Monsieur le ministre, je me joins à ceux de mes collègues qui ont considéré qu’il était indécent d’essayer de récupérer 5 millions d’euros avec ce dispositif, alors que nous défendons en vain, depuis plusieurs jours, des amendements dont l’adoption aurait permis de rapporter des centaines de millions d’euros. Il est effectivement indécent de se retourner vers certains de nos concitoyens qui ont, pour 90 % d’entre eux, moins de 900 euros par mois.
Certains diront que leur demander une dizaine d’euros, ce n’est pas grand-chose. Moi qui ai participé, comme certains d’entre vous, à des commissions locales de lutte contre les exclusions, je peux vous dire que dix euros, ce n’est pas rien, c’est même parfois très significatif.
À cette occasion, j’ai pu constater à maintes reprises combien le budget d’une famille disposant de revenus de l’ordre de 600, 700 ou 800 euros est ficelé au centime près, avec l’intervention des travailleurs sociaux.
Je voudrais reprendre les chiffres cités par M. le rapporteur général et qui figurent dans son rapport : en 1991, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle étaient au nombre de 348 000 ; aujourd'hui, ils sont un peu plus de 900 000, soit presque trois fois plus. Pourquoi ce chiffre a-t-il triplé ?
Une première explication est celle qui est avancée par les auteurs de la proposition et qui figure dans le rapport : l’augmentation du nombre de demandes s’expliquerait par le fait que se sont progressivement formés des experts ayant une parfaite connaissance de l’appareil judiciaire et le sentiment de disposer d’un droit de tirage illimité en matière d’aide juridictionnelle. Et l’on jette l’opprobre sur ces petits malins qui vont tirer le meilleur parti du dispositif.
Il existe pourtant une autre explication, mes chers collègues : le triplement du nombre de personnes qui sollicitent l’aide juridictionnelle est sans aucun doute à rapprocher de l’état de pauvreté dans lequel se trouvent aujourd’hui nombre de nos concitoyens. C’est de ce côté-là qu’il faut chercher !
Rappelez-vous la « fracture sociale », qui était l’objet d’un programme politique il y a moins d’une dizaine d’années ! Aujourd’hui, elle est loin d’avoir été comblée. Elle s’est même élargie ! Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les statistiques de l’INSEE ou bien d’écouter le Secours populaire ou n’importe quel autre organisme qui travaille dans le secteur social et qui recense le nombre de démunis dans notre pays.
Si l’on considère le problème en termes financiers, 5 millions d’euros, je le répète, ce n’est pas beaucoup. À ceux qui nous rétorqueraient que, en ces temps de vache maigre, ce n’est déjà pas si mal, je les invite à ne pas oublier un aspect essentiel, à savoir la dimension éthique, la solidarité que nous devons à ceux de nos concitoyens qui sont aujourd’hui dans le besoin. C’est en se plaçant sur ce terrain que cet article a été jugé indécent. Cette appréciation mérite d’être partagée.
Telles sont les raisons pour lesquelles il faut adopter les trois amendements de suppression de ce dispositif tout à fait inacceptable.