Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver ce matin pour l’adoption définitive d’un projet de loi important, qui porte à la fois sur la révision de la trajectoire de l’impôt sur les sociétés et sur la taxation des géants du numérique.
Je tiens à saluer le sens des responsabilités du Sénat, qui a su trouver un accord avec l’Assemblée nationale de manière à parvenir à un texte identique. Je vous remercie de la qualité du travail fourni au cours de l’examen de ce texte, qui a permis d’en améliorer certaines dispositions, notamment pour ce qui est de la taxation des géants du numérique, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.
Le premier volet de ce texte porte sur la baisse de l’impôt sur les sociétés. Je tiens à redire que l’engagement du Président de la République de parvenir à un taux d’impôt sur les sociétés passant de 33, 3 % à 25 % pour toutes les entreprises, sans exception, d’ici à 2022 sera tenu.
C’est une question de compétitivité vitale pour nos entreprises, qui doivent dégager des marges de manœuvre pour investir, pour innover, pour connaître la réussite dans le combat technologique du XXIe siècle. C’est aussi un élément clé d’attractivité. Si nous sommes devenus le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers, c’est précisément parce que nous avons pris des engagements fiscaux en ce sens, de manière à développer des investissements et des emplois dans nos territoires.
Cette baisse du taux sera mise en œuvre pour toutes les entreprises dès 2020. Je veux notamment rassurer les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 250 millions d’euros : elles seront, elles aussi, concernées, puisque le taux d’impôt sur les sociétés passera pour elles de 33, 3 % à 31 %. Pour les autres entreprises, ce taux passera de 31 % à 28 %.
J’ai parfaitement conscience du décalage qui peut exister par rapport aux précédentes annonces du Gouvernement : le taux s’établira à 31 % pour les plus grandes entreprises, mais il n’en reste pas moins que l’impôt sur les sociétés baisse. Il est normal qu’il diminue un peu moins rapidement pour ces entreprises, car cela nous permet de dégager 700 millions d’euros, ce qui participe au financement des baisses des impôts pesant sur les ménages. Ce n’est que justice de demander aux plus grandes entreprises de faire un effort un peu plus important, tout en maintenant la baisse générale de l’impôt sur les sociétés et en conservant l’objectif d’un taux de 25 % en 2022.
Le deuxième sujet qui nous rassemble ce matin est la taxation des géants du numérique.
Je veux rappeler que cette taxation n’est le fruit ni du hasard ni d’une quelconque lubie de certains États européens. Elle repose d’abord sur un diagnostic du nouveau modèle économique auquel nous sommes confrontés au XXIe siècle. Aujourd’hui, la valeur est créée par les données, par leur accumulation, leur concentration et leur commercialisation, que ces données soient privées ou, pour certaines, publiques. C’est ce qui permet aux plateformes de faire de la publicité ciblée et de développer leur activité économique. La donnée fait la valeur.
Pourtant, la taxation de la donnée n’est pas la même que celle des services et des biens manufacturés. C’est à la fois totalement injuste et totalement inefficace. La responsabilité des pouvoirs publics est de tenir compte de cette nouvelle réalité, de ce nouveau modèle économique, et de parvenir à mettre en œuvre une taxation qui soit juste entre ceux qui continuent de produire des biens manufacturés et d’offrir des services, d’une part, et toutes ces nouvelles entreprises qui créent de la valeur à partir des données, d’autre part.
Or la situation actuelle est bien différente. Selon le rapport de la Commission européenne, la taxation des données est inférieure de quatorze points à celle des autres activités économiques.
Nous ne faisons donc que rétablir de la justice fiscale. Nous voulons construire, pour le XXIe siècle, une fiscalité qui soit à la fois juste et efficace. Nous voulons imposer à ce nouveau modèle économique les mêmes règles fiscales que celles qui s’appliquent à toutes les autres activités économiques. C’est fondamentalement une question à la fois de justice et d’efficacité ! Comment pourrons-nous, demain, financer nos biens publics, nos investissements environnementaux, nos écoles, nos crèches, nos hôpitaux, nos collèges, si nous continuons à taxer ceux qui créent le moins de valeur sans taxer au même niveau ceux qui créent le plus de valeur, c’est-à-dire l’activité numérique et les données ?
C’est donc un principe de justice et d’efficacité qui nous a guidés dans le combat que je mène depuis deux ans avec le Président de la République pour convaincre les États européens, un par un, d’avancer dans cette direction.
La taxe que nous vous proposons ce matin a un taux de 3 %. Elle porte sur le chiffre d’affaires, qui est aujourd’hui la seule donnée disponible et crédible qui nous permette de mettre en place une telle imposition. Elle ne vise que les entreprises dont le chiffre d’affaires numérique – j’insiste sur ce dernier mot – est supérieur à 750 millions d’euros à l’échelon international et à 25 millions au plan national. Le chiffre d’affaires total de ces entreprises peut être bien plus élevé, mais c’est uniquement le chiffre d’affaires numérique qui sert de base fiscale.
Enfin, cette taxe est temporaire. Je redis à cette tribune que, dès que l’OCDE aura adopté une solution crédible de taxation des activités du numérique, la France retirera sa taxe nationale. Je veux être très clair avec vous sur ce point.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer du débat que nous avons eu et des différentes réactions que cette taxe nationale sur les activités numériques suscite ?
D’abord, on peut déduire une conclusion nationale. Je tiens à répéter à M. de Montgolfier que la sécurité juridique de cette taxe est confirmée, à l’échelon national, par le Conseil d’État et, au plan européen, par la Commission européenne, puisque le dispositif que nous adoptons est celui-là même qui avait été proposé par la Commission.
Cela dit, il est à mon sens de bonne politique d’avoir prévu un rapport d’évaluation de cette taxe et un rapport sur l’évolution des négociations internationales ; j’en remercie le Sénat. Dès lors que je prends l’engagement de retirer cette taxe nationale dès qu’une décision efficace aura été adoptée à l’échelle internationale, à celle de l’OCDE, il est sage et légitime de prévoir un rapport sur ces négociations.
Des conclusions doivent également être tirées à l’échelon européen. Je me suis battu, depuis 2017, pour convaincre nos partenaires européens. Au début, nous étions deux pays, puis cinq, dès l’automne de 2017 : l’Espagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France. À la fin du mois d’octobre, nous étions dix-neuf États. Une proposition a été faite par la Commission européenne, dont on a débattu au long de réunions des ministres des finances européens.
En toute dernière étape, vingt-quatre États étaient prêts à adopter cette solution de taxation du chiffre d’affaires des géants du numérique, par souci de justice et d’efficacité. Toutefois, quatre États européens ont pu bloquer l’accord qui rassemblait les vingt-quatre autres : la Suède, la Finlande, le Danemark et l’Irlande. Je ne me résigne pas à ce que, en Europe, une minorité puisse bloquer la majorité. Je considère que, s’il y a une conclusion à tirer de ces débats européens, c’est bien la nécessité de passer de l’unanimité à la majorité qualifiée pour les décisions portant sur certaines dispositions fiscales.