Comme on pouvait s'y attendre, la « petite loi énergie » ne l'est pas restée longtemps. Mais si avec ses 55 articles elle n'est plus petite par la taille, elle l'est encore, assurément, par l'absence de vision stratégique à long terme.
En se contentant d'actualiser certains objectifs et d'empiler les mesures techniques pour répondre aux difficultés du moment, le projet de loi ne fixe guère de cap, si ce n'est peut-être celui de l'atteinte de la neutralité carbone en 2050. Il renvoie l'essentiel à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) fixée par décret. C'était certes la mécanique prévue par la loi de 2015 mais il nous faut désormais impérativement en sortir - sur ce point, je vous proposerai d'ailleurs de « muscler » la loi quinquennale ajoutée à l'Assemblée.
Aujourd'hui, on discute d'une loi dont la pauvreté et la technicité contrastent, de façon paradoxale, avec la richesse des débats auxquels j'ai pu participer au Conseil supérieur de l'énergie - dont je salue le président Roland Courteau - sur le projet de PPE. Cette inversion de la hiérarchie des normes pose un véritable problème démocratique : on nous demande, dans ce projet de loi, d'entériner des évolutions fixées dans un projet de décret !
Sur le fond, la neutralité carbone est un bon objectif, mais encore faut-il savoir comment on l'atteint. En la matière, le texte initial ne comportait guère qu'une seule mesure concrète, la fermeture des quatre dernières centrales électriques au charbon d'ici à 2022, qui n'y suffira pas, bien entendu. Le reste est semble-t-il renvoyé à la convention citoyenne pour le climat qui aura la charge de proposer des mesures, comme si le Gouvernement comptait se défausser de ses responsabilités sur des citoyens tirés au sort...
Dans le même temps, on choisit de se priver pour partie d'une énergie bas carbone, le nucléaire. Je n'en dirai qu'un mot car depuis la loi de 2015, la justesse de l'analyse du Sénat aura au moins été reconnue après coup. Dès l'origine, chacun savait que la date de 2025 était irréaliste et que pour la respecter, nous aurions dû recourir davantage aux moyens de production thermiques. L'idéal aurait été de ne pas fixer de date pour l'atteinte des 50 % mais, à vrai dire, la date de 2035 permet de pacifier le sujet. Elle correspond d'ailleurs, à peu de choses près, au rythme naturel des fermetures qui auraient pu être envisagées, toutes les centrales n'ayant pas vocation à être prolongées jusqu'à 60 ans. Mais cette fois, c'est la question du nouveau nucléaire qu'on laisse en suspens...
Pour le reste, que proposait le texte initial, sinon une juxtaposition de mesures techniques sans vision d'ensemble ? Il y était question de porter l'objectif de baisse des énergies fossiles de 30 à 40 % en 2030, ce qu'intégrait déjà le projet de PPE ; de consacrer l'existence d'un Haut Conseil pour le climat déjà mis en place par le Président de la République ; de combler un vide juridique en matière d'évaluation environnementale depuis deux décisions du Conseil d'État en décembre 2017 ; de modifier à la marge certaines dispositions sur les certificats d'économies d'énergie (CEE) pour lutter contre les fraudes, que l'Assemblée a eus la bonne idée de compléter ; de transposer par voie d'ordonnance le dernier paquet énergie européen, mais sans guère de précisions sur les contours de la demande d'habilitation ; de traiter de règles internes à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et l'autoriser à transiger dans un contentieux de masse sur la CSPE ; ou encore de modifier un point, à l'origine périphérique, de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).
À ces maigres sujets sont venus s'ajouter, après leur censure par le Conseil constitutionnel, les mesures de la loi « Pacte » relatives aux tarifs réglementés de l'électricité et du gaz.
Par la suite, le nombre des sujets abordés s'est considérablement étoffé à l'Assemblée, où le texte est donc passé de 12 à 55 articles, mais sans nous rapprocher de ce que devrait être une vision stratégique pour la politique énergétique de notre pays à l'horizon 2050, bien au contraire, puisque la cohérence d'ensemble saute encore moins aux yeux.
Après six mois de crise des gilets jaunes, alors que les signes du dérèglement climatique se font chaque jour plus ressentir, le climat et l'énergie méritaient mieux qu'une liste à la Prévert. Une autre voie est possible. La politique énergétique de notre pays, dont on ne dira jamais assez qu'elle est essentielle, mérite mieux qu'une « petite loi ».
Une bonne politique énergétique, c'est d'abord, sur le plan de la méthode, une politique qui ne sacrifie pas tout à l'affichage, à l'exemplarité pour l'exemplarité, mais qui cherche à faire dans le concret, à agir sur la vie quotidienne, à privilégier l'évaluation à l'idéologie, à ne pas légiférer dans l'urgence, pour traiter tel ou tel sujet conjoncturel sans avoir une vision d'ensemble.
Sur le fond, une bonne politique énergétique, c'est surtout une politique énergétique qui concilie réponse aux défis climatiques, sécurité d'approvisionnement, croissance économique et justice sociale. Dire cela, ce n'est pas défendre moins d'ambition climatique, c'est promouvoir une ambition climatique inclusive et soutenable, car tout autre choix conduirait à un échec. Il ne faut pas produire moins, mais mieux ; il ne faut pas punir ou taxer sans solution de remplacement, mais accompagner pour permettre aux citoyens et aux entreprises de basculer vers de nouveaux modes de consommation ou de déplacement plus sobres en carbone, vers de nouveaux métiers et débouchés de la croissance verte.
En quelques mots, je voudrais vous dire quels pourraient être les grands axes de cette politique et les illustrer par plusieurs mesures que je vous proposerai d'ajouter au texte.
En matière de mix électrique d'abord, la position du Sénat n'a pas varié. Oui à la diversification progressive d'un mix électrique résolument décarboné, avec un socle fort de nucléaire maintenu à 50 % et le soutien au développement d'un nouveau nucléaire compétitif et sûr. Oui aux énergies renouvelables, à toutes les énergies renouvelables et pas seulement l'éolien terrestre et le solaire au sol. Je pense en particulier à l'hydraulique, qui a d'immenses vertus, mais aussi à l'éolien en mer posé et flottant, pour lequel nous pouvons encore créer une filière industrielle nationale, ou au solaire sur le bâti, qui évite la concurrence avec les terres agricoles. Et oui, enfin, au moins tant que l'électricité ne sera pas stockable sur longue durée, à un volant de moyens de production thermique qui utilise les énergies et les technologies les moins émettrices, en l'occurrence le gaz naturel et les centrales à cycle combiné gaz - là aussi, le dossier General Electric nous rappelle que les retombées industrielles pour la France ne sont pas neutres.
Parce que notre mix électrique est déjà très décarboné, il faudra porter l'essentiel de nos efforts sur les deux secteurs les plus émetteurs, le bâtiment et les transports. Dans les transports, c'est là aussi tout un panel de solutions qu'il faudra mobiliser : électricité bas carbone, biocarburants et biogaz alimentés par des gisements locaux de biomasse, voire hydrogène vert pour alimenter des piles à combustible.
Je vous proposerai de fixer plusieurs objectifs pour aller dans le sens de ces premières orientations : définir un objectif quantitatif de développement de l'hydroélectricité, viser dans la loi le développement d'au moins un Gigawatt par an d'éolien en mer jusqu'en 2024, ou encore établir un objectif intermédiaire de développement du biogaz. Il s'agit de s'assurer que la volonté du législateur d'atteindre les 10 % de biogaz en 2030 sera bien respectée, alors que ce n'est pas le chemin que prend la PPE, ce qui est quand même un comble ! Tous les objectifs chiffrés que je vous proposerai sont parfaitement crédibles et atteignables à des coûts raisonnables, les gisements sont là et les technologies aussi, et je vous proposerai plusieurs dispositifs très concrets pour développer ces nouvelles énergies.
Parmi les grands principes de la politique énergétique, je crois qu'il faut encore ajouter deux points : insister sur l'importance d'une politique de recherche et d'innovation pour adapter notre économie à la transition énergétique, et concilier la valorisation énergétique de la biomasse avec l'agriculture et la sylviculture. À cet égard, je trouve quand même incroyable qu'on discute d'une loi sur l'énergie et qu'on ne dise rien de la façon dont on pourrait mieux exploiter nos ressources forestières !
Dans le bâtiment, je crois encore à la force de l'incitation, de l'information et de l'accompagnement des consommateurs, plutôt qu'à la contrainte sur les propriétaires bailleurs comme sur les propriétaires occupants. La contrainte a toujours des effets de bord et s'avère souvent à la fin contre-productive, notamment parce qu'elle sort un grand nombre de logements du marché. De ce point de vue, il est heureux que l'idée d'une mise sous séquestre n'ait pas perduré et je vous proposerai simplement plusieurs amendements pour renforcer encore l'information des locataires et des acheteurs, pour rendre certaines obligations plus progressives ou pour ne pas exclure le logement social de certains dispositifs.
Une bonne politique énergétique, c'est aussi une politique qui favorise l'innovation, qui donne de la visibilité aux investisseurs et qui accompagne le développement d'une véritable industrie verte. La transition énergétique peut être une chance pour la France si nous réussissons à développer ces filières vertes. À cet égard, la consécration dans la loi d'objectifs chiffrés de développement pour l'hydroélectricité, le biogaz et l'éolien, secteurs dans lesquelles nous avons une vraie carte à jouer sur le plan industriel, est essentielle. D'autres mesures pourront y contribuer. Je vous proposerai en particulier d'imposer que tous les dispositifs de soutien à l'électricité et au gaz renouvelable prennent en compte le bilan carbone parmi leurs critères d'éligibilité ou de notation. Cela permettra de réduire leurs émissions sur le cycle de vie des projets et de soutenir indirectement les filières françaises et européennes. C'est une mesure de bon sens que le droit européen n'empêche pas, pour autant qu'elle soit fixée de manière transparente et non discriminatoire.
Parmi les mesures concrètes que j'évoquais pour développer ou soutenir les énergies renouvelables, je vous proposerai de simplifier encore la possibilité, pour les installations hydroélectriques concédées, d'augmenter leur puissance sans remise en concurrence, ou d'éviter qu'une réforme des garanties d'origine du biogaz décidée sans concertation ne déstabilise toute la filière, ou ne rompe le lien entre la production et les territoires. Si vous en êtes d'accord, la réforme sera repoussée de dix-huit mois pour renvoyer les discussions à la préparation d'une ordonnance déjà prévue dans le texte, et les collectivités et leurs groupements disposeront d'un accès privilégié aux garanties d'origine des installations situées sur leur territoire.
Sur le photovoltaïque, je vous proposerai d'en faciliter le développement sur le bâti tout en laissant au maire son pouvoir d'appréciation et de pilotage des aménagements sur sa commune, et surtout en évitant que le solaire n'entre en concurrence avec les surfaces agricoles.
Une bonne politique énergétique, je le disais, c'est encore une politique qui aide au changement, à la fois pour nos entreprises, pour nos territoires et pour nos concitoyens. De ce point de vue, je vous proposerai de rappeler que c'est bien à l'État qu'il revient d'assumer les conséquences de la décision de fermer les dernières centrales au charbon en matière d'accompagnement des salariés concernés.
L'accompagnement, c'est aussi celui des consommateurs. Dans le cadre de la fin des tarifs du gaz, je proposerai que la CRE fixe chaque mois un prix de référence indicatif du gaz qui pourra servir de point de repère. Pour les ménages bénéficiant du chèque énergie, je vous proposerai de mettre fin à cette situation qui n'a que trop durer, avec une obligation légale, la mise à disposition d'afficheurs déportés, qui n'est pas mise en oeuvre du fait d'un coût excessif. Je vous proposerai donc un système où les fournisseurs devront proposer une application dédiée ou un afficheur physique avec, et, c'est essentiel, l'obligation de fournir un afficheur à tous ceux qui ne disposent pas de ces nouveaux outils numériques, ou ne les maîtrisent pas. Et contrairement au projet du Gouvernement, l'ensemble du dispositif restera financé par le budget de l'État, car c'est une question de solidarité nationale.
Une bonne politique énergétique, cela suppose enfin un véritable contrôle démocratique, ainsi qu'une simplification des outils de planification pour en améliorer l'efficacité et ne pas faire peser des obligations excessives sur les collectivités ou sur les entreprises, à qui l'on demande de produire beaucoup de rapports... Sur le premier point, je vous proposerai de renforcer la loi quinquennale introduite à l'Assemblée. La loi devra aussi fixer les priorités d'action en matière de rénovation énergétique du bâti et d'autonomie énergétique dans les outre-mer. Le calendrier garantira que c'est bien le législateur qui fixe le cadre et les priorités que mettent en oeuvre la PPE et la stratégie nationale bas carbone (SNBC), et plus l'inverse. Une évaluation des moyens consacrés par l'État et ses établissements publics à l'atteinte des objectifs de la loi figurera chaque année dans les documents budgétaires.
Enfin, la loi corrigera une autre anomalie démocratique en fixant désormais le volume des CEE. C'est indispensable au vu des montants en cause - 3 à 4 milliards d'euros par an - et de leur effet sur la facture énergétique des consommateurs, dont ils représentent déjà 3 à 4 %. Pour fixer ce volume en toute connaissance de cause, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) évaluera au préalable le gisement d'économies atteignables à un coût raisonnable.
En matière de planification et d'obligation de reporting, je vous proposerai de simplifier les choses, en conservant simplement une feuille de route pour le bâtiment et en dispensant les collectivités qui ont déjà élaboré un plan climat-air-énergie-territorial (PCAET), ainsi que les grandes entreprises qui publient déjà ces informations, de l'obligation de réaliser un nouveau document sur la réduction de leurs émissions.
Enfin, je dirai simplement un mot de l'Arenh car nous y reviendrons en examinant les amendements. Pour concilier la stabilité des prix et la rémunération du parc historique, je vous demanderai de conditionner le relèvement du plafond à la hausse du prix, et de prévoir explicitement qu'il devra être tenu compte de l'inflation, puisque le prix n'a pas évolué depuis 2012. L'évolution des tarifs est une chose, mais la réforme ne peut être totalement déconnectée de ses effets sur l'équilibre économique à long terme d'EDF, et sur sa capacité à faire face à son « mur d'investissements ».
Telle est la politique énergétique qu'il nous faut viser : un mix énergétique diversifié et massivement décarboné qui fasse appel à toutes les énergies renouvelables, un soutien aux filières industrielles françaises et européennes, un accompagnement des plus fragiles et des secteurs économiques qui doivent se reconvertir, le tout dans un cadre démocratique rénové qui fonde nos choix sur l'évaluation et sur le terrain, plutôt que sur l'idéologie.