Intervention de François Bonhomme

Réunion du 1er octobre 2019 à 14h30
Répression des entraves à des libertés des évènements et des activités autorisés par la loi — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Noël Cardoux tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés, ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi.

Ce texte vise à apporter une réponse plus ferme et plus efficace à deux types d’infractions qui ont eu tendance à se multiplier ces dernières années et qui, à certains égards, relèvent d’un phénomène de société : premièrement, les violences, les menaces et les dégradations dirigées contre des boucheries, des abattoirs ou des élevages, en général au nom d’une conception très singulière et exclusive de la cause animale ; deuxièmement, les entraves à la chasse, qui se produisent régulièrement dans nos forêts domaniales.

Ces actions sont le fait de groupes ou d’individus radicaux issus en général de mouvements animalistes, antispécistes ou véganes, apparus voilà une trentaine d’années, mais dont certains modes d’action ont pris une forme violente plus récemment.

Au cours de la seule année 2018, la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs a ainsi recensé une cinquantaine d’attaques, sous des formes diverses et variées : vitrines brisées, murs tagués, faux sang répandu dans les boutiques, bouchers ou clients menacés ou insultés.

Certains évènements, comme des attaques contre les agriculteurs, ont pu prendre un tour plus dramatique. Je pense en particulier à l’incendie de bâtiments d’élevage, il y a encore dix jours, dans l’Orne, où un jeune exploitant agricole a vu, en pleine nuit, ses trois bâtiments d’élevage détruits par le feu. Cet incendie criminel a été particulièrement traumatisant, ses auteurs ayant également peint sur les bâtiments des inscriptions comme « assassin » ou « camp de la mort ».

Je pense aussi à l’incendie volontaire, voilà un an, d’un l’abattoir dans le département de l’Ain : s’il n’a heureusement pas fait de victimes, cet incendie criminel a mis au chômage technique près de quatre-vingts salariés.

Des entreprises et des permanences de chasseurs ont également été saccagées et des interventions dangereuses pour les cavaliers ayant pour but de perturber des activités cynégétiques se sont produites dans les forêts de Chambord et de Compiègne en particulier.

Au demeurant, est-il nécessaire de réaffirmer ici que la chasse, acquis historique s’il en est, reste un loisir apprécié du plus grand nombre, avec près de 1 million de pratiquants et détenteurs de permis de chasse de notre pays ?

Je rappelle que les entraves à la chasse sont aujourd’hui réprimées par une simple contravention de cinquième classe, soit une amende de 1 500 euros au maximum, ce qui, manifestement, n’est plus assez dissuasif.

Plus généralement, il y va du respect de l’une de nos libertés les plus fondamentales. Je crois que nous vivons, en France, dans un pays de libertés, où toutes les opinions peuvent s’exprimer dignement et être défendues librement.

Aussi, les militants animalistes ont tout loisir de s’opposer, par exemple, à la consommation de la viande, à la considérer comme impure, de s’opposer à la chasse, à la corrida ou encore à la présence d’animaux sauvages dans les cirques. C’est leur droit, mais c’est parce que notre démocratie leur permet de s’exprimer librement qu’elle ne peut admettre que l’on cherche à imposer son opinion par la force. C’est même le propre de notre État de droit que nul ne saurait imposer ses opinions par la violence ou l’intimidation.

Je rappelle également que, face à la multiplication de ces incidents, le ministre de l’intérieur a demandé aux préfets de région de prendre contact avec les représentants des professions concernées pour des échanges réguliers et pour leur fournir une protection si nécessaire. Des instructions ont également été données pour renforcer la protection autour des commerces de viande. M. le secrétaire d’État pourra peut-être, au cours des débats, nous préciser ses intentions concernant la mise en œuvre de ces instructions.

La chancellerie a, de son côté, invité les procureurs à faire preuve de fermeté contre ceux qui attaquent des boucheries ou qui s’introduisent dans des élevages, en apportant une réponse systématique à ces actes, mais aussi en tentant de prévenir les débordements.

Cependant, les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent aujourd’hui aller plus loin, en modifiant l’article 431-1 du code pénal, leur objectif étant de réaffirmer un principe général selon lequel toutes les activités qui ne sont pas interdites doivent pouvoir être exercées librement, sans que certains tentent d’y apporter des entraves.

L’article 431-1 du code pénal punit ainsi d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, par une action concertée et au moyen de menaces, l’exercice de la liberté d’expression, d’association, de réunion et de manifestation ou encore de la liberté du travail. Il punit des mêmes peines les entraves au bon déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’une collectivité territoriale.

De même, les peines encourues sont alourdies – trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende – lorsque l’entrave a pris la forme de coups, de violences, de voies de fait, de destructions ou de dégradations.

La proposition de loi tend à apporter deux modifications à cet article, afin d’en élargir le champ d’application. Tout d’abord, il est proposé de préciser que l’entrave est réalisée « par tous moyens », de manière à pouvoir sanctionner toutes les entraves, quelle qu’en soit la forme. Ensuite, le texte prévoit de sanctionner le fait d’empêcher la tenue de tout évènement ou l’exercice de toute activité autorisée par la loi.

Je rappelle que la proposition avait déjà été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée en décembre dernier. Elle avait été retirée afin de tenir compte du contexte politique d’alors : l’examen de la proposition de loi aurait pu être perçu, à tort, comme une initiative dirigée contre le mouvement qui s’exprimait alors, alors même qu’elle poursuit un tout autre objectif.

Le Gouvernement, depuis lors, a fait part de son intérêt pour ce texte, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant création de l’Office français pour la biodiversité, au mois d’avril dernier. D’ailleurs, répondant à un amendement de notre collègue Jean-Noël Cardoux, qui tendait à créer un délit d’entrave à la chasse, la secrétaire d’État Emmanuelle Wargon avait souhaité une inscription rapide de la proposition de loi à l’ordre du jour des assemblées, afin que la question de la chasse puisse être abordée dans un cadre plus large et de manière transversale.

Le Gouvernement obtient satisfaction aujourd’hui avec l’examen du texte dès le début de notre session ordinaire. Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il travaillera avec nous pour élaborer un texte d’équilibre, qui donnera satisfaction à toutes les parties intéressées.

La commission des lois s’est réunie mercredi dernier pour examiner la présente proposition de loi. Elle n’a pas adopté de texte, ce qui explique que nous débattions aujourd’hui du texte tel qu’il a été déposé sur le bureau du Sénat. Cette prise de position ne traduit cependant pas un désaccord avec les objectifs des auteurs de la proposition ; elle est plutôt la conséquence d’interrogations de nature juridique.

En premier lieu, un certain nombre de nos collègues se sont inquiétés de la formulation d’un principe de portée très générale, qui pourrait poser une difficulté au regard du principe constitutionnel de clarté et de précision de la loi pénale. En effet, je rappelle qu’une infraction doit être définie en des termes suffisamment précis pour que la peine soit prévisible et afin d’éviter ainsi tout risque d’arbitraire.

Ensuite, plusieurs membres de la commission se sont demandé s’il était nécessaire de légiférer de nouveau et si les dispositions en vigueur ne permettaient pas déjà de réprimer les comportements visés.

Il est vrai que certaines qualifications pénales peuvent être retenues, en fonction de la nature des actes qui ont été commis, pour poursuivre les infractions commises par des groupes animalistes. On peut citer, de manière non exhaustive, les qualifications suivantes : menaces, violences, violation de domicile, incendie criminel, dégradation de biens privés en réunion ou encore provocation à un crime ou à un délit.

Ce rappel étant fait, monsieur le secrétaire d’État, il nous semble toutefois que le droit pénal ne permet pas d’appréhender efficacement certaines situations d’entrave situées aux interstices, dans lesquelles les individus font obstacle par leur corps à l’exercice d’une activité, sans que leur action s’accompagne pour autant de menaces ou de violences.

Nous croyons également utile d’envoyer un message politique fort, afin d’inviter les pouvoirs publics à la fermeté et de rappeler les règles qui doivent régir la vie collective ou la vie en société.

C’est pourquoi j’ai travaillé avec l’auteur de la proposition de loi et avec d’autres collègues de l’Union Centriste à une nouvelle rédaction, à même d’apporter plus de précisions tout en restant fidèle aux objectifs du texte.

La commission a ainsi adopté l’amendement de réécriture globale déposé par notre collègue Jean-Paul Prince, comme j’aurai l’occasion de vous l’expliquer dans la suite de la discussion.

En conclusion, mes chers collègues, je tiens à souligner que cette proposition de loi répond à une attente très forte de nos concitoyens, qui sont de plus en plus exaspérés par certains comportements contraires au pacte républicain. Il s’agit en fait d’un texte de liberté, qui vise à renouer avec un principe essentiel énoncé à l’article V de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ».

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