Messieurs les ministres, la commission des lois vous auditionne à la suite de l'attaque survenue à la préfecture de police jeudi dernier.
Mardi, nous étions nombreux dans la cour d'honneur de la préfecture de police pour rendre hommage aux victimes, et, ce matin, nous avons en tête la gravité des visages des familles des victimes - les conjoints, les enfants, les parents -, et de leurs collègues de travail. Cet hommage solennel a été l'occasion d'exprimer la reconnaissance de la Nation ; l'attention personnelle du Président de la République, du Premier ministre, des membres du Gouvernement, dont vous-mêmes, messieurs les ministres, est aussi dans nos mémoires.
Nous devons à la mémoire des victimes de travailler ensemble dans le sens de l'intérêt national, avec pour seule exigence d'assurer de notre mieux, par notre action, par nos propositions, par notre détermination, la sécurité de nos concitoyens - il y va de votre responsabilité au premier chef - face au terrorisme islamiste.
Cette audition, décidée samedi dernier, nous a semblé indispensable, afin que la représentation nationale et les Français eux-mêmes puissent être mieux éclairés sur les circonstances dans lesquelles cette attaque est intervenue ; sur les éventuels dysfonctionnements que vous avez constatés et qui l'ont rendue possible ; ainsi que sur les leçons qui en ont déjà été tirées ou qui doivent l'être, afin d'éviter qu'un tel drame ne se reproduise, par l'examen, l'approfondissement, voire la remise en cause de nos dispositifs, et par le renforcement de nos moyens.
En matière de lutte contre le terrorisme, le pire serait certainement de s'enfermer dans des schémas de pensée et des organisations immuables. Sans cesse, nous devons nous adapter à une menace multiforme et à des formes d'actions qui ne cessent d'évoluer, de changer de cible et de s'individualiser, avec le risque que celles-ci deviennent de plus en plus insaisissables.
Vous avez, monsieur le ministre, identifié des failles - c'est le terme que vous avez utilisé - dans la sécurité interne à la préfecture de police. Vous avez souligné que, en dépit de ce que l'on a pris l'habitude de qualifier de « signaux faibles », la hiérarchie et les collègues de travail de Mickaël Harpon n'ont pas jugé nécessaire de formaliser un signalement qui aurait peut-être pu provoquer une enquête, laquelle aurait peut-être conduit à la mise en oeuvre de mesures préventives. Il en résulte une interrogation fondamentale : un dispositif de sécurité qui dépendrait principalement ou en partie du déclenchement des enquêtes par le supérieur hiérarchique immédiat ou l'entourage de travail d'un fonctionnaire ne serait-il pas intrinsèquement fragile ?
La tragédie de la préfecture de police doit nous inciter à des remises en cause. Ce sont non pas les personnes qui sont ici visées - ce serait hors de propos -, mais nos modes d'organisation, voire nos structures. Nous ne recherchons pas ici des responsabilités personnelles, mais nous voulons poser toutes les questions. Il y va de notre responsabilité et je dirai même de notre devoir.
Permettez-moi de rappeler, à titre liminaire, l'objet de notre audition.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, dans le temps qui nous est imparti - jusqu'à 10 h 30 environ compte tenu de la séance publique - que vous puissiez présenter votre analyse sur la nature des failles que vous avez identifiées et exposer les conséquences concrètes que vous en tirez, en nous indiquant les orientations que vous avez d'ores et déjà retenues pour modifier nos dispositifs.
Nous souhaitons aussi connaître dans le respect, bien évidemment, de l'enquête judiciaire en cours et avec les limites liées au secret de la défense nationale, les dispositions prises par le Gouvernement, à la lumière des travaux de contrôle parlementaire déjà réalisés, concernant la détection des agents radicalisés dans les administrations et les mesures de protection des services publics contre les risques que représentent ces agents. Je pense, notamment, aux travaux de nos collègues députés Éric Diard et Éric Poulliat, mais également aux travaux du Sénat, comme ceux de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste, créée en 2018.
La délégation parlementaire au renseignement s'est également saisie. Elle assure un contrôle parlementaire sur les services de renseignement en respectant le secret sans lequel la sécurité de nos agents et l'efficacité des méthodes d'investigation de nos services de renseignement pourraient être compromises du fait de la divulgation d'informations sensibles. Ce qui ne peut se dire ici doit par conséquent l'être devant cette instance pour que la mission de contrôle du Parlement soit intégralement remplie, au nom des Français, et couvre tout le champ de la sécurité intérieure.
La délégation parlementaire au renseignement a entendu les ministres à huis clos, mardi dernier. Il lui appartiendra de mener tous les travaux complémentaires qui lui apparaîtront utiles afin, le cas échéant, d'adresser des recommandations au Gouvernement.
Ces éléments étant précisés, je vous laisse la parole, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, pour un propos liminaire de quelques minutes, à la suite duquel mes collègues pourront vous poser quelques questions.