Intervention de Jean-Raymond Hugonet

Réunion du 16 octobre 2019 à 15h00
Création du centre national de la musique — Discussion des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Jean-Raymond HugonetJean-Raymond Hugonet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour donner la touche finale à la proposition de loi créant le Centre national de la musique, qui, plus qu’attendu, était espéré par toute la profession depuis 2011, date à laquelle un certain député Franck Riester l’avait évoqué pour la première fois dans un rapport. Il aura fallu attendre que ce député accède à la fonction de ministre de la culture pour que ce véritable serpent de mer englué dans les sables politiques et administratifs voie enfin le jour. Comme quoi, la persévérance et la continuité paient !

Il a cependant été nécessaire – je tiens à le rappeler – de joindre à vos efforts, monsieur le ministre, ceux de l’Assemblée nationale. La proposition de loi déposée par Pascal Bois et plusieurs députés, elle-même précédée d’un important travail d’analyse mené avec Émilie Cariou, à laquelle je voudrais également rendre hommage, a permis à ce projet de trouver enfin une forme concrète, précise, et de vaincre les scepticismes et les oppositions, et ils furent nombreux.

Le Sénat, qui a toujours soutenu la filière musicale et les artistes, notamment du côté de sa commission de la culture, a bien volontiers choisi de jouer le jeu. C’est donc très naturellement que notre commission a travaillé, consciente de la fragilité des équilibres atteints avec la profession, mais déterminée à faire progresser les thèmes qui lui sont chers.

Je veux citer comme étant des apports fondamentaux de notre assemblée : l’inscription des notions d’égale dignité des répertoires ainsi que celle, si importante pour nous et notre présidente Catherine Morin-Desailly, de droits culturels au sein même du corpus de règles qui doivent présider au fonctionnement du CNM ; le renforcement de la mission transversale de développement territorial, en octroyant au CNM la possibilité de conclure des contrats et de nouer des partenariats avec les collectivités territoriales et les acteurs de la filière musicale ; l’élargissement de la composition du conseil professionnel à l’ensemble des organisations concernées par l’action du CNM, afin de permettre aux collectivités territoriales et aux structures publiques de la musique en régions d’y siéger.

Le très large accord recueilli en commission, puis en séance publique au Sénat, sur la proposition de loi permettait d’espérer une commission mixte paritaire conclusive. Celle-ci s’est réunie le 17 septembre dernier, et je suis heureux de dire qu’elle s’est achevée assez rapidement par un accord qui conserve l’intégralité des apports du Sénat. Il semble d’ailleurs, depuis quelque temps, régner en matière culturelle une heureuse convergence de vue entre les deux assemblées. Cela marque, j’en suis intimement persuadé, que, en matière de création et de soutien aux artistes, les députés et les sénateurs sont liés par une vision commune et, surtout, partagée de l’intérêt général. Je suis d’ailleurs heureux de pouvoir souligner la qualité de nos échanges avec Pascal Bois, auteur de la proposition de loi et rapporteur, ainsi qu’avec vous-même et vos services, monsieur le ministre : vous avez contribué à faire de cette proposition de loi de l’Assemblée nationale un texte qui nous rassemble.

Maintenant, nous n’allons pas nous contenter d’avoir adopté une belle loi bien écrite. Derrière le texte, il y a la réalité de cette structure à créer et à faire vivre au service de la musique. Il reste encore quelques écueils sur le chemin, et pas des moindres.

Premier écueil : la question des moyens, et tout d’abord ceux attribués par l’État.

Le projet de loi de finances pour 2020 a levé une partie des doutes, en affectant 7, 5 millions d’euros au CNM, auxquels il faut ajouter un demi-million d’euros en provenance du CNV.

Sans déflorer un débat budgétaire que nous aurons dans quelques semaines, et qui sera mené par notre rapporteure Françoise Laborde, je tiens, à titre personnel, à exprimer ma satisfaction quant à ce montant, qui correspond à environ un tiers de l’objectif cible de 20 millions d’euros. Cette somme devrait permettre au CNM d’amorcer ses travaux lors de sa première année de fonctionnement. Ainsi, le CNM ne devrait pas passer du statut peu enviable de serpent de mer à celui, encore moins enviable, de coquille vide !

Ma satisfaction est toutefois tempérée, car je ne trouve nulle trace d’un quelconque engagement pour les années à venir. Et si les mots ont un sens, leur absence est parfois tout aussi éloquente…

Sachez donc, monsieur le ministre, que nous serons vigilants à ce que l’État assume bien sa part au long cours et dans des proportions propres à susciter l’enthousiasme et joue un rôle incitatif à l’égard des financeurs privés.

Parlons-en, justement, des opérateurs privés.

Certaines craintes ont été émises sur la capacité et la volonté des organismes de gestion collective à abonder le CNM. Le conflit, maintenant porté devant les tribunaux, qui oppose deux d’entre eux – et pas des moindres – pourrait menacer a minima les premiers pas du Centre.

Je regrette personnellement ce conflit qui oppose, pour schématiser, « petits producteurs » et « majors », au moment même où la maison commune qu’est le CNM se constitue. Sur cette affaire, monsieur le ministre, je serai heureux d’avoir votre sentiment.

Après la question des moyens, le second écueil est la participation des professionnels.

Nous le savons, tout n’est pas dans la loi. Tout le monde attend avec intérêt – avec angoisse, devrais-je dire – la parution du fameux décret prévu à l’article 2 sur la composition du conseil d’administration et du conseil professionnel. Je sais que les concertations ont d’ores et déjà été lancées, mais il ne faut pas que le délai entre l’accord en CMP et l’adoption définitive du texte accentue la méfiance. En la matière, il vous faudra aller vite au risque de peiner certains, pour ne pas lester de rancœur la création du CNM.

Cette question est d’autant plus sensible que, je le rappelle, les acteurs de la filière musicale sont aujourd’hui globalement majoritaires dans la composition des conseils d’administration des cinq organismes qui devraient disparaître au profit du CNM. Il est absolument essentiel que les différents acteurs de la filière musicale n’aient pas le sentiment d’un marché de dupes en intégrant cette maison commune, faute de quoi le risque serait que certaines des associations de droit privé refusent in fine de rejoindre le CNM, ce qui ferait perdre beaucoup de son intérêt au projet.

De même, je vous invite à prendre tout particulièrement en considération la place éminente des collectivités territoriales, qui sont directement intéressées par l’action du Centre.

Les défis sont donc nombreux !

Le futur CNM pourra cependant s’appuyer sur la mission confiée à Catherine Ruggeri, qui me paraît tout à fait en ligne avec les ambitions élevées que nous nourrissons, que vous nourrissez, monsieur le ministre, pour le Centre. Catherine Ruggeri effectue un travail remarquable de rassemblement de tous. Je tiens à saluer ici son engagement et à souhaiter que ses compétences ainsi que ses qualités de diplomatie et d’indépendance puissent continuer à bénéficier au secteur.

Pour conclure, je voudrais donner les trois orientations qui, selon moi, devraient présider à la naissance du CNM.

Première orientation : l’unité. Cette maison doit être celle de toutes les musiques, de tous les musiciens, et ne pas hésiter au passage à aller vers un monde amateur si riche et vivant.

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