Intervention de Jean-François Delfraissy

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 5 novembre 2019 à 14h00
Audition de M. Jean-François delFraissy président et Mme Karine Lefeuvre vice-présidente du comité consultatif national d'éthique ccne

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) :

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon, nous avons essayé, après la synthèse des états généraux, d'être aussi neutres que possible. Nous avons eu un débat avant de donner notre avis, lequel peut servir de table d'orientation pour les décideurs politiques sur un certain nombre de grands sujets. Une large majorité du CCNE a soutenu la production de l'avis n° 129, mais certains membres y étaient opposés en soutenant que nous dépassions notre rôle d'observateurs.

Le CCNE a été profondément changé par les états généraux. Constitué d'un tiers de médecins et de chercheurs, mais aussi de philosophes, d'économistes et de grands juristes, il représente un monde d'intellectuels, parisiens dans leur majorité, composé à parité d'hommes et de femmes. En tant qu'élus, vous côtoyez vos concitoyens chaque week-end, mais tel n'est pas le cas des membres du CCNE. Les états généraux leur ont fait le plus grand bien, en leur permettant de prendre connaissance de la vision qu'avait la société, ce qui nous a fait évoluer sur certains sujets. Sur cette base, nous avons émis un certain nombre de recommandations.

S'agissant des embryons, l'idée est de ne pas faire d'embryons à visée de recherche. C'est ce que prévoit la loi et c'est ce que nous avions également recommandé, dans le respect de la convention d'Oviedo. Mais un certain nombre d'embryons surnuméraires peuvent, en l'absence de tout projet parental, être utilisés. Cette situation soulève une série de questions scientifiques, notamment sur les conséquences d'une modification du génome à J 8.

Nous avons évoqué un allongement du délai de J 8 à J 10 ou J 12, pour nous aligner sur la communauté internationale. Pourquoi les scientifiques formulent-ils cette demande ? Parce que les embryons ne deviennent surnuméraires qu'à partir de J 4 ou J 5 : il existe donc une période « grise », entre J 0 et J 5, pendant laquelle aucune étude ne peut être menée. Je suis plutôt favorable à un prolongement de la date d'utilisation, en précisant qu'il ne s'agit pas d'embryons de recherche, mais d'embryons surnuméraires sur lesquels on fait de la recherche.

Sur le périmètre du CCNE, je veux soulever deux points.

D'abord, le mécanisme de nomination des membres du CCNE, qui était jusqu'à présent défini dans la loi, relèverait désormais d'un décret en Conseil d'État : ce mécanisme permettra de procéder plus facilement à des modifications. J'ai demandé leur avis à des conseillers d'État, lesquels estimaient qu'il s'agissait plutôt d'une mesure de simplification bienvenue.

Ensuite, sur l'extension du périmètre du CCNE au numérique, d'une part, et à l'environnement et à la santé, d'autre part, je vous donne rendez-vous dans deux ans ! Il s'agit d'une question démocratique importante. Après la première FIV, le CCNE a été conçu par François Mitterrand et ses conseillers, qui ont compris que la biologie-santé serait l'un des enjeux majeurs du début du XXIe siècle. Mais il en existe d'autres : l'intelligence artificielle, le numérique... Lors du dernier renouvellement, nous avons fait entrer au sein du CCNE trois membres issus du milieu du numérique.

Si l'on met en place un comité d'éthique du numérique, qui ne s'intéresserait pas seulement aux questions du numérique et de la santé, mais aussi, par exemple, à la voiture autonome et à la reconnaissance faciale, doit-il faire partie du CCNE ou être une entité à part entière ?

Il a été décidé de créer un comité pilote du numérique, sous l'égide du CCNE : il devrait permettre de diffuser un certain nombre de savoir-faire, comme la multidisciplinarité, le partage des valeurs et la construction commune, auprès des intervenants du monde du numérique, mais aussi de nous ouvrir à des idées nouvelles. La recherche dans le numérique se fait pour moitié dans des start-up : nous avons besoin de jeunes dans ce comité ! Leur vision est très différente de celle du CCNE.

J'ai reçu une lettre de mission du Premier ministre fin juillet pour mettre en place ce comité pilote, qui couvrira l'ensemble des questions du numérique et pas seulement celles qui sont relatives à la santé. La première réunion se tiendra le 4 décembre prochain sous l'égide du CCNE : ce comité n'est pas une nouvelle entité administrative. Nous nous donnons un délai de deux ans - c'est la raison pour laquelle je vous ai donné ce rendez-vous - pour réfléchir à la suite. Soit on en fait une entité autonome - on peut imaginer faire la même démarche pour l'environnement -, ce qui conduit à multiplier le nombre d'organismes ; soit on garde le CCNE, en mettant en place des piliers - sciences de la vie, numérique, environnement - et en organisant des réunions communes, mais il faut alors veiller à ne pas créer un « machin ».

Nous ne voulons pas être une agence : nous souhaitons garder notre autonomie par rapport aux élus et au Gouvernement.

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