L’amendement n° 101 rectifié, présenté par Mme Costes, a deux objets.
En premier lieu, il vise à assouplir les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection, en supprimant les « raisons sérieuses » sur lesquelles le juge doit aujourd’hui se fonder pour estimer la vraisemblance des faits de violences allégués.
Cela ne me semble pas du tout opportun, car l’ordonnance de protection n’est qu’une mesure provisoire, adoptée au terme d’une instruction très réduite. La décision du juge civil repose sur la plausibilité des violences et du danger. Dès lors, il est primordial d’exiger qu’il se prononce sur la base d’éléments sérieux, sauf à risquer de porter gravement atteinte à la présomption d’innocence. Nous sommes donc très opposés à la suppression du critère des « raisons sérieuses ».
En second lieu, cet amendement vise à supprimer le bracelet anti-rapprochement en matière civile, lorsqu’il est prononcé par le JAF, le juge aux affaires familiales. D’autres amendements visent également le même sujet. Sans supprimer le dispositif, les amendements n° 8 rectifié bis, 63 rectifié, 23 et 31 tendent à faire intervenir le procureur de la République et le juge des libertés et de la détention dans la procédure.
Les dispositions de ces amendements diffèrent toutefois sur certains points, les amendements n° 8 rectifié bis, 63 rectifié et 31 ayant pour objet le consentement de la victime au dispositif, ce qui n’est pas le cas de l’amendement n° 23.
Je comprends ces réflexions, car le dispositif soulève des interrogations juridiques et pratiques. Nous pensons toutefois que l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) dans le prononcé de la mesure ne constituerait qu’une garantie d’affichage, le cadre juridique n’étant toujours pas, in fine, celui d’une procédure pénale.
Dès lors, même si le JLD pouvait se passer du consentement du défendeur pour ordonner le port du bracelet, la « pose » de celui-ci ne pourrait être effectuée sans son consentement, au risque que la mesure soit clairement inconstitutionnelle. Le dispositif se heurterait alors à la même impasse, si j’ose dire, que le texte de la proposition de loi : quelle serait l’alternative ? En matière pénale, cela peut être l’incarcération, mais, à l’évidence, pas en matière civile…
Nous estimons néanmoins que ce nouvel outil sera bénéfique pour assurer une protection accrue des victimes de violences conjugales. Pour surmonter les obstacles juridiques de principe, le juge aux affaires familiales ne peut se passer du consentement du défendeur. Il appartiendra ensuite aux juridictions de donner toute sa portée à cette mesure.
Je rappelle d’ailleurs que la délivrance d’une ordonnance de protection ne peut in fine se substituer à la voie pénale, la seule efficace pour assurer la répression des infractions.
L’avis de la commission est donc défavorable aux amendements n° 101 rectifié, 8 rectifié bis, 63 rectifié, 23 et 31.
L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Laure Darcos, tend à réduire à trois jours le délai dans lequel l’ordonnance de protection est délivrée.
Calqué sur le modèle espagnol, le délai de 72 heures semble déjà très court pour permettre aux juridictions de se prononcer en respectant les exigences du contradictoire. Au demeurant, la comparaison qui est faite régulièrement avec le modèle espagnol n’est pas complètement pertinente, l’Espagne ayant créé des juridictions spécialisées en matière de violences conjugales – nous y reviendrons peut-être, madame la garde des sceaux – composées de juges disposant de prérogatives en matière pénale et civile.
Toute tentative de transposition se heurte donc à des difficultés un peu lourdes, auxquelles la proposition de loi a tenté de remédier en imposant un délai de six jours, déjà bien plus court que le délai moyen actuel de quarante-deux jours.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettrait un avis défavorable.
L’amendement n° 29, présenté par Mme Cohen, tend à fixer le point de départ du délai de six jours dans lequel doit être délivrée l’ordonnance de protection à compter de la saisine du juge aux affaires familiales.
Je comprends cette idée, qui était aussi, à l’origine, celle de l’auteur de la proposition de loi. Toutefois, ce délai semble objectivement peu réaliste, eu égard à la pratique judiciaire qui nous a été présentée lors des auditions par les magistrats ou les représentants d’associations de victimes.
La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale permet de conserver ce délai de six jours, tout en laissant au magistrat une plus grande souplesse dans la détermination du point de départ du délai.
Nous préférons donc en rester sur ce point au texte adopté par la commission et émettons un avis défavorable sur l’amendement n° 29.
L’amendement n° 56 rectifié, présenté par Marie-Pierre de la Gontrie, vise à rendre alternatives et non plus cumulatives les conditions de faits de violence allégués et de danger pour la délivrance d’une ordonnance de protection. Or il est important que le magistrat évalue le danger auquel la victime potentielle de violences conjugales est exposée avant de prononcer certaines mesures de protection, telles que l’éviction du domicile du conjoint ou l’interdiction de contact.
Là encore, tout comme la notion de « raisons sérieuses », celle de « danger » permet d’assurer la proportionnalité de mesures attentatoires aux libertés prononcées dans un cadre civil.
En outre, comme l’indique le guide publié par la Chancellerie en juillet dernier sur l’ordonnance de protection, la violence « vraisemblable » constitue un danger en tant que tel. Le danger s’apprécie au sens large et ne doit pas se limiter à la notion de « danger actuel ».
L’avis est donc défavorable sur l’amendement n° 56 rectifié.
L’amendement n° 57 rectifié vise à inclure les violences psychologiques parmi les violences alléguées susceptibles de justifier la délivrance d’une ordonnance de protection. Il est déjà satisfait par le droit en vigueur, les violences visées à l’article 515-11 du code civil faisant écho aux diverses incriminations du code pénal. La définition actuelle des violences inclut donc bien les violences psychologiques mentionnées à l’article 222-14-3 du code pénal.
À cet égard, le guide de la Chancellerie mentionne explicitement les violences psychologiques, avec les violences sexuelles ou physiques, comme susceptibles de relever de l’ordonnance de protection. L’effet d’une telle mesure risquerait en outre d’être contre-productif : dès lors que l’on énumère des catégories, on risque d’en oublier ou de créer des a contrario.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettrait un avis défavorable.
Enfin, l’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Laure Darcos, tend à préciser que l’ordonnance de protection peut être délivrée même si le couple ne cohabite pas. Son intention est satisfaite par l’article 1er bis du texte, par lequel la commission des lois a modifié l’article 515-10 du code civil.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettrait un avis défavorable.