Présidence de M. Philippe Paul, secrétaire -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Avant de commencer notre réunion, je tiens à saluer la mémoire du brigadier Ronan Pointeau, vingt-quatre ans, tué samedi dernier par un engin explosif dans le nord-est du Mali. En notre nom à tous, j'adresse à sa famille et à ses camarades nos condoléances.
Nous pensons aussi aux quarante-neuf soldats maliens tués vendredi dans l'attaque du camp d'Indelimane, près du Niger.
Je vous propose d'observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les commissaires observent une minute de silence.)
Avant de commencer, je tiens à dire que je n'ai pas du tout apprécié les déclarations des autorités maliennes avant-hier, selon lesquelles les forces étrangères sur le territoire malien ne feraient pas le nécessaire pour assurer la sécurité du pays. C'est une honte !
Pour en revenir à nos travaux, il faut reconnaître que le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » contient de bonnes choses et de moins bonnes.
Parmi les points positifs, il faut citer la légère hausse du montant global des crédits, qui s'élèvent à 1,78 milliard d'euros pour 2020.
On observe une très légère diminution des contributions obligatoires de la France qui, pour mémoire, représentent près de 38 % des crédits de paiement du programme, soit 676 millions d'euros. Cette baisse n'est pas inquiétante, car l'enveloppe dépend du poids économique de la France par rapport aux autres pays contributeurs. Le deuxième poste de dépenses du programme 105, en légère progression quant à lui, est consacré au fonctionnement du réseau diplomatique à l'étranger, qui représente un peu moins de 35 % du total des crédits de paiement, soit 621,6 millions d'euros.
Il y aussi du moins bon, notamment en ce qui concerne la réforme consistant à mutualiser et à moderniser les services de l'État français à l'étranger. Cette réforme vise à mettre le réseau des ministères, qu'il s'agisse des effectifs ou des locaux, sous la responsabilité des ambassadeurs, ce qui doit conduire à des économies d'échelle.
Pour le moment, seul le quai d'Orsay a vraiment joué le jeu. Les autres ministères n'ont pas respecté l'objectif qui leur était assigné en termes d'effectifs. Quant au transfert des crédits d'entretien des bâtiments de ces ministères vers le programme 105, il est très lent. Comme vous le voyez, tout cela ne fonctionne pas très bien.
Dans les six mois qui ont suivi le lancement de la réforme, les ambassadeurs ont été priés de faire des propositions pour moduler cette diminution de la masse salariale. Poussés par leur ministre, certains ambassadeurs se sont montrés tellement ambitieux qu'ils s'aperçoivent aujourd'hui que leurs propositions les empêchent d'exercer correctement leurs missions. C'est pourquoi je suggère que nous leur demandions un nouveau retour sur les difficultés qu'ils rencontrent. Cette remise à plat permettrait à certains d'entre eux de revenir sur leurs déclarations initiales. Il faut accorder davantage de souplesse pour tenir compte de la mauvaise volonté dont ont fait preuve les ministères dans certains pays.
Si je soutiens la réforme de notre réseau diplomatique, que nous avions tous soutenue et votée, celle-ci ne doit pas être purement statistique : elle doit prendre davantage en compte l'humain et la réalité de la situation politique dans chaque pays.
Enfin, on observe des éléments réellement inquiétants dans ce programme 105, notamment pour ce qui concerne la politique immobilière du Quai d'Orsay.
J'évoquerai en premier lieu les travaux de rénovation du quai d'Orsay, dit QO21. Ce projet se décompose en trois grandes opérations.
La première concerne la réhabilitation de l'accueil du ministère : ces travaux, les plus modestes, sont achevés. Le deuxième, le plus problématique, a trait à la réhabilitation de l'immense bâtiment se situant le long de l'Assemblée nationale, l'Aile des Archives. Le problème est d'abord financier, puisque le coût des travaux, estimé initialement à 70 millions d'euros, est aujourd'hui évalué à près de 95 millions d'euros. L'autre problème tient au retard qu'ont pris les travaux, puisqu'ils devaient débuter en 2020 et ne commenceront probablement qu'en 2022. La troisième opération, la construction d'un bâtiment neuf, a également pris du retard.
Ce plan de rénovation est particulièrement mal engagé en raison de retards et de dérapages financiers, alors même qu'une partie du financement des opérations provient du produit des cessions des emprises à l'étranger, normalement destiné à l'entretien et à la maintenance de notre patrimoine immobilier à l'étranger.
En second lieu, je veux parler de la politique immobilière de la France à l'étranger qui est, de mon point de vue, à réinventer d'urgence. Cette politique de cession de notre patrimoine immobilier arrive en fin de course, puisque l'on vend de moins en moins d'immeubles. Ainsi, en 2019, le montant des cessions n'a atteint que 4 millions d'euros, quand les prévisions de recettes s'établissaient à 30 millions d'euros.
Je suis très inquiet quant aux prévisions du ministère pour l'an prochain : celui-ci escompte réaliser 30 millions d'euros de cessions grâce à la vente de l'immeuble de New York, des trésoreries de Tunis et de Dakar, de l'ancienne résidence de Nairobi, d'un immeuble à Séville, d'un immeuble à Mexico, et de logements à Copenhague et Rome.
Pour maintenir notre patrimoine immobilier, nous devons continuer à développer les mutualisations et les colocalisations. Les deux principaux partenariats que nous avons conclus le sont avec l'Allemagne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE). Avec le SEAE, les projets les plus aboutis sont au Timor oriental, au Rwanda, au Soudan du Sud, au Honduras, en Papouasie-Nouvelle Guinée, au Canada, en Turquie et au Nigéria. Les colocalisations avec l'Allemagne sont effectives en Chine, en République démocratique du Congo, en Corée du Nord, au Brésil, en Érythrée, au Brunei, au Koweït et au Bangladesh.
Cela étant, s'il faut développer les colocalisations, il faut aussi veiller à ce qu'elles ne se traduisent pas par une dépense supérieure, comme c'est le cas à Khartoum où l'ambassade construite sous maîtrise d'ouvrage allemande reviendra beaucoup plus cher qu'une localisation française.
En conclusion, nous devons nous demander si nos dirigeants souhaitent vraiment préserver notre réseau diplomatique et maintenir la place actuelle de la France dans le monde. Je rappelle que notre réseau diplomatique est passé du deuxième au troisième rang l'année dernière, derrière les États-Unis et la Chine. Si nous parvenons à rester devant l'Angleterre, dont le budget des affaires étrangères augmente, ce n'est que grâce à nos consulats.
Mes chers collègues, malgré ces réserves, je vous propose d'adopter les crédits du programme 105.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
Mes chers collègues, avant de laisser la parole à Bernard Cazeau, corapporteur pour avis du programme 105, je souhaitais m'associer bien entendu à l'hommage que vient de rendre la commission au soldat français mort au Sahel.
Cette année, deux sujets ont particulièrement retenu mon attention dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 : l'évolution des dépenses de personnel et le financement des dépenses de sécurisation des implantations du ministère à l'étranger.
Tout d'abord, je souhaite vous rappeler en quelques chiffres l'importance des dépenses de personnel. En 2020, le programme 105 porte plus de la moitié des emplois du Quai d'Orsay, mais aussi l'intégralité du réseau diplomatique français qui est le troisième dans le monde. Il représente 36 % des crédits de la mission, mais 66 % des équivalents temps plein travaillé (ETPT) et 68 % des dépenses de personnel de la mission.
Sur la masse des crédits de paiement, les dépenses de personnel sont en nette augmentation : elles s'élèvent à 671 millions d'euros, en progression de 1,5 % par rapport à 2019. Cette évolution des dépenses de personnel doit être suivie avec une grande attention par notre commission, car elle est préoccupante et peut donner lieu à des raccourcis désastreux.
L'augmentation des dépenses de personnel ne se traduit pas, bien au contraire, par une hausse des effectifs employés dans le cadre du programme 105. Ainsi, malgré le transfert des emplois des autres ministères à l'étranger, soit 387 ETPT en 2019 et 15 ETPT en 2020, le plafond d'emplois de la mission « Action extérieure de l'État » diminue plus vite que ne le prévoit le schéma de réduction des emplois, ce qui confirme la tendance observée depuis une décennie. De 2008 à 2018, le plafond d'emplois de la mission est ainsi passé de 13 209 à 11 905 ETPT, soit une diminution de 1 304 emplois et de 9,9 % des effectifs.
Les dépenses de personnel sont passées de 499 millions d'euros en 2008 à 671 millions d'euros en 2019, soit une progression de 172 millions d'euros et une hausse de 34,5 % des crédits.
Le principal facteur d'évolution des dépenses de personnel réside dans ce que l'on appelle le mécanisme « change-prix ». Pour mémoire, les agents du ministère en poste à l'étranger sont rémunérés en euros, mais ils convertissent leurs salaires et leurs indemnités de résidence en devises locales dans leur pays d'affectation. L'évolution de leur pouvoir d'achat dépend donc de l'évolution de deux facteurs : la parité des monnaies locales par rapport à l'euro et le différentiel d'inflation entre la France et le reste du monde, sachant que le cours de l'euro a faibli depuis 2008, et que l'inflation est plus forte dans le reste du monde.
Le budget du programme 105 ne prenait pas entièrement en compte ces mécanismes « change-prix », alors que nous le recommandions depuis plusieurs années. Cela donne lieu, en gestion, à des mesures que la Cour des comptes avait jugées peu compatibles avec l'orthodoxie budgétaire. Ainsi, l'exécution du programme 105 se caractérise année après année par un phénomène de surconsommation des crédits. On observe un dépassement en exécution de 16 millions d'euros pour 2018. Aussi, le ministère a de nouveau eu recours à une dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI), mobilisant les ressources du programme 552 de la mission « Provisions ». Bercy et la Cour des comptes ont des divergences sur la possibilité de recourir ou non à cette technique budgétaire. Ce qui nous importe concerne toutefois moins la technique d'exécution que l'insincérité du budget qui nous était présenté.
Cette année, un effort est fait et une provision de 15 millions d'euros est prévue. Elle correspond à une provision des effets de l'inflation mondiale sur la rémunération des agents de droit local (ADL), établie pays par pays sur la base des anticipations d'inflation du Fonds monétaire international pour 3,4 millions d'euros, d'une part, et à une provision de 11 millions d'euros au titre des effets « change-prix » sur les indemnités de résidence à l'étranger (IRE), d'autre part. Là encore conformément à une demande de notre commission, le Premier ministre a validé la couverture du risque lié à une perte au change sur la rémunération des ADL et les IRE par la mobilisation des crédits de la réserve de précaution.
La Cour des comptes considère que ces effets « change-prix » posent un problème de soutenabilité du programme 105. Force est de constater que le budget que nous examinons subit des variations en fonction des résultats économiques de notre pays. Nous devons donc rester vigilants et veiller à ce que cette provision compensant les effets « change-prix » soit désormais annuelle, donc pérenne.
J'en viens enfin à la sécurité des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles.
En 2019, les crédits budgétaires dédiés au financement de la sécurisation des implantations du ministère à l'étranger ont diminué très nettement, passant de 75 à 44 millions d'euros. Cette baisse a été compensée par une avance de 100 millions d'euros sur deux ans, qui a été financée par le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Nous sommes donc passés d'une gestion du plan de sécurisation par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à une gestion par le ministère de l'action et des comptes publics.
Ce mode de financement interroge sur le niveau des dépenses annoncé. Il était prévu de consacrer 100 millions d'euros au cours des deux prochaines années aux dépenses de sécurisation alors que, en 2017 et en 2018, une sous-exécution d'environ 10 millions d'euros des crédits budgétaires a été observée. J'avais souligné l'an dernier qu'il était souhaitable qu'un programme d'investissement soit rapidement défini, afin que les crédits prévus soient utilisés de façon judicieuse. Je rappelais également que la charte de gestion du compte d'affectation spéciale (CAS) devait être modifiée pour étendre les dépenses éligibles, notamment aux systèmes de vidéosurveillance, outil essentiel de la mise en sécurité des emprises à l'étranger.
Les informations dont nous disposons sur l'exécution des crédits de sécurisation en 2019 légitiment ma mise en garde, puisque 40 millions d'euros de crédits du CAS ont été dépensés et que 22 millions d'euros de dépenses nouvelles sont programmés en 2020. Le mécanisme d'avance mis en place ne paraît donc pas fonctionner de façon optimale. La barre des 100 millions d'euros ne devrait donc pas être atteinte en deux ans, à moins d'une nette accélération l'année prochaine. J'attire encore votre attention sur le fait que 42,4 millions d'euros sont inscrits au titre de la sécurisation de nos implantations dans le programme 105, ce qui se traduit par l'objectif très ambitieux de dépenser au moins 70 millions d'euros en ajoutant les crédits du CAS en 2020.
Enfin, nous devrons être attentifs aux modalités de remboursement de l'avance. Celui-ci sera financé par la vente des biens immobiliers du ministère situés à l'étranger et doit s'échelonner de 2021 à 2025. Or le produit de ces cessions devient incertain : seuls 4 millions d'euros de cessions ont été enregistrés en 2019, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. D'une certaine façon, il ne reste plus que les « rossignols » à vendre ! (Sourires).
Le mécanisme d'avance mis en place ne doit en aucun cas donner au ministère de l'action et des comptes publics la tentation de s'immiscer dans la programmation des cessions du Quai d'Orsay. Celui-ci ne doit pas se trouver contraint de céder certaines emprises à l'étranger pour rembourser l'avance du CAS. En effet, la politique d'implantation à l'étranger de l'État ne doit en aucun cas dépendre de considérations immobilières ou financières.
Revenons sur la vente de Kuala Lumpur, le produit de la cession était supérieur à 230 millions d'euros et a servi, à hauteur de 100 millions d'euros, à rembourser la dette de l'État. Notre commission ne devrait-elle pas soutenir l'idée selon laquelle les « surcontributions » au désendettement de l'État lors de la vente de Kuala Lumpur notamment ont constitué un remboursement anticipé de l'avance ? Cela pourrait nous éviter de procéder à des ventes forcées. Les enjeux d'influence et de rayonnement ne doivent pas être relégués au second plan et doivent au contraire rester l'élément central des décisions prises dans ce domaine.
Mes chers collègues, je vous proposerai d'adopter les crédits du programme 105.
À écouter nos corapporteurs, il faudrait adopter ces crédits avant tout pour des raisons budgétaires. Même s'il faut reconnaître qu'il serait difficile de rejeter un budget en progression, on a du mal à comprendre la stratégie suivie par l'État. La baisse des effectifs n'est pas en tant que telle une orientation stratégique : elle devrait plutôt découler d'objectifs bien définis, ce qui ne semble pas être le cas.
Ladislas Poniatowski a évoqué des prévisions de recettes de cessions immobilières s'élevant à 30 millions d'euros pour 2020, ce qui correspond exactement au montant que le Gouvernement a décidé d'engager pour l'instauration du service national universel. J'observe que cette ressource ne vaut que pour 2020 et n'est pas pérenne. À mon sens, il faudrait trouver des économies durables, cette démarche me semblant préférable à la vente des « bijoux de famille ».
J'adhère complètement à l'analyse de nos deux rapporteurs. Je suis notamment très favorable à l'idée de Ladislas Poniatowski de tout remettre à plat. En effet, on a coutume d'utiliser les crédits du ministère des affaires étrangères, qui fait ainsi figure de bon élève, pour procéder à des ajustements budgétaires. Comme le dit Joël Guerriau, il conviendrait de remédier à l'absence de stratégie globale.
Pour ne citer qu'un exemple, je me suis récemment rendu au Kosovo, pays dans lequel notre ambassade emploie dix-neuf agents, contre cent douze à l'ambassade d'Allemagne. Comment imaginer jouer dans la même cour que les autres, quand le seul objectif affiché est de réduire les moyens et de faire baisser le nombre d'ETPT ?
Autant j'adhère à l'analyse de nos rapporteurs, autant j'ai du mal à saisir comment on pourrait adopter les crédits de cette mission. Bien sûr, les chiffres ne semblent pas poser problème, mais il est peut-être temps d'envoyer un signal politique fort pour faire comprendre que l'on n'est pas dupe de cet « enfumage » budgétaire.
Je déplore l'atteinte portée à la francophonie et le déclin de notre présence à l'étranger. Pour reparler de notre patrimoine immobilier, le fait pour un Institut français ou une résidence diplomatique de déménager d'un centre-ville pour la banlieue d'une capitale ou d'une métropole lui fait nécessairement perdre de la visibilité. En outre, il faut en convenir : comme nos bâtiments sont obsolètes et mal entretenus, nous avons de la peine à les vendre.
L'an dernier, plusieurs ministres s'étaient déclarés opposés à ce que les ambassadeurs décident, pour leur ministère, des économies à réaliser. Cela peut expliquer que l'essentiel des économies incombe aujourd'hui dans les faits au Quai d'Orsay.
Enfin, dans la mesure où beaucoup de travaux de sécurité passive ont déjà été réalisés, je souhaiterais obtenir davantage de précisions sur les efforts budgétaires qu'il reste à effectuer en matière de sécurisation de nos implantations à l'étranger.
L'image que donne notre diplomatie est celle d'un retrait continu et d'un reflux. C'est très perceptible avec les ventes de notre patrimoine immobilier. Vous avez parlé de la résidence de Séville : le 14 juillet dernier, c'était la dernière fois que l'on célébrait notre fête nationale en Andalousie.
On sent bien qu'il faut changer de partition : on ne peut pas vivre en permanence le dos au mur. J'approuve le discours de notre collègue Hélène Conway-Mouret sur la nécessité de s'opposer à la baisse des crédits du ministère, mais je rappelle que cette orientation date de 1995 !
Je partage également le point de vue de Joël Guerriau : la question est d'ordre stratégique. Quelle sera la carte de notre réseau diplomatique dans dix ans ? De mon point de vue, il y a bel et bien une stratégie aujourd'hui, celle d'une réduction continue de la voilure ! Il serait souhaitable que Bercy clarifie sa position.
Pour autant, nous ne pouvons pas nous contenter de nous lamenter et devons proposer des solutions. Jean-Yves Le Drian nous a tendu la perche lors de son audition : il faut la saisir, penser différemment et être innovant. Comme le proposent certains ambassadeurs, il faudrait permettre à ces derniers d'administrer localement leurs résidences. À Addis-Abeba, par exemple, notre ambassadeur serait en mesure de financer l'entretien de sa résidence sans puiser dans les deniers publics ; simplement, il ne peut pas le faire, car cela impliquerait de déroger aux principes de la comptabilité publique. Veut-on vraiment se donner les moyens d'être autonome ? Voilà toute la question.
Le problème posé est celui de l'universalité du réseau. La France, grande Nation universelle, se doit d'être présente partout dans le monde. Or la vérité, c'est que nous n'y arrivons plus ! Nous ne pouvons pas à la fois réduire sans cesse les effectifs et les locaux, et prétendre couvrir 192 pays.
Je partage la position de Ladislas Poniatowski sur la réforme. On perçoit en effet sur le terrain une très grande résistance des autres ministères pour mettre une partie de leurs moyens en personnel et en locaux sous la responsabilité des ambassadeurs. Bercy n'a ainsi accepté aucune mutualisation de ses locaux avec le Quai d'Orsay.
Enfin, concernant notre patrimoine immobilier, on est en effet au bout d'un système. Il reste peu de crédits dans le CAS, sans compter que celui-ci sert à financer le désendettement de l'État, comme l'a précisé le rapporteur. Il faut absolument rebudgéter les dépenses immobilières du quai d'Orsay et le faire rapidement.
Pour répondre à Joël Guerriau, en ce qui concerne notre patrimoine immobilier, nous allons clairement dans le mur ! Nous avons déjà vendu l'argenterie et les 4 millions d'euros de cessions perçus en 2019 sont révélateurs de la situation. La politique immobilière de l'État doit dorénavant être budgétée. On ne peut pas continuer à financer les travaux de maintenance et d'entretien de tout notre réseau grâce à la cession de biens qui sont obsolètes et que l'on peine à vendre.
S'agissant des effectifs, je le répète, nous avons besoin d'un nouveau retour des ambassadeurs pour évaluer la réalité de la baisse des effectifs, ministère par ministère. Comme l'a dit Richard Yung, Bercy n'a pas joué le jeu, avec un bémol, puisqu'il a donné son accord pour que des trésoreries soient vendues l'an prochain.
Aujourd'hui, nous avons le devoir d'être ambitieux : la France ne peut pas prétendre rester un grand pays dans le monde sans s'en donner les moyens. L'exemple cité par Hélène Conway-Mouret est très éclairant à ce titre. Il nous manque une véritable stratégie pour maintenir notre présence à l'étranger.
Pour atténuer les propos de Joël Guerriau, je précise que l'on assiste à une réorientation des effectifs du réseau vers les pays émergents, en Asie notamment. Seulement, elle est peu perceptible car très lente.
Les membres de mon groupe sont tellement d'accord avec Ladislas Poniatowski qu'ils voteront contre les crédits de la mission. (Sourires).
Mon cher collègue, je précise à votre endroit notamment que, compte tenu du report de l'examen des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence », le vote sur les crédits de la mission est réservé jusqu'au mercredi 13 novembre prochain. Vous aurez l'occasion de vous exprimer de nouveau à cette occasion.
Nous poursuivons nos travaux par l'examen des crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ».
Mon intervention porte sur les crédits et les enjeux du programme 151 pour 2020, alors que mon collègue corapporteur Rachid Temal évoquera la situation de notre consulat général de Londres dans le contexte du Brexit, suite à un déplacement que nous avons effectué il y a deux semaines.
Pour 2020, les crédits du programme 151 sont globalement stables, la plupart des lignes budgétaires étant reconduites : c'est le cas de la dotation destinée aux bourses scolaires pour 105 millions d'euros, de l'aide sociale pour 18 millions d'euros, ou de l'enveloppe destinée à l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) pour 2,3 millions d'euros.
Les crédits de personnel connaissent une légère baisse de 0,6 %, alors que ceux qui sont destinés à la modernisation de l'administration consulaire sont en augmentation de 1,9 million d'euros. Ces chiffres illustrent la tendance de fond qui est à l'oeuvre dans le réseau consulaire depuis de nombreuses années, consistant à dégager des marges de manoeuvre grâce à la dématérialisation et la rationalisation pour maintenir le service rendu aux usagers dans un contexte d'économies et de suppressions de postes.
Concernant la modernisation, l'année 2019 a vu deux projets importants aboutir : la mise en place du registre électoral unique, qui a démontré tout son intérêt lors des dernières élections européennes, et le lancement de l'infocentre Oscar, outil de suivi statistique de l'activité de l'ensemble du réseau consulaire. L'année 2019 a aussi vu l'expérimentation de nouveaux projets, comme la dématérialisation de l'état civil, avec la mise en place d'un registre des actes de l'état civil électronique (RECE) et le lancement d'un centre mondial d'accueil consulaire, plateforme qui permettra de joindre l'administration à tout moment.
Ces expérimentations se poursuivront en 2020, tandis que de nouvelles mesures seront prises pour améliorer le service aux usagers, telles que l'extension des horaires d'ouverture dans les vingt postes consulaires les plus importants du réseau. Cela concernera notamment le consulat général de Londres qui, malgré la dématérialisation, continue d'attirer un public nombreux. Notre déplacement nous a permis de constater que le réseau consulaire était avant tout un service public, auquel nos ressortissants sont très attachés, et qu'il convient à ce titre de le préserver. En 2020 sera aussi déployée l'application France-Visas, qui permettra un traitement entièrement dématérialisé des demandes de visas.
Enfin, sous réserve de l'homologation de la solution retenue, le vote par internet devrait être possible lors des élections consulaires du printemps 2020. On espère que cela favorisera la participation des électeurs, qui n'avait été que de 16,6 % en 2014.
Des marges de manoeuvre sont aussi recherchées au travers de certaines mesures de rationalisation et de réorganisation. Il en est ainsi du regroupement d'activités, qui permet des gains de productivité et le redéploiement d'effectifs. Dans les pays comptant plusieurs postes, des spécialisations sont mises en oeuvre. Par exemple, depuis le 1er septembre 2019, aux Émirats arabes unis, la compétence en matière de visas est exercée à Abu Dhabi, alors que la compétence en matière d'administration des Français est exercée à Dubaï. Expérimenté depuis 2018, le projet de regrouper les transcriptions d'état civil au sein du service central d'état civil (SCEC) du ministère à Nantes relève de la même logique et suscite quelques inquiétudes. On peut également citer l'exemple du projet de centralisation au sein d'un centre d'expertise de ressources et des titres (CERT) propres au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de l'instruction et de la validation des demandes de passeports et de cartes nationales d'identité adressées au réseau consulaire.
Il faut aussi évoquer les réorganisations de la carte consulaire. Après la fermeture récente des consulats de Séville et de Moncton, la transformation du consulat général de Boston en consulat d'influence, il est prévu en 2020 de supprimer un certain nombre de sections consulaires et de fusionner les fonctions de consul et de directeur de l'Institut français à Agadir, Bilbao, Fès et Tanger. Ainsi, en 2020, comme depuis une décennie, l'administration consulaire continuera de se transformer pour maintenir le niveau de service rendu à une population de ressortissants français en augmentation continue, puisqu'elle est en hausse de 81 % depuis 1998, et ce avec toujours moins de moyens.
Afin de se conformer à l'objectif fixé par le plan stratégique « Action publique 2022 », qui prévoit une réduction de 10 % de la masse salariale à l'étranger d'ici à 2022, le programme 151 supprimera encore 22 emplois en 2020, après 37 en 2019. Or, compte tenu des efforts de rationalisation déjà réalisés depuis des années, on voit mal comment la suppression de ces postes pourrait ne pas se traduire, à terme, par une dégradation des prestations fournies. On arrive un peu au bout d'une logique.
Le programme 151 est pourtant le seul service du ministère qui perçoit des ressources à travers les droits de chancellerie perçus sur les actes administratifs et les droits de visas. En 2018, ces recettes ont représenté 239 millions d'euros, soit l'équivalent de la masse salariale de la direction des Français à l'étranger, ce qui signifie que cette administration finance en quelque sorte ses propres emplois.
Il nous paraîtrait, à cet égard, judicieux de modifier le mécanisme de retour des recettes de droits de visa au profit du programme 151. Pour mémoire, un décret de décembre 2015 prévoit que 3 % de ces recettes reviennent au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, dont un quart d'entre elles pour le programme 151, afin de financer des vacations hors plafond d'emplois. Certes, ce mécanisme est appréciable, mais il n'a permis au programme 151 que de recouvrer 1,6 million d'euros sur les 218 millions de recettes de droits de visa versées en 2018, ce qui reste faible au regard des besoins.
Nous demandons une étude sur la possibilité de porter à 5 % la part des recettes de visas affectée au ministère des affaires étrangères. Par ailleurs, nous suggérons que la direction des Français à l'étranger bénéficie d'une équipe dédiée de vacataires, afin qu'elle soit en mesure de répondre avec davantage de souplesse aux besoins.
Mes chers collègues, je vous propose d'adopter les crédits du programme 151.
Lors de notre déplacement à Londres le 25 octobre dernier, nous avons rencontré la nouvelle ambassadrice, le consul général et les services. Nous avons également pu observer sur pièces et sur place la qualité de l'accueil réservé à nos compatriotes, l'engagement des personnels, les conditions de sécurité, mais aussi la très grande vétusté des locaux.
Comptant parmi les plus importantes communautés françaises à l'étranger, la communauté française au Royaume-Uni représente une population estimée à 300 000 personnes, dont environ la moitié, soit 146 000 Français, est inscrite au registre. Cette communauté, qui a connu une croissance continue depuis une décennie, s'interroge aujourd'hui sur son avenir, qui dépend très largement de l'issue du Brexit.
L'accord global entre le Royaume-Uni et l'Union européenne comprend un volet qui garantit le statut des 3,8 millions de citoyens européens résidant au Royaume-Uni dans l'Union européenne. Ainsi, les citoyens européens présents au Royaume-Uni au 31 décembre 2020 pourront continuer à y vivre, travailler ou étudier dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. Ceux ayant déjà résidé cinq ans à cette date pourront accéder au statut de « résident permanent », les autres bénéficiant d'un statut intermédiaire et d'un droit de séjour permanent en attendant. Les citoyens européens arrivés après le 31 décembre 2020 n'y seront pas soumis. Leur statut dépendra de l'accord sur les relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Néanmoins, en cas de « Brexit dur », sans accord de retrait, la situation des résidents européens ne sera pas garantie de la même façon et dépendra du gouvernement britannique.
Certes, le gouvernement britannique a confirmé son intention de préserver un statut permanent pour les résidents européens même en l'absence d'accord. Des craintes demeurent cependant : comme l'a souligné M. Nicolas Hatton, cofondateur de l'association The 3 Million, qui a été créée au lendemain du référendum sur le Brexit pour sensibiliser les pouvoirs publics britanniques aux droits des résidents européens, le risque existe d'un alignement de leurs droits sur ceux des non-Européens, c'est-à-dire sur le droit commun.
Quelle que soit l'issue, il a lancé une procédure d'enregistrement en ligne visant à permettre aux résidents européens de solliciter ce statut. Au 30 septembre 2019, un peu plus de 70 000 Français ont effectué la démarche, ce qui représente environ la moitié des inscrits au registre. Un grand nombre de nos compatriotes, bien que préoccupés par la situation, continuent d'adopter une attitude relativement attentiste, estimant que la démarche pourrait ne pas être nécessaire.
Si la procédure d'enregistrement est assez simple, elle présente quelques défauts. Entièrement numérisée, elle ne donne pas lieu à la délivrance d'un document papier, ce qui peut sembler déroutant et peu sécurisant. La principale difficulté concerne les personnes dites « vulnérables », personnes âgées, isolées, souffrant de précarité sociale ou numérique, qui pourraient représenter près de 10 % de l'ensemble des résidents européens.
Quelles seront les conséquences de cette situation pour nos postes consulaires au Royaume-Uni ?
Premièrement, il faut souligner qu'ils ont enregistré une hausse de leur activité dès le lendemain du référendum sur le Brexit. C'est la troisième année qu'ils sont sous tension et ce surcroît d'activité se manifeste dans tous les domaines.
On observe ainsi une hausse sans précédent du nombre des demandes de passeports et de cartes nationales d'identité. Au poste de Londres, elles ont atteint le chiffre record de 37 000 en 2018, soit une progression de 3,6 % par rapport à 2017, après une hausse de 5 % entre 2016 et 2017. Pour la seule année en cours, la hausse devrait atteindre 15 %.
Les demandes d'actes d'état civil et les déclarations de nationalité ont également enregistré une forte croissance ces dernières années. Les déclarations de nationalité, qui avaient déjà plus que doublé entre 2016 et 2017 (+131 %), ont poursuivi leur hausse exceptionnelle en 2018 (+118 %). Elles sont, en grande majorité, le fait de conjoints britanniques de Français. Il convient de souligner que de nombreux conjoints français sollicitent parallèlement la nationalité britannique.
Au-delà du surcroît d'activité administrative qu'elle entraîne, cette hausse sensible a des conséquences sur l'organisation des cérémonies d'accueil dans la citoyenneté française qui se déroulent en principe une fois par mois au consulat général. Du fait du nombre de livrets à remettre - cinquante, voire soixante par mois - et compte tenu de l'exiguïté de l'espace de réception, il a été nécessaire, pour réduire le délai d'attente, d'organiser désormais deux cérémonies par semaine.
Enfin, il faut évoquer l'impact du Brexit sur l'activité des visas. Si le Royaume-Uni et l'Union européenne ont exclu de réintroduire des visas de court séjour - ce qui aurait représenté, pour nos postes consulaires, un volume à traiter de l'ordre de 4 millions par an -, le Brexit impliquera, en cas de sortie sans accord, d'attribuer des visas de long séjour aux Britanniques résidant en France. S'il reste difficile d'évaluer le besoin en la matière - de 2 000 à 10 000 -, le traitement des dossiers de visas de long séjour est sensiblement plus lourd que celui des visas de court séjour et représentera une charge supplémentaire pour le réseau. Le personnel du consulat général de Londres travaille dans des conditions difficilement acceptables, quasiment dans un sous-sol, sans lumière ni aération ! Par ailleurs, un nouveau prestataire extérieur chargé du recueil des demandes de visas a été choisi pour trois ans. Au début, les choses se passaient bien, mais les difficultés s'accumulent à présent.
Outre un impact sur les différents volets de l'activité consulaire, la perspective du Brexit a entraîné un développement important des actions de communication afin de répondre aux nombreuses demandes d'information et d'accompagner les résidents français dans leurs démarches auprès de l'administration britannique. Néanmoins, la principale difficulté est de réussir à toucher la population, souvent non londonienne, qui n'est pas connectée aux réseaux de communication. Il s'agit de personnes, parfois vulnérables, présentes depuis longtemps sur le territoire britannique, ayant perdu tout lien avec la France et qui, faute de démarches, pourraient se retrouver dans l'illégalité. Il convient également de souligner le rôle essentiel joué par les ONG et les associations. Je pense à l'association Settled de M. Nicolas Hatton.
La hausse de l'activité de notre consulat général de Londres est bien prise en compte par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Pour autant la situation est difficile : exiguïté des locaux, manque de confidentialité, absence d'un sas de sécurité. De manière générale, ces locaux anciens sont assez mal adaptés et vétustes. Les façades sont délabrées et l'une d'entre elles est même équipée de filets pour prévenir les chutes de pierre !
En conclusion, ma position n'est pas la même que celle de mon collègue Jean-Pierre Grand. Je propose un vote défavorable soutien aux personnels et aux Français résidant à l'étranger. Certes, nous sommes à l'os, mais nous pouvons par exemple passer, comme nous le proposons, de 3 % à 5 % la part des recettes de visas.
Derrière les chiffres, il y a la réalité du terrain. Vous avez pu constater les conditions de travail des agents et l'état de nos emprises durant votre déplacement à Londres. Si les suppressions de postes sont parfois source d'économies, les litiges qu'elles occasionnent représentent le plus souvent un coût supplémentaire. Le signal que la France envoie aux autorités locales en fermant un consulat est très négatif. Nombre de Français demandent effectivement la nationalité britannique, mais, à 1 400 livres par personne, cela revient cher pour une famille avec trois enfants. L'externalisation de la délivrance des visas à des entreprises privées, qui découle aussi des suppressions de postes, est également problématique : il y a peut-être moins de personnes qui font la queue dans la rue, mais plus de ratés.
On observe une stratégie de fermeture des consulats en deux temps. Un consulat général de plein exercice est d'abord transformé en poste consulaire à gestion simplifiée, puis, comme il ne remplit plus aucun service, sa fermeture est annoncée une douzaine d'années plus tard. C'est le cas du consulat de Moncton au Canada. Tout consulat transformé en poste consulaire à gestion simplifiée a-t-il vocation à connaître le même sort ? Cette stratégie s'appliquera-t-elle systématiquement ?
C'est aussi ce qui s'est passé à Séville ! Nicolas Hatton s'est effectivement montré un extraordinaire délégué consulaire depuis le référendum. Si le Settled Status est gratuit aujourd'hui, c'est grâce à l'action du mouvement The 3million, preuve que l'action citoyenne peut être efficace. La question du Settled Status pose problème, car nous sommes dans l'Union européenne ! Comment pouvons-nous accepter qu'un fichier soit créé au Royaume-Uni pour les Européens, ce qui induit une sorte de discrimination ? Certes, tout le monde ne demande pas le Settled Status. Certains ont la double nationalité, d'autres comme moi, s'y refusent pour une question de principe. Hors de question de demander le Settled Status tant que le Royaume-Uni sera dans l'Union européenne ! Par ailleurs, contrairement à ce que dit le Gouvernement, l'accord avec Boris Johnson est un mauvais accord. Le bon accord, c'est le Remain ! Quoi qu'il en soit, un mauvais accord, vaut toujours mieux que pas d'accord du tout...
Les propositions de l'administration consulaire sont toutes positives : plateforme d'accueil, dématérialisation, etc. Néanmoins, cela ne règlera pas les problèmes. Les Allemands ont un autre système : les consulats honoraires peuvent effectuer les prises d'empreintes biométriques. Si le ministère de l'intérieur acceptait de travailler différemment, il y aurait moins de difficultés pour les passeports ou les certificats d'existence !
Vous avez parlé de fermetures et de transformations. J'ai été étonné que Boston soit mentionné. Il est inacceptable, dans une démocratie comme la nôtre, que l'administration puisse prendre toute seule de telles décisions ! J'aimerais davantage de transparence et j'appelle à plus de concertation...
Comment les socialistes, qui se sont abstenus aux finances et vont voter contre aux affaires étrangères, voteront-ils en séance ?
L'état du consulat général à Londres est effectivement un scandale. Rachid Temal a été très gentil : chez nous, nous n'oserions pas avoir un tel bâtiment ! Or ces locaux, c'est la France et ils accueillent 700 personnes par jour pour des visas ! N'importe quel maire en France aurait pu régler une telle rénovation en trois ans. Au lieu de quoi, cela prendra vingt ans ! J'ai néanmoins senti que l'administration centrale réfléchissait à d'autres formes de gestion. Il s'agit tout de même du drapeau français ! Sans parler des conditions de travail du personnel : quand nous sommes descendus dans les sous-sols, nous avons cru qu'il s'agissait d'une petite entreprise clandestine !
Je me rappelle une convention internationale avec l'Afghanistan : le budget de la France y atteignait 3 milliards d'euros chaque année. Au lieu de vendre les bâtiments et notre histoire, il serait bon de regarder de près certaines conventions internationales ; il y aurait là quelques milliards d'euros à récupérer.
Sur la période 2010-2019, le passage des consulats généraux à des consulats à gestion simplifiée a permis la suppression de 50 ETP, en plus des 20,8 ETP déjà prévus.
Aujourd'hui, nous sommes arrivés au bout d'une logique et, le secrétaire général le dit lui-même, il faut soit changer soit assumer une déclinaison du statut de la France. La question qui se pose est celle du service public, ici et là-bas : des services sont supprimés, à quoi s'ajoute le problème de la distance.
Pendant la campagne référendaire de 2016, le statut permanent devait être automatiquement accordé, mais les autorités post référendum n'ont pas tenu parole.
Souvent, à la commission des finances, les votes d'abstention permettent d'échanger et d'approfondir la réflexion. Il faut prendre notre futur vote comme un vote de soutien à ce que nous souhaitons pour notre diplomatie, aux Français de l'étranger et à nos agents, qui font montre d'abnégation.
Ces rapports révèlent bien la problématique : on fait le choix d'un réseau universel, mais sans s'en donner les moyens. Il y a donc toujours un effet de ciseau. Les conversations que nous avons avec les ambassadeurs nous confirment que c'est vraiment très difficile pour eux.
Je rappelle que, sur les crédits de ce programme, le vote est réservé.
Sur la trajectoire budgétaire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » (APD) progressent depuis plusieurs années et devraient atteindre 3,27 milliards d'euros en 2020, contre 3,06 milliards d'euros en loi de finances 2019, soit une progression d'environ 6,5 %.
Parallèlement, les engagements de l'Agence française de développement (AFD) continuent à croître, celle-ci devant générer en 2020 près de 2 milliards d'euros d'aide à elle seule grâce à ses prêts concessionnels.
Au total, l'APD, qui comprend beaucoup d'autres crédits comme l'aide aux réfugiés, passera de 10,6 milliards d'euros en 2019 à près de 12 milliards en 2020, soit une progression de 0,43 % à 0,46 % du revenu national brut (RNB). Cette progression sera essentiellement due à une hausse de 150 millions d'euros de la mission APD, à une augmentation de 100 millions d'euros des dépenses de la prise en charge des réfugiés, mais surtout à un accroissement de 600 millions d'euros de l'APD générée par les prêts de l'AFD, alors que cette hausse n'a été que de 240 millions d'euros entre 2018 et 2019.
Mieux encore, pour atteindre les 0,55 % du RNB souhaités par le Président de la République d'ici à 2022, il faudra des augmentations encore nettement plus fortes des crédits budgétaires.
À vrai dire, cet objectif paraît difficile à atteindre en 2022. Le Gouvernement évoque d'ailleurs désormais l'annulation de la dette d'un pays africain pour l'atteindre, ce qui par définition ne fonctionnera qu'une seule année. Selon nous, l'important est surtout de disposer d'une programmation budgétaire solide et détaillée pour les années à venir, afin de savoir exactement où nous allons. Nous le répétons, il est nécessaire qu'une telle programmation figure au sein de la future loi d'orientation. Nous devrons aussi être attentifs à ce que cette montée en charge de l'APD française respecte les orientations définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui elles-mêmes tenaient compte des souhaits du Parlement : priorité Afrique, renforcement des dons et de la composante bilatérale de l'APD française afin de cibler plus efficacement les pays prioritaires.
J'en viens au renforcement du pilotage politique de l'APD. Avec près de 3,27 milliards d'euros pour la mission APD en 2020, dont 2,1 milliards d'euros sur les 5 milliards d'euros gérés par le ministère des affaires étrangères tous programmes confondus, il n'est pas acceptable que nous restions dans le flou entretenu par la séparation en deux ministères et un opérateur très puissant, l'AFD. Au-delà de la création d'un ministère de plein exercice, nous appelons à un raffermissement du pilotage par le renforcement des structures existantes : le CICID bien sûr, mais aussi le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et le Conseil d'orientation stratégique de l'AFD. Il faut aussi un exercice plus efficace de la tutelle des ministères des affaires étrangères et des finances. Ce message, que nous martelons depuis des mois, commence à porter : le ministre et le directeur général de l'AFD lui-même évoquent régulièrement ce nécessaire renforcement du pilotage.
Troisième point essentiel, la concrétisation de la priorité Afrique, que le Président de la République a érigée au début de son mandat et que nous partageons.
À cet égard, le milliard d'euros de subventions supplémentaires reçus par l'AFD en 2019 devrait enfin permettre d'accroître les sommes effectivement disponibles pour les pays les plus pauvres.
On observe toutefois déjà un tassement des autorisations d'engagement en dons de l'AFD, qui passent d'environ 1,5 milliard d'euros à 900 millions d'euros dans le PLF 2020. Cela reste un montant élevé par rapport aux années précédentes, mais cela signifie que les décaissements risquent de cesser d'augmenter au cours des exercices suivants.
Au sein de l'Afrique subsaharienne, le Sahel, « dernière frontière du développement », comme l'a nommé Jean-Marc Châtaignier, l'envoyé spécial du Président de la République, est encore plus prioritaire.
C'est donc dans cette région marquée par le terrorisme, où l'aide publique au développement n'a fait qu'accompagner jusqu'à présent la croissance démographique, qu'il nous faut réussir cette « approche globale » tant évoquée. Du côté de l'aide au développement, l'une des réponses a été de confier à l'AFD un fonds appelé Minka, doté de 100 millions d'euros à l'origine et de 200 millions d'euros à partir de 2020. L'idée était de pouvoir intervenir rapidement au bénéfice des populations pour stabiliser les zones de crise.
Or cet objectif n'avait pas été vraiment atteint. Selon l'AFD, les raisons en sont multiples : les délais de décaissements peuvent rester longs s'agissant de recours aux maitrises d'ouvrage publiques souvent faibles dans ces zones. Un autre défi vient des exigences règlementaires auxquelles l'AFD est soumise en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
En outre, plusieurs acteurs du développement (collectivités territoriales engagées dans la coopération décentralisée, militaires engagés au Sahel...) soulignent les difficultés qu'ils ont parfois à coopérer avec l'agence, notamment parce que celle-ci soutient en priorité des projets de grande ampleur, complexes, longs à instruire et à mettre en oeuvre.
La contraction du réseau des coopérants nous a également fait perdre une certaine influence. Il est parfois plus aisé pour les acteurs français de coopérer avec les organismes issus d'autres pays. Ainsi, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est certes soutenue par l'AFD, mais doit constater le caractère incontournable de la coopération allemande (GIZ) sur les normes des pays où elle intervient, en particulier autour de la Méditerranée.
De même, Expertise France, relais naturel de l'expertise française, devrait pouvoir s'appuyer davantage sur l'AFD pour projeter cette expertise en Afrique subsaharienne. Il est impératif que le rapprochement des deux agences permette de progresser sur ce point.
Devant ces difficultés, il est positif que l'AFD ait décidé de devenir une plateforme de l'aide publique au développement, comme elle l'affirme désormais. De même, selon Jean-Marc Châtaigner, les relations et la coopération entre l'AFD et Barkhane se sont quelque peu améliorées. Un conseiller de l'AFD est ainsi placé auprès de Barkhane. En outre, s'agissant de l'intervention dans les pays en crise, l'AFD a adopté en mai 2019 des nouvelles procédures plus collaboratives. Il faut poursuivre cet effort.
Un autre aspect important sur lequel il faut selon nous insister est le rôle du Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay, dont le PLF 2020 prévoit un renforcement des moyens, toutefois encore insuffisant.
Les modes opératoires du CDCS sont en effet bien adaptés au contexte de crise, bien plus que ceux de l'AFD : financements rapidement mobilisables en phase avec le rythme de l'action militaire et les besoins des ONG, capacité à instruire des microprojets dans des zones circonscrites, capacité à prendre des risques. Le principal outil dont dispose le CDCS est le Fonds d'urgence humanitaire (FUH). En 2019, le CDCS a pu mettre en oeuvre 43,4 millions d'euros du FUH. Pour 2020, le FUH va bénéficier d'une hausse substantielle, passant à 80,7 millions d'euros.
Toutefois, ces sommes restent très inférieures à celles consacrées par nos partenaires aux mêmes missions : l'Allemagne consacre environ 1,85 milliard d'euros à l'aide humanitaire et à la stabilisation ; le Royaume-Uni, 2,4 milliards d'euros.
En outre, l'attribution du fonds Minka à l'AFD et non au CDCS rend nécessaire une meilleure formalisation de l'articulation des missions des deux organismes. Cette meilleure coordination suppose un renforcement supplémentaire des moyens du CDCS.
Le dernier point essentiel s'agissant de la priorité sahélienne concerne l'Alliance Sahel, qui est censée améliorer la coordination et l'efficacité de l'aide. Nous avons entendu Jean-Marc Gravellini, responsable de l'unité de coordination de l'Alliance Sahel, que nous avons interrogé sur la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel malgré les efforts de l'Alliance. Il nous a fait valoir a contrario l'exemple de la Mauritanie, qui a su, grâce à une action résolue des autorités centrales, retrouver la stabilité et la sécurité. Il estime que cette volonté politique n'existe pas au même degré, pour le moment, dans l'ensemble des pays du Sahel, ce qui soulève la question difficile de l'introduction d'une certaine dose de conditionnalité dans notre aide. Plusieurs éléments rendent cependant difficile une telle évolution, notamment la nature même des banques de développement qui cherchent avant tout à placer leurs prêts.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD pour 2020, en attendant l'inscription de la loi d'orientation qui devra nous permettre de nous prononcer de manière plus précise et plus exigeante sur cette politique de solidarité internationale.
Je commencerai par faire le point sur la situation d'Expertise France au regard des données du PLF 2020 et du rapprochement prévu avec l'AFD. Le PLF 2020 prévoit une double subvention pour Expertise France, en provenance, d'une part, du programme 110, d'autre part, du programme 209.
Le programme 110 attribue à l'opérateur une dotation de seulement 5,35 millions d'euros en 2020, contre 5,85 millions d'euros en 2019, ce qui correspond à un maintien de la commande publique à un niveau assez bas de 3,85 millions d'euros et à une subvention de transformation qui perd 500 000 euros pour s'établir à 1,5 million d'euros. Il est toutefois prévu un nouveau financement additionnel en 2020 : 6 millions d'euros seront attribués à l'AFD et à Expertise France dans le cadre d'un renforcement des administrations fiscales de pays d'Afrique subsaharienne.
Parallèlement, le programme 209 prévoit le maintien de la subvention de soutien à l'opérateur de 3,7 millions d'euros, qui seront consacrés à la consolidation de l'établissement ainsi qu'à un soutien des activités de service public réalisées par l'agence, notamment sur financement communautaire. Comme l'année dernière, le programme prévoit également des crédits d'intervention santé pour 3,2 millions d'euros. Enfin, le gros du financement de l'agence par le ministère des affaires étrangères provient de la compensation du transfert à Expertise France des experts techniques internationaux, soit 30 millions d'euros.
L'initiative 5 %, mise en place par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) dans le cadre du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, représente par ailleurs 32 millions d'euros de commande passée à Expertise France en 2019, pour un niveau d'exécution de 20,4 millions d'euros, ce qui représente 9 % du chiffre d'affaires de l'opérateur. La trajectoire de cette commande pour la période 2020-2022 sera définie prochainement en fonction des résultats de la conférence de reconstitution du Fonds Mondial qui s'est tenue les 9 et 10 octobre dernier.
Au total, en 2019, si l'on omet l'initiative 5 %, la commande publique devrait représenter 11 % du chiffre d'affaires de l'opérateur, soit 25,9 millions d'euros mis en oeuvre par Expertise France. La part du MEAE s'élève à 82 % de cette commande publique et celle de la DGT à 15 %, le reste venant pour l'essentiel du ministère des solidarités et de la santé. Ces chiffres devraient peu évoluer en 2020. Le financement ministériel de l'agence est donc encore assez peu diversifié, ce qui reflète en creux la persistance de l'éclatement des opérateurs d'expertise internationale.
Or il est important que l'agence bénéficie d'une commande publique stable et diversifiée afin de renforcer son modèle économique. Rappelons en effet que la croissance de l'agence s'est fondée principalement sur la recherche de financements européens, peu rémunérateurs, tandis que la commande publique est restée relativement faible. Or les principaux concurrents européens d'Expertise France s'appuient en général sur un socle de commande publique élevé qui garantit un modèle économique pérenne.
Ainsi, si l'adossement à l'Agence française de développement a été présenté comme une solution miracle pour la viabilité économique d'Expertise France et si les financements en provenance de l'AFD ont bien progressé au cours des deux dernières années, il ne peut s'agir en réalité que d'une partie de la réponse. Il faut notamment éviter que s'installe une relation exclusive avec l'agence, qui priverait progressivement Expertise France de son accès à l'expertise des ministères et la ferait dépendre exclusivement d'un opérateur dont la culture reste encore très éloignée de la sienne.
Le modèle économique d'Expertise France doit donc être consolidé à l'aune des exemples étrangers et avec un soutien renouvelé de l'État pour compenser les dépenses liées aux missions de service public.
Nous devrons en conséquence être particulièrement attentifs au nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022, sur lequel nous serons appelés à nous prononcer. Il serait souhaitable que ce COM nous soit présenté très rapidement par le Gouvernement.
La question d'une amélioration de l'évaluation de l'aide publique au développement est fondamentale, compte tenu de la progression rapide des moyens consacrés à cette politique.
Au sein du PLF 2020, les crédits consacrés à l'évaluation de l'APD restent modestes. Le programme 110 comporte une ligne Évaluation des opérations relevant de l'aide au développement de 0,57 million d'euros en 2020, contre 0,53 million d'euros en 2019 et 0,48 million d'euros en 2018. Les crédits du MEAE disponibles au sein du programme 185 pour l'évaluation, qui peuvent bénéficier aux actions menées dans le cadre du programme 209 de la mission « Aide publique au développement », se montent à 0,47 million d'euros en 2020, contre 0,54 en 2019 et 0,46 en 2017.
En revanche, il faut souligner que les crédits consacrés à l'évaluation par l'AFD augmentent régulièrement. Ils se montent désormais à environ 5 millions d'euros.
Nous observons par ailleurs qu'aucune enveloppe spécifique n'est prévue au sein du budget pour 2020 pour le fonctionnement de la nouvelle commission d'évaluation qui pourrait être créée par la future loi d'orientation, laquelle aura besoin de crédits de fonctionnement pour passer les marchés d'études nécessaires à ses évaluations.
À ce propos, mon collègue Jean-Pierre Vial et moi-même nous sommes rendus à Londres en juillet dernier pour étudier le système britannique d'évaluation de l'aide au développement. Rappelons que, en 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi fixant à 0,7 % la part du revenu national brut consacrée à l'aide publique au développement. Parallèlement a été créé un dispositif d'évaluation original, avec un organisme dédié, l'Independant Commission on Aid Impact (ICAI). L'ICAI a explicitement été créée en contrepartie de la fixation de l'objectif des 0,7 % du RNB dans la loi. Il s'est agi de garantir aux citoyens que chaque livre investie le serait sous le regard d'un organisme indépendant à même d'en vérifier le bon usage et l'efficacité.
L'ICAI est ainsi conçue comme un organisme indépendant du Gouvernement, dont la mission est de rendre des comptes à la commission parlementaire chargée du développement (International Development select Committee, IDSC). Elle est dirigée par trois commissaires, dispose d'un secrétariat de dix membres et fait appel à des consultants externes pour conduire les évaluations. Aspect important, les sujets de contrôle de l'ICAI sont choisis avec l'accord de la commission parlementaire.
Les rapports de la commission sont estampillés « verts » lorsqu'ils sont satisfaisants, « orange » lorsqu'ils sont satisfaisants et « rouges » lorsqu'ils sont moins que satisfaisants, ce qui est le cas d'environ un tiers d'entre eux. C'est extrêmement pédagogique. Ces rapports sont présentés devant la commission parlementaire chargée du développement, qui auditionne simultanément l'ICAI et le ministre environ une fois par mois. Les recommandations des rapports doivent donner lieu à une réponse du ministère détaillant les mesures prises. L'ICAI peut exiger de nouvelles réponses tant qu'elle n'est pas satisfaite.
Selon les parlementaires membres de la commission du développement international que nous avons pu interroger, l'ICAI constitue une ressource extraordinaire. En particulier, le fait qu'une discussion ait lieu entre l'ICAI et le ministère devant la commission permet d'aller beaucoup plus loin dans le suivi de la politique d'aide publique au développement, les parlementaires ne pouvant le faire dans l'exercice ordinaire de leur contrôle.
Au total, le dispositif d'évaluation britannique, dont l'ICAI est la pièce maîtresse, constitue selon nous une référence valable pour penser le nouveau dispositif d'évaluation qui doit être inscrit dans le futur projet de loi d'orientation relatif à la politique de solidarité internationale. Nous devrons donc veiller à ce que ce dispositif comporte les mêmes garanties d'efficacité que le dispositif britannique : une indépendance des membres de la commission d'évaluation vis-à-vis du ministère et un budget de fonctionnement suffisant pour celle-ci ; une obligation pour la commission d'évaluation de rendre compte devant l'Assemblée nationale et le Sénat, en présence d'un représentant du ou des ministères de tutelle ; la possibilité pour les commissions du Parlement de valider le programme d'évaluation de l'instance ou d'avoir un droit de tirage.
En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission APD, tout en formulant différentes réserves. Nous avons hésité, au sein de notre groupe, à nous abstenir, compte tenu de certains choix qui ont été faits et que nous ne validons pas. Néanmoins, l'augmentation des crédits étant significative, nous voterons ces crédits, tout en demeurant vigilants.
Le rapprochement entre Expertise France et l'AFD n'a pas suffi pour le moment pour consolider le modèle économique d'Expertise France. Le Gouvernement aurait été bien inspiré de suivre vos différentes préconisations et d'intégrer tous les opérateurs indépendants.
La France finance des projets en Chine pour la préservation de la biodiversité, l'égalité entre les hommes et les femmes, par exemple. Sachant que, selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB de la Chine s'élève à 25 270 milliards de dollars internationaux et qu'il est donc plus élevé que celui de l'Union européenne, qui est de 22 milliards de dollars, sachant en outre que le PIB de la France est de 2 900 milliards, soit dix fois moins que la Chine, le financement de ces projets est-il une priorité ?
Nous sommes loin d'atteindre le taux de 0,55 %, et encore moins celui 0,7 %, qui devrait être notre objectif. Une fois de plus, le budget n'est pas à la hauteur. En outre, nous ne savons toujours pas quand nous serons saisis du projet de loi de programmation envisagé. La loi de programmation militaire est à la hauteur, nous avons renforcé nos opérations extérieures et, c'est un corollaire, nos exportations d'armements. En revanche, les moyens de notre diplomatie sont faibles, en recul et menacés. Enfin, nous avons un retard persistant en matière d'aide publique au développement. Au total, la présence de la France à l'international est disproportionnée par rapport à l'effort politique, culturel, économique qui devrait être le nôtre.
Nous voterons donc contre ce budget, et contre le budget précédent.
L'un des buts de l'aide publique au développement est d'aider l'Europe à maintenir des réfugiés en Turquie, moyennant monnaie. Qu'en est-il ? Pour nous, l'aide publique au développement, ce n'est pas cela.
Alors que le budget de l'AFD s'élève à 14 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros pour celui du ministère des affaires étrangères, cela signifie-t-il que le directeur de l'AFD est plus important que le ministre des affaires étrangères ?
Au Royaume-Uni, un dialogue a lieu entre une commission indépendante, les parlementaires et le ministre, ce qui n'est pas le cas en France. Ne devrions-nous pas nous interroger à cet égard et contrôler davantage la rigueur de la gestion de l'AFD ?
Si nous avons manifesté notre désappointement concernant les reports successifs du projet de loi d'orientation, c'est bien parce que nous attendons de pouvoir poser un certain nombre de questions lors de son examen, notamment celle que soulève notre collègue Ladislas Poniatowski.
Cela étant, il faut comparer ce qui comparable. Une part essentielle des 14 milliards d'euros du budget de l'AFD correspond à son activité de banquier et ce sont donc des prêts. Cela n'ôte rien à notre devoir de vigilance. Concernant la Chine, de gros investissements en dons ne seraient plus possibles aujourd'hui. Cela montre bien le recentrage de l'activité et le rôle de prêteur de l'AFD. On peut considérer au total que les deux tiers des 14 milliards d'euros relèvent de l'activité de banquier de l'AFD, le budget propre de l'agence étant plutôt de l'ordre de 2 milliards d'euros.
Se pose effectivement la question du contrôle politique. Entre le modèle allemand, sur lequel l'AFD s'est calé, et le modèle britannique - soyons clairs : nous n'épouserons ni l'un ni l'autre -, n'y aurait-il pas une solution intermédiaire, un modèle français en matière d'orientation politique et d'évaluation ?
Au sujet du terrorisme et du microcrédit, l'AFD, en tant que banquier, est soumis à des procédures classiques de traçabilité. Pour les fonds d'urgence, c'est moins évident : des procédures de suivi rigoureuses s'imposent donc.
Force est de constater que la trajectoire n'est pas respectée. Pour 2020, la perspective d'intégrer l'annulation de la dette d'un pays africain est un moyen détourné de satisfaire cette obligation, nous l'avons dit. Il revient au Gouvernement de montrer que objectif de 2022 sera respecté, mais nous pouvons sincèrement en douter.
En matière d'aide au développement, il y a l'enveloppe financière, mais aussi la nature, le contrôle et l'efficacité de l'aide, d'où la nécessaire coordination entre les acteurs. Ainsi, le centre de crise du Quai d'Orsay intervient au Sahel, où il y a beaucoup de coopération décentralisée avec les pays limitrophes. Nous avons constaté que le manque de coordination pouvait entraîner des contradictions dans les politiques mises en oeuvre.
Nous partageons les interrogations qui émergent ; nous avons d'ailleurs hésité à nous abstenir.
La remarque d'Isabelle Raimond-Pavero est tout à fait juste. Il ne s'agissait nullement de brimer les ministères concernés, mais de respecter la logique de la loi de 2014. Une deuxième vague de fusions était nécessaire. La question du rapprochement avec Expertise France ne venait en principe qu'après. Nous avons fait passer la charrue avant les boeufs, ce qui nuit à l'efficacité. Il faut faire avec.
Concernant l'intervention de Ronan Le Gleut sur la Chine, je précise qu'il s'agit de prêts aux taux du marché et non de dons. Il y a donc un retour sur investissements.
Pierre Laurent a évoqué la soutenabilité de la trajectoire. À l'évidence, après le tour de passe-passe éventuel des annulations de dettes, nous nous retrouverons face à la dure réalité. La soutenabilité est donc sujette à caution. Il n'en reste pas moins une hausse inédite de plus de 128 millions d'euros des crédits de paiement. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons de voter ces crédits.
Pour conclure sur le modèle, il n'est pas convenable d'attendre ainsi la loi d'orientation. C'est à se demander si elle verra le jour avant le renouvellement sénatorial, voire la fin du quinquennat ! Il nous faudra rester extrêmement attentifs et disposer d'un modèle d'évaluation qui se situe entre les modèles britannique et allemand. En prenant les idées les plus pertinentes des deux, le Parlement pourrait revenir dans le jeu.
La question des réfugiés, que je n'ai pas abordée, comporte deux volets. Les financements proviennent de différentes sources, notamment européenne, comme nous le voyons en Turquie. Selon les pays se superposent en outre des aides dédiées directement aux réfugiés, des politiques antiterroristes ou d'accompagnement d'actions militaires. On nous demande plus de clarté. Il nous faudra donc identifier les aides spécifiquement dédiées aux réfugiés, mais également les interactions. Nous auditionnerons prochainement l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). L'accompagnement des populations de migrants doit être lié aux actions de développement.
Pour répondre à Ladislas Poniatowski, il est nécessaire que le ministre reprenne toute sa place pour le pilotage de l'AFD. C'est ce que permet le modèle anglais.
À l'occasion de l'examen de la loi d'orientation, nous devrons être extrêmement clairs et convaincants sur ces sujets. L'absence de contrôle politique, l'insuffisance de l'évaluation posent problème, d'autant que les sommes sont considérables.
Je vous rappelle que les 76 rapporteurs budgétaires disposeront de trois minutes de temps de parole. Je vous invite donc, groupe par groupe, à défendre nos idées.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
La réunion est close à 11 h 35.