Consacrée à l'amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, la mission « Économie » portait traditionnellement les crédits dédiés à l'action en faveur des entreprises industrielles. La disparition, l'année dernière, de l'action spécifique à l'industrie n'est pas anecdotique : d'année en année, le budget consacré à la politique industrielle de la France voit son périmètre restreint et ses moyens réduits.
Ce constat frappant se retrouve à l'examen du présent projet de loi de finances : en 2020, celui-ci ne comporte aucune mesure fiscale visant spécifiquement les entreprises industrielles et la plupart des actions de la mission sont affaiblies. Des lignes budgétaires sont à nouveau supprimées, comme celle dédiée au financement des garanties bancaires - pourtant essentielles - accordées par Bpifrance aux PME et TPE. Une nouvelle fois, l'industrie est la grande absente de la politique économique et fiscale.
Un tel budget d'austérité ne peut que surprendre, au vu des défis considérables qui attendent l'industrie française dès l'année 2020. Les tensions commerciales, le développement de la route de la soie par la Chine, la politique de « l'Amérique d'abord » du président Trump ainsi que la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne font peser de fortes incertitudes sur les chaînes d'approvisionnement et sur les performances à l'exportation. Le poids considérable de la fiscalité, en particulier des impôts de production, continue à détériorer la compétitivité de nos produits.
Surtout, l'impérieuse nécessité de la transition environnementale place l'industrie française à la croisée des chemins. Celle-ci représente un quart de la consommation d'énergie en France, un tiers de la consommation d'électricité. À elle seule, l'industrie manufacturière émet près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne.
Les objectifs ambitieux de neutralité carbone en 2050, inscrits dans la récente loi Énergie et climat, et les fortes contraintes visant les produits plastiques ou les véhicules à motorisation thermique exigent une transformation profonde de l'appareil productif. Ces choix stratégiques induisent des coûts considérables qui pèsent sur la compétitivité des entreprises. Mal maîtrisée et non accompagnée, la transition énergétique et écologique pourrait aboutir à une désindustrialisation accélérée, destructrice de richesse et de savoir-faire, et source de détresse sociale pour les territoires. Paradoxalement, alors que la part de l'industrie a reculé en France, et que les émissions ont baissé de 20 %, dans le même temps, les importations ont fait augmenter de 11 % l'empreinte carbone globale de notre pays !
Malgré ces immenses défis, les moyens des politiques publiques s'atrophient, bien que le gouvernement promette la revalorisation de l'industrie avec un nouveau Pacte productif. Il y a les déclarations, et il y a les actes. J'ai identifié quatre priorités qui devraient être mieux prises en compte par le gouvernement dans ses arbitrages budgétaires.
Tout d'abord, le besoin de stabilité normative. Les dispositifs budgétaires et fiscaux au succès avéré doivent être inscrits dans la durée pour refléter le temps long de la décision des entreprises. C'est le cas du suramortissement pour l'investissement des PME dans l'Industrie du Futur, que j'avais proposé et que le Sénat a voté l'an passé. Il faut aussi à tout prix sanctuariser le budget de la « compensation carbone », qui sauvegarde la compétitivité des industries électro-intensives impactées par la hausse du prix du CO2.
Les interdictions de production doivent être décidées avec une visibilité suffisante afin de ne pas mettre en danger des filières entières, comme les 13 500 emplois de la filière diesel ou les producteurs de plastique à usage unique. Le Sénat s'est mobilisé sur la question des plastiques, en proposant dans de repousser d'un an l'interdiction prévue dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim). Dans la continuité de ces travaux, je vous soumets un amendement demandant au gouvernement de rendre un rapport qui analyse les aides mobilisables par l'État pour soutenir la reconversion des producteurs de plastique. La filière va profondément évoluer, les plastiques à usage unique seront interdits. Certaines entreprises risquent de disparaître si on ne les aide pas. Je connais le cas d'une entreprise où un millier d'emplois sont menacés à court terme, si on ne propose pas une reconversion, par exemple à base de chimie verte.
Le besoin d'innovation, ensuite. Certes, ce sujet est mineur dans la mission que nous examinons. Mais la politique du gouvernement à ce sujet semble insuffisante. Les PIA, qui portent une grande partie des crédits d'aide à l'innovation, sont encore trop élitistes : ils soutiennent l'innovation de rupture, les démonstrateurs pilotés par les grandes entreprises, mais s'occupent trop peu de l'industrialisation concrète des avancées technologiques. L'expérimentation, c'est bien, mais il faut aussi développer la diffusion concrète des technologies.
Le transfert de l'innovation aux PME et TPE incombe aux centres techniques industriels (CTI). L'année dernière, j'avais défendu deux amendements visant à maintenir leurs dotations budgétaires ainsi que leurs taxes affectées, écrêtées d'année en année... Je suis heureux que le Gouvernement ait fait volte-face et se soit rangé aux arguments du Sénat ; mais il ne prévoit de déplafonner que cinq des onze CTI ! Ils jouent pourtant un rôle essentiel en matière de transferts de technologie. Manquent par exemple à l'appel le CTI de la filière cuir, de la plasturgie ou encore de la filière bois. Je souhaite que le Gouvernement s'engage en séance publique à déplafonner dès cette année l'ensemble des taxes affectées aux CTI, pour que ceux-ci reçoivent tous les montants déboursés par les industriels. D'autant que leur dotation budgétaire baisse cette année encore de 10 %, comme l'année dernière...
Un besoin de financement, évidemment. Je me félicite de la montée en puissance cette année du suramortissement pour l'investissement des PME dans la robotique et la numérisation, dispositif adopté à l'initiative du Sénat. Il semble faire ses preuves, même si son utilisation est encore limitée. Il contribue à réduire le coût pour les petites entreprises qui doivent moderniser leur outil industriel. Je rappelle que l'âge moyen de notre appareil industriel est de 19 ans, soit le double de l'Allemagne...
La fiscalité de production pèse toujours lourdement sur la compétitivité de nos entreprises industrielles et leur capacité d'investissement. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement repousse ses travaux sur les impôts de production, en particulier la contribution sociale de la solidarité des sociétés (C3S). Une réforme est désormais annoncée pour 2020. J'y insiste, cette réforme ne devra pas grever le budget des collectivités territoriales, déjà touchées par la suppression de la taxe d'habitation. Les recettes affectées en échange devront être dynamiques.
Si les plus grandes entreprises peuvent aujourd'hui se financer sans difficulté, les PME et TPE, surtout celles des secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, sont encore dédaignées par le système bancaire. Le Gouvernement, lui, pense que tout est réglé. Ce projet de loi de finances, comme le précédent, entend éteindre complètement les dotations budgétaires de Bpifrance destinées aux activités de garantie bancaire. Je rappelle que 90 % des 60 000 entreprises accompagnées chaque année sont des TPE. Les 10 000 euros réintroduits par l'Assemblée nationale sont bien loin du compte... Je vous soumets donc un amendement visant à abonder de 20 millions d'euros les activités de garantie de Bpifrance, qui joue un rôle essentiel. Sans la caution de Bpifrance, les banques ne prêtent pas, notamment aux plus petits !
Il y a, enfin, un besoin d'accompagnement.
D'une part, la présence de l'État dans les territoires se réduit de plus en plus. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ont perdu les trois quarts de leurs effectifs en deux ans. Le programme « Territoires d'Industrie », qui souhaite mieux associer l'échelon local, court le risque de rester une coquille vide, en l'absence de budget dédié et flexible. Il ne faut pas que le Gouvernement se cache derrière la décentralisation de certaines compétences aux régions pour se retirer complètement de la politique industrielle. Les Länder allemands, eux, ont une fiscalité et des moyens ! Si, demain, on transfère des compétences sans moyens, il n'y aura plus de politique industrielle.
D'autre part, les chefs d'entreprises sur le terrain regrettent que de nombreuses aides et incitations, y compris les suramortissements, ne soient pas pleinement mises à profit, faute de sensibilisation des patrons, faute de compétences en interne ou faute de dialogue avec l'administration. L'accompagnement est réellement le point faible. Or, pour dépasser le « mur d'investissement » lié à la transition environnementale de l'industrie, les pouvoirs publics doivent apporter une capacité de conseil aux acteurs économiques. Je vous soumets un amendement visant à instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement de l'industrie, selon un principe incitatif qui se rapproche de celui des suramortissements. Pourront faire l'objet d'un crédit d'impôt les coûts liés aux études et audits visant à rendre l'outil industriel plus vert, par exemple pour l'écoconception des produits, l'intégration de matière recyclée ou l'efficacité énergétique des sites. Seuls des opérateurs agréés pourront réaliser ces études, pour en garantir la qualité : je pense, par exemple, aux chambres de commerce et d'industrie ou à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), déjà mobilisée sur ce sujet. Ma proposition est le pendant des efforts que demande le Gouvernement à l'industrie, en particulier dans le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.
Mes chers collègues, il me semble que l'industrie mérite, pour l'année 2020, un budget beaucoup plus ambitieux, à la hauteur des efforts qu'elle consent pour devenir plus verte et plus compétitive.
À cet égard, la question de l'hydrogène est posée avec force. Rappelez-vous que le plan Hulot prévoyait de consacrer 300 millions d'euros par an à l'hydrogène. Ce montant est descendu à 100 millions d'euros par an. C'est une faute ! En Allemagne, en Corée du Sud, au Japon, les montants se chiffrent en milliards d'euros. Nous voyons encore petit sur cette question, alors que le futur de notre industrie passera en grande partie par l'hydrogène.
Sous réserve de l'adoption des amendements que je vous proposerai, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » et de ses articles rattachés.