Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 novembre 2019 à 8h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis :

Le volet « numérique et postes » de la mission « Économie » comporte peu de changements par rapport à l'année dernière.

La compensation versée par l'État à La Poste pour sa mission de transport de presse continue à diminuer, conformément au contrat d'entreprise passé entre les deux entités. Je renouvelle, comme chaque année, mon interrogation sur le rattachement de ce poste à la mission « Économie ».

Le budget global traduit également la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires et la scission des activités de l'Agence du numérique. Seule la mission French Tech reste à Bercy. Elle bénéficie d'un budget en forte hausse, de plus 2,9 millions d'euros, pour un total de 6,68 millions d'euros. L'initiative France Num, lancée en 2018 et visant à favoriser la transformation numérique des TPE et PME, ce qui est un enjeu majeur, fait également l'objet d'une ligne budgétaire, relativement modeste, de 700 000 euros, notamment pour financer sa plateforme en ligne. L'Agence nationale des fréquences (ANFR) connaît également une légère hausse de son budget pour financer ses dépenses courantes.

Concernant le Fonds d'accompagnement de la réception télévisuelle (FARTV), mis en place en 2017, qui vise les zones où des difficultés chroniques de réception se manifestent - elles sont nombreuses - et où aucune modification du réseau TNT n'est envisagée, ce dispositif devrait être ouvert à de nouvelles communes de l'Hérault cette année. Il est malheureusement peu utilisé : seulement 1 % des foyers éligibles formule une demande d'aide et seules 544 aides ont été accordées, ce qui démontre une méconnaissance de la part du grand public. Je vous invite donc à communiquer sur ce fonds, qui permet une amélioration de la réception télévisuelle.

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep) bénéficie, pour sa part, de quelques emplois supplémentaires pour assurer sa nouvelle mission de régulation de la distribution de la presse : le nombre d'ETP passe de 171 à 176.

Je souhaite m'arrêter sur le financement du plan France Très haut débit. Pour mémoire, ce plan finance les projets de réseaux numériques à très haut débit dits « d'initiative publique ». Ces projets sont portés par les collectivités territoriales dans ce que la régulation appelle les « zones moins denses » - globalement, les zones rurales -, où il n'est pas rentable d'investir pour les opérateurs privés. Le budget arrêté par les gouvernements successifs est de 3,3 milliards d'euros versés par l'État pour atteindre l'objectif de 100 % de locaux couverts en très haut débit - 30 mégabits par seconde - d'ici à 2022, principalement en recourant à la fibre optique jusqu'à l'abonné.

La tâche est lourde. En 2018, la France était le dernier pays de l'Union européenne en termes de couverture en très haut débit, notre pays ayant fait le choix de la fibre. Aujourd'hui, la dynamique s'inverse doucement, mais sûrement : 58 % des locaux sont couverts, et 42 % le sont en fibre optique. On observe une accélération sans précédent du rythme des déploiements en fibre optique, qui devrait dépasser les 4 millions de prises cette année, contre moins de 3 millions il y a deux ans. Il faut saluer le travail réalisé par nos entreprises en ce sens.

Mais le plus dur reste à faire : si les grandes villes sont couvertes en fibre optique à 85 %, les villes moyennes le sont à 53 % et les zones rurales, à seulement 15 %. Or celles-ci sont évidemment les plus difficiles à couvrir, en raison de la dispersion de l'habitat.

Étonnamment, le Gouvernement avait décidé de fermer le « guichet » de subventionnement à la fin de l'année 2017, estimant que les financements déjà engagés suffiraient à remplir l'objectif de 100 % de très haut débit en 2022, laissant 27 départements, qui n'ont pas choisi de passer par un appel à manifestation d'engagements locaux (« AMEL »), dans l'incapacité de financer leur projet de réseau d'initiative publique (RIP). Le Gouvernement a annoncé, à la fin du mois d'octobre 2019, une réouverture du guichet. Concrètement, il recycle 140 millions d'euros économisés sur les dossiers déjà engagés, pour lesquels les appels d'offres sont moins-disants, du fait de conditions de marchés plus favorables, et compte sur d'autres opérations de recyclage à venir dans les prochaines années pour atteindre la « généralisation » de la fibre optique d'ici à 2025. Reconnaissons que le procédé est relativement aléatoire.

Or, selon l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel, le besoin total de financement pour les collectivités prêtes à se lancer dès 2020 s'élève à 462 millions d'euros. La Bretagne, à elle seule, aurait besoin de plus de 200 millions d'euros. Autrement dit, on peut craindre que le guichet ne soit fermé dès le lendemain de sa réouverture ! Face aux multiples dossiers en attentes, comment le Gouvernement priorisera-t-il ces projets ? Quelle collectivité méritera de passer devant l'autre et selon quels critères ?

Dans ce contexte, il paraît nécessaire d'abonder les crédits alloués au plan France Très haut débit de 322 millions d'euros d'autorisations d'engagement - l'année dernière, notre collègue Patrick Chaize avait présenté un amendement tendant à un abondement de 200 millions d'euros, qui avait été adopté par notre Assemblée. Tel est le sens de l'amendement que je vous soumets. Il s'agit d'équiper les 27 départements et toutes les zones rurales en attente, mais aussi de booster notre économie. En effet, nous savons que, derrière ces déploiements, il y a des armoires, des connectiques, des câbles fabriqués pour l'essentiel en France, par des entreprises locales.

J'ajoute que, face aux allers-retours sur ce guichet France Très haut débit, on peut s'interroger sur la stratégie du Gouvernement en matière de déploiement, notamment au regard des réseaux d'initiative publique, quand on considère, en parallèle, le dispositif des appels à manifestation d'engagements locaux, qui reposent sur une forme de partenariat public-privé. Demain, les réseaux d'initiative publique, qui appartiendront aux collectivités et pour lesquels elles auront des recettes, cohabiteront avec d'autres réseaux, fondés sur ces partenariats public-privé. Cela pose un certain nombre de questions à moyen et long termes qui ne sont absolument pas abordées à ce stade.

Afin d'assurer une plus grande transparence de ces processus, il conviendrait de discuter, au sein du comité de concertation France Très haut débit, qui réunit toutes les parties prenantes - État, opérateurs et collectivités -, de la fiabilité de la gestion à long terme et de ces opérations de recyclage sur lesquelles le Gouvernement appuie ses budgets, ainsi que sur le fonctionnement à moyen et à long termes de ces réseaux.

Il est également essentiel d'anticiper la décroissance prévisible des besoins en main-d'oeuvre. Quand le pic d'activité de 2020 sera passé, quelles seront les perspectives pour les entreprises et leurs salariés qualifiés ? La signature du contrat stratégique de la filière des « infrastructures numériques » paraît, de ce point de vue, essentielle. Elle devrait aboutir prochainement.

J'en viens à l'objectif du « bon haut débit » - 8 mégabits - pour tous fixé par le Président de la République en 2017 pour l'année prochaine. Le guichet « cohésion numérique », qui permet d'aider les particuliers à recourir à des solutions hertziennes comme la 4G fixe, la boucle locale radio ou le satellite, fait l'objet d'une mise en oeuvre difficile : les premières aides ne seront décaissées que d'ici à la fin de l'année, soit près de deux ans après l'annonce du guichet. Au reste, aucun suivi statistique n'est effectué à ce jour : l'objectif est donc, à ce stade, largement théorique.

Je souhaite terminer par quelques remarques sur la couverture mobile. Le « New Deal mobile », signé en 2018 entre l'État et les opérateurs, a renouvelé le traitement des zones blanches, en donnant davantage de poids aux collectivités pour décider du lieu d'installation des nouveaux sites en 4G dans les zones les moins bien couvertes. C'est ce que l'on appelle le dispositif de « couverture ciblée », piloté à l'échelle départementale, souvent entre les services du département et ceux de l'État. À ce jour, 1 172 sites ont déjà été sélectionnés par arrêté, mais seulement six sont en service. Cependant, les opérateurs se disent confiants quant au respect des échéances obligatoires. L'Arcep devra être vigilante sur ce point. Sur le terrain, une trentaine de sites rencontreraient des difficultés, notamment pour trouver du foncier exploitable. C'est une problématique dont le Gouvernement devrait se saisir.

Les élus doivent être informés de ce dispositif sur le territoire : les équipes-projets sur le terrain, qui réunissent les services de l'État et les représentants des collectivités, doivent davantage communiquer sur leur action. Je vous invite à solliciter auprès d'elles des informations.

Enfin, à l'heure où l'investissement dans les infrastructures est une priorité, une réflexion devrait être menée, peut-être dans la perspective du budget 2021, sur la fiscalité spécifique applicable aux opérateurs de communications électroniques - imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) mobiles et fixes, TOCE...-, qui représente près de 1,2 milliard d'euros chaque année. Cette fiscalité handicape d'autant le déploiement rapide des installations, notamment dans la perspective de la 5G. Elle a un effet « boule de neige » pour les opérateurs.

Mes chers collègues, je vous propose d'émettre un avis favorable sur ces crédits, sous réserve de l'adoption de mon amendement.

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