Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « direction de l'action du gouvernement » et budget annexe « publications officielles et informations administratives » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur :

La mission « Direction de l'action du Gouvernement » connaît pour principal changement le transfert du programme 333 vers la mission « Administration générale et territoriale de l'État » rattachée au ministère de l'intérieur. Les deux programmes restants, « Coordination du travail gouvernemental » et « Protection des droits et libertés » ont, par leur caractère interministériel, vocation à rester rattachés aux services du Premier ministre. Le budget, de 813,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 793,6 millions d'euros en crédits de paiement, est composé à 40 % de frais de fonctionnement et 35 % de frais de personnels. Il est en progression, en raison de 13 millions d'euros supplémentaires alloués aux fonds spéciaux et de la concrétisation des projets immobiliers de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et du groupement interministériel de contrôle (GIC). J'aimerais saluer quelques victoires obtenues grâce à nos remarques. L'an dernier nous avions demandé le renforcement effectif des personnels de l'ANSSI, qui se voit allouer 42 équivalents temps plein travaillés (ETPT) supplémentaires en 2020, et de ceux du GIC qui bénéficiera quant à lui de 13 emplois supplémentaires. Ces moyens alloués au GIC, qui intégrera de nouveaux locaux en 2021, permettent aux services de renseignement de remplir leurs missions efficacement, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Je me félicite par ailleurs qu'il n'y ait plus de mises à disposition au sein des autorités administratives indépendantes relevant de cette mission budgétaire. J'ai plusieurs fois dénoncé cette pratique qui ne permettait pas aux autorités de choisir leurs personnels, ce que je considérais être une atteinte à leur indépendance.

Des moyens supplémentaires sont alloués à juste titre au Défenseur des droits et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). J'aimerais à l'occasion de l'examen de cette mission budgétaire rappeler le rôle des autorités administratives indépendantes (AAI). À l'initiative, notamment, de notre ancien collègue Jacques Mézard, une commission d'enquête a été créée, suivie d'une proposition de loi du même auteur portant statut général des AAI. Le maintien d'autorités administratives indépendantes est apparu nécessaire pour assurer, en toute indépendance par rapport au Gouvernement, la protection des droits et libertés. Il ne s'agit en aucun cas d'une soustraction des pouvoirs du Parlement. Cette évolution n'est cependant pas sans poser difficulté. Je pense ainsi au pouvoir de sanction dévolu au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et à la CNIL qui a infligé à Google une amende de 50 millions d'euros qui a été réglée et versée au budget de l'État. J'insiste cette année encore sur le risque de voir la responsabilité de l'État engagée en cas d'annulation de ces sanctions, qui peuvent exposer les autorités à de lourds dommages-intérêts qu'elles ne sont pas en mesure de régler. Le CSA est dans l'attente de la décision du Conseil d'État sur l'indemnisation de la chaine C8 après avoir annulé en juin 2018 la sanction privant la chaine de publicité pendant une semaine. Le rapporteur public a proposé de fixer à 1,1 million d'euros le préjudice de C8. C'est une évolution dont il faut prendre conscience.

Il reste néanmoins de nombreux problèmes dans ce budget. Tout d'abord le rattachement de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), relevant jusqu'alors du programme « Coordination du travail gouvernemental », au comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Pourquoi remplacer cette mission qui fonctionne, comme s'interroge son ancien président Georges Fenech, si ce n'est pour répondre à une injonction de la Cour des comptes ? C'est assez préoccupant.

La non-lisibilité des budgets est cette année encore à déplorer. Afin de respecter la trajectoire de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, 255 ETPT mis à disposition par le ministère de la défense au SGDSN ne seront plus remboursés par ce dernier, ce qui diminue, fictivement, de 16 millions d'euros ses crédits de personnels. Cette opération constitue une entrave majeure à la lisibilité budgétaire, destinée à laisser croire que la loi de programmation militaire est respectée tout en masquant le coût réel des personnels pour le SGDSN.

Quelques mots maintenant sur les autres entités de la mission. La DINUM, nouvelle dénomination de la DINSIC, me semble suivre les bonnes orientations en matière de numérique interministériel, et je m'en félicite.

Le Service d'information du Gouvernement (SIG), qui veut développer une communication interministérielle, se voit allouer 14 emplois et 1 million d'euros supplémentaires. Je précise que c'est lui qui a avancé les moyens financiers nécessaires au Grand débat. Je m'interroge sur les doubles dépenses au sein de l'exécutif, tant à la présidence de la République qu'au sein de ce service rattaché au Premier ministre, notamment en matière d'études d'opinion.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) gagnerait en efficacité si ses rapports étaient publiés plus rapidement, et non plus d'un an après la visite comme c'est le cas actuellement. Ce délai, bien qu'en diminution ces dernières années, est trop long à mon sens. Il est dû notamment au non-respect par les ministères du délai de deux mois qui leur est accordé pour apporter leurs observations. Ce délai de publication nuit à l'impact des rapports qui constituent des « boussoles » pour les professionnels et le grand public, en matière d'enfermement psychiatrique par exemple. Peut-être le Contrôleur général des lieux de privation de liberté devrait-il aussi revoir à la baisse son nombre de visites annuelles actuellement fixé à 150.

Le Défenseur des droits expérimente dans 6 départements la médiation préalable obligatoire en matière de contentieux sociaux. Cela engendre beaucoup d'activité pour l'autorité mais permet en contrepartie de diminuer de 30 % les saisines des tribunaux administratifs. Pour mener à bien ces missions, le Défenseur des droits doit être accompagné dans la formation et l'animation de ses délégués territoriaux.

Je me félicite que la CNIL obtienne des effectifs supplémentaires en 2020. C'était nécessaire avec la mise en oeuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD). La CNIL doit aussi avoir les moyens de défendre la position française parmi ses homologues européens et de faire face aux enjeux de l'intelligence artificielle. Nous aurons l'occasion d'évoquer l'an prochain la fusion entre le CSA et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Le CSA doit en outre se préparer à assumer ses nouvelles compétences issues de la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information. De futures compétences sont attendues de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet adoptée par l'Assemblée nationale le 9 juillet 2019 ou de la loi audiovisuelle qui sera examinée au Parlement l'an prochain. Toujours en 2020, nous rediscuterons très certainement des dispositions de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement autorisant, sous le contrôle de la CNCTR, les traitements automatisés de données ou algorithmes. Ces dispositions, initialement applicables jusqu'au 31 décembre 2018, ont été prorogées jusqu'au 31 décembre 2020 par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. La CNCTR souhaite également que s'engage à cette occasion une réflexion sur l'encadrement légal des échanges de données entre les services de renseignement français et leurs partenaires étrangers.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) va absorber la commission de déontologie de la fonction publique et aura pour cela besoin de moyens supplémentaires. Je vous soumettrai un amendement en ce sens.

Je m'interroge enfin sur la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) sollicitée pour des demandes qui ne sont pas liées à des documents administratifs. En effet, je m'étonne qu'elle crée de la donnée, comme des échanges de courriels, sous prétexte de questions légitimes. Je pense qu'il nous faudra nous saisir du périmètre d'intervention de la CADA afin qu'elle recentre son activité sur la communication de documents administratifs.

En conclusion, les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », tels qu'ils nous sont présentés, justifient un avis défavorable s'ils ne sont pas corrigés. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements afin de défendre le budget des AAI.

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