Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 11 juillet 2019 à 10h30
Création d'une taxe sur les services numériques — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques heures, la presse nous faisait savoir que le Gouvernement américain avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur le projet de taxe dont il est question ce matin, ainsi que d’éventuelles représailles, qui pourraient prendre la forme d’une augmentation des droits de douane. Il ne faudrait pas que les conséquences économiques que pourrait avoir cette décision excèdent les résultats de cette taxe, dont le rendement demeure à ce jour assez incertain.

Nous sommes amenés à examiner aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

Nous sommes en effet parvenus à un accord avec nos collègues députés sur ce texte, qui ne comprenait plus que trois articles en discussion. Deux de ces articles sont issus du texte transmis par l’Assemblée nationale ; le plus important est l’article 1er – c’est l’essentiel du texte –, qui crée la taxe sur les services numériques, c’est-à-dire sur certaines activités des géants du numérique.

S’y ajoute l’article 1er bis A, inséré par le Sénat, visant à ce que le Gouvernement donne au Parlement les raisons de son refus de notifier la taxe sur les services numériques à la Commission européenne au titre des aides d’État. Je reviendrai sur ce sujet ; peut-être M. le ministre nous parlera-t-il d’un éventuel risque constitutionnel et de l’intention du Premier ministre de saisir le Conseil constitutionnel sur ce point. Nous estimons pour notre part qu’il existe un éventuel risque quant à la qualification de ce dispositif d’aide d’État ; ce risque devrait être, à notre sens, purgé par une saisine de la Commission européenne.

Parmi les quatre articles que contenait le projet de loi transmis par l’Assemblée nationale au Sénat, on trouvait, outre celui qui portait création de la taxe sur les services numériques, l’article 2, qui figurait déjà dans le texte initial du Gouvernement, dont l’objet était de revenir, en 2019, sur la baisse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises.

Permettez-moi de prendre quelques instants pour évoquer cette mesure de pur rendement, qui constitue une contrepartie d’un certain nombre de dispositions prises pour répondre au mouvement des gilets jaunes.

Le Sénat a adopté cet article au cours de la première lecture. Cela dit, n’oublions pas qu’une nouvelle modification de la trajectoire en 2020 est encore à prévoir. J’avais d’ailleurs interrogé le Gouvernement à ce sujet. Or, en entérinant un nouveau report dans le projet de loi de finances pour 2020, le Gouvernement se condamnerait à ne pas pouvoir respecter son objectif d’atteindre un taux de 25 % en 2022, ce qui serait évidemment très dommageable pour notre compétitivité et la confiance des entreprises. Plus on repousse cet objectif, plus, par définition, il sera difficile à atteindre !

Le Sénat avait également adopté sans modification, dès la première lecture, l’article 1er bis prévoyant la remise d’un rapport.

L’accord a dès lors été obtenu en commission mixte paritaire sans la manifestation d’aucune opposition, ce qui témoigne de l’important travail de compromis réalisé. À ce titre, je salue l’excellente collaboration avec mon collègue rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Joël Giraud.

Dès la première lecture, les deux assemblées avaient validé le principe même de la création d’une taxe sur les services numériques reposant sur une assiette et des modalités qu’aucun amendement adopté ne tendait à remettre drastiquement en cause.

En effet, nous partageons tous l’objectif d’assurer une juste répartition de l’imposition des entreprises, quels que soient leurs modèles d’activité, répartition qui tienne compte du développement du numérique. Or le système fiscal international actuel ne nous le permet pas. Une réforme est à l’étude, sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Elle pourrait se concrétiser plus rapidement que nous l’anticipions lorsque le projet de taxe avait été envisagé à l’échelon européen.

Dans ces conditions, la solution dont nous discutons constitue un pis-aller, un moindre mal, c’est-à-dire pas même un plan B, mais un plan C.

L’information divulguée ce matin selon laquelle le Gouvernement américain aurait lancé une enquête contre la taxe en question montre que la solution internationale est la seule possible à terme. C’est pourquoi nous avions souhaité que cette taxe ait un caractère temporaire : nous la considérons comme un encouragement, comme une étape vers une taxation à l’échelle de l’OCDE. Quand on innove seul, on prend toujours des risques !

En outre, nous le reconnaissons tous, cette imposition est imparfaite économiquement, puisqu’elle taxe le chiffre d’affaires, plutôt que les bénéfices, et qu’elle peut conduire à une double imposition des entreprises qui acquittent déjà leurs impôts sur les bénéfices qu’elles réalisent en France. À ce titre, aucune solution juridique n’était pleinement satisfaisante ; par volonté de compromis, la commission mixte paritaire n’a malheureusement pas conservé la déduction de la taxe sur la contribution sociale de solidarité des sociétés, ou C3S, que nous avions introduite.

Cette taxe sera également complexe du point de vue de sa mise en œuvre. Elle doit être considérée comme un palliatif, comme une étape temporaire, dans l’attente d’une décision multilatérale plus adaptée, que le Gouvernement espère aussi pousser au travers d’elle.

Compte tenu de ces éléments, le Sénat avait souhaité limiter la durée de cette taxe dans le temps, soit jusqu’en 2021. Nous avons des raisons de croire, ou du moins d’espérer qu’un accord international pourrait être adopté d’ici à cette date.

Toutefois, nous avons accepté lors de la réunion de la commission mixte paritaire de ne pas retenir cette date butoir, afin de laisser au Gouvernement une pleine marge de manœuvre pour négocier à l’échelon international. Nous savons, monsieur le ministre, combien ces négociations sont complexes : vous l’avez éprouvé à l’échelle européenne. Nous avons remplacé cette limitation dans le temps par l’obligation pour le Gouvernement de mentionner expressément, dans le rapport prévu sur l’application de la taxe, la date à laquelle l’accord international s’y substituerait.

Juridiquement, la taxe sur les services numériques constitue un pari à bien des égards : son assiette vise à territorialiser des revenus générés par les utilisateurs français sans qu’ils soient effectivement déclarés en France, en s’extrayant des conventions fiscales internationales de répartition des bénéfices.

Nous avons fait en sorte de sécuriser le dispositif, en réduisant les risques juridiques identifiés et les sources potentielles de contentieux. Peut-être, monsieur le ministre, reviendrez-vous sur les risques constitutionnels encourus.

À ce titre, la commission mixte paritaire est revenue sur l’exclusion du champ de la taxe des services par abonnement, ainsi que des systèmes informatisés de réservation. En revanche, la disposition introduite par le Sénat précisant les conditions d’assujettissement des entreprises de manière à permettre la perception de la taxe dès 2019 a été conservée.

Plusieurs ajustements techniques et de coordination ont par ailleurs été opérés en commission mixte paritaire.

Surtout, le Sénat s’est préoccupé du risque de remise en cause de la taxe au titre des aides d’État.

Sans préjuger le fond, il nous paraissait essentiel de respecter la forme, qui commande de notifier tout projet d’aide à la Commission européenne.

Si la taxe était, par malheur, qualifiée d’aide d’État, sans notification préalable, elle serait invalidée quand bien même elle ne serait pas contraire aux traités européens.

Certes, monsieur le ministre, il faut être audacieux, mais vous prenez à mon sens un risque juridique inutile en persistant à ne pas donner notification de cette taxe novatrice.

Faute de pouvoir obliger le Gouvernement à le faire, je me félicite donc que la commission mixte paritaire ait conservé l’article 1er bis A : au moins, le Gouvernement devra justifier son choix auprès de la représentation nationale.

Sur le dispositif de la taxe lui-même, il convient de noter que les initiatives du Sénat ont permis d’aboutir à deux compromis.

Le premier permet d’exclure de l’assiette de la taxe les services connexes à la mise en relation des utilisateurs, dans des conditions économiquement fidèles à l’objectif. Cela concerne essentiellement la logistique.

Le second aboutit à préciser les critères de localisation des terminaux en France, de manière à respecter les exigences de protection des données personnelles.

Voilà l’accord auquel nous sommes parvenus. On peut toujours regretter que telle ou telle mesure ne soit pas retenue : c’est le principe même d’un compromis.

Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire a été adopté sans modification par l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Désormais, la taxe sur les services numériques va pouvoir entrer en vigueur, concrétisant la volonté que nous avons tous de parvenir à une plus juste imposition des géants du numérique, dans l’attente d’une solution internationale plus adaptée et pérenne.

Monsieur le ministre, ce texte est un encouragement, une étape vers une solution qui, à défaut d’être européenne, se trouvera à l’échelon de l’OCDE. Il représente une certaine prise de risques dont nous sommes tous conscients. C’est dans cet esprit que le Sénat a souhaité voir aboutir cette commission mixte paritaire et adopter cette taxe très novatrice.

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