Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 4 juillet 2019 à 10h30
Droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin les conclusions de la commission mixte paritaire parvenue à un accord, le 15 mai dernier, sur la proposition de loi visant à permettre aux assurés, particuliers comme entreprises, de résilier sans frais et à tout moment, après la première année de souscription, leur contrat de complémentaire santé.

Supprimés en commission, les articles 1er, 2, 3 et 4, soit l’essentiel du dispositif, avaient été réintroduits en séance, en sorte que le Sénat avait finalement approuvé un projet très proche de celui transmis par l’Assemblée nationale. La commission mixte paritaire a donc facilement trouvé des dispositions de compromis entre la majorité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale pour la mise en œuvre de la faculté de résiliation infra-annuelle.

En filigrane, il y a l’idée selon laquelle le renforcement de la concurrence sur le marché des complémentaires ferait baisser le coût des contrats au profit du pouvoir d’achat des ménages. De fait, tout au long de la navette, le Gouvernement a loué à l’excès les bienfaits d’une concurrence accrue du marché des complémentaires santé pour les adhérents. Mme la ministre vient de reprendre encore le même argument.

Or l’absence de concurrence génératrice de larges marges est une idée reçue : le secteur compte près de 500 opérateurs, et le résultat net dégagé par les mutuelles ne représente, selon la Drees, que 0, 7 % de l’ensemble des cotisations collectées.

Par ailleurs, madame la ministre, les comparaisons avec la loi Hamon sont abusives et mal fondées. Une complémentaire santé ne se confond pas avec une assurance habitation ou automobile, qui repose sur d’autres problématiques. Non, une complémentaire santé ne se réduit pas à un bien de consommation courante, pour lequel la seule question qui vaille serait celle du calcul des coûts et des avantages pour soi-même, et rien que pour soi-même !

Cette proposition de loi heurte, nous le pensons, le pilier même de notre système de protection sociale : la valeur de solidarité.

Elle profitera peut-être à des assurés solvables, jeunes, actifs et bien portants, dans une logique purement assurantielle – des adhérents qui seront encore plus fortement encouragés à individualiser leurs risques en se tournant vers les propositions les moins onéreuses. Seulement, en encourageant cette individualisation des risques et en accentuant la segmentation des populations, elle contribuera à déstabiliser le principe de mutualisation, sur lequel repose historiquement le modèle économique des mutuelles. Elle dynamitera – le terme n’est pas trop fort – les mécanismes de la solidarité intergénérationnelle.

L’individualisation du droit triomphe, primant toute logique collective et universelle et venant emboutir le modèle prudentiel français.

Des comportements opportunistes, consuméristes ou nomades ne seront pas écartés, même si ce n’est pas là l’essentiel, alors qu’une partie importante des frais de santé pris en charge par les complémentaires correspondent à des dépenses programmables.

Par ailleurs, les gains de pouvoir d’achat des adhérents sont, à notre sens, assez illusoires. L’augmentation du nombre des entrées et des sorties accroîtra le volume et la complexité de la gestion administrative. Il en résultera inévitablement une hausse des coûts, au détriment, bien sûr, des assurés.

Il est vraiment paradoxal de déplorer un régime où la concurrence règne, avec pour conséquence des frais de publicité que vous-même, madame la ministre, jugez excessifs et des coûts de gestion trop importants, et de vouloir, en même temps, mettre en place les conditions d’une concurrence totalement dérégulée…

Surtout, aucune réponse n’est apportée aux questions du moment.

L’accès aux soins de nos concitoyens s’en trouvera-t-il amélioré ? Non.

Les inégalités liées à l’âge seront-elles amenuisées ? Bien au contraire.

Les coûts de gestion vont-ils baisser ? Certainement pas.

Les actions de prévention menées par nombre de mutuelles seront-elles renforcées ? C’est le contraire qui est à craindre.

Le nombre de personnes sans complémentaire santé – quelque 4 millions aujourd’hui – sera-t-il réduit ? Encore et toujours non.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire a supprimé l’article 3 bis AA, introduit au Sénat, qui interdisait les remboursements différenciés opérés par les réseaux de soins. Nous approuvons cette décision.

En revanche, elle a décidé, par l’article 3 bis A, de charger l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie, l’Unocam, de s’assurer du déploiement effectif par les organismes complémentaires des services numériques permettant aux professionnels de santé de vérifier facilement l’existence des droits des patients et aux assurés de connaître leurs droits et garanties en temps réel.

Si l’objectif est partagé par tous, le choix de l’Unocam nous paraît baroque. L’association Inter-AMC, créée en 2015, regroupe tous les acteurs de la sphère complémentaire, y compris les délégataires de gestion, courtiers et opérateurs de tiers payant. Elle propose, depuis la fin de 2016, des services en ligne pour les professionnels de santé de ville.

Comme l’IGAS l’a souligné dans un rapport de février 2018, la difficulté tient à l’équipement des professionnels de santé en logiciels compatibles. Il nous aurait semblé plus logique de solliciter cette inspection, qui a déjà réalisé un travail important sur ce sujet, pour suivre l’avancée de la mise en ligne des services pendant une période déterminée.

Enfin, au moment où notre système de sécurité sociale aborde, de façon affirmée et assumée, un virage fort et décisif vers le système beveridgien – universalité, financement par l’impôt, budget indifférencié de celui de l’État –, la question va se poser avec encore plus d’acuité du rôle des organismes complémentaires, en particulier des mutuelles. Or ce texte arrive au moment où ceux-ci mettent en place le reste à charge zéro et la réforme de la CMU-C contributive, résultat de la fusion de l’aide à la complémentaire santé et de la CMU-C, qui ne sont pas de petites évolutions de notre système de santé.

La boussole revendiquée de ce texte est très nettement libérale, au détriment de l’intérêt collectif de nos concitoyens. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain y est opposé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion