Intervention de Florence Parly

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Audition de Mme Florence Parly ministre des armées

Florence Parly, ministre :

Vous aurez donc une vision globale de la situation.

Jean-Yves Le Drian et moi-même nous parlons quotidiennement. Je ne suis pas sûre de pouvoir apporter beaucoup d'éléments complémentaires à ce qu'il vous a dit.

Par ailleurs, je demeurerai, comme à mon habitude, discrète sur notre personnel au Levant. Nous faisons tout pour assurer sa sécurité, mais je préfère ne rien dire de plus, s'agissant d'une audition publique.

Pour ce qui concerne la suspension des exportations vers la Turquie, c'est vrai, ce pays n'est pas parmi ceux avec lesquels nous commerçons le plus. Néanmoins, la décision prise est très large ; elle conduit à suspendre tout projet d'exportation vers ce pays. Nous verrons ensuite comment les choses évoluent. Cet État a mené une attaque unilatérale ; son offensive est susceptible de ruiner tous les efforts de la communauté internationale, et de la France, dans la lutte contre Daech, un ennemi qui a frappé directement notre pays.

Cela dit, si vous me le permettez, je concentrerai mon propos sur l'ordre du jour initial, car nous n'imaginions pas, lorsque cette réunion a été programmée, que de tels événements se produiraient.

Nous entrons dans la deuxième année de la LPM. Vous scrutez avec attention l'exécution de cette loi, et je m'en réjouis. Au cours des années antérieures, plusieurs LPM ont été obsolètes avant même la fin de la première année de leur mise en oeuvre ; ce ne sera pas le cas de celle-ci. Nous nous sommes fixé, au travers de cette loi, un cap, et nous comptons bien nous y tenir.

En effet, nous avons pris, dans la LPM pour 2019-2025, des engagements forts, pour la remontée en puissance de nos armées, afin que celles-ci ne faillissent jamais à leur mission première, la protection des Français. Les Français nous font confiance, et ils nous consentent des moyens importants. Nous devons être à la hauteur de ces moyens et de cette confiance, en mettant en oeuvre la LPM. Ce n'est pas seulement une responsabilité pour le ministre, son cabinet, ou l'état-major ; chaque unité, en métropole et en outre-mer, doit y contribuer. Le budget pour 2020 s'inscrit strictement dans le cadre de la LPM. J'aurais pu vous ménager des surprises... mais je crois que, sur ce point, vous préférez qu'il n'y en ait pas !

Nous n'avions pas attendu le vote de la LPM pour remettre progressivement à niveau nos moyens militaires ; c'est donc la troisième année consécutive que le budget est en hausse. Cette augmentation sera, en valeur absolue, de 1,7 milliard d'euros en 2020, à périmètre constant. Le budget atteint ainsi 37,5 milliards d'euros. Le chiffre de 37,6 milliards d'euros qui apparaît dans la brochure que nous vous avons fournie n'est pas le fruit d'une erreur, il s'agit d'une mesure de périmètre, reflétant la disparition des loyers budgétaires versés à Bercy.

Le budget progresse donc de 4,5 % par rapport à 2019, dans un contexte budgétaire pourtant très contraint. C'est la marque de la priorité donnée par le Gouvernement à la poursuite du renforcement des fonctions régaliennes. C'est également la marque du respect de l'engagement fort du Président de la République visant à porter l'effort national en faveur de notre défense à 2 % de la richesse nationale d'ici à 2025. Il ne s'agit pas d'un symbole : cet effort est nécessaire pour réparer et pour préparer nos armées.

Enfin, il s'agit d'un budget sincère, j'y tiens beaucoup. Il est exclusivement constitué de crédits budgétaires, et la provision destinée à couvrir le surcoût des OPEX et des opérations intérieures se situera ainsi à un niveau plus réaliste et plus sécurisé en 2020, avec 1,1 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 100 millions d'euros pour les opérations intérieures. Nous avons ainsi une provision totale de 1,2 milliard d'euros, à comparer au surcoût de 1,4 milliard d'euros constaté fin 2018 - je le rappelle, fin 2017, il avait fallu trouver 1 milliard d'euros. Ainsi, si le coût global des OPEX reste autour de 1,4 milliard d'euros, l'écart traditionnel constaté en fin de gestion ne sera pas élevé et la gestion des opérations de financement en fin d'exercice s'en trouvera facilitée.

Telle est l'intention politique de ce budget.

Les hausses successives - 2018, 2019 et 2020 - s'inscrivent dans un contexte que les récents événements n'infléchissent malheureusement pas : la poursuite de la lutte contre le terrorisme, l'affirmation toujours plus offensive des États-puissances, l'extension des conflits vers de nouveaux espaces - le cyber et le domaine spatial - et, malheureusement, l'érosion des cadres multilatéraux. Ce budget permettra à la France de ne pas être démunie et de garantir la protection de ses intérêts et de ses ressortissants, sur le territoire national comme à l'étranger.

J'en arrive à la répartition de ces 37,5 milliards d'euros, en 2020, selon les axes de la LPM.

Ce budget vise tout d'abord à renouveler les capacités opérationnelles de nos armées ; nous passons ainsi à la vitesse supérieure dans la modernisation et le renouvellement de nos équipements. Les autorisations d'engagement des programmes à effet majeur, fixées en 2019 à 8 milliards d'euros, sont portées en 2020 à 14,6 milliards d'euros, soit une progression de 85 %. Cela traduit concrètement l'engagement du Président de la République en faveur de nos armées. Du reste, les deux tiers de l'augmentation de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2019 seront consacrés aux programmes d'armement majeurs, dont les crédits de paiement atteindront par conséquent 6,8 milliards d'euros, contre 5,7 milliards d'euros en 2019.

Je vous livre quelques illustrations des commandes et livraisons de 2020.

L'armée de terre recevra 128 blindés Griffon supplémentaires, et les quatre premiers blindés Jaguar, dans le cadre du programme Scorpion. Nous commanderons 271 blindés Griffon supplémentaires, les 264 premiers blindés Serval et 42 blindés Jaguar supplémentaires.

La marine prendra livraison du premier sous-marin nucléaire d'attaque du programme Barracuda, le Suffren, mis à l'eau en juillet 2019, de deux hélicoptères NH90 et de deux avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés. Nous lancerons la commande pour le renouvellement des aéronefs de surveillance maritime, avec sept avions de surveillance et d'intervention maritimes (Avsimar) - des avions de reconnaissance de type Falcon -, et trois avions de guet aérien Hawkeye, qui peuvent apponter sur un porte-avions.

Enfin, l'armée de l'air réceptionnera les deux premiers Mirage 2000D rénovés, un avion ravitailleur MRTT (Multi Role Tanker Transport) Phénix supplémentaire et deux avions A400M Atlas supplémentaires. Elle commandera un simulateur de drone MALE (Medium Altitude, Long Endurance) Reaper et lancera la rénovation de 4 avions de transport tactique, les 130H.

Par conséquent, chaque armée ressentira très concrètement la remontée en puissance de la LPM.

Nous portons aussi notre effort sur les petits équipements du quotidien, car j'ai souhaité mettre l'humain au coeur de nos armées ; j'ai donc voulu des mesures à hauteur d'homme.

Ainsi est prévue, en 2020, la livraison de 12 000 nouveaux fusils d'assaut, les HK416, pour atteindre 41 000 unités distribuées d'ici à la fin de 2020, et la totalité des effectifs déployés en OPEX recevront des treillis ignifugés de nouvelle génération, ce qui implique la livraison de 14 000 nouvelles unités. Il s'agit là de la protection rapprochée du soldat.

Nous avons aussi prévu la montée en puissance du plan Famille, dont la moitié des mesures bénéficie au personnel civil. Ce plan bénéficiera de 80 millions d'euros en 2020, contre 57 millions d'euros en 2019 ; il s'agit, pêle-mêle, de nouvelles places en crèche ou encore du déploiement du wifi outre-mer et à l'étranger. Nous allons également faire un effort important pour améliorer les conditions d'hébergement des militaires, notamment du rang, qui en ont besoin. Vous circulez au sein de nos forces, vous visitez nos unités et nos bases, et vous avez vous-mêmes pu constater les conditions parfois très rudimentaires d'hébergement de nos soldats. D'où une enveloppe de 176 millions d'euros en 2020.

Au-delà de ces moyens, nous réalisons aussi un effort important pour la maintenance et l'entretien des bâtiments et des infrastructures, à hauteur de 540 millions d'euros en 2020.

Nous créons par ailleurs, au travers de ce PLF, 300 emplois civils destinés à renforcer le renseignement, la cyberdéfense et le numérique. Nous faisons face à de véritables enjeux d'attractivité dans ces domaines. Notre objectif est d'attirer et de retenir les compétences et les talents, c'est pourquoi nous affectons 40 millions d'euros, sous forme de mesures nouvelles catégorielles, au recrutement et à la fidélisation du personnel civil dans ces domaines.

Par ailleurs, nous étendrons en 2020 l'expérimentation du double équipage dans la flotte de surface, procédure très attendue dans la marine. Ce système de rotation rééquilibrera le temps passé par chaque membre d'équipage à terre et en mer, tout en accroissant le nombre de jours passés en mer par nos frégates.

Telles sont les principales mesures à hauteur d'homme.

Ce budget consolide également notre autonomie stratégique et il apporte une contribution supplémentaire à celle de l'Europe. Nous accordons à nouveau une place importante à l'innovation ; les contrats et études amont bénéficieront ainsi de 821 millions d'euros de crédits de paiement, pour concevoir les technologies de demain. Ces moyens continuent donc d'augmenter, à hauteur de 8 % en 2020, ce qui nous rapproche de l'objectif d'un milliard d'euros affectés à l'innovation en 2022.

L'effort en faveur des PME sera aussi poursuivi, avec 50 millions d'euros dédiés au dispositif rapide du régime d'appui pour l'innovation duale (Rapid). Les actions d'innovation ouverte de l'Agence de l'innovation de défense (AID) monteront en puissance dans le secteur de l'intelligence artificielle, de la robotique ou encore de la santé des militaires.

L'effort de dissuasion demeure important, avec 185 millions d'euros de crédits d'études amont.

Nous prévoyons des études pour préparer les capacités spatiales futures de renseignement et de télécommunication. Le domaine spatial est en effet un nouveau champ de conflictualité. Le nouveau commandement de l'espace a ainsi été créé en septembre dernier, voilà quelques semaines. Il s'installera à Toulouse et montera en puissance en 2020, avec des crédits représentant 448 millions d'euros, destinés à développer nos capacités spatiales et à renouveler nos satellites. Enfin, nous n'économisons aucun effort pour la cyberdéfense ; les rangs des cybercombattants seront renforcés en 2020 de 93 nouvelles recrues ; l'objectif est d'atteindre 1000 nouvelles recrues d'ici à 2025.

Je l'ai dit, la confiance des Français nous oblige ; notre responsabilité est exceptionnelle. Ce budget nous permet donc de poursuivre la transformation et la simplification du ministère et d'améliorer la performance de ses processus. Ce sujet me tient particulièrement à coeur. Un ancien Premier ministre - je vous laisse deviner lequel - disait que le propre d'un réformateur est de réussir les réformes. Je fais mien cet adage et je m'assure donc que les chantiers de transformation du ministère avancent dans la bonne direction.

La transformation de l'administration centrale concerne plusieurs ministères ; elle a lieu dans les meilleures conditions, puisqu'il s'agit surtout de modifier notre organisation et de changer nos méthodes de travail, afin d'être en mesure de relever les défis du futur. Contrairement à ce qui s'est passé au cours des décennies précédentes, cette transformation n'est pas dictée par la volonté de réduire les coûts.

Ce mouvement ne saurait se résumer à un changement d'organigramme ou à la dématérialisation de certaines procédures ; il doit améliorer le quotidien de tous. C'est pourquoi tout procède du terrain. Ainsi, les commandants de base de défense disposent de plus de latitude et de moyens pour agir ; les fonctions de restauration et d'habillement sont rénovées ; les effectifs du commissariat sont redéployés dans les unités ; et nous mettons en place les espaces ATLAS, qui visent à simplifier la vie quotidienne des marins et des aviateurs. Je vous invite à visiter ces espaces, qui préfigurent les espaces France Service ; ils mettent à la disposition de nos agents les services relatifs à leur rémunération, à leurs commandes d'habillement, à leurs démarches administratives, bref à leur vie quotidienne. Nous pouvons, en la matière, faire plus simple et plus efficace.

Nous devons aussi recentrer les états-majors, directions et services sur leurs missions stratégiques afin de les rendre plus efficaces et redéployer les effectifs vers les fonctions prioritaires, qui doivent bénéficier de créations nettes d'emplois et des réorganisations. Pour cela, nous réduisons le nombre de strates hiérarchiques, nous tâchons de briser les silos et nous délocalisons certains services vers les régions ; nous renforçons ainsi en effectifs et en moyens nos pôles d'expertise de Rennes, de Tours et de Toulouse. Cette volonté de déconcentration s'explique aisément : nous voulons que les décisions soient exécutées de façon conforme, et c'est sur le terrain que la LPM doit être mise en oeuvre pour que nos priorités se concrétisent. Ces changements doivent accroître la responsabilité et l'autonomie de nos agents, à tous les échelons. Nous devons favoriser l'initiative individuelle, la créativité et la culture du projet.

Enfin, je veux parler de la modernisation de nos processus, en insistant sur les infrastructures. Nous voulons responsabiliser, en la matière, les porteurs de programme.

Les crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense » - 1,7 milliard d'euros - sont partiellement re-ventilés vers les deux autres programmes de la mission. D'une part, 320 millions d'euros sont redistribués vers le programme 146 « Équipement des forces », car il n'est pas bon de gérer de façon dissociée les grands programmes d'armement militaire et les infrastructures qui leur sont liées ; en effet, jusqu'à présent, les infrastructures n'étaient pas toujours prêtes quand les nouveaux équipements étaient livrés. D'autre part, 880 millions d'euros sont transférés vers le programme 178 « Préparation et emploi des forces » ; c'est la même logique appliquée aux infrastructures opérationnelles.

Il restera, au sein du programme 212, 510 millions d'euros, qui seront consacrés aux infrastructures générales, comme l'hébergement ou encore les réseaux d'intérêt commun.

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