Madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements n° I-164 et I-165, qui ont le même objet puisqu’ils portent sur la prise en charge par l’État du droit de plaidoirie. Cela devrait justifier la longueur de mon intervention sur un sujet important qui mérite, en effet, que l’on s’y arrête quelques minutes.
Nous souhaitons, par l’amendement n° I-164, supprimer l’article 41 en ce qu’il constitue une grave régression dans la conception française de l’accès au droit, notamment du droit à la défense, et une atteinte fondamentale au droit de toute personne de bénéficier de l’aide juridictionnelle totale.
Cet article vise en effet à supprimer la prise en charge par l’État du droit dû par le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle à son avocat pour chaque plaidoirie.
Ce droit de plaidoirie, d’un montant de 8, 84 euros, sera donc payé à l’avocat par le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.
La première conséquence de cette disposition est simple : il n’y aura plus, en France, d’aide juridictionnelle totale, puisqu’une partie des dépenses d’instances seront prises en charge par le bénéficiaire.
La deuxième conséquence, qui est tout aussi fâcheuse, doit être évaluée à la lueur de la pratique des avocats qui accueillent les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle : ces dispositions ont pour effet d’opérer un transfert de charge vers les avocats de ce droit de plaidoirie, sans aucune évaluation concrète de l’incidence de ce transfert de charges sur l’exercice même de la profession d’avocat.
En effet, devant les difficultés matérielles rencontrées par les avocats pour recouvrer ce droit, notamment dans le cadre de procédures d’urgence ou en matière de procédure pénale, il est à craindre que les avocats ne puissent jamais le récupérer.
Imaginez un avocat, en comparution immédiate, demander à son client, qu’il rencontre trois minutes avant l’audience, le paiement de 8, 84 euros avant de faire sa plaidoirie ! C’est absolument ridicule, voire humiliant pour l’avocat comme pour le client !
Le principe de l’aide juridictionnelle totale est justement l’absence de transaction entre le client et son avocat : nous parlons là de clients qui sont souvent dans une grande précarité ; leur demander de payer un droit de 8, 84 euros nous semble relever d’une telle absurdité que, dans la pratique, les avocats renonceront à recouvrer ce droit.
La troisième conséquence réside dans l’affectation du droit de plaidoirie payé à l’avocat.
L’effet pervers de cette disposition réside également dans le fait qu’en réalité ce droit qui est perçu par les avocats et qui leur permet de financer leur retraite est reversé directement à la Caisse nationale des barreaux de France, la caisse de prévoyance et de retraite des avocats.
Ce seront avant tout les avocats qui défendent les personnes les plus démunies qui subiront l’injustice d’une telle disposition. On le sait, ces avocats ne sont pas les plus fortunés : en effet, ce ne sont pas les gros cabinets d’affaires qui s’occupent de ces personnes. Leur engagement est inversement proportionnel à leur portefeuille et il est absolument injuste de leur demander une telle contribution.
J’ajoute que la philosophie qui sous-tend cette disposition est celle du refus du Gouvernement de tirer toutes les conséquences des récentes décisions de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la garde à vue.
Nous le savons, le système actuel de l’aide juridictionnelle ne permettra pas, sans une réforme financière profonde, d’assumer les coûts liés à la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue, telle qu’elle est envisagée dans le projet de réforme de la garde à vue présenté à l’Assemblée nationale.
Le Gouvernement doit donc trouver des fonds pour financer l’aide juridictionnelle, qui risque d’exploser une fois le texte adopté.
Au lieu de présenter un financement spécifique de l’aide juridictionnel dans le cadre du budget pour 2011, prenant en compte la réforme à venir, le Gouvernement s’en sort en faisant peser sur les avocats la nécessaire augmentation du budget de l’aide juridictionnelle !
Il s’agit donc d’une disposition non seulement injuste pour les personnes directement concernées qui n’ont parfois même pas les moyens de payer ces 8, 84 euros, mais également pernicieuse, puisque les bénéfices que le Gouvernement entend en tirer serviront à financer l’appel d’air que va créer la réforme de la garde à vue, et tout cela sans concertation ni association du Conseil national des barreaux.
Je vous renvoie à ce sujet aux résolutions adoptées les 19 et 20 novembre par le Conseil national des barreaux qui en disent long sur la position de la profession sur cette question.
Par l’amendement n° I-164, nous vous proposons donc de supprimer l’article 41, en attendant une réforme plus globale de l’aide juridictionnelle, nécessaire au regard notamment des récentes décisions de la Cour de cassation concernant la conformité de notre système de garde à vue à la Convention européenne des droits de l’homme.
Enfin, je souligne que cet article ouvre une brèche dans un droit fondamental qui est le droit de la défense.