Je commencerai par faire le point sur la situation d'Expertise France au regard des données du PLF 2020 et du rapprochement prévu avec l'AFD. Le PLF 2020 prévoit une double subvention pour Expertise France, en provenance, d'une part, du programme 110, d'autre part, du programme 209.
Le programme 110 attribue à l'opérateur une dotation de seulement 5,35 millions d'euros en 2020, contre 5,85 millions d'euros en 2019, ce qui correspond à un maintien de la commande publique à un niveau assez bas de 3,85 millions d'euros et à une subvention de transformation qui perd 500 000 euros pour s'établir à 1,5 million d'euros. Il est toutefois prévu un nouveau financement additionnel en 2020 : 6 millions d'euros seront attribués à l'AFD et à Expertise France dans le cadre d'un renforcement des administrations fiscales de pays d'Afrique subsaharienne.
Parallèlement, le programme 209 prévoit le maintien de la subvention de soutien à l'opérateur de 3,7 millions d'euros, qui seront consacrés à la consolidation de l'établissement ainsi qu'à un soutien des activités de service public réalisées par l'agence, notamment sur financement communautaire. Comme l'année dernière, le programme prévoit également des crédits d'intervention santé pour 3,2 millions d'euros. Enfin, le gros du financement de l'agence par le ministère des affaires étrangères provient de la compensation du transfert à Expertise France des experts techniques internationaux, soit 30 millions d'euros.
L'initiative 5 %, mise en place par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) dans le cadre du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, représente par ailleurs 32 millions d'euros de commande passée à Expertise France en 2019, pour un niveau d'exécution de 20,4 millions d'euros, ce qui représente 9 % du chiffre d'affaires de l'opérateur. La trajectoire de cette commande pour la période 2020-2022 sera définie prochainement en fonction des résultats de la conférence de reconstitution du Fonds Mondial qui s'est tenue les 9 et 10 octobre dernier.
Au total, en 2019, si l'on omet l'initiative 5 %, la commande publique devrait représenter 11 % du chiffre d'affaires de l'opérateur, soit 25,9 millions d'euros mis en oeuvre par Expertise France. La part du MEAE s'élève à 82 % de cette commande publique et celle de la DGT à 15 %, le reste venant pour l'essentiel du ministère des solidarités et de la santé. Ces chiffres devraient peu évoluer en 2020. Le financement ministériel de l'agence est donc encore assez peu diversifié, ce qui reflète en creux la persistance de l'éclatement des opérateurs d'expertise internationale.
Or il est important que l'agence bénéficie d'une commande publique stable et diversifiée afin de renforcer son modèle économique. Rappelons en effet que la croissance de l'agence s'est fondée principalement sur la recherche de financements européens, peu rémunérateurs, tandis que la commande publique est restée relativement faible. Or les principaux concurrents européens d'Expertise France s'appuient en général sur un socle de commande publique élevé qui garantit un modèle économique pérenne.
Ainsi, si l'adossement à l'Agence française de développement a été présenté comme une solution miracle pour la viabilité économique d'Expertise France et si les financements en provenance de l'AFD ont bien progressé au cours des deux dernières années, il ne peut s'agir en réalité que d'une partie de la réponse. Il faut notamment éviter que s'installe une relation exclusive avec l'agence, qui priverait progressivement Expertise France de son accès à l'expertise des ministères et la ferait dépendre exclusivement d'un opérateur dont la culture reste encore très éloignée de la sienne.
Le modèle économique d'Expertise France doit donc être consolidé à l'aune des exemples étrangers et avec un soutien renouvelé de l'État pour compenser les dépenses liées aux missions de service public.
Nous devrons en conséquence être particulièrement attentifs au nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022, sur lequel nous serons appelés à nous prononcer. Il serait souhaitable que ce COM nous soit présenté très rapidement par le Gouvernement.
La question d'une amélioration de l'évaluation de l'aide publique au développement est fondamentale, compte tenu de la progression rapide des moyens consacrés à cette politique.
Au sein du PLF 2020, les crédits consacrés à l'évaluation de l'APD restent modestes. Le programme 110 comporte une ligne Évaluation des opérations relevant de l'aide au développement de 0,57 million d'euros en 2020, contre 0,53 million d'euros en 2019 et 0,48 million d'euros en 2018. Les crédits du MEAE disponibles au sein du programme 185 pour l'évaluation, qui peuvent bénéficier aux actions menées dans le cadre du programme 209 de la mission « Aide publique au développement », se montent à 0,47 million d'euros en 2020, contre 0,54 en 2019 et 0,46 en 2017.
En revanche, il faut souligner que les crédits consacrés à l'évaluation par l'AFD augmentent régulièrement. Ils se montent désormais à environ 5 millions d'euros.
Nous observons par ailleurs qu'aucune enveloppe spécifique n'est prévue au sein du budget pour 2020 pour le fonctionnement de la nouvelle commission d'évaluation qui pourrait être créée par la future loi d'orientation, laquelle aura besoin de crédits de fonctionnement pour passer les marchés d'études nécessaires à ses évaluations.
À ce propos, mon collègue Jean-Pierre Vial et moi-même nous sommes rendus à Londres en juillet dernier pour étudier le système britannique d'évaluation de l'aide au développement. Rappelons que, en 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi fixant à 0,7 % la part du revenu national brut consacrée à l'aide publique au développement. Parallèlement a été créé un dispositif d'évaluation original, avec un organisme dédié, l'Independant Commission on Aid Impact (ICAI). L'ICAI a explicitement été créée en contrepartie de la fixation de l'objectif des 0,7 % du RNB dans la loi. Il s'est agi de garantir aux citoyens que chaque livre investie le serait sous le regard d'un organisme indépendant à même d'en vérifier le bon usage et l'efficacité.
L'ICAI est ainsi conçue comme un organisme indépendant du Gouvernement, dont la mission est de rendre des comptes à la commission parlementaire chargée du développement (International Development select Committee, IDSC). Elle est dirigée par trois commissaires, dispose d'un secrétariat de dix membres et fait appel à des consultants externes pour conduire les évaluations. Aspect important, les sujets de contrôle de l'ICAI sont choisis avec l'accord de la commission parlementaire.
Les rapports de la commission sont estampillés « verts » lorsqu'ils sont satisfaisants, « orange » lorsqu'ils sont satisfaisants et « rouges » lorsqu'ils sont moins que satisfaisants, ce qui est le cas d'environ un tiers d'entre eux. C'est extrêmement pédagogique. Ces rapports sont présentés devant la commission parlementaire chargée du développement, qui auditionne simultanément l'ICAI et le ministre environ une fois par mois. Les recommandations des rapports doivent donner lieu à une réponse du ministère détaillant les mesures prises. L'ICAI peut exiger de nouvelles réponses tant qu'elle n'est pas satisfaite.
Selon les parlementaires membres de la commission du développement international que nous avons pu interroger, l'ICAI constitue une ressource extraordinaire. En particulier, le fait qu'une discussion ait lieu entre l'ICAI et le ministère devant la commission permet d'aller beaucoup plus loin dans le suivi de la politique d'aide publique au développement, les parlementaires ne pouvant le faire dans l'exercice ordinaire de leur contrôle.
Au total, le dispositif d'évaluation britannique, dont l'ICAI est la pièce maîtresse, constitue selon nous une référence valable pour penser le nouveau dispositif d'évaluation qui doit être inscrit dans le futur projet de loi d'orientation relatif à la politique de solidarité internationale. Nous devrons donc veiller à ce que ce dispositif comporte les mêmes garanties d'efficacité que le dispositif britannique : une indépendance des membres de la commission d'évaluation vis-à-vis du ministère et un budget de fonctionnement suffisant pour celle-ci ; une obligation pour la commission d'évaluation de rendre compte devant l'Assemblée nationale et le Sénat, en présence d'un représentant du ou des ministères de tutelle ; la possibilité pour les commissions du Parlement de valider le programme d'évaluation de l'instance ou d'avoir un droit de tirage.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD, tout en formulant différentes réserves. Nous avons hésité, au sein de notre groupe, à nous abstenir, compte tenu de certains choix qui ont été faits et que nous ne validons pas. Néanmoins, l'augmentation des crédits étant significative, nous voterons ces crédits, tout en demeurant vigilants.