Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tous les musiciens se souviennent de la célèbre réplique d’André Malraux, interpellé à la Chambre sur l’absence de toute politique musicale d’envergure : « On ne m’a pas attendu pour ne rien faire pour la musique ! »
On ne peut adhérer tout à fait à cette affirmation, car le directeur de la musique d’André Malraux, Marcel Landowsky, fut l’un des pères fondateurs de la politique musicale telle que nous la connaissons aujourd’hui, mais il semble temps de passer à une nouvelle phase dans le soutien à la musique, en lui donnant un centre national capable de rassembler, de renforcer et de représenter les intérêts de la filière, tout en soutenant ses exportations à l’international.
Monsieur le ministre, je vous remercie de la constance de votre action en ce domaine et de la qualité des concertations menées par votre ministère avec l’ensemble de la filière musicale.
Si la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui est une étape nécessaire dans le parcours chaotique de la création du Centre national de la musique, elle n’apporte en réalité que peu de précisions sur le futur établissement public.
Rendez-vous est donc pris dans les prochains mois pour la présentation du décret auquel renvoie l’article 6. Il précisera les dispositions relatives à la gouvernance et nous espérons que, à l’automne, le projet de loi de finances donnera au Centre national de la musique les ressources nécessaires à son fonctionnement.
J’espère toutefois que l’assentiment général aux objectifs de ce texte qui se dégage ne vous découragera pas, monsieur le ministre, de nous fournir quelque éclairage sur le budget, notamment sur l’éventuel apport supplémentaire de l’État au CNM. Il me semble en effet essentiel que l’État, qui est à l’initiative sur ce dossier, apporte une quote-part significative au fonctionnement du futur établissement public.
Les financements innovants qui seront mobilisés nous intéressent au premier chef. Dans la droite ligne du rapport de M. Roch-Olivier Maistre, nous pensons que mobiliser une ressource moderne, issue de la sphère numérique, serait tout à fait légitime. Il ne s’agit pas de capter les taxes dont le produit est affecté au cinéma, car cela a déjà fait échouer le projet en 2012 ! Toutefois, se dégagent deux pistes sérieuses, sur lesquelles nous devons pouvoir disposer d’éléments afin de rassurer la filière et de faire évoluer le débat.
En premier lieu, le produit de la taxe YouTube, adoptée par le Parlement en 2016, pourrait être majoré, afin d’en affecter une partie au CNM, le reste demeurant affecté au Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC. Il me semble normal que les poids lourds de la diffusion en ligne de contenus musicaux, compte tenu des bénéfices qu’ils en tirent, entrent dans le cercle vertueux du financement de la création musicale !
En second lieu, eu égard à la place qu’occupe la musique dans la consommation internet et mobile, il serait tout à fait légitime que le CNM perçoive, comme le préconise le rapport Cariou-Bois, une fraction de la TOCE, dont sont redevables les opérateurs de télécommunications.
Monsieur le ministre, beaucoup d’acteurs se sont sentis rassurés par les propos que vous avez tenus, lors du marché international du disque et de l’édition musicale de 2019, sur le maintien des financements aux actuels bénéficiaires, mais j’estime qu’il faut maintenant donner un gage de l’exploration d’autres types de financement à même de soutenir l’innovation et l’exportation, que nous appelons tous de nos vœux !
Bien qu’aucune politique publique ne puisse sérieusement se concevoir sans une connaissance et une observation fines du secteur, la musique reste l’une des rares filières à ne pas disposer d’observatoire. Alors que la loi LCAP avait déjà prévu la création d’un observatoire de l’économie de la musique au sein du CNV, certains blocages regrettables n’avaient pas pu être surmontés.
Il est strictement impossible de prétendre réguler un secteur sans s’appuyer sur des études précises, par exemple sur l’ampleur des phénomènes de concentration via les playlists et leur incidence sur la diversité. J’espère que le volontarisme dont vous faites preuve sur cette question permettra d’installer durablement un observatoire efficace, sans reproduire les erreurs passées.
Comme je le soulignais dans mon rapport pour avis sur la mission « Médias, livres et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2019, la musique a été très tôt touchée par la révolution du numérique, mais elle a su y répondre rapidement et inventer un autre modèle durable, devant être encore consolidé.
Les plateformes de diffusion de vidéos en ligne, si elles peuvent être porteuses de risques liés à la concentration tenant à l’usage d’algorithmes, constituent toutefois un moteur de croissance pour le secteur de la musique. Il faudra sécuriser et préserver ce modèle de développement, qui est au cœur de l’avenir de l’industrie musicale.
Aujourd’hui, dans le contexte d’une concurrence internationale impitoyable, nous devons conquérir de nouvelles parts de marchés à l’étranger tout en préservant la diversité musicale. C’est indispensable pour gagner la bataille des contenus, offrir à notre jeunesse des perspectives d’emploi durable, mais aussi donner à nos territoires de nouveaux atouts en matière d’attractivité.
L’intégration du Burex, s’il y consent, au CNM, comme prévu à l’article 5 du projet de loi, participe de cette stratégie culturelle de conquête, à laquelle il faut donner la plus grande latitude. Cet acte de dissolution volontaire, qui concerne aussi les autres associations de droit privé ayant vocation à être intégrées au CNM, ne sera consenti que si un certain nombre de garanties sont apportées, permettant de présumer la puissance future du CNM. Il nous reviendra de veiller tout particulièrement au montant des subventions supplémentaires accordées au CNM par rapport aux subventions actuelles, car si l’une des associations venait à refuser l’intégration pour cause de financement insuffisant, c’est toute l’architecture du CNM qui serait fragilisée.
Nous aimerions également avoir plus de visibilité sur la gouvernance. Nous considérons que l’équilibre reste à affiner. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Je confirme que le groupe du RDSE souhaite vivement faire advenir la création d’une maison commune pour la filière musicale, et ce dans les meilleures conditions possible. Nous attendons de nos débats une avancée sur la contribution financière de l’État et les taxes, ainsi que sur la composition des conseils, afin de donner l’ampleur nécessaire à cette nouvelle politique musicale destinée à unir l’ensemble de la filière.