Intervention de Claude Nougein

Réunion du 23 octobre 2019 à 15h00
Fiscalité de la succession et de la donation — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Claude NougeinClaude Nougein :

Vous proposez de réduire l’abattement de 75 % à 25 % lors des successions ou donations pour les dirigeants d’entreprise qui s’engagent à garder les titres six ans actuellement.

En fait, vous souhaitez voir disparaître toutes les entreprises familiales détenues par des Français, lesquelles, je vous le rappelle, représentent un emploi sur deux en France, ce qui n’est pas rien ! Tout cela, à la grande joie, j’imagine, des multinationales étrangères, qui pourront acheter à vil prix les fleurons de l’économie française.

Si cette proposition a un impact relatif sur les TPE ou sur les petites PME, souvent faiblement valorisées, elle a en revanche un impact considérable sur les grosses PME ou ETI, les entreprises de taille intermédiaire. En effet, lors des successions, l’entreprise est valorisée par l’administration fiscale en tenant compte des plus-values latentes et non du capital investi parfois vingt ou trente ans auparavant.

Malgré le taux actuel de 75 %, la France reste le mauvais élève de l’Europe en matière de transmission familiale d’ETI : 18 % seulement dans notre pays, contre 56 % en Allemagne et 70 % en Italie. C’est la raison pour laquelle nous comptons seulement 5 000 ETI dans notre pays contre 10 000 en Italie et 15 000 en Allemagne.

Le coût actuel de la transmission reste significativement plus élevé en France : 0 % de droits en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni, en Espagne, en Suède, 3 % en Belgique ou aux Pays-Bas, contre 11 % à ce jour en France ! Malgré le pacte Dutreil, nous avons les taux de succession pour les entreprises qui sont les plus élevés d’Europe et probablement du monde. Nonobstant, vous souhaitez aggraver la situation, sans mesurer les conséquences graves que cela aura sur notre économie.

Au sein de la commission des finances, j’ai cité le cas d’une ETI dynamique, qui distribue peu, recrute et investit beaucoup, avec des réserves et des capitaux propres qui augmentent, valorisée par exemple à 100 millions d’euros. En cas de succession avec le pacte Dutreil, en gardant six ans les actions, il faut acquitter malgré tout 11 millions d’euros, ce qui est très difficile, mais pas impossible en ayant recours à des emprunts. Avec votre loi, pour la même entreprise, il y aura 34 millions d’euros de droits à payer, ce qui est impossible. La seule solution est alors de vendre.

Vous indiquez que cette vente sera une bonne chose, car « favoriser la reprise par des héritiers serait dommageable à l’activité économique ». Je rêve ! Ce n’est pas vrai : de nombreux rapports prouvent que le taux de survie à trois ans pour les transmissions familiales d’ETI est de 100 %, ce qui est bien supérieur aux taux de survie dans les cessions non familiales. Surtout, les transmissions familiales garantissent davantage la stabilité des effectifs.

Un rapport publié en 2017 dans le cadre de la délégation aux entreprises du Sénat, dont je suis co-auteur avec notre collègue Michel Vaspart et qui était intitulé Moderniser la transmission d ’ entreprise en France : une urgence pour l ’ emploi dans nos territoires, démontrait qu’il était utile d’améliorer toutes les formes de transmission, en particulier la transmission familiale, que ce soit pour les entreprises industrielles ou agricoles.

Ce rapport a fait l’objet d’une proposition de loi votée au Sénat en 2018 à une très large majorité, qui visait à augmenter l’abattement à 90 % – au lieu de 75 % – en échange de l’allongement de la durée de détention des actions.

J’ai vécu comme élu d’un département rural, la Corrèze, plusieurs successions d’importantes entreprises familiales qui ont dû être vendues à de grands groupes. Le scénario est toujours le même : on délocalise d’abord le siège social, puis les bureaux administratifs et informatiques, on ne travaille plus avec les acteurs locaux – banque, assurance, transport – et on ferme quelques années plus tard !

Vous indiquez que le dispositif Dutreil est réalisé « au détriment des finances publiques ». Vous oubliez de prendre en compte le coût exorbitant pour les finances publiques des fermetures d’entreprises. Les coûts sociaux, économiques et fiscaux sont largement supérieurs au manque de recettes fiscales évoqué dans votre texte. De plus, si plus tard l’entreprise est vendue, n’oubliez pas que les actionnaires paieront la plus-value. Au bout du bout, on n’échappe pas à l’impôt. Aucun cadeau n’est fait !

Enfin, l’article 8 de cette proposition de loi est à la fois inutile et nuisible.

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