Monsieur le ministre, combien existe-t-il aujourd’hui de conseils et de commissions chargés d’évaluer les effets des salaires et des revenus sur la situation des Français ? Officiellement au moins quatre : la Commission nationale de la négociation collective, dont la composition est tripartite, avec des représentants de l’État et des partenaires sociaux ; le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, composé d’experts très qualifiés et présidé par Jacques Delors ; le Conseil d’analyse économique, placé auprès du Premier ministre – ce qui n’est pas indifférent, on le verra –, composé d’une trentaine de membres nommés à titre personnel et de représentants de grandes administrations économiques et sociales ; le Conseil d’orientation pour l’emploi, qui a notamment pour mission de formuler des propositions susceptibles de lever les obstacles de toute nature à la création d’emplois.
Or le Gouvernement nous propose d’ajouter à ce brillant aréopage un groupe d’experts, au sein duquel on retrouverait certainement des personnalités issues de ces différentes instances, pour se prononcer sur la fixation annuelle du SMIC.
Il nous est donc permis, monsieur le ministre, de nous interroger sur le bien-fondé de cette mesure et sur son coût. Pourquoi créer une commission, un comité ou un groupe d’experts, alors que plusieurs de ses membres étudient déjà le même sujet ? Où est l’économie budgétaire dans cette affaire ? Mais là n’est pas le plus grave.
Aujourd’hui, c’est la Commission nationale de la négociation collective qui, en vertu du 5° de l’article L. 2271-1 du code du travail, donne un avis motivé au Gouvernement sur la fixation du SMIC. Pour ce faire, elle s’appuie sur les avis d’experts qu’elle souhaite entendre, le cas échéant, mais qui n’ont pas un caractère officiel. Au final, c’est la délibération de cet organe tripartite qui importe.
Avec ce projet de loi, vous allez exercer, monsieur le ministre, une pression sur les partenaires sociaux avant toute délibération de cette CNNC, au moyen d’un groupe d’experts officiels et d’un rapport public. Il conviendrait d’ailleurs que nous soyons informés du contenu du décret garantissant l’indépendance du groupe d’experts, à défaut de leur impartialité. Mais nous avons déjà un échantillon des procédés qui attendent les salariés !
Pour, selon vous, « dépolitiser » la fixation du SMIC, vous avez commandé à trois experts, MM. Cahuc, Cette et Zylberberg, membres du Conseil d’analyse économique, un rapport dont la teneur est heureusement connue depuis le mois de juillet dernier, même si sa parution officielle n’est prévue que pour le 4 novembre prochain, lorsque ce projet de loi aura été voté. On comprend pourquoi vous n’avez pas voulu que ce rapport soit diffusé avant notre débat !
Selon ce rapport intitulé « Salaire minimum et bas revenus : comment concilier justice sociale et efficacité économique ? », le SMIC n’est pas un moyen efficace pour réduire la pauvreté et les inégalités ; la pauvreté est principalement due au manque d’emploi, au trop faible nombre d’heures travaillées et à la situation familiale ; le salaire minimum est trop contraignant et trop élevé ; les prestations sociales conduisent à une trop faible incitation à la reprise d’emploi pour les moins qualifiés ; les jeunes sont particulièrement victimes de ce système. Les auteurs proposent en conséquence de réduire la pauvreté par des mesures ciblées, plutôt que par un salaire minimum élevé et uniforme. Ils sont favorables à la mise en place du RSA et à une nouvelle gestion du SMIC.
Le projet de loi généralisant le RSA et celui-ci ne font qu’un même texte : ils sont fidèles à la théorie selon laquelle le chômage des moins qualifiés serait dû au fait qu’ils sont trop payés et que le montant de l’ensemble des prestations sociales est trop élevé pour les obliger à sortir de leur paresse !
Vous mettez en place le RSA, un sous-SMIC subventionné, et, parallèlement, vous cassez le SMIC. Vous multipliez les emplois de service en contrats précaires et à temps partiel subi ; vous détruisez les garanties salariales et privatisez la protection sociale.
Votre projet politique est fondamentalement réactionnaire en ce qu’il tire profit de la fin des structures industrielles dans nos pays pour détruire le statut des salariés et les plonger dans la précarité et l’insécurité permanentes.
Je n’ai pas besoin d’ajouter, monsieur le ministre, que nous sommes irréductiblement opposés à ce processus.