En effet, une décennie après les premières ébauches de cette maison commune de la musique, il est enfin temps que le projet se concrétise.
Évoquant la Fête de la musique, Jack Lang déclarait que la musique, ça rassemble, c’est un langage commun. Paradoxalement, ce « langage commun » ne s’exprime pas dans un espace commun : les acteurs de la filière, qui se connaissent pourtant parfaitement, n’ont guère de lieux où échanger, partager leurs analyses du secteur, réfléchir collectivement aux mutations constantes qui le traversent. En somme, ils ont besoin de pouvoir se rassembler, dans leur diversité.
Le futur CNM doit être ce lieu de rassemblement. Si cette assertion paraît simple, elle n’en recouvre pas moins une grande ambition, car réunir producteurs, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, organismes de gestion collective et, bien entendu, artistes du privé ou du public, œuvrant dans la musique enregistrée ou dans le spectacle vivant, dans le registre classique ou dans celui de la musique de variétés, n’est pas une évidence ! Les intérêts peuvent être divergents, les habitudes différentes. Il faut donc une volonté très ferme et un esprit particulièrement constructif pour parvenir à l’édification de cette maison commune. À cet instant, je voudrais saluer l’esprit qui anime l’ensemble des acteurs de la filière, qui ont su, ces dernières années, faire des pas les uns vers les autres. Ils attendent aujourd’hui avec beaucoup d’impatience la création du CNM. L’instance de préfiguration animée par Catherine Ruggeri continue d’y contribuer.
Ce périmètre élargi, où prévaut l’« égale dignité des répertoires », selon la belle expression de notre rapporteur, ne va pas sans soulever de véritables questions. À défaut d’avoir pu toutes les aborder par voie d’amendements – je pense par exemple à la question de l’aide à l’emploi –, le Parlement ayant encore été soumis, vous l’imaginez bien, à une interprétation pour le moins rigoureuse des articles 40 et 45 de la Constitution, je souhaiterais souligner, dans le cadre de cette discussion générale, plusieurs points qui me paraissent essentiels.
J’évoquerai d’abord le rôle et les missions confiées au futur CNM. Il me paraît fondamental que celui-ci ne soit pas seulement un Centre national de la chanson, des variétés et du jazz amélioré, comme ce dernier fut une amélioration du fonds de soutien créé en 1986.
En effet, fondre en une seule entité le CNV, le Fonds pour la création musicale, le Bureau export de la musique française, le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles et le Club action des labels et des disquaires indépendants français tout en réunissant l’ensemble des professionnels du secteur implique vraiment de changer de dimension. Plus précisément, il faut que cette nouvelle dimension soit en cohérence avec l’ambition désormais affichée.
Pour le dire plus clairement, le CNM ne peut pas n’être qu’un guichet. Naturellement, la fonction de soutien, notamment financier, au secteur musical qui lui est dévolue est nécessaire. Mais, afin d’apporter pleinement des solutions aux problématiques d’aujourd’hui et de demain de la filière et de conférer au CNM l’envergure qu’il doit avoir, cette attribution originelle doit vraiment être dépassée.
À mon sens, cette maison commune doit avoir des préoccupations que je qualifierai d’« intérêt général ». D’ailleurs, le champ des missions du CNM reflète une telle conception. Il est fait référence à l’« éducation artistique et culturelle » et – sans doute sous l’impulsion du Sénat – aux droits culturels. Le rôle des collectivités territoriales est conforté, et une attention particulière est portée à la question de la diversité. Tout cela correspond à l’esprit de mon amendement visant à préciser que le CNM contribue à la mise en œuvre de la politique publique d’accompagnement et de soutien en faveur de la musique, sans bien sûr se substituer à l’action menée par le ministère de la culture et son administration.
Monsieur le ministre, je me tourne vers vous : pour moi, l’État doit plutôt être force de propositions à destination de la filière, mobilisateur sur les dossiers épineux du moment, stratège sur les grands enjeux. Tout en cultivant le dialogue et en coconstruisant avec les acteurs du secteur, il doit surtout être l’arbitre et le garant de cet « intérêt général » que je mentionnais précédemment. C’est cette dialectique subtile qui est attendue de l’État.
Je profite de cette occasion pour évoquer la question de la gouvernance. J’ai déposé un amendement d’appel visant à vous permettre de nous indiquer comment vous entendez constituer le conseil d’administration : qui siégera aux côtés de l’État, majoritaire ? Quels seront le rôle et la place des financeurs et contributeurs, des collectivités territoriales ? Quels seront les liens avec le conseil professionnel ? Les réponses à ces questions seront essentielles pour mesurer l’efficacité potentielle d’un tel outil, son utilité pour le secteur et pour la mise en œuvre de la politique publique.
Parce qu’il me paraît intéressant d’insister sur le caractère dynamique des missions revenant au CNM, je présenterai deux amendements visant l’un à inscrire dans le texte la mission prospective du futur centre national, l’autre à préciser que l’Observatoire de l’économie du secteur musical est, parallèlement, un observatoire de la donnée. Aujourd’hui, la donnée est véritablement au cœur de l’économie numérique. Elle est très importante à la fois pour analyser les transformations du secteur et pour imaginer les différents dispositifs à instituer dans l’avenir.
Au fondement de la chaîne de valeur de la filière musicale réside l’acte de création, et au fondement de la création artistique se trouve bien sûr l’artiste, le créateur de la valeur. Rendre l’artiste visible, c’est donner sa pleine mesure au CNM, en intégrant en son sein celui qui lui confère tout à la fois son sens et sa vitalité.
Dans cet esprit, j’ai déposé un amendement tendant à rappeler que le CNM a pour rôle de mettre en lumière l’artiste tout en respectant ses droits. Je fais ainsi référence à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite loi LCAP.
J’aurais voulu aller plus loin, en proposant de mettre en place des expérimentations dans les régions, via un fonds de soutien à la création musicale. En tout cas, monsieur le ministre, je pense qu’il faut creuser l’idée d’une aide directe à la création, car il y a aujourd’hui un vide en la matière. Je vous fais confiance pour cela.
Voilà quelques minutes, j’évoquais l’ambition qui sous-tend le projet du CNM. Qui dit ambition dit bien évidemment financement à la hauteur. Je sais que le débat sur le financement a été renvoyé à l’examen du prochain projet de loi de finances, mais il est tout de même délicat de créer une nouvelle structure, d’en évoquer l’ambition et de réfléchir à ses missions sans avoir de prise sur l’étendue de son financement !
Le financement est un enjeu majeur, voire l’enjeu numéro un. Il conditionne la réussite du CNM. Que se passera-t-il si nous bâtissons une maison commune, séduisante sous tous aspects, mais dont les fondations se révèlent brinquebalantes ? La réponse va de soi…
Monsieur le ministre, je crois que nous sommes unanimes, dans cet hémicycle, à ne vouloir à aucun prix que le CNM soit une coquille vide, une demeure hospitalière et prometteuse, mais vouée à l’abandon. Pour éviter ce funeste destin, il est impératif que les financements soient à la hauteur. Le rapport Cariou-Bois évaluait à 20 millions d’euros la somme nécessaire pour amorcer le lancement du CNM. Lors de la discussion du prochain projet de loi de finances, je serai extrêmement vigilante. J’espère que les crédits nouveaux seront inscrits réellement dans la loi de finances, dans un esprit de sincérité et de transparence budgétaires.
Mais la réflexion doit être poussée plus loin. On a évoqué les recettes de la taxe YouTube ou de la TOCE : le pense que leur fléchage partiel vers le CNM serait de nature à assurer un financement pérenne de celui-ci et à donner de la visibilité aux acteurs.
En termes de visibilité, il me semblerait d’ailleurs intéressant de proposer, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, l’élaboration d’un financement sur trois années du CNM, assis sur une forme de convention d’objectifs et de moyens. Cette méthode devrait aussi permettre une montée en charge progressive de l’établissement, car tout ne sera pas en place au 1er janvier 2020, et l’adaptation des dispositifs, en particulier d’aide, aux mutations que connaît le secteur.
Le Centre national de la musique est un beau projet. Il doit maintenant voir le jour, mais pas au prix d’une ambition réduite ou d’un financement incertain. Des inquiétudes légitimes ont été exprimées par les acteurs de la filière. Tout cela vous engage, monsieur le ministre. Il est urgent que vous apportiez des réponses pour apaiser le climat et favoriser une entrée sereine dans la phase de concrétisation. Comme je l’indiquais en préambule, le CNM, c’est maintenant ou jamais ; nous souhaitons ardemment que ce soit maintenant !