Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 11 juillet 2019 à 10h30
Création d'une taxe sur les services numériques — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a fait l’objet de longues discussions, et c’est normal, car la taxe dite GAFA, malgré son faible rendement et son caractère timide eu égard à l’importance du sujet, constitue un symbole fort, comme en témoigne la réaction des États-Unis d’Amérique. Nous devons aujourd’hui tenir bon et mettre en œuvre cette taxe.

C’est la raison principale pour laquelle nous allons voter en faveur de ce projet de loi, car il marque une avancée, certes limitée, modeste, au regard de ce que nous pourrions faire, concernant la participation de toutes les entreprises aux recettes de l’État, en particulier celles du secteur du numérique.

Il s’agit bien ici de répondre aux Français, qui ne comprennent pas – comment pourraient-ils comprendre une situation totalement injustifiable ? – que certains secteurs d’activité bénéficient de fait d’une fiscalité allégée et que les bénéfices des grandes sociétés ne soient pas davantage imposés, contrairement à ceux des petites entreprises ?

Nous aurons certes des divergences sur les taux de l’impôt sur les sociétés ou sur le taux de cette taxe, mais nous nous accordons tous sur une nécessité : toutes les entreprises, parce qu’elles créent de la richesse, doivent contribuer au financement des infrastructures et des services publics. Nous assistons dans le monde à une course effrénée aux baisses des impôts sur les sociétés pour attirer les entreprises. Un célèbre économiste considérait même qu’on en viendrait peut-être un jour à payer des entreprises pour qu’elles s’implantent dans certains territoires. Et j’ai entendu certains théoriciens dire qu’il fallait supprimer les impôts sur les sociétés et tout reporter sur la TVA ! Il faut donc redire que les entreprises doivent participer au financement des infrastructures et des services publics, car c’est aussi grâce à eux, grâce à l’État, qu’elles peuvent s’implanter, créer et développer leur activité.

Les spéculations vont bon train pour refonder le système fiscal. Avec ce texte, nous allons dans le bon sens en plaçant les entreprises face à leurs responsabilités sociales.

Nous ne pouvons par conséquent qu’approuver les évolutions du projet de loi lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Ainsi, la notification de la taxe à la Commission européenne permettra de sécuriser le texte et d’éviter d’éventuels recours des entreprises concernées devant une juridiction européenne. Ces entreprises sont en effet toujours promptes à utiliser les leviers juridiques disponibles pour mettre l’État en difficulté lorsqu’il leur demande de régler leurs factures.

La non-limitation dans le temps de cette taxe permettra de l’appliquer tant qu’un accord n’aura pas été trouvé à l’échelon de l’OCDE. On sait d’expérience combien de telles négociations sont longues parfois, pour ne pas dire incertaines. Étant donné la réaction des États-Unis, qui envoient un bien mauvais signal, on peut se demander si la volonté d’aller dans le bon sens perdurera. Il faut inciter les autorités américaines à se mobiliser pleinement en faveur des réformes conduites par l’OCDE.

La remise de rapports sur la fiscalité s’appliquant aux entreprises du secteur du commerce et sur les résultats de la taxe permettra de vérifier l’efficacité de celle-ci. C’est une bonne chose.

Nous sommes favorables, je l’ai dit, à la création de cette taxe, qui constitue l’amorce d’un processus important, mais nous n’oublions pas pour autant les limites que nous avions identifiées lors du débat au Sénat.

Tout d’abord, cette taxe sur le chiffre d’affaires n’est pas un impôt sur les bénéfices des sociétés et ne répond donc pas à la logique d’un impôt intervenant après un cycle économique, applicable aux seules entreprises bénéficiaires.

Nos interrogations portaient, et portent toujours, sur la capacité qu’auront les services fiscaux à vérifier les déclarations des bases fiscales imposables que les entreprises leur feront parvenir, mais aussi sur la répercussion de cette taxe sur les prix des publicités par les entreprises exerçant une situation de quasi-monopole.

Enfin, il est bon de rappeler le contexte dans lequel ce texte nous a été présenté. Lors de la discussion générale au Sénat, nous avons montré que ce projet de loi répondait surtout aux besoins de financement des mesures annoncées en décembre et en avril derniers par le Président de la République pour faire face à la colère sociale. Nous avions alors indiqué que le compte n’y était pas.

Alors que les recettes nouvelles que pourrait entraîner ce projet de loi sont estimées à 3, 5 milliards d’euros, nous avons jugé qu’elles seraient plutôt de l’ordre de 2 milliards d’euros, soit un montant bien éloigné des 10, 8 milliards d’euros de mesures annoncées. Pour sa part, la commission des finances a estimé très récemment à 25 milliards d’euros le besoin global de financement de ces dernières, soit, on le voit, une différence importante ! Les interrogations demeurent donc sur la façon dont seront financées ces mesures.

Et ces mesures sont variées. Elles vont de la suppression totale de la taxe d’habitation, y compris pour les contribuables les plus aisés, à l’annulation des hausses de la fiscalité écologique – il s’agit là certes de répondre à une forte demande sociale ; pour autant, on n’a pas trouvé les moyens de financer la transition énergétique et les projets écologiques à hauteur des besoins –, de la baisse annoncée de l’impôt sur le revenu à la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous déplorons toutefois que des financements ne soient pas prévus pour assurer la qualité ou la pérennité des services publics, en réponse à de nombreuses revendications sociales – je pense au mouvement des urgences. Nous nous interrogeons donc sur l’équilibre budgétaire.

L’apport de recettes que permettra ce texte sera le bienvenu, mais il ne suffira évidemment pas, eu égard aux dépenses annoncées et aux besoins criants.

La question qui est posée dans le cadre de l’examen de ce projet de loi est évidemment européenne. L’instauration de cette taxe à l’échelon national témoigne finalement de l’échec de la France à faire aboutir son projet à l’échelle européenne. Nous étions toutefois d’accord, en cas d’échec au plan européen, pour montrer notre détermination à l’échelon de notre pays. Nous soutenons donc ce texte, la création de cette taxe et la diminution de l’impôt sur les sociétés.

Le groupe socialiste, je le répète, votera donc le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire.

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