Intervention de Michel Laugier

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « médias livre et industries culturelles » - crédits « presse » et « livre et industries culturelles » - examen du rapport pour avis

Photo de Michel LaugierMichel Laugier, rapporteur pour avis du programme 180 « Presse et Médias » sur le projet de loi de finances pour 2020 :

Le secteur de la presse traverse une triple crise qui met en jeu son existence même.

Tout d'abord, une crise financière avec des ventes, mais plus encore des revenus en chute libre. C'est la conséquence d'une transition numérique face à laquelle les journaux n'ont pour la plupart pas su se préparer.

Ensuite, une crise de la distribution, symbolisée par l'opérateur principal, Presstalis, dont le sort est encore aujourd'hui loin d'être réglé, en dépit des efforts de l'Etat, des éditeurs et du Parlement.

Enfin, une crise morale, peut-être encore plus grave. Elle se caractérise par la remise en cause du travail et du professionnalisme des journalistes, contestés de toute part, parfois menacés par des « experts » auto proclamés. Cette défiance est aussi celle envers la démocratie, et nous devons en avoir conscience.

Je vais évoquer différents sujets, au-delà de l'analyse des crédits.

Tout d'abord, la situation toujours critique de la presse, même si, et je tiens cette année à le mettre en avant, les soutiens publics sont à un niveau élevés si on prend tout en compte.

Ensuite, j'évoquerai les deux réformes adoptées par le Parlement en 2019 et qui produiront leurs effets dès 2020, réformes où le Sénat a joué un rôle majeur, la loi sur les droits voisins et la loi de modernisation de la distribution.

Une présentation du rapport pour avis ne serait pas complète sans quelques mots consacrés à Presstalis, qui nous occupe depuis trop longtemps. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la loi de modernisation de la distribution n'a en effet rien changé à la situation toujours critique de la messagerie.

Enfin, j'évoquerai de bonnes nouvelles en provenance de l'Agence France-Presse (AFP), qui semble plutôt bien engagée dans une réforme ambitieuse.

Je vais commencer mon propos par la situation de la presse écrite.

Entre 2006 et 2017, le chiffre d'affaires global de la presse est passé de 10,6 à 6,8 milliards d'euros, soit une diminution d'un tiers. Si les ventes ont baissé de 22 %, ce sont les recettes publicitaires qui ont chuté, divisées par près de 3.

Ces 15 dernières années, la baisse du chiffre d'affaires a touché tous les types de presse, mais de manière différenciée. La presse d'information locale résiste mieux que les autres familles de presse, alors que la presse d'information politique et générale (IPG) nationale est la plus touchée par la baisse des ventes.

Cette situation n'est cependant pas propre à la France. Les ventes des quotidiens les plus populaires des différents pays ont tous connu des baisses très importantes, comme le journal allemand Bild, dont la diffusion a été divisée par trois, alors que Ouest France, quotidien le plus vendu, affiche une bien meilleure résistance.

Face à ce constat assez alarmiste, il me parait important de souligner l'ampleur de l'engagement de l'État envers la presse.

L'enveloppe globale est complexe à estimer. Elle ne dépend que pour moins de 20 % du programme que nous examinons aujourd'hui. J'ai reconstitué pour cette année un montant approximatif de 540 millions d'euros que l'on peut diviser entre trois grandes masses.

Tout d'abord, les aides directes.

Elles sont rassemblées dans le programme 180 et dans le programme 134 avec la compensation versée à La Poste pour le régime d'acheminement. Le montant représente 206,8 millions d'euros en 2020. Depuis les Etats généraux de la presse écrite en 2008, l'enveloppe globale est en baisse continue - ce qui était d'ailleurs prévu-, sa variation dépend aujourd'hui essentiellement de la compensation versée à La Poste.

Ensuite, les aides fiscales.

La plus significative est le taux de TVA « super réduit » à 2,1 %, qui représente 170 millions d'euros, complété par quelques dispositifs plus modestes pour atteindre 180 millions d'euros. Enfin, les journalistes bénéficient de modalités particulières de calcul de leur impôt sur le revenu, ce qui constitue une forme d'aide à l'ensemble du secteur en améliorant l'attractivité de la profession. On peut l'estimer pour la presse écrite à environ 40,5 millions d'euros, soit un montant global de 220,5 millions d'euros.

Enfin, les aides sociales.

Elles comprennent la réduction de taux et l'abattement d'assiette sur les cotisations sociales en faveur des journalistes, estimés à un peu plus de 114 millions d'euros pour la presse écrite.

On peut donc estimer les aides à la presse à environ 540 millions d'euros. Ce montant est significatif, et montre bien la volonté de l'État d'accompagner la filière.

La tendance de ces dernières années, dans un contexte de baisse des aides directes, a été de cibler la presse IPG. Sur son périmètre, les dotations sont ainsi en hausse depuis 2016.

Pour cette année 2020, les crédits évoluent en réalité très peu. Seuls deux mouvements distinguent cette année de la précédente :

- la baisse programmée de la compensation à La Poste, qui est de nature forfaitaire et n'a donc pas de conséquence pour les publications ;

- la légère baisse de la compensation versée à la sécurité sociale pour les porteurs et vendeurs colporteurs de presse, conséquence de la baisse de leur activité.

Pour le reste, toutes les aides demeurent identiques.

Deuxième volet de cette présentation, un point d'étape sur les deux grandes réformes menées en 2019 et dans lesquelles le Sénat a joué un rôle crucial : la loi sur les droits voisins et la loi sur la modernisation de la presse.

Pour commencer, la loi sur les droits voisins.

Elle a été adoptée à l'unanimité des deux chambres, à l'initiative de notre collègue David Assouline, qui en était l'auteur et le rapporteur au nom de la commission. Elle constitue la première transposition en Europe de l'article 15 de la directive sur les droits d'auteur.

Son objectif est de mettre fin à la captation massive de revenus publicitaires opérée essentiellement par Google et Facebook. Au-delà même du sort particulier d'un secteur économique, la presse, c'est tout un pan de notre vie démocratique qui se trouve fragilisé.

Alors que nous pouvions légitimement penser que l'adoption de la directive, suivie de cette première transposition, sifflait littéralement la « fin du match », entaché par un lobbying très actif de Google à Bruxelles, il n'en a finalement rien été.

Le 25 septembre, Google a en effet annoncé son refus d'entrer en négociation avec les éditeurs. La société leur propose comme alternative de renoncer à ses droits, et de continuer à être référencé de manière attractive, ou bien d'être « dégradé », dans tous les cas, de ne pas percevoir le moindre droit. Cette position, bientôt suivie par Facebook, a montré toute la dépendance des éditeurs face au pouvoir quasi monopolistique des grands acteurs de l'internet. Tout en réservant leurs droits, ils ont été obligés de céder.

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