Les industries culturelles rassemblées dans le programme 334 regroupent un grand nombre de secteurs.
Le cinéma, la musique, le jeu vidéo, la lecture sont autant de domaines qui contribuent au bien être de la population, mais sont également des acteurs économiques de premier plan, avec un chiffre d'affaires supérieur à 15 milliards d'euros et des dizaines de milliers d'emplois.
Le programme 334 comporte 306,3 millions d'euros, en hausse de 2,32 % notamment en raison de la dotation accordée au Centre national de la musique (CNM).
Il convient d'y ajouter les 673 millions d'euros de taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), et près de 400 millions d'euros de crédits d'impôt, soit plus de 1,3 milliard d'euros de soutien.
Tout d'abord, j'évoquerai les dangers qui pèsent sur le financement du cinéma, puis je ferai un point sur la question, toujours « tendue » au moment de la loi de finances, des crédits d'impôt « culture ». Je parlerai du développement du streaming musical et de « l'an I » du Centre national de la musique. J'évoquerai ensuite la question du statut des auteurs à travers le prisme du rapport remis en janvier sur la bande dessinée, et je terminerai par les équilibres budgétaires complexes de la Bibliothèque Nationale de France.
Nous avons entendu il y a deux semaines le nouveau Président du CNC, M. Dominique Boutonnat, qui a exposé sa vision du renforcement des moyens au service de la création. Le moins que l'on puisse dire cependant est que le contexte est particulièrement complexe et mouvant. Le nouveau Président devra faire des choix et faire preuve d'initiative.
En effet, dès 2018, et comme cela était déjà prévisible l'année dernière, le financement du cinéma a baissé de 15,2 %. Les deux principaux responsables sont les chaînes de télévision, dont le chiffre d'affaires souffre de la concurrence des nouveaux acteurs en ligne, mais également les producteurs, qui investissent sensiblement moins que les années précédentes.
Dans ce contexte, le financement public devient de plus en plus important, par le biais du fonds de soutien du CNC ou des crédits d'impôt.
Or, comme je l'avais évoqué l'année dernière, les réserves financières que le CNC avait constituées entre 2008 et 2012 sont maintenant épuisées. Les dépenses du fonds vont donc baisser d'environ 50 millions d'euros à partir de 2019.
Il n'est pas prévu à ce stade d'augmenter le produit des taxes affectées. Comme nous le verrons, la tendance serait plutôt à en maintenir le niveau, et la tentation existe toujours de les plafonner.
Le CNC aurait dû réaliser ces 50 millions d'euros d'économie en 2019. Elles devaient porter sur l'audiovisuel. Le gouvernement a cependant demandé au CNC d'étaler cette baisse sur deux ans, ce que j'approuve globalement, même si le fonds de roulement a dû être ponctionné d'autant.
Les années à venir devraient donc conduire à une diminution des dépenses.
On assiste cependant aux prémisses d'un bouleversement du modèle de financement du cinéma et de l'audiovisuel français.
L'article 62 du projet de loi de finances procède en effet à une révision de la taxe sur les éditeurs (la TST-E). Jusqu'à présent, les chaines l'acquittent au taux de 5,65 %. De leur côté, les services de vidéo à la demande, principalement les plateformes, sont imposées à hauteur de 2 %. L'article 62 propose une convergence à 5,15 %. Le taux a été choisi afin de conserver un rendement constant de la taxe.
Cet alignement emporte trois conséquences :
- d'une part, il constitue pour les chaines un gain net de 37 millions d'euros reporté sur les plateformes ;
- d'autre part, une égalité de traitement serait établie entre des services en concurrence ;
- enfin, les plateformes seraient ainsi appelées à contribuer plus fortement à la création française via le fonds de soutien.
On ne peut que juger favorablement cette disposition qui constitue la première étape d'un rééquilibrage des obligations entre les chaines et les plateformes, rééquilibrage qui sera poursuivi en 2020 avec la loi audiovisuelle.
Cette réforme de la taxe sur les éditeurs s'inscrit cependant dans un contexte de grande incertitude pour le cinéma français.
Dominique Boutonnat a ainsi évoqué les conclusions de son rapport devant nous, qui font état d'un nombre de films que certains jugent trop important. 300 oeuvres sont en effet produites chaque année, avec des financements qui déclinent.
Entre 2011 et 2017, années pourtant fastes, le budget moyen par film a baissé de 6 %. Je ne veux pas opposer ici les tenants de « l'orthodoxie », qui estiment qu'il ne faut pas chercher à limiter ce qui constitue après tout un des succès remarquables de notre cinéma et les critiques qui dénoncent une véritable crise de surproduction que les spectateurs et les exploitants ne pourraient tout simplement pas absorber. Je note cependant que le débat a rebondi cette semaine avec l'attribution du Prix Renaudot pour l'essai de Eric Neuhoff, « Très cher cinéma français », dont le titre seul suffit à comprendre de quel côté il se situe...
Toujours est-il que le rapport de Dominique Boutonnat était plutôt centré sur les leviers permettant d'attirer les capitaux privés, et qu'il faut évidemment que cette réflexion soit menée.
Cependant, dès 2020, et en plus de ce chantier de long terme, le nouveau Président du CNC sera confronté à trois défis.
Le premier de ces défis est la nécessité d'examiner les quelques 150 dispositifs de soutien différents du CNC. Si l'objectif premier n'est pas, comme il l'a souligné devant nous, de réaliser des économies, on peut cependant penser que des « arrières pensées » budgétaires ne seront pas absentes de cette revue générale des dépenses.
Le deuxième défi est la réforme de la fiscalité affectée, qui devrait être présentée dans le prochain projet de loi de finances. Là encore, il s'agit de mieux équilibrer les contributions des anciens et des nouveaux acteurs à la création. Il y aurait ainsi une taxe pour la production de contenu et une taxe sur l'accès. L'objectif est de conserver un niveau de ressource inchangé, ce qui justifie le délai nécessaire pour bien calibrer la réforme.
Dernier chantier qui occupera non seulement le CNC, mais également notre commission, la loi « audiovisuelle ». Elle comporte de nombreuses dispositions qui affecteront le paysage de la production en France. Je veux notamment évoquer :
- les obligations de production d'oeuvres françaises, qui seraient étendues aux plateformes ;
- les relations entre les producteurs et les éditeurs, qui pourraient être amenées à évoluer ;
- et enfin les conditions de diffusion des oeuvres, sur l'ensemble des canaux, ce qui suppose une réforme de l'exposition à la télévision, mais également probablement, et comme l'a laissé entendre Dominique Boutonnat, une nouvelle réforme de la chronologie des médias.
Ces trois réformes devront être menées de front, et notre commission y sera étroitement associée.
J'en viens au deuxième point de ma présentation, les crédits d'impôt « culture ».
Chaque année, ces crédits sont remis en question, notamment par les commissions des finances.
Ils représentent effectivement un montant important d'environ 400 millions d'euros. Suite à la réforme de 2016, ils ont plus que doublé.
Les crédits d'impôt recouvrent trois secteurs :
- le cinéma et l'audiovisuel, avec trois dispositifs distincts ;
- la production phonographique ;
- le jeu vidéo.
Ils ont été prorogés l'année dernière jusqu'en 2022.
Plus de 80 % de l'enveloppe est destinée au soutien à la production cinématographique et audiovisuelle, pour environ 350 millions d'euros chaque année. Quatre crédits d'impôt sont concernés : le crédit d'impôt cinéma (CIC), audiovisuel (CIA), international (CII) et les SOFICA.
De nombreuses études depuis 2016 ont montré l'efficacité de ces dispositifs, qui expliquent une bonne partie de l'attractivité du territoire. Les dépenses de film en France ont progressé de 36 % et 537 millions d'euros entre 2015 et 2018. Tous les indicateurs soulignent le grand intérêt de ces dispositifs, qui assurent à la France, avec le soutien qu'il faut souligner des régions, une place très enviable comme lieu de tournages.
Le crédit d'impôt phonographique est pour sa part d'un montant relativement modeste et stable, autour de 10 millions d'euros. Il est très apprécié d'une profession fragilisée, pour laquelle il est le seul soutien public. Là encore, les études sont convergentes pour montrer son utilité et sa pertinence. Des évaluations complémentaires pourront cependant être prochainement menées sous l'égide du Centre national de la musique (CNM) qui en récupère la gestion au 1er janvier 2020.
Le crédit d'impôt jeu vidéo, enfin, a connu une croissance « explosive » depuis 2017, suite à une réforme visant précisément à le rendre plus attractif.
L'importance du montant, près de 50 millions d'euros, est à mettre au regard de deux éléments :
- l'importance de cette industrie culturelle, désormais la première au monde en termes de chiffre d'affaires ;
- l'impact économique reconnu du dispositif. Le secteur du jeu vidéo apporte de nombreux emplois qualifiés, en général bien rémunérés, et génère selon une étude 5,3 euros de revenu fiscal par euro investi.
Il faut, je crois, éviter en la matière les postures dogmatiques. Il n'y a rien de honteux à chercher à évaluer l'efficacité des crédits d'impôt et éventuellement à les réformer, il faut également reconnaitre l'efficacité de ces mesures qui font l'objet d'évaluations très régulières.
J'identifie cependant trois risques majeurs à la fréquente remise en cause des crédits d'impôt.
Tout d'abord, la France est placée dans une compétition internationale très vive. Les autres pays, Canada, États-Unis en tête ont très bien identifié l'intérêt stratégique de ces secteurs, et proposent tous des avantages fiscaux au moins équivalents, parfois supérieurs. La France ne peut pas se permettre de perdre aussi cette bataille.
Ensuite, toute annonce un tant soit peu tonitruante ne contribue pas à créer la confiance et à inciter à des investissements de long terme. Qui viendra créer un studio de jeu vidéo ou tourner un « blockbuster » si son plan économique se retrouve menacé chaque année ?
Enfin, n'oublions pas que les industries culturelles sont pourvoyeuses de « soft power », et que là encore la France brille par sa création, son cinéma et ses oeuvres. Il y a donc un réel intérêt stratégique à défendre nos industries culturelles.
Pour résumer, je resterai très attachée dans les années à venir à une défense non pas aveugle, mais raisonnée et réfléchie de ces dispositifs fiscaux.
Je vais maintenant évoquer le marché de la musique enregistrée.
La musique enregistrée a failli disparaitre, emportée par la révolution numérique. Elle a cependant su se réinventer à travers les offres légales de streaming.
Ces dernières représentent aujourd'hui 57 % du marché et progressent de près de 20 % par an. Le streaming payant, en particulier, a été adopté par près de 6 millions de français, ce qui est une belle satisfaction si on considère qu'au tournant des années 2000, l'habitude avait été prise de ne plus payer du tout pour sa consommation musicale.
Cependant, des anomalies demeurent.
Ainsi, YouTube, la première plateforme de diffusion de la musique, rémunère très mal les créateurs. Songez que les revenus versés par ce service sont égaux à ceux du marché du disque vinyle ! Les dispositions contenues dans la loi audiovisuelle destinées à lutter contre le « value gap » devraient permettre de revenir à une situation plus normale.
J'attire également votre attention sur les modes de rémunération du streaming. Actuellement, Spotify et Deezer rémunèrent mieux les musiques écoutés un très grand nombre de fois par un petit nombre d'utilisateurs. Des réflexions sont en cours pour basculer sur un modèle dit « User Centric » qui rend mieux justice au nombre d'écoutes par usager, et pourrait permettre d'équilibrer les revenus au profit d'autres esthétiques. Comme il s'agit de contrats passés entre personnes privées, nous ne pouvons intervenir qu'en dernier recours, mais j'avoue être très intéressée par les études réalisées notamment par Deezer pour faire évoluer le mode de rémunération des artistes.
2020 sera également « l'an I » du Centre national de la musique. La loi a été promulguée le 30 octobre dernier, et notre commission, à travers notre collègue Jean-Raymond Hugonet, a joué un grand rôle dans son adoption.
Le Centre va rassembler en son sein les forces jusqu'à présent éparses de la musique, pour créer l'équivalent d'un CNC. C'est l'aboutissement d'un projet porté depuis 2012.
Notre Rapporteur avait identifié deux problématiques :
- la première est la question des moyens. 7,5 millions d'euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances, ce qui constitue une première étape, satisfaisante, mais une première étape. Il faut maintenant que cet engagement de l'Etat s'inscrive dans le long terme et converge vers les 20 millions d'euros évoqués. Mais il faut également que les acteurs privés s'emparent du dossier et apportent leur contribution financière. L'Etat a montré le chemin, j'espère que la profession saura suivre le mouvement et l'amplifier ;
- elle le fera d'autant mieux que sera résolue la seconde problématique identifiée par Jean-Raymond Hugonet, à savoir la gouvernance. Nous attendons avec impatience le décret qui fixera la composition du conseil d'administration et du conseil professionnel. Des réactions de la profession dépendra le succès du CNM, et nous savons que l'équilibre sera difficile à trouver.
Je passe maintenant à la question du statut des auteurs à travers le prisme de la bande dessinée.
Pierre Lungheretti, Président de la Cité internationale d'Angoulême, a remis un rapport au mois de janvier 2019 qui appelle à une politique spécifique sur la bande dessinée, un « 9ème art » qui a acquis ses lettres de noblesse. J'ai interrogé le ministre lors de son audition devant notre commission sur ce sujet, et il a réservé un accueil très favorable aux principales propositions du rapport. Nous attendons donc de voir comment se traduira « 2020, année de la bande dessinée ».
La bande dessinée permet également de revenir sur la question que nous avions longuement évoquée l'année dernière du statut des auteurs. La création d'une BD a été qualifiée « d'artisanat furieux », ce qui témoigne je crois assez bien de l'intensité du travail nécessaire, mais également du statut ambigu des auteurs.
L'année dernière, avec la Présidente de notre commission et Sylvie Robert, nous avions mené un combat pour que les auteurs soient compensés de la hausse de la CSG, qui pour eux constituait une perte nette. Après 3 ans d'atermoiement, je suis heureuse de pouvoir dire que, sur ce point-là, nous avons été entendus et que, à partir de 2020, un mécanisme pérenne de compensation sera mis en place.
C'est une grande satisfaction, mais qui ne doit pas dissimuler le fait que le statut des auteurs reste encore aujourd'hui trop peu assuré. Leur spécificité n'intéresse pas assez le ministère des affaires sociales, et la culture parait bien démunie, sur des sujets comme le prélèvement à la source ou la retraite. Une évolution positive se dessine cependant cette année, avec une mission de réflexion globale confiée à Bruno Racine, qui doit rendre ses conclusions d'ici la fin de l'année. Nous espérons que les auteurs, si essentiels à la création, recevront enfin toute l'attention qu'ils méritent.
Pour finir, un dernier mot sur la BNF. Ses crédits représentent 70 % du programme, pour 210 millions d'euros.
S'ils augmentent de 2,5 millions d'euros en 2020, cela n'est cependant pas suffisant pour couvrir les coûts liés à la fin des travaux de Richelieu, ni à l'ouverture du site. Les recettes de mécénat ne suffiront pas à combler l'écart. Dès lors, ce navire amiral de la culture française va devoir dans les prochaines années faire face à une équation budgétaire complexe, qu'il nous appartiendra de surveiller.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles ».