Intervention de Franck Riester

Réunion du 23 octobre 2019 à 22h00
Fondation du patrimoine — Vote sur l'ensemble

Franck Riester :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et la communication, chère Catherine Morin-Desailly, madame l’auteure de cette proposition de loi, chère Dominique Vérien, monsieur le rapporteur, cher Jean-Pierre Leleux, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons souvent dit, vous sur les travées de cet hémicycle, et moi à cette tribune ou ailleurs, que le patrimoine touche à ce que nous sommes.

Il est notre héritage commun, notre lien à hier autant qu’à demain. Il est ce que nous recevons et ce que nous allons laisser aux générations futures ; ce qui était là avant nous et ce qui restera bien après nous. Il est une part de notre histoire, de notre mémoire et de notre identité. Il est un levier de croissance et d’emploi, de revitalisation et de cohésion aussi, de développement et d’attractivité.

Nous avons la responsabilité et le devoir de le valoriser, de le protéger. Le ministère de la culture y est engagé, vous le savez, depuis maintenant soixante ans, et cet engagement perdurera encore longtemps. L’an prochain, mon ministère consacrera un milliard d’euros au patrimoine au sens large, c’est-à-dire aux monuments historiques, aux musées, à l’archéologie, aux archives et à l’architecture.

Dans cette action en faveur du patrimoine, le ministère de la culture peut compter sur des partenaires importants – je dirais même essentiels. Je pense en premier lieu aux collectivités territoriales, mais aussi à un certain nombre de partenaires parmi lesquels la Fondation du patrimoine.

Comme j’ai pu le faire la semaine dernière devant la commission, permettez-moi d’avoir une pensée pour le Président de la République Jacques Chirac et son ministre de la culture de l’époque, Philippe Douste-Blazy. La fondation leur doit sa création.

Elle la doit aussi au Sénat, M. le rapporteur l’a rappelé, en particulier au sénateur Jean-Paul Hugot, qui, il y a vingt-cinq ans, remettait à l’un de mes prédécesseurs, Jacques Toubon, un rapport sur les conditions de création d’une fondation du patrimoine français. Il y préconisait la création d’une structure de mobilisation des entreprises et du grand public en faveur du petit patrimoine non protégé.

Deux ans plus tard, cette structure devenait réalité, et par la loi du 2 juillet 1996, la Fondation du patrimoine était créée. Elle serait reconnue d’utilité publique par décret quelques mois après.

Depuis lors, sous les présidences successives d’Édouard de Royère, de Charles de Croisset et, aujourd’hui, de Guillaume Poitrinal, que je remercie de leur engagement, la fondation a su développer son action en engageant des campagnes de souscription publique et des collectes de financement participatif, en mobilisant le mécénat d’entreprise ou en délivrant son propre label.

En effet, dès sa création, l’État lui a confié la mission de délivrer un label en faveur du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. Celui-ci ouvre droit à un régime de déduction fiscale au titre de l’impôt sur le revenu.

Plus récemment, la fondation a aussi contribué au loto du patrimoine, dont elle assure le pilotage en lien avec mon ministère, tant au niveau des DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, que de la direction générale du patrimoine : elle présélectionne les projets avec la mission Bern et elle assure la gestion du Fonds patrimoine en péril, abondé par les recettes issues du loto du Patrimoine. Après deux éditions, son succès ne se dément pas.

Je remercie toutes les équipes de la Fondation du patrimoine, ainsi que Stéphane Bern, qui est l’un des artisans de ce succès. Je remercie également les DRAC et les équipes du ministère, en particulier les agents des conservations régionales des monuments historiques et des unités départementales de l’architecture et du patrimoine. En plus de leur activité d’accompagnement des propriétaires et de contrôle scientifique et technique, elles fournissent un travail précieux pour la sélection des projets.

En outre, la Fondation du patrimoine a joué un rôle capital dès le 16 avril dernier en faveur de Notre-Dame de Paris. Elle est l’une des trois fondations reconnues d’utilité publique qui ont aidé l’État à opérer la souscription nationale – nous avons eu l’occasion d’en parler à de nombreuses reprises dans cet hémicycle. Son intervention a été décisive et je veux l’en remercier.

Aujourd’hui, forte de l’expérience qu’elle a acquise et de son modèle original, la Fondation du patrimoine est devenue un acteur indispensable de la protection du patrimoine.

Dans un rapport de décembre dernier, la Cour des comptes en prend acte et formule une série de recommandations : renforcer l’activité de la fondation dans les régions où elle demeure faible ; faire attester par un architecte des bâtiments de France, ou à défaut par un délégué de la Fondation, la conformité des travaux au projet ; instaurer une plus grande sélectivité des dossiers dans un contexte de baisse des ressources, en veillant en revanche à maintenir un taux significatif de cofinancement de la fondation ; améliorer la présentation comptable de l’utilisation des ressources de la Fondation.

Plus globalement, la Cour des comptes recommande de réexaminer le dispositif du label, en vue de le rendre plus efficace. Elle estime qu’une simplification de la composition du conseil d’administration de la Fondation irait également dans ce sens.

La proposition de loi dont nous allons discuter s’inscrit pleinement dans la lignée de ces recommandations. Je tiens à remercier Mme Vérien, qui est par ailleurs membre du conseil d’administration de la Fondation du patrimoine, de l’avoir déposée.

Je tiens également à saluer le vice-président Jean-Pierre Leleux, qui en est le rapporteur. Vous avez une nouvelle fois mené un remarquable travail de clarification du texte et de mise en synergie de toutes les énergies sénatoriales avec le Gouvernement.

Je pense, entre autres, à la meilleure définition que vous avez proposée pour le patrimoine concerné par le label délivré par la fondation.

Je pense également à l’adaptation du code du patrimoine aux besoins concrets de la fondation, à la réalité du terrain et aux modifications introduites par la loi Pacte – je vous en suis très reconnaissant. J’en profite pour saluer le sénateur Alain Schmitz, délégué régional de la fondation pour l’Île-de-France.

La proposition de loi vise à moderniser les outils, donc la gouvernance de la Fondation du patrimoine.

Le premier de ces outils est le label de la fondation. Actuellement, le code du patrimoine dispose que la fondation peut attribuer un label au patrimoine non protégé et aux sites. Les conditions de son octroi sont aujourd’hui uniquement définies par le bulletin officiel des finances publiques.

Ainsi le label peut-il être délivré pour trois types d’immeubles : tout d’abord, ceux qui constituent le petit patrimoine de proximité en zone urbaine ou rurale – il s’agit par exemple de pigeonniers, de lavoirs, de fours à pain, de chapelles, de moulins, etc. ; ensuite, ceux qui sont les plus caractéristiques du patrimoine rural, et qui sont de ce fait situés dans les communes de moins de 2 000 habitants – ce sont par exemple des fermes, des granges, des maisons de village ou des petits manoirs ruraux ; enfin, ceux qui sont situés dans un site patrimonial remarquable.

Le texte de loi prévoit d’adapter ces critères.

L’article 1er propose ainsi de modifier le code du patrimoine afin d’expliciter le champ d’application du label. Une nouvelle fois, je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre effort de clarification de cet article.

Le label pourra désormais être délivré pour les immeubles bâtis ou non bâtis situés en zone rurale et non protégés au titre des monuments historiques, pour les immeubles situés dans les sites patrimoniaux remarquables, pour les immeubles situés dans les sites classés au titre du code de l’environnement et pour les immeubles situés dans des zones rurales, dans les bourgs et les petites villes de moins de 20 000 habitants. Ce rehaussement du seuil est une grande avancée. En revanche, il suppose davantage de moyens en faveur du patrimoine.

Il était, je le sais, attendu dans le cadre des programmes de revitalisation des territoires. Il est d’ailleurs totalement cohérent avec le programme « Petites villes de demain » – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur –, que le Gouvernement, par l’action de ma collègue Jacqueline Gourault, en lien avec Sébastien Lecornu et Julien Denormandie, est en train de mettre en place. Ce programme cible les villes de moins de 20 000 habitants.

De cet article résultera une extension importante du champ d’application du label. C’est donc davantage de notre patrimoine qui sera valorisé et protégé. Il faut s’en réjouir, d’autant plus que cela ne générera qu’une dépense fiscale raisonnable au regard de l’impact de cette mesure pour les territoires et pour l’économie en général.

En effet, la fondation délivre environ 1 000 à 1 200 labels chaque année. La Cour des comptes estime que le montant des travaux réalisés par les particuliers représente aujourd’hui 60 millions d’euros, pour une dépense fiscale de 6, 4 millions d’euros par an.

L’élargissement de son périmètre d’intervention devrait permettre de doubler le volume des interventions de la fondation, ainsi que le montant de la dépense fiscale qui lui est associé.

Le Gouvernement émet néanmoins une réserve – nous en avons discuté de manière très détaillée en commission. Nous continuons de penser que le taux minimum de participation de la fondation nécessaire pour attribuer le label doit être fixé par décret et non par la loi – on ne peut pas toujours être d’accord sur tout ! –, car nous considérons que cela lui permettrait d’évoluer selon les besoins, sans avoir à changer la loi. C’est peut-être un risque, mais c’est sans doute aussi l’occasion de renforcer l’accompagnement financier de la fondation et des bénéficiaires du label.

Le deuxième outil que ce texte propose de moderniser est la gouvernance de la fondation. L’article 3 prévoit de modifier la composition de son conseil d’administration pour le resserrer. Il paraît tout à fait souhaitable de rapprocher la gouvernance de la fondation du droit commun des fondations reconnues d’utilité publique, comme le prévoit la proposition de loi. La modification envisagée s’inscrit donc dans une modification plus globale des statuts, lesquels relèvent à la fois de dispositions législatives et réglementaires.

En vue d’améliorer la gouvernance de la fondation, le nombre de membres du conseil d’administration sera réduit. S’il souscrit à cet objectif, le Gouvernement a proposé un amendement, qui a été accepté par la commission, visant à simplifier les différentes catégories de membres en retenant trois catégories : des représentants des fondateurs, mécènes et donateurs, qui détiendraient la majorité des sièges au sein du conseil administration, conformément à l’esprit de la fondation ; des personnalités qualifiées, pouvant venir de différents horizons ; des collectivités territoriales.

Comme c’est d’usage, le nombre de membres pour chacune de ces catégories aura vocation à être défini par décret. L’État renoncera à son pouvoir de nomination des personnalités qualifiées. Elles seraient désormais cooptées par les autres membres du conseil, à l’instar des autres fondations reconnues d’intérêt général. Le président de la fondation aura vocation à être désigné parmi les membres du conseil d’administration.

Je tiens à remercier Jean-Pierre Leleux et les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de leur travail constructif relatif à la simplification de la gouvernance.

Comme vous, je pense qu’il est essentiel que les communes rurales continuent d’être représentées au sein du conseil d’administration de la fondation. Je crois que nous avons d’ailleurs modifié le conseil d’administration en conséquence, en ouvrant à des représentants d’associations d’élus la possibilité d’être membres.

Concernant la simplification, je vous remercie également, monsieur le rapporteur, pour votre travail sur l’article 4. En effet, la possibilité pour les fondations reconnues d’utilité publique de détenir des valeurs mobilières est désormais prévue par la loi Pacte, qui a modifié la loi de 1987 sur le développement du mécénat, modifiée.

L’article 5 concerne la possibilité pour la fondation de réaffecter des dons qui sont devenus sans objet, car les projets sont caducs ou ont déjà été intégralement financés. En l’état, sa rédaction présente des fragilités au regard du respect de l’intention du donateur. Elle comporte de ce fait un risque fort d’inconstitutionnalité. Elle permettra en effet à la fondation de modifier unilatéralement l’affectation des dons à certains projets, sans disposer nécessairement du consentement explicite du donateur et de celui des maîtres d’ouvrage concernés.

Il importe – je le redis avec force –, que le consentement des donateurs soit donné explicitement, soit au moment du don, soit au moment de sa réaffectation, comme l’ont démontré nos échanges autour de la loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Nous mettrons à profit, comme vous nous avez appelé à le faire, monsieur le rapporteur, le temps de la navette pour travailler avec le ministère de la justice, la Fondation du patrimoine et les parlementaires à la recherche d’une solution juridiquement adaptée à la difficulté à laquelle la fondation se trouve confrontée – on le comprend parfaitement – en matière de réaffectation de dons devenus sans objet. L’intention des donateurs est un principe et une garantie essentielle de l’action philanthropique et du mécénat, et, je le répète, il importe de la préserver.

J’en finis, monsieur le président, en soulignant que l’article 6 concerne la suppression de dispositions propres à la fondation qui n’ont jamais été mises en œuvre. Il s’agit de l’insaisissabilité de bien acquis par la fondation pour les sauvegarder et du bénéfice d’une procédure d’expropriation au bénéfice de la fondation. Sur ces dispositions, le Gouvernement émet un avis favorable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la Fondation du patrimoine est pour mon ministère un partenaire indispensable et pleinement complémentaire de l’action que nous menons en faveur du patrimoine. Pour gagner en efficacité, vous le savez, le ministère de la culture est en train de se transformer.

La Fondation du patrimoine a également besoin de se transformer, notamment au niveau de sa gouvernance ; c’est tout l’objet de la présente proposition de loi. Sous réserve des différents points dont je viens de vous faire part – comme vous l’avez pu le constater, si certains sont essentiels, leur nombre demeure réduit –, le Gouvernement est donc favorable à son adoption.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion