Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Réunion du 9 juillet 2019 à 21h30
Création du centre national de la musique — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous y voilà enfin ! En ce 9 juillet 2019, nous allons répéter, interpréter et finir d’arranger, je l’espère, la partition portant création du Centre national de la musique. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du monde musical français qui a les oreilles tournées vers la Haute Assemblée.

Que l’on me permette, en préambule, une référence musicale à l’interprétation par Frank Sinatra de My Way, adaptation américaine de la si célèbre chanson française Comme d ’ habitude, de Claude François, Gilles Thibaut et Jacques Revaux. Il me semble en effet, monsieur le ministre, que le titre de la version américaine vous sied bien davantage que celui de la version française, surtout quand il est question du Centre national de la musique, car c’est largement vous qui avez tracé la route menant à la création de cet établissement, que nous examinons aujourd’hui – une route que vous avez continué à suivre avec détermination depuis 2011 et le rapport initial que vous avez établi avec Didier Selles, Alain Chamfort, Marc Thonon et Daniel Colling.

Malheureusement, en 2012, alors que l’ensemble des acteurs étaient prêts à s’engager, le projet avait été abandonné, faute de moyens ; la filière en garde un fort ressentiment.

Dans ce contexte, la relance du projet du Centre national de la musique au printemps de 2017 par Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, que je veux saluer ici, a fait renaître beaucoup d’espoirs.

Les conclusions du rapport de Roch-Olivier Maistre, qui confirmaient l’intérêt de créer un établissement public chargé d’observer, d’appuyer le développement international et de soutenir le secteur dans une optique de diversité culturelle, ont été unanimement saluées par les acteurs de la filière musicale.

La mission de préfiguration du CNM, confiée aux députés Pascal Bois et Émilie Cariou, a débouché sur le dépôt, le 27 mars dernier, d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 6 mai.

Monsieur le ministre, vous avez donc été l’homme à l’origine de ce projet, mais vous serez bientôt aussi l’homme à sa conclusion, qui doit constituer, nous le pensons tous ici, un nouveau départ pour le monde de la musique en France.

Pourquoi est-il si important de donner corps à ce projet ?

Nous avons le sentiment – et nous l’avons beaucoup entendu dire lors des auditions que nous avons réalisées – que si la création de cet établissement n’aboutit pas avec cette proposition de loi, il ne verra jamais le jour. En d’autres termes, c’est maintenant ou jamais !

C’est la raison pour laquelle il me paraît essentiel de ne pas trahir la confiance que votre personnalité a permis de rétablir. En effet, les deux défis auxquels la filière musicale, dans son ensemble, est confrontée, rendent nécessaire la création d’un établissement pour mieux y répondre et favorisent en même temps le regroupement de cette filière.

Le premier défi est celui de la révolution numérique. Parmi les industries culturelles, la musique est le premier secteur à avoir été frappé par la crise due à l’arrivée d’innovations numériques révolutionnant la consommation de produits culturels. Un secteur autrefois florissant a ainsi été très brutalement confronté à une perte massive et rapide de revenus.

L’édition phonographique est cependant parvenue à renouveler son modèle économique et ses modes de production pour renouer avec la croissance, comme le relève notre collègue Françoise Laborde dans son rapport pour avis sur le dernier projet de loi de finances, qui a souligné que, depuis 2013, le chiffre d’affaires du streaming avait été multiplié par près de trois et le nombre d’écoutes par cinq.

Cette crise contraste avec la situation, comparativement bien meilleure, du spectacle vivant, qui représente maintenant presque le double du poids de la musique enregistrée. Les concerts sont en quelque sorte devenus un nouvel eldorado pour l’industrie musicale, même si cela ne va pas sans un certain nombre de difficultés, liées à une concentration croissante des acteurs et au poids du financement de la sécurité. Je vous renvoie aux nombreuses communications faites à ce sujet, ces deux dernières années, par notre collègue Sylvie Robert, rapporteur pour avis des crédits du programme « Création ».

Le second défi tient au caractère toujours très éclaté du secteur. Le secteur de la musique apparaît en effet, depuis des années, traversé par des lignes de fracture multiples et profondes, entre musique enregistrée et spectacle vivant, secteur subventionné et secteur privé, musique « savante » et musiques populaires, pratique professionnelle et pratique amateur…

Les différents acteurs n’ont, jusqu’à présent, pas su construire une culture commune et présenter un front uni pour défendre des intérêts communs et valoriser le secteur.

Devant ce constat, la proposition de loi prévoit la création, au 1er janvier prochain, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, un ÉPIC, placé sous la tutelle du ministère de la culture et dénommé « Centre national de la musique ».

La commission de la culture a adopté, il y a deux semaines, plusieurs modifications au texte que l’Assemblée nationale nous avait transmis pour clarifier et conforter les missions du futur établissement et mieux reconnaître la place des collectivités territoriales dans la définition et la mise en œuvre de la politique de la musique.

Pouvons-nous pour autant dire que le travail est achevé avec le texte de cette proposition de loi ? Comme le disait Miles Davis, « la véritable musique est le silence et toutes les notes ne font qu’encadrer ce silence ».

Or, monsieur le ministre, il y a dans ce texte deux silences et, comme souvent avec les silences, ils concentrent toute l’attention.

Un premier silence concerne la gouvernance du nouvel établissement.

La composition du conseil d’administration d’un ÉPIC relève du pouvoir réglementaire. Le Parlement n’a donc pas véritablement la main sur les modalités de sa gouvernance.

Or nous avons précisément constaté que ces questions de gouvernance font partie de celles qui agitent particulièrement la filière musicale, pour ne pas dire qu’elles la divisent !

Il ne faudrait pas que le projet achoppe sur ces questions, au motif que les solutions retenues, comme aurait pu le dire le regretté Michel Berger, dressent les acteurs « les uns contre les autres », alors que l’objectif est au contraire de faire en sorte qu’ils travaillent les uns avec les autres !

Il me paraît essentiel que les différents acteurs de la filière musicale n’aient pas le sentiment d’y perdre en se rassemblant au sein de cette nouvelle maison commune, faute de quoi le risque serait que certaines des associations de droit privé refusent in fine de rejoindre le CNM, ce qui ferait perdre beaucoup de son intérêt au projet.

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