Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition de M. Jean-François Delfraissy, président, et de Mme Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité consultatif national d'éthique (CCNE).
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable à la demande.
Aux termes de la loi, « tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux, organisés à l'initiative du CCNE ».
Je vous rappelle que ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale ne souhaitaient, à l'époque, que la loi de bioéthique soit révisable; le Sénat l'a imposé. C'est donc grâce à sa volonté que des états généraux, dont un rapport de synthèse a été publié en juin 2018, se sont tenus au premier semestre de la même année. Cette association des citoyens à la réflexion est la marque du processus de révision de la loi et nous permet d'entamer le processus parlementaire avec cet apport.
Dans un second temps, en septembre 2018, le CCNE a publié l'avis n° 129 qui détaille ses prises de position sur les différents sujets soumis à la consultation adoptées sinon sur un mode consensuel, ce qui, compte tenu des sujets, semble un art difficile, mais selon le principe de l'assentiment majoritaire.
Le Conseil réfute la loi de Gabor, du nom d'un ancien prix Nobel de physique selon lequel tout ce qui est techniquement possible sera fait tôt ou tard. Cette réfutation laisse un espace pour la réflexion éthique qui consiste précisément à définir, au sein de ce que la technique biomédicale permet, ce qui est souhaitable pour le patient et, plus largement, pour une société dotée de règles communes.
En conclusion, le CCNE appelle de ses voeux une loi de « confiance » qui réponde aux défis posés par les questions de bioéthique en perpétuelle évolution et aux enjeux sociétaux qui s'y rattachent. Vous nous direz dans quelle mesure le texte adopté par l'Assemblée nationale répond à ce souhait exprimé d'une loi de confiance.
Je vous laisse la parole pour un propos introductif avant de la passer à nos rapporteurs, puis à ceux de nos collègues qui souhaiteront vous interroger.
Je tiens tout d'abord à vous remercier de cette invitation. Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, c'est grâce à la volonté du Sénat que la « démocratie sanitaire » a pu prendre une dimension nettement plus importante que d'habitude.
L'organisation des états généraux était une tâche nouvelle pour le CCNE dont il s'est acquitté pour la première fois en 2018. Dans ma vie professionnelle, j'ai eu à accomplir des missions importantes, notamment dans la lutte contre le sida ou contre le virus Ébola. Toutefois, je peux dire qu'animer la démocratie sanitaire et la discussion autour des sujets de bioéthique, face auxquels il faut faire preuve de beaucoup d'humilité, est la plus difficile tâche que l'on m'ait jamais confiée. Il s'agit d'un choix de société relativement important. Un des thèmes des états généraux de la bioéthique s'intitulait d'ailleurs : « Quel monde voulons-nous pour demain ? » Il s'agit d'un choix difficile qui oscille entre une vision individuelle, et donc très diverse, et une vision plus collective en ce qui concerne non seulement la bioéthique, mais aussi la santé.
Aux États-Unis, par exemple, le choix individuel l'emporte en ce moment ; en Asie, ce sont les choix d'État qui dominent. En Europe, notamment en France, nous avons une culture de la réflexion bioéthique. À l'occasion des états généraux, nous avons retrouvé un socle de valeurs partagées sur lesquelles nous pourrons revenir dans le cours de notre discussion.
La construction collective n'est pas seulement faite d'apports individuels. Quelque chose de plus vaste se construit. On dit des Français qu'ils deviennent de plus en plus égoïstes. Après les états généraux de la bioéthique, je n'en suis pas persuadé. Nous avons tous fait, à un moment de notre vie, des choix individuels. Mais tous, nous sommes aussi capables d'avoir une vision plus collective. Et c'est là qu'est tout l'enjeu, qu'il s'agisse des questions de procréation ou d'accès à certains tests génomiques. Nous sommes dans cette oscillation entre vision individuelle et construction collective. Cette dernière, pour généreuse qu'elle soit, ne doit pas non plus écraser un choix qui touche à l'intime sur un certain nombre de sujets délicats.
Nous avons tenté d'aborder des questions difficiles, sinon conflictuelles, au travers des états généraux, bien sûr, mais aussi de la réflexion que nous avons menée au sein du CCNE et qui se poursuit dans le pays, de manière plus globale, autour de la construction de cette loi. Nous avons dû le faire dans un délai contraint. Toutefois, entre les travaux du CCNE, ceux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et ceux des deux commissions spéciales de l'Assemblée nationale et du Sénat, environ 1 200 heures auront été consacrées à la réflexion sur la bioéthique, avant même que le débat parlementaire ne soit engagé - c'est bien.
En France, on a souvent tendance à se tirer une balle dans le pied et à dénigrer notre démocratie. Je me rends régulièrement à l'étranger pour exposer ce que nous faisons. Je peux vous assurer que beaucoup de grands pays regardent avec intérêt ce qui se passe chez nous. Le Japon, par exemple, va probablement organiser des états généraux sur des questions aussi difficiles que la génomique ou la recherche sur l'embryon avec une participation citoyenne.
On pourrait s'interroger sur la place respective du législateur, des experts et des sachants - médecins, scientifiques, philosophes, etc. - et du citoyen de base. Il est difficile de toucher ce dernier sur des sujets aussi complexes. Nous vivons dans une démocratie, c'est donc vous qui allez trancher en votant. Mais le débat qui aura eu lieu avant votre vote se poursuivra encore après. La réflexion sur les sujets de bioéthique ne s'arrêtera pas à ce texte. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de faire participer nos concitoyens à cette réflexion.
Nous ne sommes qu'au début de la construction d'une démocratie sanitaire. La discussion sur les enjeux majeurs qui sont devant nous doit pouvoir s'appuyer sur ce triangle que j'évoquais entre parlementaires, experts et citoyens. Il s'agit d'une construction commune. La santé se prête bien à ce type de discussion.
Vous m'avez très gentiment fait parvenir une quarantaine de questions, jeudi soir. J'ai bien compris votre clin d'oeil et j'y répondrai dans les délais proposés, à savoir d'ici au 20 novembre prochain. Toutefois, je peux déjà dire que le CCNE et son président se retrouvent globalement dans cette loi qui est bien de confiance et d'ouverture, comme nous l'avions appelée de nos voeux.
Le texte comporte ainsi des titres et des sous-titres explicatifs qui permettent d'aborder un certain nombre de points importants. Ces derniers ne sont donc pas noyés dans des articles auxquels nos concitoyens - moi le premier - ne comprennent pas grand-chose, faute d'être des spécialistes.
Par ailleurs, alors que la société change profondément, la science n'est pas forcément source de progrès. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des choix bioéthiques se posent et qu'un équilibre doit être trouvé entre évolution profonde de la société et nouvelles possibilités offertes par la science. Cette loi, qui peut encore être améliorée sur certains points, se situe sur cette ligne de crête.
Avant d'évoquer le sujet de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes seules et aux couples de femmes, que nous ne pourrons éviter, je souhaite parler d'abord de la génomique. De nouveaux tests de séquençage du génome à haut débit sont aujourd'hui disponibles. Avec un peu de votre salive, je peux avoir, demain, en milieu d'après-midi, le séquençage de votre génome, pour 300 euros. Dans un an, il ne faudra plus que 50 euros ! La loi des coûts et l'innovation technologique rendent possible une génomique du quotidien.
À l'heure actuelle, la loi interdit l'utilisation des tests génomiques récréatifs ou de recherche des origines. Pourtant, au cours des douze derniers mois, des publicités vantaient ces tests sur BFMTV. C'est la raison pour laquelle le CCNE avait proposé l'utilisation de tests génomiques en population générale. Par crainte d'une certaine forme d'eugénisme, les ministres de la recherche et de la santé ont préféré les interdire, tout en fermant les yeux sur ce qui se passe réellement. Le CCNE avait préconisé de rester dans un modèle à la française, soit un modèle permettant aux personnes qui l'auraient souhaité d'avoir accès à un conseil génétique. On le sait, dans la majorité des cas, les personnes intéressées auraient renoncé à leur projet de test. Cette solution a l'avantage de dépister un certain nombre de mutations concernant des pathologies parfois létales. Par ailleurs, elle permet de repérer des mutations non classiques, la personne concernée bénéficiant ainsi d'une surveillance particulière, sans avoir à attendre un événement clinique.
Le CCNE continue de préconiser un dépistage préconceptionnel pour la population qui le souhaite, dans un contexte médicalisé et de conseil génétique. En effet, une interdiction pure et simple de ces tests risque d'entraîner une utilisation « à la sauvage », par le biais d'Internet.
Par ailleurs, la loi, dans sa forme actuelle, clarifie la différence entre recherche sur embryons et recherche sur cellules souches. La recherche sur embryon est un sujet difficile. Moi-même, il m'a fallu du temps pour comprendre en quoi elle ne pouvait avoir d'alternative.
Les taux de réussite en matière de fécondation in vitro (FIV) sont relativement faibles. Ainsi, sur les embryons implantables, seulement 16 % ou 17 % d'entre eux vont finalement « prendre ». Un tel taux d'échec, considérable, n'aurait jamais été admis dans le cadre d'une autorisation de mise sur le marché d'un médicament ou d'un vaccin. Nous avons donc besoin de comprendre ce qui se passe durant les tout premiers jours de l'embryon qui se trouve en contact avec son milieu naturel.
Quant aux cellules souches, elles sont soit d'origine embryonnaire, soit d'origine adulte (les IPS). On a longtemps cru que les cellules souches d'origine adulte avaient les mêmes qualités de plasticité et de durée de vie que les cellules souches embryonnaires, ce qui n'est pas tout à fait le cas. Somme toute, l'important, ce n'est pas d'où viennent les cellules souches, mais ce que l'on va en faire. C'est la communauté scientifique elle-même qui réclame une régulation sur ce point.
Les cellules souches permettent d'aboutir à deux choses. Premièrement, elles peuvent devenir un cartilage d'épaule ou de hanche, et elles représentent la médecine du futur, qui doit se développer. Deuxièmement, elles peuvent se différencier en spermatozoïdes ou en ovocytes, avec lesquels on pourra créer des embryons nouveaux, sans acte sexuel. C'est le domaine de la crête, de la ligne rouge qu'il ne faut pas franchir. La loi installe un phénomène de régulation, qui était nécessaire et n'existait pas jusqu'à maintenant.
J'en viens au diagnostic préimplantatoire : parmi les embryons créés par FIV pourrait-on mieux cerner ceux qui seront viables ? Il existe des tests génétiques permettant de repérer les modifications chromosomiques. Même s'il ne s'agit pas de tests définitifs, ils permettent toutefois de disposer d'une base solide de différentiation, en cas d'anomalies importantes au niveau chromosomique. Au demeurant, nous faisons déjà ce type de choix dans le cadre du diagnostic de la trisomie 21. Pourtant, la loi ne va pas jusqu'à les autoriser, considérant qu'il y a là quelque chose de très sensible. Quant à la communauté médicale, elle souhaite mettre en oeuvre ces tests, car, dans ce domaine, la souffrance est immense. Le CCNE regrette que ce point n'ait pas été plus approfondi. Mais vous avez encore la possibilité d'écouter ce que disent les spécialistes de médecine foetale. Pour eux, ce sujet constitue un vrai point d'interrogation. Ne les accusons pas de vouloir construire l'eugénisme !
Dans le cadre des états généraux, deux sujets nouveaux ont été mis sur la table : « Intelligence artificielle et santé » et « Santé et environnement ». Ce dernier n'a pas aussi bien fonctionné que le premier. Il n'apparaît pas dans la loi, sauf dans les préconisations concernant le périmètre du CCNE.
S'agissant du groupe de travail « Intelligence artificielle et santé », il aurait été « inéthique » de ne pas se pencher sur les nouveaux outils de l'innovation technologique. Il s'agit de ne pas laisser passer certaines chances, tout en conservant un modèle dans un domaine où la France a encore un rôle majeur à jouer, en raison, notamment, de l'importance des bases de données de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM). Comment faire pour que l'homme garde la main ? Toute la question tourne autour de la notion de consentement.
Enfin, la loi n'aborde absolument pas le sujet des coûts de l'accès à l'innovation, qui soulève des questions éthiques. Pour ma part, je n'ai jamais autant ressenti la présence du business dans le domaine de la santé. Je pense non seulement aux cliniques gérées par des fonds d'investissement, mais aussi au coût des médicaments. Ainsi, pour traiter certains cancers, il existe aujourd'hui des traitements dont le coût s'élève à plus de 500 000 euros par patient et par an.
Quelle relation avec une loi de bioéthique ? À la fois aucune et beaucoup ! Soit on laisse s'installer une période de non-choix et on privilégie l'innovation - c'est ce que l'on a toujours fait en France, et c'est ce que j'ai toujours préconisé de faire -, soit on procède à des choix. Car si l'on finance l'accès à ces nouveaux traitements, on ne financera pas du personnel aux urgences ou dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Ce choix éthique ne peut pas être du seul ressort des médecins ou des politiques. Il doit être fait par les citoyens. Cette question n'est absolument pas abordée dans la loi.
J'ai apprécié votre propos sur la notion d'équilibre et vos précisions sur le génome. Nous avons le sentiment que nous n'avons pas encore arbitré entre, d'une part, l'amélioration et la prolongation de la vie et, d'autre part, la crainte de bouleverser la vie et la peur du vide. Il faut aborder ce sujet de manière plus frontale.
Sur l'innovation, le débat est absolument fondamental. Nous n'avons pas décidé s'il fallait trancher dans le tout-remboursement, même si certains médicaments sont déremboursés. Nous continuons à croire qu'on peut tout financer. Sans aller jusqu'au modèle anglais, il faut avoir le courage de dire que ce qui relève du banal ne sera plus remboursé pour que la France puisse rester au top en matière d'innovation et éviter tout risque de décrochage.
Il existe plusieurs définitions de la bioéthique. En tant que médecin, la mienne est simple : c'est l'équilibre à trouver entre les avancées scientifiques et les modifications de la société. Pour éviter d'être dans un monde virtuel, il faut tenir compte de la capacité de la société à réclamer et à utiliser les avancées scientifiques, qui ne sont pas toujours source de progrès. Cette loi de bioéthique est la première à sortir du domaine des sachants, en abordant ces questions complexes avec une approche plus sociétale. Mais cela n'est pas suffisant, et le CCNE poursuivra dès 2020 un débat continu et approfondi sur ces sujets, sans attendre la prochaine loi.
Nous menons actuellement une réflexion sur l'accès à l'innovation. Dans le modèle américain, il faut vendre sa maison pour payer les 500 000 euros du coût de l'immunothérapie après un cancer... Ce modèle individuel est inacceptable en France. Mais à force de faire des non-choix, nous allons devoir en arriver à des choix drastiques.
Il faut mettre un frein à l'industrie pharmaceutique. Même si celle-ci est importante et nécessaire, son budget atteint aujourd'hui un niveau inacceptable, notamment d'un point de vue éthique.
Le CCNE rendra un avis sur l'accès à l'innovation thérapeutique au printemps 2020.
Merci pour votre présentation, qui était très claire. Dans son avis, le CCNE explique que le possible n'est pas toujours souhaitable. Puisque vous nous avez dit que vous vous retrouviez dans ce projet de loi, j'en déduis qu'il n'y a rien qui ne soit pas souhaitable dans ce texte.
S'agissant de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, le CCNE souhaite, dans son avis, que « le nouvel encadrement législatif afférent à la recherche sur l'embryon soit précisé, clarifié sur les points suivants : la création d'un d'embryon transgénique, la création d'embryons chimériques et la limite temporelle au temps de culture sur l'embryon ».
Je vous remercie de ne pas avoir commencé votre propos par la question de l'assistance médicale à procréation, qui n'est pas le seul sujet du texte. Les questions relatives à l'embryon et aux cellules souches sont passionnantes : le CCNE est-il satisfait du texte eu égard aux propositions qu'il a formulées sur ces sujets ?
Ma seconde question, qui peut paraître anecdotique, concerne la gouvernance de la bioéthique. Êtes-vous favorable à l'extension du champ de compétences du CCNE ?
En ce qui concerne la recherche sur l'embryon, nous avons essayé, après la synthèse des états généraux, d'être aussi neutres que possible. Nous avons eu un débat avant de donner notre avis, lequel peut servir de table d'orientation pour les décideurs politiques sur un certain nombre de grands sujets. Une large majorité du CCNE a soutenu la production de l'avis n° 129, mais certains membres y étaient opposés en soutenant que nous dépassions notre rôle d'observateurs.
Le CCNE a été profondément changé par les états généraux. Constitué d'un tiers de médecins et de chercheurs, mais aussi de philosophes, d'économistes et de grands juristes, il représente un monde d'intellectuels, parisiens dans leur majorité, composé à parité d'hommes et de femmes. En tant qu'élus, vous côtoyez vos concitoyens chaque week-end, mais tel n'est pas le cas des membres du CCNE. Les états généraux leur ont fait le plus grand bien, en leur permettant de prendre connaissance de la vision qu'avait la société, ce qui nous a fait évoluer sur certains sujets. Sur cette base, nous avons émis un certain nombre de recommandations.
S'agissant des embryons, l'idée est de ne pas faire d'embryons à visée de recherche. C'est ce que prévoit la loi et c'est ce que nous avions également recommandé, dans le respect de la convention d'Oviedo. Mais un certain nombre d'embryons surnuméraires peuvent, en l'absence de tout projet parental, être utilisés. Cette situation soulève une série de questions scientifiques, notamment sur les conséquences d'une modification du génome à J 8.
Nous avons évoqué un allongement du délai de J 8 à J 10 ou J 12, pour nous aligner sur la communauté internationale. Pourquoi les scientifiques formulent-ils cette demande ? Parce que les embryons ne deviennent surnuméraires qu'à partir de J 4 ou J 5 : il existe donc une période « grise », entre J 0 et J 5, pendant laquelle aucune étude ne peut être menée. Je suis plutôt favorable à un prolongement de la date d'utilisation, en précisant qu'il ne s'agit pas d'embryons de recherche, mais d'embryons surnuméraires sur lesquels on fait de la recherche.
Sur le périmètre du CCNE, je veux soulever deux points.
D'abord, le mécanisme de nomination des membres du CCNE, qui était jusqu'à présent défini dans la loi, relèverait désormais d'un décret en Conseil d'État : ce mécanisme permettra de procéder plus facilement à des modifications. J'ai demandé leur avis à des conseillers d'État, lesquels estimaient qu'il s'agissait plutôt d'une mesure de simplification bienvenue.
Ensuite, sur l'extension du périmètre du CCNE au numérique, d'une part, et à l'environnement et à la santé, d'autre part, je vous donne rendez-vous dans deux ans ! Il s'agit d'une question démocratique importante. Après la première FIV, le CCNE a été conçu par François Mitterrand et ses conseillers, qui ont compris que la biologie-santé serait l'un des enjeux majeurs du début du XXIe siècle. Mais il en existe d'autres : l'intelligence artificielle, le numérique... Lors du dernier renouvellement, nous avons fait entrer au sein du CCNE trois membres issus du milieu du numérique.
Si l'on met en place un comité d'éthique du numérique, qui ne s'intéresserait pas seulement aux questions du numérique et de la santé, mais aussi, par exemple, à la voiture autonome et à la reconnaissance faciale, doit-il faire partie du CCNE ou être une entité à part entière ?
Il a été décidé de créer un comité pilote du numérique, sous l'égide du CCNE : il devrait permettre de diffuser un certain nombre de savoir-faire, comme la multidisciplinarité, le partage des valeurs et la construction commune, auprès des intervenants du monde du numérique, mais aussi de nous ouvrir à des idées nouvelles. La recherche dans le numérique se fait pour moitié dans des start-up : nous avons besoin de jeunes dans ce comité ! Leur vision est très différente de celle du CCNE.
J'ai reçu une lettre de mission du Premier ministre fin juillet pour mettre en place ce comité pilote, qui couvrira l'ensemble des questions du numérique et pas seulement celles qui sont relatives à la santé. La première réunion se tiendra le 4 décembre prochain sous l'égide du CCNE : ce comité n'est pas une nouvelle entité administrative. Nous nous donnons un délai de deux ans - c'est la raison pour laquelle je vous ai donné ce rendez-vous - pour réfléchir à la suite. Soit on en fait une entité autonome - on peut imaginer faire la même démarche pour l'environnement -, ce qui conduit à multiplier le nombre d'organismes ; soit on garde le CCNE, en mettant en place des piliers - sciences de la vie, numérique, environnement - et en organisant des réunions communes, mais il faut alors veiller à ne pas créer un « machin ».
Nous ne voulons pas être une agence : nous souhaitons garder notre autonomie par rapport aux élus et au Gouvernement.
Pour élaborer une bonne loi bioéthique, il faut suivre l'évolution des biotechnologies, d'un côté, et confronter cette évolution à nos valeurs éthiques fondamentales, mais aussi à ce que sont les nouvelles demandes de la société, les valeurs « montantes » que celle-ci exprime, de l'autre. Quelles sont, selon vous, ces valeurs nouvelles ?
On observe parfois un décalage entre l'avis du CCNE et la version du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale, notamment sur les questions de médecine génomique. Vous venez d'ailleurs vous-même d'indiquer que vous ne vous y retrouviez pas tout à fait sur le diagnostic préimplantatoire. Comment expliquez-vous un tel décalage ?
Ma dernière question est beaucoup plus précise : dans le projet de loi, les modalités d'application de l'une des dispositions relatives aux greffes d'organes sont renvoyées à un décret en Conseil d'État. Cela vous paraît-il une bonne chose que le Conseil d'État soit juge en la matière ?
S'agissant des valeurs, on peut tirer trois enseignements des états généraux de la bioéthique.
Le premier est qu'il existe incontestablement un certain nombre de valeurs de bioéthique, dites « à la française », qui sont partagées. Je pense notamment à l'attention portée aux plus faibles, à la gratuité du don et à la nécessaire bienveillance.
Une fois de plus, les états généraux de la bioéthique ne sont pas un sondage et ne reflètent pas ce que pense la population française. Néanmoins, certains débats en région, notamment ceux qui se sont déroulés en présence de jeunes étudiants, ont révélé l'existence d'un déséquilibre entre des aspirations individuelles, qui s'accroissent fortement en France, et une vision collective. Pour autant, je précise que ces deux visions, l'une individuelle et anglo-saxonne, l'autre plus collective, ne sont pas incompatibles.
Le deuxième enseignement, c'est l'interrogation d'une partie de la société vis-à-vis des médecins et des scientifiques, une forme de remise en cause des sachants. J'alerte moi-même régulièrement les experts à propos de la fragilité actuelle de la confiance dont témoignent les Français à l'égard de la communauté scientifique dans le domaine biomédical, le risque étant d'entrer dans un modèle à l'anglo-saxonne.
Le troisième enseignement, assez inattendu et qui est ressorti de manière très forte, c'est l'importance que prend la question de la place du citoyen dans le système de soins et celle de la gouvernance du futur système, dans un monde où tout s'accélère à la vitesse grand V.
La question des valeurs est absolument indispensable et anime tous les débats du CCNE.
Les notions de consentement et d'information ont représenté un fil rouge lors des états généraux, alors même que celles-ci ne sont pas du tout nouvelles et que la loi en fait déjà des droits fondamentaux.
Ayant très attentivement relu le texte de l'Assemblée nationale, je note que ces questions ont été traitées avec beaucoup de prudence. On recherche le consentement, qui peut être refusé ou révoqué ; on prévoit un délai de réflexion, voire plusieurs. Quant à l'information, elle doit être claire, loyale et détaillée. Tous ces termes visent à encadrer le plus possible les démarches biomédicales et à accompagner le plus possible les patients. De mon point de vue, cette démarche est très positive. Ainsi, le projet de loi donne toute son effectivité au principe de « consentement éclairé », déjà tant employé en droit.
Deuxième point positif, le thème de l'opinion citoyenne ne cesse de prendre de l'ampleur. Nous sommes nous-mêmes en train de réfléchir sur la place que peut prendre l'expression citoyenne, et pas uniquement les représentants des usagers, dans la réflexion et l'élaboration des avis du CCNE. J'observe que le texte en cours d'examen confie au Comité l'organisation de débats publics annuels sur la bioéthique. Dans cette perspective, nous avons déjà commencé à travailler sur la mise en place d'un maillage territorial beaucoup plus serré, avec le soutien des espaces de réflexion éthique régionaux, mais aussi d'autres instances. Tout cela devrait contribuer à nourrir une culture de la réflexion éthique en France.
Le défi que nous avons à relever consiste à mieux associer l'ensemble des citoyens à ces questions, en particulier les plus jeunes, ce qui permettra de construire une véritable culture de l'éthique.
Pour répondre à votre question sur la génomique, monsieur Jomier, je reprendrai à mon compte les arguments formulés par la ministre de la santé, à savoir que nous assistons à la mise en place d'une démarche commerciale avec des tests proposés qui ne sont pas totalement fiables. Aujourd'hui, on fait dire à la génétique des choses qu'elle ne peut pas dire. Je suis d'accord avec la ministre lorsqu'elle affirme que notre avenir n'est pas dicté par nos gènes. Je partage en outre son interrogation : n'est-on pas au début d'une certaine forme d'eugénisme ?
Je comprends tout à fait que le législateur ait la main qui tremble sur ces sujets. Toutefois, je vous mets en garde sur un point : en interdisant sans être capable d'interdire, ne laisse-t-on pas la voie libre à une forme sauvage d'utilisation des tests génétiques ? On sait très bien que le prix de ces tests va baisser et qu'il sera bientôt possible d'en offrir à des occasions aussi diverses que Noël ou Halloween, sans pour autant que les usagers puissent bénéficier du conseil génétique « à la française ». Je regrette profondément cette prudence. Le CCNE, pour sa part, est plutôt favorable à une ouverture prudente, encadrée, médicalisée, à la française.
S'agissant des greffes d'organes, je ne répondrai pas à votre question sur le rôle du Conseil d'État. Nous regrettons seulement que le sujet n'ait pas été mis davantage en avant, alors même que l'on observe une baisse du don d'organes en France. Pour faire écho aux demandes des associations, nous souhaiterions que la loi instaure un véritable statut du donneur vivant, ce qui permettrait de faciliter les choses et d'accroître le nombre de donneurs.
J'ai deux questions à poser à Mme Lefeuvre. Tout d'abord, en quoi l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ou aux femmes seules est-elle un sujet de bioéthique ? Ensuite, l'ouverture de l'AMP doit-elle systématiquement engendrer la suppression de toute référence à une pathologie, notamment aux maladies transmissibles et à l'infertilité, dans le texte ?
Pour répondre à votre première question, l'ouverture de l'AMP est un sujet de bioéthique, tout simplement parce que ces femmes ou ces couples de femmes demandent à avoir accès au même processus que les couples hétérosexuels. Très concrètement, ce texte défend une vision beaucoup plus large, qui est celle d'une AMP sociale.
Faire référence aux textes antérieurs ajouterait de la confusion. Le texte dans sa version actuelle permet de respecter le principe de non-discrimination et d'égal accès de tous les citoyens à cette procédure, qu'il s'agisse d'un couple homme-femme, d'un couple de femmes ou d'une femme seule.
Proposer une telle ouverture n'empêche pas d'encadrer la démarche, ce que fait d'ailleurs très précisément le texte dans sa version actuelle : il y est ainsi fait référence à la recherche du consentement, au fait notamment que la mise en oeuvre d'une AMP nécessitant un tiers donneur devra donner lieu à un consentement préalable devant notaire.
Lors de notre l'audition à l'Assemblée nationale, j'ai déjà indiqué que le texte faisait à chaque fois référence soit aux couples de femmes soit à « toute femme non mariée », ce qui renvoie à la présomption de paternité dans le cadre du mariage. Il me semble que l'on devrait assumer jusqu'au bout cette distinction en ouvrant la PMA soit à un couple, soit à une femme seule non mariée. Ce serait beaucoup plus clair ainsi.
Vous avez évoqué, s'agissant de l'innovation, son coût et sa soutenabilité pour l'Assurance maladie. Nous avons travaillé sur le sujet, notamment sur l'accès à l'innovation pour l'ensemble des territoires. Je ne crois pas qu'il faille opposer l'innovation aux autres dépenses sanitaires, à l'instar du budget consacré à l'hôpital ou du remboursement des traitements plus classiques par exemple. Certes, des choix s'imposent, mais il convient de favoriser le développement de l'innovation et son accessibilité, notamment en termes de coût.
L'innovation constitue un sujet de débat depuis deux ans environ, mais elle n'apparaît pas dans le projet de loi. J'ai travaillé à de nombreuses reprises avec l'industrie pharmaceutique sur le sida et diverses maladies infectieuses : il ne s'agit nullement de la condamner, mais d'interroger la viabilité de son modèle au regard des calculs réalisés par plusieurs experts. Il faut désormais compter plus de 500 000 euros pour certains traitements anticancéreux comme les checkpoint blockers - peut-être davantage pour les bithérapies - auxquels un tiers des patients répondent favorablement. Le coût du médicament devient un sujet majeur, tandis que les dividendes versés aux actionnaires des grands laboratoires pharmaceutiques apparaissent, rapportés au chiffre d'affaires, supérieurs à ceux qui sont versés par l'industrie du luxe. Le secteur est devenu financier - il ne crée plus, mais rachète des start-up - et il n'est pas illégitime de questionner son modèle s'agissant de l'accès à l'innovation, car l'argent que nous y consacrons ne bénéficie pas à d'autres politiques. À mon sens, le temps humain d'une aide-soignante dans un service des urgences ou dans un Ehpad n'est pas moins précieux pour nos concitoyens les plus fragiles.
N'aurait-il pas été opportun de séparer la PMA du reste du projet de loi afin que le sujet ne confisque pas le débat ? Je ne lis pas de proposition en ce sens dans votre avis n° 129. Vous n'avez, par ailleurs, pas évoqué le sujet des neurosciences et ses corollaires : la neuro-éthique et la neuro-loi.
Fallait-il externaliser le débat sur la PMA ? Je vous rappelle que le CCNE n'est responsable que de l'organisation des états généraux de la bioéthique, pas de la définition du périmètre du projet de loi. Les états généraux ont abordé le sujet de la PMA, comme celui de la fin de vie, qui n'est pas traité par le texte, mais représente un débat de société majeur.
Le CCNE n'a effectivement pas pris position sur l'intégration de la PMA au projet de loi, mais son avis n° 129 traite des nouvelles techniques de procréation. Il ne semble pas illogique que le Gouvernement ait choisi d'intégrer la PMA au texte ; l'inverse se serait d'ailleurs avéré délicat. En raison des évolutions technologiques - utérus et gamètes artificiels, différenciation des cellules souches par exemple -, il s'agit plus que des faits sociétaux ; nous nous trouvons à l'aube de questions bouleversantes sur la procréation.
Je vous remercie de votre question sur les neurosciences. Je ne suis pas neuroscientifique moi-même, mais le CCNE compte trois experts de haut niveau. Le plafond de verre de la connaissance est sur le point d'être brisé, notamment dans les domaines de la psychiatrie et de la génomique, grâce au big data. Le CCNE a peiné à établir des propositions constructives dans le cadre du présent texte - l'Agence de la biomédecine n'y a elle-même pas consacré plus de cinq lignes -, mais le sujet va devenir central dans les prochaines années.
Le CCNE publie des rapports de synthèse à la portée de tous, y compris sur des sujets scientifiques complexes, et je salue son travail de vulgarisation.
Lors des débats sur la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, nous avons évoqué le sujet des données de santé dont d'aucuns s'inquiètent de l'usage. Comment ces données, qui peuvent conduire à des avancées réelles, seront-elles utilisées ? Quels remparts seront érigés contre d'éventuels abus, notamment dans le domaine de la santé mentale ?
S'agissant des liens entre la santé, tout particulièrement la fertilité, et l'environnement, nous avons entendu, dans le cadre de la préparation de la loi précitée, le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Foch, professeur à la faculté de médecine de l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et membre de l'Institut santé. Nous sommes aux prémices de l'utilisation des données de santé, mais il faudrait aller plus loin compte tenu des implications avec la PMA.
Le sujet du big data en santé apparaît majeur. Après les états généraux de la bioéthique, le CCNE a lancé une réflexion sur le sujet avec des personnalités extérieures, en particulier de la haute administration, et a publié un avis. La France affiche une position originale, étant l'un des rares pays à disposer, avec la CNAM, d'une prodigieuse base de données. Le Danemark ou la Hollande, plus avancés en matière de big data, ne possèdent pas, en l'absence de masse critique, une telle base.
L'utilisation des données de santé inquiète, mais elle peut s'avérer utile. Ainsi des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont-ils montré que l'étude des données de la CNAM aurait pu permettre de donner l'alerte sur le Mediator cinq ans avant. Le big data comprend cependant des limites, notamment parce que 18 % de la population française ne dispose pas d'un accès aisé à Internet. À titre d'illustration, la prise de rendez-vous en ligne dans les hôpitaux parisiens, pour pratique qu'elle semble, prive certaines personnes âgées, isolées ou handicapées d'une réservation facile d'un créneau de consultation. Le CCNE est engagé sur le sujet et a plaidé pour que le texte le traite.
Je partage votre perception des liens entre fertilité et environnement. Vous entendrez, lors des auditions, des pontes de la gynécologie aborder le sujet. L'environnement porte effectivement en partie la responsabilité de la réduction de la fécondité et l'enjeu apparaît crucial. Les trois groupes de travail établis par le CCNE concernent d'ailleurs respectivement les liens entre l'environnement et la santé, les nouvelles techniques de procréation et les neurosciences. Nous souhaitons également intégrer des experts de l'environnement à nos travaux, mais n'avons guère rencontré de succès dans notre entreprise lors des états généraux de la bioéthique : les secteurs de la santé et de l'environnement se connaissent mal et travaillent encore peu ensemble.
Je vous suis reconnaissante d'avoir abordé le projet de loi sans focaliser votre propos sur la seule PMA.
Nos débats, comme l'évolution accélérée de la société, plaident pour une révision plus fréquente, quinquennale par exemple, de la législation relative à la bioéthique, voire pour un rendez-vous annuel entre le CCNE et le Parlement, au-delà des seules auditions proposées par la commission des affaires sociales.
Comme ma collègue Élisabeth Doineau, je m'interroge sur les règles régissant l'utilisation des données de santé.
Le projet de loi rend obligatoires le consentement et l'information des assurés avant toute utilisation de leurs données de santé. Il me semble toutefois que l'article 11 mériterait de préciser davantage, compte tenu du risque d'abus, la nature de l'information fournie.
La bioéthique est-elle une matière figée ? Elle s'appuie sur un socle de valeurs, mais son contenu peut évoluer, comme le montre le nombre de nouveaux sujets abordés par le texte - big data, séquençage génomique, imagerie médicale notamment. L'évolution des techniques interroge logiquement le corpus de la bioéthique. Le CCNE est favorable à une révision quinquennale de la loi, comme le projet de loi le prévoit.
D'aucuns souhaitent élargir le périmètre du CCNE : nous n'y sommes pas opposés, mais il conviendrait alors de nous allouer des moyens supplémentaires. Nos collègues anglais, canadiens et allemands disposent, à titre d'exemple, d'un budget de deux tiers supérieur au nôtre.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 45.