agence dans les territoires.
Elle avait également prévu, à l’article 7, que les conventions pluriannuelles conclues par l’agence avec d’autres établissements publics de l’État soient transmises pour information au Parlement.
Enfin, des précisions avaient été introduites, à l’article 2, sur les missions de l’agence pour cibler les territoires les plus fragiles, et le Sénat avait rappelé que la vocation urbaine de l’agence ne devrait pas l’emporter sur sa vocation rurale.
L’Assemblée nationale a conforté l’essentiel de ces apports sénatoriaux en première lecture et a apporté des modifications opportunes au texte du Sénat, que ce soit sur la prise en compte des zones rurales mentionnées à l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou sur l’appui aux porteurs de projets locaux dans leurs demandes de subventions au titre des fonds européens.
Concernant les modalités d’intervention de l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’Assemblée nationale a introduit plusieurs dispositifs, comme le contrat de cohésion territoriale, à l’article 2, qui aura vocation à regrouper divers instruments contractuels liant l’État et les collectivités, dans un souci de simplification, ou la création, à l’article 8 ter, d’une réserve thématique, qui permettra aux personnes volontaires de s’investir dans des projets soutenus par l’agence.
Malgré ces éléments relativement consensuels, une divergence fondamentale persiste entre nos deux assemblées concernant la gouvernance de l’agence et, plus particulièrement, à l’article 3 du texte, sur les pouvoirs des élus locaux au sein de son conseil d’administration.
En première lecture, l’Assemblée nationale était revenue sur la proposition sénatoriale de parité entre les élus et l’État au conseil d’administration, en rétablissant la majorité pour l’État. Au regard de l’objet de l’agence et des exemples d’établissements comparables, cela n’était pas acceptable pour le Sénat. J’ai donc fait des propositions en commission mixte paritaire pour tenter de trouver un accord.
Dans une démarche de compromis, j’ai proposé d’accepter la représentation majoritaire de l’État, à condition que les élus locaux disposent d’un droit de veto si la moitié d’entre eux est en désaccord avec une décision du conseil d’administration. Il était proposé que, dans ce cas, une nouvelle délibération ait lieu, dans les mêmes conditions de vote. Nous avons ensuite proposé que, pour toute nouvelle délibération, un blocage soit possible uniquement si les trois quarts des élus locaux s’opposent à la décision. Cette proposition, pourtant pragmatique et constructive, n’a pas été acceptée. Malgré les tentatives de conciliation du Sénat pour aboutir à un texte commun, ce point de désaccord est apparu insurmontable aux députés et, si j’ai bien compris, au Gouvernement.
En nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, le texte n’a été que peu modifié, mais j’ai deux regrets.
Le premier concerne le rôle des agences régionales de santé, qui ne figurent plus ni au sein du comité d’action territoriale de l’agence ni au sein du comité local de la cohésion territoriale.
Le second concerne le fonctionnement du conseil d’administration de l’ANCT. L’Assemblée nationale a placé, comme nous l’avions fait, le représentant de la Caisse des dépôts et consignations dans le même collège que les représentants de l’État, afin que les représentants des collectivités locales disposent d’un siège supplémentaire dans le deuxième collège. Par ailleurs, elle a donné un pouvoir de veto à usage unique aux élus locaux si la moitié d’entre eux sont en désaccord avec une décision du conseil d’administration.
Cependant, ne soyons pas dupes : ce veto n’ouvre droit qu’à une seule et unique seconde délibération, sans offrir de réelle faculté de blocage aux élus, comme le Sénat le souhaitait ! Autrement dit, sous couvert d’une démarche de compromis, l’Assemblée nationale a adopté une disposition en trompe-l’œil, qui ne changera rien au droit de regard réel des collectivités territoriales sur la gouvernance de l’ANCT.
C’est la raison pour laquelle la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a souhaité, la semaine dernière, reprendre la position défendue en commission mixte paritaire, afin de prévoir une réelle prise en compte des élus locaux. Pour notre commission, il n’est pas possible d’aller plus loin sans renier la volonté du Sénat de faire de l’ANCT un établissement au service des territoires et des collectivités.
Voilà, mes chers collègues, les éléments dont je voulais vous faire part en préambule. Notre vigilance quant au droit de regard des collectivités sur la gouvernance de l’ANCT est primordiale, car il s’agit d’un impératif tant de cohésion que de cohérence.