Intervention de Joël Bigot

Réunion du 20 juin 2019 à 10h30
Agence nationale de la cohésion des territoires — Adoption en nouvelle lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié et des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Joël BigotJoël Bigot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus à l’ultime étape de l’examen de ce texte, qui aura connu, entre l’annonce initiale et sa traduction législative, un certain nombre de vicissitudes. Pourtant, si la création de l’Agence nationale de cohésion des territoires suscitait des interrogations, des craintes, elle éveillait aussi énormément d’attentes.

Heureusement, le Sénat, chambre des territoires, a su remplir son office en améliorant significativement la proposition de loi initiale.

Annoncée comme l’antidote aux maux des territoires en difficulté, la création de l’Agence nationale de cohésion des territoires ne représente, en l’état, que la fusion de trois opérateurs, adossée à d’autres, qui seront dedans sans y être. Pour les collectivités, la superposition des acteurs à solliciter persistera donc. On est bien loin des ambitions initialement affichées par le rapport de Serge Morvan !

Le fonctionnement « en silo » des opérateurs de l’État est toujours à l’ordre du jour. Au lieu du « couteau suisse » territorial très attendu par les élus locaux, cette proposition de loi accouche d’un mauvais ustensile qui, de surcroît, sera entièrement à la main de l’État. On pouvait espérer mieux pour les territoires et la décentralisation !

Au-delà des inquiétudes quant aux futurs moyens financiers de l’agence, sur lesquels s’exprimera mon collègue Jean-Michel Houllegatte, je souhaiterais, pour ma part, insister sur les problématiques liées à sa gouvernance et sur le refus obstiné et du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée de donner aux élus locaux un poids significatif dans son fonctionnement.

Hier, une tribune rédigée par une centaine de députés En Marche acclamait une nouvelle fois la politique du Gouvernement à l’égard des collectivités locales…

L’Agence nationale de cohésion des territoires tient une place particulière dans le discours gouvernemental. Elle concentre beaucoup d’espoirs et est perçue comme le remède au sentiment d’abandon ressenti par bon nombre de nos élus locaux, notamment dans les territoires ruraux. C’est la raison pour laquelle nous avions, comme l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée, soutenu le principe de la création d’une telle agence.

Il est vrai que l’ANCT aurait pu constituer ce guichet unique permettant de clarifier enfin le millefeuille d’agences étatiques, de faciliter les projets d’aménagement et d’apporter l’ingénierie nécessaire aux collectivités et à leurs groupements.

Au lieu de cela, l’ANCT se présente comme un nouvel outil préfectoral, dont la mise en œuvre aura pour conséquence de mettre sous tutelle les projets des collectivités. C’est bien la logique descendante et à sens unique qui prime dans ce texte !

On aurait pu aller plus loin, avec une gouvernance qui fasse la part belle aux collectivités. Il y a de réelles craintes d’une recentralisation autour de la personne du préfet, qui sera, conformément à l’article 5, le délégué territorial de l’agence. Tel que défini à l’article 3, le fonctionnement du conseil d’administration de l’agence, point d’achoppement de la commission mixte paritaire, confirme bien cette volonté de l’exécutif.

Au lieu de donner la main aux collectivités, le Gouvernement, par le biais de sa majorité, campe fermement sur ses positions et empêche les collectivités territoriales d’avoir le dernier mot. Les mécanismes de seconde délibération proposés aujourd’hui par le Gouvernement dissimulent mal son souhait de conserver la main en toute occasion.

L’absence de représentants des collectivités territoriales au sein du comité national de coordination de l’ANCT est éloquente de ce point de vue. Pourquoi avoir peur des élus locaux, monsieur le ministre, si cette agence leur est dédiée ? Nous représentons ici les territoires et nous vous le disons de manière quasiment unanime : acceptez un réel partenariat avec les élus ! N’ayez pas peur de l’intelligence territoriale, qui, couplée à l’ingénierie de la future ANCT, pourrait être un atout de développement majeur les prochaines années !

La formule du « qui paie décide », souvent avancée par le Gouvernement et par vous-même à l’instant, ne peut conduire à faire fi de la démocratie locale, d’autant que les collectivités porteuses de projets mettent bien sûr la main à la poche. À l’heure où les collectivités sont les fers de lance de la transition énergétique et écologique, créer une agence couperet pourrait avoir de fâcheuses conséquences.

Par ailleurs, êtes-vous bien sûr de ne pas créer ici un nouvel échelon administratif pour les collectivités ? Êtes-vous bien sûr de ne pas créer une nouvelle complexité pour nos élus, qui renforcerait les frustrations existantes ? Attention aux désillusions !

En outre, pourquoi ne pas accepter que les agences régionales de santé aient toute leur place dans l’organisation de l’ANCT ? Vous connaissez la problématique de la désertification médicale : à l’instar de la raréfaction des services publics en zones rurales, elle est au cœur du sentiment d’abandon de la population face au « déménagement du territoire ». Les ARS pourraient utilement être associées au dispositif de l’ANCT. Or, tout comme la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, vous persistez dans votre refus et dans votre vision technocratique de l’aménagement du territoire.

Ce texte n’est décidément à la hauteur ni des ambitions ni des attentes des acteurs locaux. Il risque d’engendrer de fortes déceptions. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.

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