Or ces défis sont immenses. La crise cause à notre pays des dommages irréparables. Sur ce point, monsieur le ministre, je rappelle que, selon les calculs de la commission des finances du Sénat, la perte potentielle de PIB pourrait atteindre 5 points.
Le Gouvernement a révisé à la baisse son estimation du taux de croissance potentiel, le ramenant de 2, 2 % à 1, 75 %.
De fait, nos perspectives de croissance sont inférieures à la moyenne de la zone euro. L’Allemagne, qui subit en 2009 une récession près de deux fois plus sévère que la nôtre, retrouverait la croissance dès le début de 2010.
Après la crise, notre pays ne sera plus le même que ce qu’il était encore l’année dernière. Nous devons malheureusement anticiper un nouveau « coup de torchon » sur les entreprises productrices de biens et de services ainsi que sur l’économie. Il y aura de nouvelles délocalisations, des industries auront disparu, le chômage sera plus élevé, la population sera plus âgée, certains comportements économiques seront peut-être transformés.
Le potentiel de croissance ne sera malheureusement sans doute pas ce qu’il était avant le déclenchement de la crise.
Cependant, notre pays, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, a la capacité d’absorber les effets de ces mutations profondes, à condition que l’on y voie clair sur la voie à suivre et que l’on prenne les décisions structurelles qui, en rendant possible ce qui est souhaitable, permettront de reconstituer notre croissance potentielle.
Je vois quatre domaines dans lesquels nous avons besoin de prendre des décisions courageuses.
Le premier domaine est la maîtrise des dépenses.
Le Gouvernement confirme qu’il tiendra bon sur la stabilisation en volume des dépenses dans le cadre d’enveloppes pluriannuelles qui, conformément à la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, offrent de la visibilité aux gestionnaires de crédits. Il projette le non-remplacement d’un départ en retraite sur deux dans la fonction publique. Il annonce une deuxième phase de la révision générale des politiques publiques.
Je forme le vœu que cette deuxième phase soit très ambitieuse, car, du fait de notre niveau d’endettement, nous ne pourrons plus longtemps nous satisfaire d’une stabilisation en volume des dépenses : nous devrons nous fixer l’objectif d’une stabilisation en valeur.
Il faudra une réforme administrative profonde pour parvenir à stabiliser les dépenses en valeur tout en maintenant les exigences d’un service public de qualité. Il faudra un effort de l’ensemble de la sphère publique. En l’état actuel des prévisions, le besoin de financement des administrations publiques resterait, en 2012, compris entre 5 % et 7 % du PIB.
Évidemment, en période de récession, il convient avant tout de s’assurer que la machine économique continue de fonctionner. Le plan de soutien au financement de l’économie joue ce rôle en assurant que le crédit continue d’être distribué.
La relance budgétaire a aussi les effets positifs que l’on attend, surtout lorsqu’elle prend la forme de dépenses non récurrentes et qu’elle sert au financement d’infrastructures dont la réalisation est de nature à redresser notre taux de croissance potentiel.
Le plan de relance engagé depuis la fin de l’année dernière produira ses effets en 2009 et en 2010. L’injection dans l’économie des sommes prélevées au titre de l’emprunt national prendra alors sans doute le relais.
S’agissant de cet emprunt, vous savez, monsieur le ministre, que la commission des finances a des idées sur la façon dont il pourrait être souscrit et rémunéré. Nous serons heureux de vous les faire partager !
Nous pensons, notamment, qu’il faudrait, pour que cet emprunt ait du sens, qu’il soit l’expression d’une nation désireuse de renverser les tendances et d’accepter, sans doute, un taux d’intérêt inférieur au taux du marché, faute de quoi l’emprunt sera probablement assez banal.
Le deuxième domaine dans lequel une action structurelle doit être engagée est la réforme territoriale, qui nous occupera à l’automne. Elle doit, selon moi, s’accompagner d’une réforme de l’État déconcentré.
J’appelle, à ce sujet, votre attention sur la treizième des vingt propositions contenues dans le rapport Balladur, passée trop inaperçue à mon avis, qui préconise de supprimer les services déconcentrés dans les domaines où les compétences sont exercées non plus par l’État, mais par les collectivités territoriales.
Sur le plan économique, il est indispensable de préserver la capacité d’investissement des collectivités territoriales, qui sont le poumon de l’investissement public.
En préparation de ce débat, nous avons auditionné le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance, M. Devedjian. J’ai cru comprendre qu’il appelait à une forme de pérennisation de la mesure de versement anticipé des attributions au titre du Fonds de compensation pour la TVA. Il n’est pas douteux que les collectivités territoriales, qui assument les trois quarts de l’investissement public, participent à la relance, que 2009 ne suffira pas et qu’il faudra soutenir cet effort également en 2010.
En 2009, les collectivités auront perçu les versements du Fonds de compensation pour la TVA au titre de deux années, 2007 et 2008. Peut-être pourront-elles percevoir en 2010 les recettes pour 2009 et 2010 ? Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’automne.
Le troisième domaine est la protection sociale. Mme Dini et M. Vasselle en parleront mieux que moi. La commission des finances évoque les dépenses sociales dans son rapport, où elle aborde, notamment, la question du déficit de la branche vieillesse, les effets attendus de la réforme de l’hôpital ou encore les enjeux de la prise en charge de la dépendance.
Cependant, il ne faut pas éluder la question du mode de financement de ces dépenses. Les cotisations sociales sont des « droits de douanes à l’envers » qui, par exemple, fragilisent les efforts que nous déployons par ailleurs pour améliorer la compétitivité des petites et moyennes entreprises, ainsi que celle du travail.
Cette situation, monsieur le ministre, ne peut pas durer. Il n’y a pas de fatalité à ce que le financement de la protection sociale – famille et santé – soit un obstacle à notre compétitivité et à notre attractivité, sinon, mes chers collègues, comment retrouverons-nous notre potentiel de croissance ?
Cela me conduit au quatrième domaine que je souhaitais évoquer et qui est le vrai sujet, celui dont dépendent à la fois notre capacité à endiguer la spirale de la dette et la restauration de notre compétitivité, je veux parler des prélèvements obligatoires.
Notre pays dispose de nombreux atouts. Les agences de notation lui conservent leur confiance en relevant la diversification de son économie et son « leadership mondial », mesuré par le nombre de ses grandes entreprises. Mais les grandes entreprises participent peu à la croissance du PIB ici, en France.
Notre pays fait partie des quatre ou cinq « champions » de l’Union européenne en termes de poids des prélèvements obligatoires, derrière la Suède, le Danemark et la Belgique.
Au-delà du niveau des prélèvements, nous devons restaurer la cohérence de notre système fiscal pour le mettre au service de la compétitivité de notre pays. Nous réfléchissons à un « triptyque » qui permettrait d’aller dans ce sens en remettant à plat l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune et le bouclier fiscal.
Plus largement, nos choix collectifs changent, leur mode de financement doit s’adapter.
À cet égard, je veux saluer le travail du groupe de réflexion présidé par Fabienne Keller au sein de la commission des finances, dont le rapport doit, à mon avis, servir désormais de référence préalable à toute réflexion sur la fiscalité écologique.
Je note, en tout cas, que la notion de « sécurisation des recettes » fait son chemin, même si elle n’est pas encore une règle absolue, pour le bonheur des restaurateurs, par exemple… À titre personnel, je regrette que l’on ait abaissé la TVA de 19, 6 % à 5, 5 %.
Il faudra, en tout état de cause, que cette règle de sécurisation trouve à s’appliquer lors de la réforme de la taxe professionnelle.
À terme, nous arriverons, j’en suis sûr, à rendre obsolète la distinction entre les impôts qui reposeraient sur les ménages et ceux qui seraient à la charge des entreprises. En effet, in fine, seuls les ménages, qu’ils soient contribuables, consommateurs, salariés ou épargnants, supportent le poids de la fiscalité. Si nous voulons éviter que les phénomènes de délocalisation ne se prolongent encore, rendant ainsi plus difficile le rétablissement de notre potentiel de croissance, il nous faut ouvrir ce débat devant l’opinion publique en vue de faire émerger les solutions d’avenir et d’engager des réformes en profondeur.
Nous retrouverons tous ces sujets à l’automne, en particulier lors du débat sur les prélèvements obligatoires et de la discussion de la première partie du projet de loi de finances. Je voulais les évoquer dès aujourd’hui car la stratégie économique de notre pays, dont les finances publiques constituent une composante importante, doit être globale. En dépenses comme en recettes, l’heure n’est plus aux rustines ni aux colmatages, elle est aux décisions qui engagent résolument notre avenir.
Vous nous avez dit, monsieur le ministre, que vous espériez que la France sorte plus grande et plus forte de cette crise qui l’affecte depuis maintenant plus d’un an. Nous vous soutenons pour qu’il en soit ainsi. Pour cela, nous devrons faire œuvre de pédagogues, afin que la lucidité s’impose à tous les esprits et que l’on se prépare aux réformes. Pour que celles-ci aboutissent, nous devrons faire preuve à la fois de courage et d’esprit de justice !