Intervention de Marie Mercier

Réunion du 6 novembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, voilà à peine deux mois, Aurélien Pradié égrenait à la tribune de l’Assemblée nationale 100 prénoms de femmes tombées sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Elles sont aujourd’hui 129 femmes à s’être effondrées, victimes de violences conjugales. C’est une réalité épouvantable dans notre pays : tous les deux ou trois jours, on compte une victime supplémentaire.

Le plus souvent, l’homicide ou la tentative d’homicide fait suite à une longue série de comportements violents. Chaque année, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, environ 220 000 femmes sont ainsi victimes de violences conjugales. De nombreux drames pourraient être évités si une action efficace était conduite par les pouvoirs publics dès le signalement des premiers faits de violence.

Le 3 septembre dernier, le Gouvernement a lancé un Grenelle des violences conjugales, qui se prolongera jusqu’au 25 novembre prochain, date de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Sans attendre les conclusions du Grenelle, le Gouvernement a rendu publiques une dizaine de mesures d’urgence. La mise en œuvre de certaines d’entre elles nécessite une intervention du législateur, ce qui explique que nous soyons saisis de cette proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Déposée par notre collègue député Aurélien Pradié, qui en a également été le rapporteur, cette proposition de loi a été adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale, le 15 octobre dernier. Au travers de ce vote, l’Assemblée nationale a montré que la représentation nationale pouvait se rassembler, par-delà les clivages partisans, autour de cette grande cause qu’est la lutte contre les violences faites aux femmes.

Sur ce sujet, certains États ont été précurseurs, notamment l’Espagne, qui s’est dotée, voilà une dizaine d’années, de juridictions spécialisées et d’un dispositif anti-rapprochement qui a fait ses preuves.

L’introduction en France du bracelet anti-rapprochement constitue la mesure phare de cette proposition de loi. Le texte propose d’autoriser son utilisation à toutes les étapes de la procédure pénale : au moment de la condamnation, notamment dans le cadre d’une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, à l’occasion d’une mesure d’aménagement de peine, par exemple une libération conditionnelle, mais aussi pendant l’enquête, lorsque la personne mise en cause est placée sous contrôle judiciaire. Chaque fois, ce sera un magistrat du siège qui prendra la décision d’ordonner le recours au bracelet anti-rapprochement.

Ce bracelet, attaché à la cheville du conjoint violent, et le boîtier, confié à la victime, permettent de géolocaliser en permanence l’un et l’autre, et de déclencher une alerte dans un centre de surveillance s’ils s’approchent trop l’un de l’autre. Il s’agit donc d’un outil de prévention, destiné à éviter la répétition des violences.

Pour favoriser le recours à ce dispositif, il est prévu d’informer les victimes, au moment du dépôt de plainte, qu’elles pourront en bénéficier. En théorie, le conjoint violent pourra refuser de porter ce bracelet, mais son refus pourra entraîner la révocation, par le juge, de la mesure dont il bénéficie, et donc son incarcération ou son placement en détention provisoire. Cette perspective devrait convaincre, me semble-t-il, la plupart d’entre eux d’accepter de porter le bracelet, si cela est prescrit.

La commission s’est prononcée en faveur de l’usage du bracelet anti-rapprochement, qui a produit de bons résultats en Espagne, où il est en vigueur depuis dix ans. Nous ne pouvons toutefois que regretter que les deux expérimentations votées par le législateur, en 2010 et en 2017, n’aient jamais été suivies d’effet, alors que certaines juridictions – je pense en particulier au tribunal de Pontoise – étaient prêtes à les mettre en œuvre. Une phase d’expérimentation aurait permis d’affiner le fonctionnement de ce dispositif et facilité la généralisation de son utilisation. Beaucoup de temps a ainsi été perdu – d’où de nombreuses victimes –, et il convient maintenant de mettre à la disposition des victimes dans les meilleurs délais ce système protecteur. Peut-être pourrez-vous nous apporter, dans la suite de nos débats, madame la garde des sceaux, des précisions sur le calendrier de déploiement du bracelet anti-rapprochement.

Je le signale, la proposition de loi vise également à encourager le recours au téléphone grave danger. Cet appareil portable, déployé en 2014 après une phase d’expérimentation en Seine-Saint-Denis, permet de joindre, en cas de danger, une plateforme d’assistance.

Pour encourager son utilisation, la proposition de loi procède à deux ajustements, que la commission a approuvés : d’abord, elle précise que la demande de ce téléphone est adressée au procureur de la République « par tout moyen » ; ensuite, elle introduit un nouveau cas dans lequel l’attribution du TGD serait autorisée, en cas d’urgence.

La proposition de loi comporte ensuite un volet de droit civil, qui vise essentiellement à améliorer le dispositif de l’ordonnance de protection, introduite dans notre législation en 2010.

L’ordonnance de protection est délivrée, en urgence, par le juge aux affaires familiales, lorsque celui-ci estime vraisemblable que des faits de violence aient été commis au sein du couple et s’il pense que la victime ou un ou plusieurs enfants restent exposés à un danger.

Dans le cadre de l’ordonnance de protection, le juge peut prendre des mesures civiles assez classiques, par exemple en matière d’autorité parentale ou de résidence séparée. Il peut aussi prendre des mesures de protection de la victime, par exemple pour la faire bénéficier, sans délai, de l’aide juridictionnelle. Il peut enfin décider de mesures à connotation pénale, imposées à l’auteur des violences, par exemple l’interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes ou encore l’interdiction de détenir ou de porter une arme.

Pourtant, le nombre demandes d’ordonnance de protection reste faible : on en a dénombré 3 300 en 2018, et le juge aux affaires familiales ne les a accueillies favorablement que dans 60 % des cas. Le délai moyen de délivrance est aujourd’hui de quarante-deux jours, ce qui paraît tout de même très élevé pour une procédure d’urgence…

Dans ce contexte, la proposition de loi cherche à lever les obstacles à la délivrance de ces ordonnances, en rappelant notamment que le dépôt d’une plainte ne peut être exigé. Dans le dessein d’accélérer leur délivrance, le texte prévoit également de fixer au juge un délai : l’ordonnance devrait être rendue dans les six jours qui suivent la fixation de la date de l’audience. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur cette question du délai au cours de l’examen des amendements.

Enfin, le texte donne de nouvelles prérogatives au juge aux affaires familiales : ce magistrat pourrait interdire au conjoint violent de paraître en certains lieux et ordonner, à condition que les deux parties l’acceptent, le port d’un bracelet électronique anti-rapprochement.

Ces dispositions créatives accentuent le caractère hybride de l’ordonnance de protection, à mi-chemin entre le droit civil et le droit pénal. Il n’est pas certain que les juges aux affaires familiales sachent se saisir facilement de ces mesures restrictives de liberté, auxquelles ils sont peu habitués, ni que le délai adopté par l’Assemblée nationale, en réalité peu contraignant, suffise à accélérer les procédures.

Toutefois, la commission n’a pas voulu faire obstacle à l’entrée en vigueur de ces dispositions, qui renforcent malgré tout la position des conjoints victimes. Elle a seulement souhaité donner un caractère temporaire à l’utilisation du bracelet anti-rapprochement en matière civile, qu’elle juge particulièrement innovante : au bout de trois ans, sur le fondement d’une évaluation, nous pourrons prolonger cette mesure ou la faire évoluer si les doutes exprimés se révélaient fondés.

J’en terminerai en évoquant les mesures destinées à faciliter le relogement des femmes victimes de violences conjugales.

Vous le savez, la loi fait de l’éviction du mari violent du domicile conjugal la règle de principe. Il peut arriver néanmoins que la victime ne souhaite pas regagner son domicile, soit parce qu’il est associé à des souvenirs traumatiques, soit parce qu’elle juge plus prudent de déménager.

Pour l’essentiel, le texte prévoit de mener, pendant une durée de trois ans, deux expérimentations.

La première consiste à mettre en place un mécanisme de sous-location temporaire de logements relevant du parc social : des associations d’aide aux victimes se verraient confier la gestion de logements sociaux, qu’elles pourraient sous-louer, sous condition de ressources, aux femmes qui s’adressent à elles.

La seconde vise à créer un dispositif d’accompagnement adapté en s’appuyant sur des mécanismes existants, comme la garantie locative Visale, qui permet de couvrir des impayés de loyers, ou le Loca-Pass, qui permet de financer le dépôt de garantie.

Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte apporte des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent les femmes victimes de violences conjugales. Je souligne que 80 % des femmes victimes de ces violences ont au moins un enfant ; il faut donc penser aux quatre millions d’enfants qui sont des victimes collatérales de ces violences : quels adultes deviendront-ils ?

Je ne doute pas que le Gouvernement saura mobiliser les moyens budgétaires nécessaires pour assurer la réussite de ces nouvelles mesures. Il est possible que nous ayons à débattre à nouveau, au cours des prochains mois, de la question des violences faites aux femmes, car le Grenelle des violences conjugales devrait faire émerger d’autres propositions relevant du domaine législatif. Vous pourrez toujours compter sur nous, madame la garde des sceaux, pour les examiner avec sérieux, en veillant chaque fois à concilier le nécessaire volontarisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes avec le souci de l’efficacité et de la préservation des principes fondamentaux qui garantissent notre liberté à tous.

La violence est à combattre, dès le plus jeune âge, au travers de l’éducation et de l’accompagnement à la parentalité. Je souhaite que nous tous, dans cet hémicycle, n’oubliions jamais que la violence empêche de penser et, tout simplement, de vivre.

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