L'exercice auquel je me livre pour la troisième année est, vous le savez, très particulier. Il me revient de vous éclairer sur un pan entier de l'action publique, à savoir l'État actionnaire et son portefeuille représentant pas moins de 110 milliards d'euros, à partir d'un vecteur budgétaire quelque peu baroque. Deux éléments motivent cette appréciation.
D'abord, la lisibilité du compte est fortement réduite par son périmètre large. Il ne retrace pas uniquement les opérations de l'État actionnaire, conduites par l'Agence des participations de l'État (APE), mais porte également d'autres opérations en capital, à l'instar des versements au titre des programmes d'investissements d'avenir. Vous trouverez des éléments à ce sujet dans mon rapport : en 2018, plus d'un quart des dépenses du compte n'a aucun lien avec l'État actionnaire.
Ensuite, la capacité d'action du Parlement est foulée aux pieds de la confidentialité des opérations de cessions. Soyons réalistes : il ne serait ni souhaitable, ni même envisageable que les cessions fassent l'objet d'une prévision comme pour toute autre opération budgétaire. Pour autant, faire examiner au Parlement un montant conventionnel de crédits et attendre la loi de règlement pour constater l'exécution a posteriori revient à reléguer la représentation nationale à une chambre d'enregistrement.
Nous ne sommes pas, mes chers collègues, des poinçonneurs ! Des propositions existent pour définir un meilleur équilibre des pouvoirs dans l'examen du compte : j'ai moi-même eu l'occasion d'en formuler l'an dernier.
Ces réserves préliminaires posées, j'en viens à la présentation du compte pour 2020. Comme l'an dernier, le montant conventionnel proposé est majoré pour tenir compte des cessions autorisées par la loi « Pacte » et s'élève à plus de 12 milliards d'euros en recettes et en dépenses. Il intègre une contribution au désendettement de l'État d'un montant de 2 milliards d'euros, identique à celui prévu pour 2019 - j'y reviendrai.
L'année 2020 sera donc marquée par la concrétisation de la loi « Pacte » et les deux cessions qu'elle autorise pour la Française des jeux et Aéroports de Paris.
Vous apprécierez l'à-propos de notre calendrier d'examen budgétaire : l'intense campagne de publicité conduite par le Gouvernement vous aura permis de ne pas passer à côté, l'introduction en bourse de la Française des jeux débute dès demain et se terminera le 20 novembre prochain. Toutes les conditions sont réunies pour une cession rapide, sans doute d'ici à la fin du mois. Je me tiens prêt à répondre à vos questions sur ce sujet.
La donne est différente pour Aéroports de Paris, à tous points de vue. Le Gouvernement se fait plus discret sur le processus de recueil des soutiens à la proposition de loi déposée en application de l'article 11 de la Constitution. Initiée le 13 juin dernier, elle doit se poursuivre jusqu'à la mi-mars 2020, le projet de cession étant entretemps suspendu. Certes, le point d'étape à mi-parcours laisse augurer que le seuil requis ne sera pas atteint. Le Gouvernement devra alors décider de la forme que prendra l'opération, ce qui déterminera la structure actionnariale ultérieure de l'entreprise.
Les discussions ont été enflammées sur ces différents projets. Le Sénat a exprimé son opposition.
Au-delà des débats relatifs au caractère stratégique de ces actifs, laissez-moi vous faire part de leurs conséquences budgétaires. Les dividendes seront perdus, ce qui représente une perte de recettes annuelle d'environ 200 millions d'euros pour le budget général. Voilà qui renforcera une tendance de fond : entre 2012 et 2019, les dividendes perçus par l'État ont été divisés par deux.
Surtout, ces cessions réduiront fortement les marges de manoeuvre de l'État actionnaire. Depuis son entrée en fonction, le Gouvernement a asséché le solde du compte de 60 %. Il atteint un seuil historiquement bas, qui risque d'assujettir l'État actionnaire à l'État gestionnaire.
Le B.A.-BA de tout gestionnaire d'actif tient à la diversification du portefeuille. L'exécutif semble l'avoir oublié : les cessions vont accentuer encore davantage la concentration de notre portefeuille sur les valeurs énergétiques, qui en représentent près de la moitié.
Pour qualifier sa stratégie, le Gouvernement convoque un élément de langage en parlant de « respiration » du portefeuille. Je suis désolé d'être brutal, mais j'y vois plutôt le dernier souffle de l'État actionnaire.