Intervention de Pascal Savoldelli

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 22 octobre 2019 à 15h45
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « remboursements et dégrèvements » - examen du rapport spécial

Photo de Pascal SavoldelliPascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements » :

Cette mission retrace les dépenses budgétaires résultant de l'application des dispositions fiscales prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Compte tenu du caractère mécanique de ces dépenses, les crédits de la présente mission sont évaluatifs, c'est-à-dire qu'ils ne constituent pas un plafond, à la différence des crédits des autres missions budgétaires. La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux remboursements et dégrèvements d'impôts directs locaux.

Pour 2020, 141 milliards d'euros de crédits sont demandés au titre de la présente mission, en augmentation de 5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2019. S'agissant des impôts d'État, cette augmentation s'explique notamment par la mise en oeuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, mais également par la hausse des restitutions de TVA et d'importants contentieux fiscaux. S'agissant des impôts locaux, la hausse s'explique principalement par le coût croissant du dégrèvement de la taxe d'habitation en faveur des 80 % des ménages les moins favorisés. Au total, en 2020, les remboursements et dégrèvements devraient représenter un tiers des recettes fiscales brutes, une proportion qui ne cesse d'augmenter depuis 2010. Ces montants justifieraient une revue régulière et détaillée de leur pertinence.

Pour 2020, les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État sont évalués à 118 milliards d'euros, en augmentation de près de 2 milliards d'euros par rapport à 2019. Leur hausse est quasi ininterrompue depuis 2010.

Plusieurs paramètres expliquent l'augmentation demandée pour 2020.

En premier lieu, les remboursements de crédits de TVA, qui représentent en valeur la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, sont particulièrement dynamiques. Avec 58,6 milliards d'euros pour 2020, ils poursuivent leur croissance : + 3,1 % par rapport à la prévision révisée pour 2019, qui était elle-même en hausse de + 8,5 % par rapport à l'exécution 2018. Depuis 2013, les restitutions de TVA ont augmenté de 11,5 milliards d'euros et les parlementaires ont besoin de plus d'explications sur les causes de cette trajectoire.

En deuxième lieu, les conséquences du prélèvement à la source s'élèveront à 15 milliards d'euros en 2020, soit 4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2019. En effet, la mise en oeuvre du prélèvement à la source a entraîné d'importantes restitutions en n+1, qui conduisent à une hausse de près de 10 milliards d'euros des crédits demandés à ce titre.

En troisième lieu, le crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR) a finalement coûté 6,1 milliards d'euros ; il a permis de résoudre la difficulté posée par l'année blanche en annulant l'impôt sur le revenu afférent aux revenus non exceptionnels perçus ou réalisés en 2018.

En dernier lieu, l'acompte de 60 % du montant des crédits et réductions d'impôt de l'année précédente est désormais versé en début d'année aux contribuables. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit 5,7 milliards d'euros à ce titre, un montant à peine plus élevé qu'en 2019.

Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) continue également de peser sur la mission. Le coût prévu du dispositif pour 2020 est cependant en forte baisse : Alors qu'il atteignait presque 20 milliards d'euros en 2019, la prévision pour 2020 est de 9 milliards d'euros. Le dispositif a en effet été transformé en réductions de cotisations sociales employeur, qui ne sont plus retracées au sein de la mission, mais n'en représentent pas moins un coût important pour les finances publiques.

Le coût des contentieux fiscaux est également retracé au sein de ce programme. Il s'agit principalement des grands contentieux fiscaux de droit de l'Union européenne, dont le coût pour l'État, même s'il est réparti sur plusieurs années, est très élevé ; c'est le cas du contentieux « OPCVM » (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) pour plus de 10 milliards d'euros, de celui sur la taxe additionnelle sur les dividendes pour 9,5 milliards d'euros ou encore de celui sur le précompte mobilier pour un peu plus de 5 milliards d'euros. Dans mon rapport, je déplore la priorité donnée par les institutions de l'Union aux marchés et à la libre circulation des capitaux, au détriment de l'urgence sociale, économique et environnementale.

Je me suis tout particulièrement intéressé à la question des remboursements et dégrèvements de TVA. Le ministre de l'action et des comptes publics nous avait indiqué, en mai dernier lors d'un débat organisé au Sénat, que la fraude à la TVA représentait chaque année entre 18 et 22 milliards d'euros. Nous sommes tous d'accord pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Pour cela, l'information doit être décloisonnée et les services doivent travailler de façon coordonnée, aux niveaux tant national qu'européen et international. Je considère en outre que les moyens humains doivent être renforcés et mieux spécialisés. Ce sont les conclusions que tirait également la Cour des comptes dans son référé de décembre 2018.

La lutte contre la fraude doit aussi permettre de dégager de nouvelles ressources publiques. Celles-ci permettront de mieux répartir la charge de la TVA en révisant les taux d'imposition des produits et des services de première nécessité qui contribuent au maintien de la dignité des personnes. Je pense notamment, pour avoir interrogé des foyers modestes, au savon, au dentifrice, au gel douche, au shampoing, mais aussi aux couches pour enfants et aux protections hygiéniques pour les personnes âgées.

Je sais que les taux réduits font l'objet d'un encadrement strict par le droit de l'Union européenne ; c'est pourquoi je demande que la France défende l'extension des taux réduits et super-réduits au niveau européen. En 2015, une initiative sénatoriale transpartisane avait permis de réduire à 5,5 % le taux de TVA applicable aux protections hygiéniques féminines. Il faut poursuivre l'extension de ce taux réduit ; le Sénat a voté un taux réduit sur les protections hygiéniques pour les personnes âgées, mais l'Assemblée nationale s'y est opposée au motif qu'il était contraire au droit européen. Or, le budget moyen pour une personne âgée s'établit à 150 euros mensuels : ce n'est pas rien quand on est au minimum vieillesse ou quand on vit avec une petite retraite d'agricultrice ou de conjointe d'agriculteur qui n'est même pas revalorisée !

S'agissant des remboursements et dégrèvements d'impôts locaux, comme chaque année, leur montant atteint un nouveau record. Ce sont ainsi 23 milliards d'euros qui sont demandés pour 2020, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2019.

Les remboursements et dégrèvements liés à la taxe d'habitation, qui s'élèvent à 14,7 milliards d'euros, constituent la majeure partie de la dépense.

Les remboursements et dégrèvements d'impôts économiques locaux constituent le deuxième poste de dépenses du programme, pour un montant de 6,2 milliards d'euros. La majeure partie de cette dépense correspond au reversement du dégrèvement barémique de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). En 2020, le montant des dégrèvements d'impôts économiques locaux devrait baisser de 10 %, en raison notamment de l'extinction des contentieux nés de la décision du Conseil constitutionnel du 19 mai 2017 relative à la CVAE de groupe.

Les remboursements et dégrèvements de taxes foncières représentent la troisième dépense du programme avec 1,6 milliard d'euros en 2020. Ce montant, quasiment stable depuis 2017, sert à couvrir le coût des rectifications a posteriori des impositions.

Enfin, les dépenses d'admissions en non-valeur constituent le dernier poste de dépenses du programme, pour un montant de 538 millions d'euros. Il s'agit d'un impondérable de la mécanique du recouvrement d'impôt, même si une amélioration des systèmes d'information pourrait permettre de réduire les montants en cause.

En conclusion, je souhaite évoquer la réforme de la fiscalité locale : le dégrèvement de taxe d'habitation en faveur de 80 % des ménages est en effet le premier facteur d'augmentation des dépenses que je viens de vous présenter. Cette mesure me semble mal inspirée et va nous conduire à une situation critique pour les collectivités locales et les classes les plus modestes.

En premier lieu, ce dégrèvement ne répond à aucune des critiques adressées jusqu'alors à la taxe d'habitation - les bases d'imposition n'étaient pas à jour et beaucoup de contribuables étaient exonérés. C'est pourtant sur la base de ce constat qu'il a été décidé de supprimer progressivement cet impôt, alors qu'il aurait fallu le réparer : si nous décidions de supprimer toutes les taxes et dépenses fiscales mal paramétrées, quels dégâts !

En deuxième lieu, ce dégrèvement a conduit à l'exonération généralisée que nous propose ce projet de loi de finances et qui se traduira par un nouveau cadeau fiscal pour les plus riches : 7,8 milliards d'euros d'ici à 2023 selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) !

Enfin, ce dégrèvement impose de trouver un système pérenne pour compenser les communes ; or la solution envisagée n'est pas acceptable. J'estime tout d'abord que le transfert de la taxe foncière départementale n'aura pas d'autre effet que d'exclure de ce que j'appelle une « citoyenneté fiscale locale », tous ceux qui ne sont pas propriétaires. Je considère ensuite que la « compensation de la compensation » aux départements par l'attribution d'une fraction de TVA n'est pas souhaitable : elle va inciter l'État à accroître ses recettes de TVA pour financer son manque à gagner, avec, pour principales victimes, comme le démontre toute la littérature économique, les classes populaires ; enfin, elle va mettre les départements dans une situation absolument précaire, car, depuis 2011, les recettes de TVA ont augmenté moins rapidement que celles de la taxe foncière sur les propriétés bâties. C'est peut-être une manière commode pour le Gouvernement de ralentir l'augmentation de la pression fiscale, mais où sont les mesures qui ralentiront la croissance des dépenses sociales des départements ? Entre 2010 et 2017, ces dépenses ont crû de 24 %, alors les recettes de TVA n'augmentaient que de 19 % : c'est ce que l'on appelle un effet ciseau !

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, que je vous ai présentées avec la liberté d'analyse et de ton dont notre commission est coutumière, je vous invite à ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

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